28 février 2001
Cour de cassation
Pourvoi n° 99-12.751

Troisième chambre civile

Titres et sommaires

(SUR LE POURVOI PROVOQUé) CONSTRUCTION IMMOBILIERE - construction d'un ouvrage - responsabilité - bureau de contrôle véritas - mission portant notamment sur les aléas pouvant affecter la solidité de l'ouvrage - omission de vérifier les qualités du matériau utilisé pour réaliser le remblai - (sur le pourvoi des architectes) architecte entrepreneur - responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage - responsabilité de l'architecte maître d'oeuvre - mission complète de maîtrise d'oeuvre - exonération de responsabilité - défectuosité des matériaux utilisés - cause étrangère exonératoire (non)

Texte de la décision

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


I - Sur le pourvoi n° E 99-12.751 formé par la compagnie Gan Assurances, dont le siège est ...,


en cassation d'un arrêt rendu le 16 décembre 1998 par la cour d'appel de Paris (19e chambre, section A), au profit :


1 / de la Société d'économie mixte immobilière de Nevers (SAEMIN), société anonyme, représentée en vertu d'un mandat d'administration générale par la Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts, Assistance aux maîtres d'ouvrages (SCIC-AMO), dont le siège est ...,


2 / du Centre communal d'action sociale de Nevers (CCAS), dont le siège est ...,


3 / de la société C 3 B Le Richelieu, dont le siège est ...,


4 / de la société ABW, anciennement dénommée société ARCA 2, dont le siège est ...,


5 / de M. Patrice X..., demeurant ...,


6 / de M. Jean-Louis Y..., demeurant ...,


7 / de M. Marc B..., demeurant ...,


8 / de la société Paillot-Verdier, dont le siège est ...,


9 / de M. Jean-Pierre D..., demeurant ...,


10 / de Mme Monique E..., demeurant ...,


11 / de Mme Marilyne C..., épouse F..., demeurant ...,


12 / de M. Patrice G..., demeurant ...,


13 / de la Mutuelle des architectes français (MAF), dont le siège est ...,


14 / de la société Bureau Véritas, société anonyme, dont le siège est 17 bis, place des Reflets, 92400 Courbevoie, La Défense 2,


15 / de la compagnie Mutuelles du Mans Assurances IARD, dont le siège est ...,


16 / de la société Ingénierie et technique de la construction (ITC), société à responsabilité limitée, dont le siège est ...,


17 / des Souscripteurs du Llyod's de Londres, assureurs de la société ITC, représentés par leur mandataire général en France, M. Quentin A..., domicilié ...,


18 / de la Société mutuelle assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est ...,


19 / de la compagnie Allianz Via Assurances, dont le siège est ...,


20 / de la compagnie Winterthur, société anonyme, dont le siège est Tour Winterthur, Cedex 18, 92085 Paris La Défense,


21 / de la société Entreprise Jean Lefebvre, société anonyme, dont le siège est ...,


defendeurs à la cassation ;


II - Sur le pourvoi n° N 99-12.850 formé par la société Entreprise Jean Lefebvre, société anonyme, dont le siège est ...,


en cassation du même arrêt au profit :


1 / de la Société d'économie mixte immobilière de Nevers (SAEMIN), société anonyme, dont le siège est 30, place du grand Courlis, 58000 Nevers, représentée en vertu d'un mandat d'administration générale par la Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts, Assistance aux maîtres d'ouvrages (SCIC-AMO), dont le siège est ...,


2 / du Centre communal d'action sociale de Nevers (CCAS), dont le siège est ...,


3 / des Souscripteurs du Llyod's de Londres, assureurs de la société ITC, représentés par leur mandataire général en France, M. Quentin A..., domicilié ...,


4 / de la société Ingénierie et technique de la construction (ITC), société à responsabilité limitée, dont le siège est ...,


5 / de la Société mutuelle assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), société anonyme, dont le siège est ...,


6 / de la société Allianz Assurances, société anonyme venant aux droits de la compagnie Allianz Via Assurances, dont le siège est ...,


7 / de la société C 3 B, société en nom collectif, dont le siège est ...,


8 / de la société ABW, anciennement dénommée société ARCA 2, société civile de moyens, dont le siège est ...,


9 / de M. Patrice X..., demeurant ...,


10 / de M. Jean-Louis Y..., demeurant ...,


11 / de M. Marc B..., demeurant ...,


12 / de la société Paillot-Verdier, dont le siège est ...,


13 / de M. Jean-Pierre D..., demeurant ...,


14 / de Mme Monique E..., demeurant ...,


15 / de Mme Marilyne C..., épouse F..., demeurant ...,


16 / de M. Patrice G..., demeurant ...,


17 / de la Mutuelle des architectes français (MAF), dont le siège est ...,


18 / de la société Bureau Véritas, société anonyme, dont le siège est 17 bis, place des Reflets, 92400 Courbevoie, La Défense 2,


19 / de la compagnie Mutuelles du Mans Assurances IARD, dont le siège est ...,


20 / de la compagnie Winterthur, société anonyme, dont le siège est Tour Winterthur, Cedex 18, 92085 Paris La Défense,


21 / de la société Gan Incendie Accidents, société anonyme, dont le siège est ...,


defendeurs à la cassation ;


Sur le pourvoi n° E 99-12.751 :


Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;


Sur le pourvoi n° N 99-12.850 :


La société Bureau Véritas et les Mutuelles du Mans ont formé, par un mémoire déposé au greffe le 17 novembre 1999, un pourvoi provoqué contre le même arrêt ;


La Mutuelle des architectes français et MM. X..., Y..., B..., D..., G..., et Mmes F... et E... ont formé, par un mémoire déposé au greffe le 24 septembre 1999, un pourvoi provoqué contre le même arrêt ;


La société Entreprise Jean Lefebvre, demanderesse au pourvoi principal, invoque à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;


La société Bureau Véritas et les Mutuelles du Mans, demanderesses au pourvoi provoqué, invoquent l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;


La Mutuelle des architectes français, MM. X..., Y..., B..., D..., G... et Z...
F... et E..., demandeurs au pourvoi provoqué, invoquent à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;


LA COUR, en l'audience publique du 23 janvier 2001, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Villien, conseiller rapporteur, Mlle Fossereau, MM. Chemin, Cachelot, Martin, Mme Lardet, conseillers, Mmes Masson-Daum, Fossaert-Sabatier, Boulanger, conseillers référendaires, M. Baechlin, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre ;


Sur le rapport de M. Villien, conseiller, les observations de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la société Entreprise Jean Lefebvre, de la SCP Defrénois et Levis, avocat de la compagnie Gan Assurances, de Me Choucroy, avocat de la Société mutuelle assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), de Me Copper-Royer, avocat de la compagnie Allianz Assurances, de Me Cossa, avocat de la Société d'économie mixte immobilière de Nevers (SAEMIN) et du Centre communal d'action sociale de Nevers (CCAS), de Me Foussard, avocat de la compagnie Winterthur, de Me Le Prado, avocat de la société Bureau Véritas et de la compagnie Mutuelles du Mans Assurances IARD, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de la compagnie Les Souscripteurs du Lloyd's de Londres et de la société Ingénierie et technique de la construction (ITC), de Me Odent, avocat de la société C 3 B Le Richelieu, de la SCP Philippe et François-Régis Boulloche, avocat de MM. X..., Y..., B..., D..., G..., de Mmes F... et E... et de la Mutuelle des architectes français (MAF), les conclusions de M. Baechlin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur les trois moyens du pourvoi principal n° N 99-12.850 et le premier moyen du pourvoi E 99-12.751, réunis :


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 décembre 1998), qu'en 1985, la Société d'économie mixte immobilière de Nevers (SAEMIN), maître de l'ouvrage, a fait édifier une maison d'accueil pour personnes âgées, dont la gestion a été confiée par la suite au Centre communal d'action sociale de Nevers (CCAS) ; qu'elle a souscrit auprès de la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) une police d'assurance "dommages-ouvrage" ; qu'une mission complète de maîtrise d'oeuvre a été confiée à MM. Y..., D..., G..., X..., B..., Z...
E... et F..., architectes (les architectes), assurés par la Mutuelle des architectes français (MAF) ; que la société Ingénierie et technique de la construction (ITC), bureau d'études, assurée par les souscripteurs du Lloyd's de Londres (les Lloyd's) a été chargée de l'établissement des plans de béton armé ; que le lot "gros oeuvre" a été dévolu à la société C3B, entreprise générale, assurée par la SMABTP, par la compagnie Winterthur et par la compagnie Allianz assurances ; que les remblais et les voiries et réseaux divers ont été traités par la société Entreprise Jean Lefebvre (société Jean Lefebvre), assurée par la compagnie GAN incendie accidents (GAN) ; qu'une mission de contrôle technique a été attribuée à la société Bureau Véritas (société Véritas), assurée par la compagnie Mutuelles du Mans assurances IARD (Mutuelle du Mans) ; qu'ayant constaté des désordres consistant en des soulèvements de dallages, fissurations et éclatements de murs porteurs et de cloisons, le maître de l'ouvrage et le gestionnaire ont assigné en réparation de leur préjudice les constructeurs et assureurs, qui ont

formé entre eux des demandes de garantie ;


Attendu que la société Jean Lefebvre et la compagnie GAN font grief à l'arrêt d'accueillir les demandes formées contre elles par le SAEMIN et le CCAS, alors, selon le moyen :


1 / que le maître de l'ouvrage dispose, contre le fabricant de matériaux, d'une action directe de nature contractuelle ; qu'en décidant que la société EJL devait, en sa qualité de fournisseur de l'entreprise principale, conformément au droit commun, répondre des conséquences de ses fautes sur le fondement des articles 1147 ou 1382 et 1383 du Code civil, selon que sa responsabilité était recherchée par son cocontractant ou par des tiers, la cour d'appel a violé les articles 1147, 1603, 1604 et 1641 du Code civil ;


2 / que le fournisseur n'est pas responsable de l'erreur commise par l'entrepreneur dans le choix des matériaux ; qu'en reprochant à la société EJL de ne pas s'être assurée que les matériaux commandés par la société C3B, entreprise principale, pouvaient être utilisés pour former un remblai devant servir d'assise à un bâtiment, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil ;


3 / que le fournisseur n'est pas responsable de l'erreur commise par l'entrepreneur dans le choix des matériaux ; qu'en ajoutant qu'il en était d'autant plus ainsi que la société EJL "chargée du compactage" ne pouvait ignorer que les matériaux devaient être utilisés pour exécuter un remblai servant d'assise à un bâtiment, sans préciser de quel élément elle déduisait que cette société avait été chargée du compactage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1147, 1382 et 1383 du Code civil ;


4 / que le fournisseur n'est pas responsable de l'erreur commise par l'entrepreneur dans le choix des matériaux ; qu'en reprochant à la société EJL de n'avoir pas vérifié si les matériaux commandés par la société C3B pouvaient être utilisés pour former un remblai devant servir d'assise à un bâtiment, sans répondre au moyen des conclusions de la société Jean Lefebvre, qui faisait valoir que son produit était parfaitement approprié à un système de fondation sur pieux au vu duquel il lui avait été passé commande, et qui avait été ultérieurement modifié pour des raisons d'économie, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;


5 / qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382, 1383 et suivants du Code civil ;


6 / que, dans ses rapports avec son acheteur, le fournisseur de matériaux est tenu sur le fondement du droit de la vente ; qu'en envisageant la responsabilité de la société EJL, qualifiée de fournisseur, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun à l'égard de la société C3B, son cocontractant, la cour d'appel a violé les articles 1603, 1604 et 1641 du Code civil ;


7 / que le fournisseur n'est pas responsable de l'erreur commise par l'entrepreneur dans le choix des matériaux, qu'en reprochant à la société EJL de ne pas s'être assurée que les matériaux commandés par la société C3B, entreprise principale, pouvaient être utilisés pour former un remblai devant servir d'assise à un bâtiment, la cour d'appel, d'une part, a violé l'article 1147 du Code civil, d'autre part, a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil ;


8 / que le fournisseur n'est pas responsable de l'erreur commise par l'entrepreneur dans le choix des matériaux ; qu'en ajoutant qu'il en était d'autant plus ainsi que la société EJL "chargée du compactage" ne pouvait ignorer que les matériaux devaient être utilisés pour exécuter un remblai servant d'assise à un bâtiment, sans préciser de quel élément elle déduisait que cette société avait été chargée du compactage, la cour d'appel, d'une part, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1147 du Code civil ; d'autre part, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ;


9 / que le fournisseur n'est pas responsable de l'erreur commise par l'entrepreneur dans le choix des matériaux ; qu'en reprochant à la société EJL de n'avoir pas vérifié si les matériaux commandés par la société C3B pouvaient être utilisés pour former un remblai devant servir d'assise à un bâtiment, sans en toute hypothèse s'expliquer sur la circonstance que ces matériaux étaient appropriés à une telle destination dès lors que les fondations étaient renforcées par des pieux, solution ultérieurement retenue et abandonnée par la suite pour des raisons d'économie, la cour d'appel, d'une part, a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, d'autre part, n'a pas donné de base légale à sa décision tant au regard des articles 1147 que 1382 et 1383 du Code civil ;


10 / que seul le vendeur, qui connaissait les vices de la chose est tenu de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur ; qu'en condamnant la société EJL, en sa qualité de fournisseur, contre laquelle la société SAEMIN disposait d'une action directe fondée sur le droit de la vente et notamment sur la garantie des vices cachés, au paiement de sommes ne correspondant pas à la seule restitution du prix de vente, la cour d'appel, qui n'a pas constaté une quelconque mauvaise foi de la société Jean Lefebvre a violé les articles 1645 et 1646 du Code civil ;


11 / que si la réparation du dommage doit être intégrale, elle ne saurait excéder le montant du préjudice ; qu'en allouant à la SAEMIN la somme de 641 275 francs correspondant à des frais de gardiennage et de murage de l'ancienne MAPAD, tout en relevant qu'elle disposait d'éléments suffisants pour évaluer à 300 000 francs "les frais réellement nécessaires à la protection du bâtiment avant sa démolition", la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;


12 / que les juges sont tenus de répondre aux moyens des conclusions dont ils sont saisis ; que, dans ses conclusions d'appel, la société EJL faisait notamment valoir que la société SAEMIN n'aurait eu aucun frais à supporter au titre de la démolition des constructions et de la "purge" du terrain si elle avait proposé un prix de vente attractif ; qu'en laissant sans réponse ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;


13 / que si la réparation du dommage doit être intégrale, elle ne saurait excéder le montant du préjudice ; qu'en refusant de déduire du montant du préjudice les intérêts produits par la provision versée à la SAEMIN, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;


14 / qu'il résultait des conclusions de la société Jean Lefebvre régulièrement signifiées le 15 mai 1998 et des conclusions du GAN en date du 15 mai 1998 que c'était la société C3B qui avait spécifié la commande du matériau dénommé "remblai 0/100 d'Imphy" en fonction du système de fondations que la société C3B avait elle-même définitivement arrêté ; que le matériau commandé n'était pas en soi impropre à être utilisé comme remblai pour des fondations, et qu'il ne devait être utilisé sous sa forme inerte que dans le cadre d'un système de fondations très particulier ; que la connaissance de l'utilisation du matériau livré par la société Jean Lefebvre à destination de remblai de fondation n'était pas en soi pertinente pour établir le défaut de conseil de la société Jean Lefebvre, puisque seule la société C3B, en qualité de professionnel et de concepteur, connaissait la nécessité de recourir à un matériau inerte ; que la cour d'appel a constaté que la société Jean Lefebvre ne connaissait pas les caractéristiques exactes et la destination du remblai ;


qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1147 du Code civil ;


15 / que, dans ses conclusions d'appel signifiées le 7 août 1995, reprises par le GAN dans ses conclusions en date du 15 mai 1998, la société Jean Lefebvre avait formellement contesté avoir eu une connaissance particulière de la destination du remblai, qui ne pouvait se déduire ni de la sous-traitance du lot VRD, ce dernier concernant uniquement les aménagements extérieurs, et qui est intervenue un an après la livraison du bâtiment, ni d'une "mise en oeuvre du remblai" ayant consisté seulement en l'enlèvement, le transport et le chargement, et le régalage du remblai sur la plate-forme, le compactage ayant été effectué par la société Solcompact ; qu'en considérant néanmoins que la société Jean Lefebvre aurait dû connaître les particularités des fondations pour l'avoir "mis en oeuvre" et pour avoir été "chargée du compactage", la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société Jean Lefebvre, en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;


Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que les désordres avaient pour cause le soulèvement du sol d'assise provenant du gonflement des matériaux utilisés dans la réalisation du remblai constitué de résidus de fonderie, et que la société Jean Lefebvre avait été chargée de la mise en oeuvre de ce remblai, la cour d'appel, qui a retenu, à bon droit, que cette société, non contractuellement liée au maître de l'ouvrage, devait répondre des conséquences de ses fautes sur le fondement de l'article 1147 du Code civil vis-à-vis de son cocontractant la société C3B, et sur celui des articles 1382 et 1383 du même Code vis-à-vis des tiers, et qui n'était pas tenue de répondre à de simples allégations non assorties d'une offre de preuve, a pu en déduire, se fondant sur les constatations des experts, sans dénaturation, que la société Jean Lefebvre, qui avait livré et mis en oeuvre le matériau sans se préoccuper de ses caractéristiques, alors qu'étant chargée du compactage elle n'avait pu ignorer qu'il était destiné à constituer un remblai servant d'assise à un bâtiment, qui avait omis de s'assurer que les produits convenaient à cet usage, et qui, en raison de son expérience d'entreprise routière de premier plan, connaissait nécessairement les exigences techniques de l'utilisation des résidus de fonderie, avait commis des négligences de nature à engager sa responsabilité ;


Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que la société Jean Lefebvre avait été chargée de la mise en oeuvre du remblai défectueux, et que la purge du terrain des scories constituant ce remblai était justifiée en raison du projet, lui-même rationnel, de revente du terrain, qui n'avait pu aboutir faute d'acquéreur, la cour d'appel, qui n'a pas fondé la réparation allouée au maître de l'ouvrage sur la garantie des vices cachés incombant au vendeur, qui n'a pas accordé aux victimes du dommage la somme de 641 275 francs correspondant aux frais de gardiennage et de murage, mais a soustrait cette somme du montant mis à la charge de la société Jean Lefebvre, et qui a retenu, à bon droit, que la provision constituant une avance sur le montant d'une créance exigible, les produits financiers résultant de son placement avant utilisation n'avaient pas à être déduits de l'indemnisation finale, a souverainement évalué, répondant aux conclusions, le montant de cette indemnisation ;


D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


Sur le moyen unique du pourvoi provoqué de la société Véritas et des Mutuelles du Mans :


Attendu que la société Véritas et les Mutuelles du Mans font grief à l'arrêt d'accueillir les demandes formées contre elles, alors, selon le moyen, que la mission du contrôleur technique est limitée et ne saurait se confondre avec celle du maître d'oeuvre ou des entreprises ; qu'il ne lui appartient pas de se substituer à ces derniers en examinant lui-même la qualité du matériau livré sur le chantier ; que le Bureau Véritas a bien, durant la phase d'exécution, examiné les conditions dans lesquelles se sont effectuées les vérifications techniques auxquelles sont tenues les constructeurs ; qu'il résulte en effet des constatations de l'arrêt attaqué qu'il a veillé à ce que la société Dol Compact établisse et lui adresse un rapport relatif aux résultats des essais qu'il a préconisés pour la mise en oeuvre de fondations superficielles, après compactage dynamique ; que le contrôle lui-même des qualités chimiques des matériaux ne rentrant pas dans la mission du Bureau Véritas, la cour d'appel ne pouvait retenir sa responsabilité sans violer l'article 1792-1 du Code civil ;


Mais attendu qu'ayant relevé que le bureau de contrôle Véritas était investi d'une mission portant notamment sur les aléas pouvant affecter la solidité de l'ouvrage, que, sachant que le remblai serait constitué de résidus de fonderie, il avait omis de s'assurer que les qualités chimiques du matériau compacté avaient fait l'objet d'une vérification par l'entreprise chargée de sa mise en oeuvre, et qu'il ne pouvait ignorer les risques inhérents à l'utilisation d'un matériau de cette nature, qui devait au préalable subir un stockage d'une durée suffisante pour lui permettre de devenir inerte, la cour d'appel en a exactement déduit que l'omission de ce contrôle, qui entrait dans l'objet de la mission de la société Véritas, et ne se confondait pas avec le contrôle direct de la qualité des matériaux, entraînait l'application, vis-à-vis du bureau de contrôle, de la présomption de responsabilité édictée par l'article L. 111-24 du Code de la construction et de l'habitation ;


D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


Sur les deux moyens du pourvoi provoqué des architectes et de la MAF, réunis :


Attendu que les architectes et la MAF font grief à l'arrêt d'accueillir les demandes formées contre eux, et de rejeter leur demande de garantie dirigée contre la société ITC ET LES Lloyd's, alors, selon le moyen :


1 / que les architectes, dans l'accomplissement de leur mission complète de maîtrise d'oeuvre, ne sont tenus ni d'une obligation de résultat pour la surveillance des travaux, ni d'une présence constante sur le chantier ; qu'en ne s'expliquant pas sur le contrôle auquel les architectes auraient dû procéder sur un matériau banal de remblai, l'arrêt attaqué n'a pas donné de base légale, au regard de l'article 1792 du Code civil, à sa décision infirmative dont ils demandaient la confirmation ;


2 / qu'en application de l'acte d'engagement intervenu entre le maître de l'ouvrage et l'ensemble des maîtres d'oeuvre, dont le bureau d'études ICT, celui-ci, qui s'était obligé solidairement avec les architectes et devait percevoir 41 % de la rémunération de la maîtrise d'oeuvre, participait à toutes les phases de la mission de maîtrise d'oeuvre, dont la mission de contrôle général des travaux (CGT) au titre de laquelle il percevait un pourcentage d'honoraires de 25 % ; qu'en décidant que, par l'effet de ce contrat, selon lequel il était tenu solidairement des mêmes obligations que les architectes, le bureau d'études ICT n'aurait été seulement chargé que des plans d'exécution de béton armé et, en particulier, ceux des semelles, l'arrêt attaqué a violé l'article 1134 du Code civil ;


3 / que l'acte d'engagement du 26 novembre 1984 ayant chargé solidairement le bureau d'études ICT et les architectes de la même mission de contrôle général des travaux, au titre de laquelle la cour d'appel retenait la garantie des architectes, elle ne pouvait soustraire le bureau d'études à toute responsabilité dans ses rapports avec les architectes ; qu'ainsi l'arrêt attaqué, qui rejette les conclusions de garantie des architectes à l'encontre du bureau d'études ICT, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1134, 1147, 1202 et 1382 du Code civil ;


Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que les architectes étaient investis d'une mission complète de maîtrise d'oeuvre, confiée par le maître de l'ouvrage, et exactement retenu que la défectuosité des matériaux livrés sur le chantier ne constituait pas une cause étrangère de nature à exonérer les maîtres d'oeuvre de leur responsabilité, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que la présomption de responsabilité édictée par l'article 1792-1 du Code civil leur était applicable, et a souverainement procédé au partage de la charge finale de la condamnation dans les rapports entre constructeurs ;


Attendu, d'autre part, qu'ayant constaté que seuls les architectes recherchaient la responsabilité de la société ITC par voie d'action récursoire, et relevé qu'il n'était ni établi ni même prétendu que ce bureau d'études ait, à l'occasion de son intervention, commis une quelconque faute, la cour d'appel a pu retenir, abstraction faite d'un motif surabondant relatif à l'étendue de la présomption de responsabilité à laquelle la société ITC était soumise vis-à-vis du maître de l'ouvrage, que la demande formée par les architectes contre la société ITC et son assureur devait être rejetée ;


D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


Sur le second moyen du pourvoi n° E 99-12.751 :


Attendu que la compagnie GAN fait grief à l'arrêt d'accorder à la SAEMIN et au CCAS les intérêts au taux légal sur les sommes allouées à compter du 14 mars 1994, alors, selon le moyen :


1 / que les juges du fond sont tenus de motiver leur décision ; qu'en indiquant que les sommes au paiement desquelles le GAN était condamné devaient être augmentées des intérêts au taux légal à compter du 14 mars 1994, sans s'expliquer sur cette date, la cour d'appel a privé sa décision de motifs, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;


2 / que les intérêts ne sont dus qu'à partir de la mise en demeure du débiteur ; qu'en énonçant que les sommes au paiement desquelles le GAN était condamné devaient être augmentées des intérêts au taux légal à compter du 14 mars 1994, sans rechercher si un acte mettait le GAN et la société Jean Lefebvre en demeure de payer des sommes à partir de cette date, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1146 du Code civil ;


Mais attendu que la cour d'appel ayant constaté que les demandeurs sollicitaient le paiement des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 14 mars 1994, le moyen manque en fait ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE les pourvois ;


Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;


Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Entreprise Jean Lefebvre à payer la somme de 12 000 francs ou 1 829,39 euros, ensemble, à la Société d'économie mixte immobilière de Nevers (SAEMIN) et au Centre communal d'action sociale de Nevers (CCAS), la somme de 12 000 francs ou 1 829,39 euros, à la société C3B Le Richelieu, la somme de 1 000 francs ou 152,45 euros, à la compagnie Winterthur, la somme de 5 000 francs ou 762,25 euros à la compagnie Allianz Assurances ;


Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne, ensemble, MM. Y..., D..., G..., X..., B..., Z...
E... et F..., architectes, et la MAF à payer à la société Ingénierie et techniques de la construction (ITC) et au Llyod's de Londres la somme de 12 000 francs ou 1 829,39 euros ;


Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne le GAN incendie accident à payer à la Société d'économie mixte immobilière de Nevers (SAEMIN) et au Centre communal d'action sociale de Nevers (CCAS), ensemble, la somme de 12 000 francs ou 1 829,39 euros, la somme de 1 000 francs ou 152,45 euros à la compagnie Winterthur, la somme de 6 000 francs ou 914,69 euros à la société Ingénierie et techniques de la construction (ITC) et au Llyod's de Londres, ensemble, la somme de 5 000 francs ou 762,25 euros à la compagnie Allianz, et la somme de 12 000 francs ou 1 829,39 euros aux architectes et à la Mutuelle des architectes français (MAF), ensemble ;


Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette toutes autres demandes ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit février deux mille un.

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