6 juillet 1999
Cour de cassation
Pourvoi n° 96-20.495

Chambre commerciale financière et économique

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 25 JANVIER 1985) - redressement et liquidation judiciaires - créanciers du débiteur - compensation - conditions

Texte de la décision

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le pourvoi formé par la société Cicile communication, société à responsabilité limitée dont le siège social est Résidence Les Hauts d'Isle, 2 et 4 de la Sous-Préfecture, 02100 Saint-Quentin,


en cassation d'un arrêt rendu le 21 juin 1996 par la cour d'appel d'Amiens (4e Chambre commerciale), au profit :


1 / de la société Aidis, société à responsabilité limitée dont le siège social est ...,


2 / de M. X..., pris ès qualités d'administrateur de la société à responsabilité limitée Aidis, nommé à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Saint-Quentin du 17 septembre 1993, demeurant ...,


3 / de M. Y..., pris ès qualités de liquidateur de la société à responsabilité limitée Aidis, nommé à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Saint-Quentin du 18 mars 1994, demeurant ...,


défenderesses à la cassation ;


La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;


LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 26 mai 1999, où étaient présents : M. Bézard, président, Mme Aubert, conseiller rapporteur, M. Grimaldi, conseiller, Mme Piniot, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;


Sur le rapport de Mme Aubert, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, avocat de la société Cicile communication, les conclusions de Mme Piniot, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Amiens, 21 juin 1996), que la société Cicile communication a conclu avec la société Loisnard un contrat de distribution exclusive de journaux gratuits, le 29 novembre 1988 ; que cette dernière société a été mise en liquidation judiciaire et son fonds de commerce a été cédé par le liquidateur à la société Aidis, par acte du 28 août 1992 stipulant que l'acquéreur fera son affaire personnelle de l'exécution des contrats conclus par la société cédante ; que, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 2 août 1993, la société Cicile a informé la société Aidis qu'il n'était plus dans son intention de collaborer avec elle étant donné la mauvaise qualité de ses prestations ; que la société Aidis a assigné la société Cicile en paiement de dommages-intérêts pour avoir rompu le contrat de distribution exclusive sans respecter le délai de préavis de six mois, prévu par le contrat, puis a été mise en redressement judiciaire, converti ultérieurement en liquidation judiciaire ; que la cour d'appel a condamné la société Cicile à réparer le préjudice causé par la résiliation anticipée du contrat de distribution du 21 novembre 1988 ;


Sur le premier moyen, pris en ses quatre premières branches :


Attendu que la société Cicile fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le cessionnaire ne peut se prévaloir du contrat transmis à l'encontre du cédé en l'absence d'accord de celui-ci ; qu'en l'espèce, il ne résulte d'aucune des constatations de l'arrêt que la société Cicile ait été informée du transfert à la société Aidis du contrat de distribution antérieurement passé par elle avec la société Loisnard et qu'elle ait consenti à cette cession ; qu'en considérant néanmoins ledit transfert comme opposable au cocontractant cédé du seul fait que les relations commerciales se sont pourvuivies durant une année entre la société Cicile et la société Aidis, l'arrêt n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1134 et 1165 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'en condamnant la société Cicile pour non-respect du préavis contractuel au motif que cette société "ne pouvait utilement soutenir ne pas avoir été avisée" du transfert du contrat de distribution quand il incombait à la société Aidis qui invoquait la violation des clauses du contrat passé avec la société Loisnard le 29 novembre 1988, d'établir qu'elle avait régulièrement porté l'opération de transfert à la connaissance de la société Cicile et obtenu son accord pour poursuivre les relations commerciales dans le cadre du précédent contrat de distribution, l'arrêt a renversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315 du Code civil ; alors, de troisième part, que la société Cicile, pour dénier toute portée à la poursuite des relations commerciales entre elle et la société Aidis, indiquait, dans ses conclusions d'appel, qu'elle n'avait jamais entendu "collaborer avec la société Aidis dans le cadre du contrat de distribution que cette société avait initialement conclu avec la société Loisnard le 29 novembre 1988" ; qu'en déclarant néanmoins que la société Cicile était mal fondée à soutenir qu'"elle n'entendait pas collaborer avec la société Aidis", l'arrêt a méconnu les conclusions précitées et violé les articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que la société Cicile indiquait, dans ses conclusions d'appel, qu'en avril 1992, la société Aidis lui avait soumis deux projets de contrats de distribution publicitaire destinés à donner un cadre juridique à leurs relations commerciales récentes ; que cette proposition impliquait nécessairement que leurs relations n'étaient plus régies par l'accord antérieur conclu en 1988 avec la société Loisnard ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef essentiel des conclusions de nature à démontrer que dans ses rapports avec la société Cicile, la société Aidis ne s'était pas prévalue des dispositions du contrat antérieur, l'arrêt a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;


Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la société Aidis, cessionnaire du fonds de commerce de la société Loisnard, a poursuivi l'exécution du contrat de distribution exclusive confié par la société Cicile, dans les mêmes conditions que celles prévues à ce contrat, pendant presqu'un an, faisant ainsi ressortir que la société Cicile avait manifesté de façon non équivoque sa volonté d'accepter sans réserve la cession du contrat litigieux à la société Aidis, de telle sorte que la cour d'appel a légalement justifié sa décision sans encourir les griefs du moyen ; que celui-ci n'est fondé en aucune de ses branches ;


Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche :


Attendu que la société Cicile fait encore grief à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait, alors, selon pourvoi, qu'elle faisait valoir dans ses conclusions d'appel qu'elle avait mis fin à ses relations contractuelles avec la société Aidis après avoir découvert que cette société avait, pendant plusieurs mois, prétendu facturer des prestations censées correspondre à la distribution de plusieurs milliers de journaux dont la société Aidis avait en réalité ordonné la destruction ; que ce comportement, préjudiciable à ses intérêts, était de nature à empêcher toute poursuite des relations commerciales avec la société Aidis, à laquelle avait été confiée l'exclusivité de la distribution de ses publications dans la zone de diffusion de cette société ; qu'en se bornant à affirmer qu'il n'était pas démontré que l'inexécution des obligations contractuelles invoquée par elle aurait créé une situation justifiant la résiliation unilatérale du contrat, l'arrêt, qui n'a pas analysé les manquements reprochés ni recherché si ceux-ci étaient de nature à rendre impossible la poursuite des relations contractuelles entre les deux sociétés, n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1134 et 1780 du Code civil ;


Mais attendu qu'après avoir relevé que si, pour justifier sa décision de rompre le contrat de distribution exclusive sans préavis, la société Cicile a fait état de la mauvaise qualité des prestations fournies par la société Aidis ainsi que d'attestations établissant les indélicatesses commises par cette dernière, l'arrêt retient souverainement qu'elle ne démontre pas que l'inexécution par celle-ci de ses obligations contractuelles aurait créé une situation d'une gravité et d'une urgence telle qu'elle justifierait la résiliation unilatérale et immédiate du contrat, ce dont il résulte qu'elle n'établissait pas l'impossibilité de poursuivre le contrat ; qu'ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;


Et sur le second moyen :


Attendu que la société Cicile fait enfin grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande reconventionnelle en paiement par la société Aidis de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par les agissements de cette société, alors, selon le pourvoi, que lorsque les conditions s'en trouvent réunies avant l'ouverture de la procédure collective, la compensation entre les deux créances connexes s'opère de plein droit à concurrence de la créance la plus faible ; qu'ainsi, en présence des deux créances de nature connexe détenues par chacune des parties au contrat, la cour d'appel ne pouvait rejeter la demande d'indemnité formée par la société Cicile, faute de déclaration au passif du redressement judiciaire de la société Aidis, sans rechercher si les conditions d'une compensation n'étaient pas d'ores et déjà réunies avant l'ouverture de la procédure collective ; qu'en déboutant la société Cicile de sa demande en paiement sans se livrer à une telle recherche, l'arrêt n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1291 du Code civil et 53 de la loi du 25 janvier 1985 ;


Mais attendu que lorsque les conditions de la compensation légale ne sont pas réunies avant l'ouverture de la procédure collective, la compensation ne peut être opposée que s'il existe entre les dettes respectives un lien de connexité et si le créancier du débiteur soumis à une telle procédure a déclaré au passif de celui-ci sa créance d'origine antérieure ; que l'arrêt retient que la société Cicile n'a pas déclaré au passif de la société Aidis, en redressement judiciaire, sa créance de dommages-intérêts en réparation du préjudice invoqué par elle, de sorte que la créance était éteinte par application de l'article 53 de la loi du 25 janvier 1985 ; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi ;


Condamne la société Cicile communication aux dépens ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le conseiller le plus ancien faisant fonctions de président en son audience publique du six juillet mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.

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