16 juin 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-87.060

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:CR00917

Texte de la décision

N° U 20-87.060 F-D

N° 00917




16 JUIN 2021

ECF





RENVOI







M. SOULARD président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 JUIN 2021



M. [D] [U], les sociétés SIMS Holding agency corp, Howick capital corp, Ocean 26 holdings LLC, Limousines 26 express LLC, Mondrian 1026 LLC, Range rover 2013 LLC, Ghost 2010 LLC, Real estate 26 investments LLC, et Steep rise limited, ont présenté, par mémoires spéciaux reçus le 1er avril 2021, deux questions prioritaires de constitutionnalité à l'occasion des pourvois respectivement formés par eux contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-13, en date du 18 septembre 2020, qui, pour escroquerie en bande organisée et blanchiment, en bande organisée, a condamné le premier à sept ans d'emprisonnement, 1 000 000 euros d'amende, dix ans d'interdiction de gérer une entreprise commerciale, a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires en réponse et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Turcey, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat des sociétés SIMS Holding agency corp, Howick capital corp, Ocean 26 holdings LLC, Limousines 26 express LLC, Mondrian 1026 LLC, Range rover 2013 LLC, Ghost 2010 LLC, Real estate 26 investments LLC, et Steep rise limited, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [D] [U], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'Etat français, et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Turcey, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


1. La première question prioritaire de constitutionnalité, présentée par M. [U], est ainsi rédigée :

« La jurisprudence constante de la chambre criminelle rendue au visa de l'article 324-1 du code pénal, selon laquelle une personne peut être condamnée pour le blanchiment du produit d'une infraction qu'elle a elle-même commise et pour laquelle elle a été condamnée, est-elle conforme au principe constitutionnel de nécessité des délits et des peines, consacré par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 ? »

2. La disposition législative contestée est applicable à la procédure et n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

3. La question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

4. La question posée ne présente pas un caractère sérieux, dès lors que l'article 324-1 du code pénal institue une infraction générale et autonome de blanchiment, distincte, dans ses éléments matériel et intentionnel, du crime ou du délit ayant généré un produit et réprime, quel qu'en soit l'auteur, des agissements spécifiques de placement, dissimulation ou conversion de ce produit, de sorte que cette disposition est applicable à celui qui blanchit le produit d'une infraction qu'il a commise, sans porter atteinte au principe de nécessité des délits et des peines.

5. La seconde question prioritaire de constitutionnalité, présentée par les sociétés SIMS Holding agency corp, Howick capital corp, Ocean 26 holdings LLC, Limousines 26 express LLC, Mondrian 1026 LLC, Range rover 2013 LLC, Ghost 2010 LLC, Real estate 26 investments LLC, et Steep rise limited, est ainsi rédigée :

« En édictant les dispositions de l'article 131-21, alinéas 3 et 9, du code pénal, et celles des articles 313-7, 4° et 324-7, 8° du code pénal qui en constituent une application spéciale, lesquelles permettent aux juridictions répressives de prononcer la confiscation de biens dont le condamné a seulement la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, sans prévoir que le tiers propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure doive être cité à comparaître devant la juridiction de jugement avec l'indication de la possibilité pour celle-ci d'ordonner la confiscation du bien lui appartenant, non plus que le droit pour l'intéressé de présenter ou faire présenter par un avocat ses observations à l'audience avec la faculté pour lui d'exercer un recours contre la décision de confiscation prononcée, le législateur a-t-il, d'une part, méconnu le principe du contradictoire, les droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif, protégés par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que le droit de propriété, protégé par les articles 2 et 17 de la même Déclaration, et, d'autre part, méconnu sa propre compétence en affectant ces droits et libertés que la Constitution garantit ? »

6. La recevabilité de cette question prioritaire de constitutionnalité n'est pas subordonnée à celle des pourvois à l'occasion desquels elle a été présentée, dans la mesure où elle porte précisément sur l'éventuelle contrariété à la Constitution de dispositions législatives dont dépend l'appréciation de la recevabilité des pourvois.

7. Les dispositions législatives contestées sont applicables à la procédure et les articles 313-7, 4° et 324-7, 8° du code pénal n'ont pas déjà été déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

8. L'article 131-21 du code pénal a été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-66 du 26 novembre 2010. Cependant, les conditions d'application de la peine de confiscation en valeur prévues par le neuvième alinéa de ce texte ont été étendues successivement par la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 et la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013. Ainsi, l'entrée en vigueur de ces textes est de nature à constituer un changement de circonstances de droit.

9. La question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

10. La question posée présente un caractère sérieux, en ce que si les articles 313-7, 4° et 324-7, 8° du code pénal constituent des applications spéciales de la peine définie par le troisième alinéa de l'article 131-21 du code pénal, qui préserve le droit de propriété des tiers de bonne foi (Cons. const., décision du 26 novembre 2010, n° 2010-66 QPC, JO 27 novembre, n° 39, cons. 7), et si le neuvième alinéa du même texte dispose que la confiscation en valeur peut être exécutée sur tous biens dont le condamné à la libre disposition, mais sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, la loi ne prévoit pas que le tiers propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure doit être cité à comparaître devant la juridiction de jugement avec l'indication de la possibilité pour celle-ci d'ordonner la confiscation du bien lui appartenant, non plus que le droit pour l'intéressé de présenter ou faire présenter par un avocat ses observations à l'audience avec la faculté pour lui d'exercer un recours contre la décision de confiscation prononcée.

11. En conséquence, il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur la première question prioritaire de constitutionnalité

DIT N'Y AVOIR LIEU DE LA RENVOYER au Conseil constitutionnel ;

Sur la seconde question prioritaire de constitutionnalité

LA RENVOIE au Conseil constitutionnel ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en audience publique du seize juin deux mille vingt et un.

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