10 juin 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-16.837

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2021:C300490

Titres et sommaires

ARCHITECTE ENTREPRENEUR - Responsabilité - Responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage - Responsabilité contractuelle de droit commun - Action en responsabilité - Délai décennal - Nature - Détermination - Portée

Le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l'article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion, qui n'est pas, sauf dispositions contraires, régi par les dispositions concernant la prescription. Dès lors, une reconnaissance de responsabilité n'interrompt pas le délai décennal de l'action du maître de l'ouvrage en responsabilité contractuelle de droit commun pour des dommages intermédiaires

ARCHITECTE ENTREPRENEUR - Responsabilité - Responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage - Responsabilité contractuelle de droit commun - Action en responsabilité - Délai décennal - Forclusion - Interruption - Acte interruptif - Reconnaissance de responsabilité - Exclusion

Texte de la décision

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 10 juin 2021




Cassation partielle sans renvoi


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 490 FS-P+R

Pourvoi n° Q 20-16.837





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 JUIN 2021

La société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 20-16.837 contre l'arrêt rendu le 3 février 2020 par la cour d'appel de Toulouse (1re chambre, section 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [N] [F],

2°/ à M. [Q] [B],

domiciliés tous deux [Adresse 2],

3°/ à la société M3 construction, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Nivôse, conseiller, les observations de la SCP Boulloche, avocat de la société Axa France IARD, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme [F] et de M. [B], et l'avis de Mme Vassallo, premier favocat général, après débats en l'audience publique du 11 mai 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Nivôse, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, conseillers, Mmes Georget, Renard, M. Zedda, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 3 février 2020), en juin 2003, Mme [F] et M. [B] ont confié des travaux de réfection d'une terrasse à la société M3 construction (l'entreprise), assurée auprès de la SMABTP jusqu'en 2012, puis auprès de la société Axa France IARD (la société Axa).

2. Se plaignant de désordres, Mme [F] et M. [B] ont, le 3 octobre 2011, obtenu un accord de l'entreprise pour réaliser les travaux de réparation.

3. Le 6 juin 2016, les désordres persistant, Mme [F] et M. [B] ont, après expertise, assigné en indemnisation l'entreprise, qui a, le 18 janvier 2017, appelé en garantie son assureur, la société Axa.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Axa fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la société M3 construction, à payer à Mme [F] et à M. [B] la somme de 5 007,45 euros et d'écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action, alors « que le délai de 10 ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l'article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion, lequel n'est pas, en principe, régi par les dispositions concernant la prescription ; que si la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription, elle n'interrompt pas le délai de forclusion ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a décidé que le protocole d'accord conclu entre les consorts [F]-[B] et la SARL M3 construction le 3 octobre 2011 s'analysait en une reconnaissance de responsabilité ayant un effet interruptif du délai décennal de l'action en responsabilité contre les constructeurs pour les dommages intermédiaires ; qu'en appliquant ainsi à un délai de forclusion une règle concernant seulement les délais de prescription, la cour d'appel a violé les articles 1792-4-3, 2220 et 2240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1792-4-3, 2220 et 2240 du code civil :

5. Selon le premier de ces textes, en dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux.

6. Aux termes du deuxième, les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre.

7. Aux termes du troisième, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.

8. En alignant, quant à la durée et au point de départ du délai, le régime de responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs sur celui de la garantie décennale, dont le délai est un délai d'épreuve (3e Civ., 12 novembre 2020, pourvoi n° 19-22.376, à publier), le législateur a entendu harmoniser ces deux régimes de responsabilité.

9. Il en résulte que le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l'article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion, qui n'est pas, sauf dispositions contraires, régi par les dispositions concernant la prescription, et que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait n'interrompt pas le délai de forclusion.

10. Pour condamner la société Axa, l'arrêt retient, d'une part, que le délai de dix ans prévu à l'article 1792-4-3 du code civil est un délai de prescription, d'autre part, que l'accord du 3 octobre 2011, intervenu entre les consorts [F]-[B] et l'entreprise, constitue une reconnaissance de responsabilité, opposable à l'assureur, laquelle a interrompu le délai décennal de l'action en responsabilité contractuelle de droit commun intentée par les maîtres de l'ouvrage pour des dommages intermédiaires, de sorte que l'action au fond introduite le 6 juin 2016 est recevable.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la société Axa France IARD est condamnée, in solidum avec la société M3 construction, au paiement des sommes mises à la charge de cette dernière tant au titre de la réparation des désordres qu'au titre des dépens de première instance ou de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il condamne la société Axa France IARD à garantir la société M3 construction pour les dépens de l'appel et la somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 3 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare irrecevables les demandes formées contre la société Axa France IARD ;

Condamne la société M3 construction aux dépens d'appel ;

Condamne Mme [F] et M. [B] aux dépens du présent arrêt ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix juin deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour la société Axa France IARD

Le moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Axa France Iard, in solidum avec la SARL M3 Construction, à payer à Mme [F] et à M. [B] la somme de 5.007,45 ? TTC, et d'avoir ainsi écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action intentée par les consorts [F]-[B] à l'encontre de la société M3 Construction et son assureur la compagnie Axa,

Aux motifs qu'« est mise en cause la responsabilité contractuelle de la SARL M3 CONSTRUCTION pour des désordres dits "intermédiaires" ne relevant pas des garanties légales. Le délai de prescription est de dix ans et commence à courir au jour de la réception, en l'espèce le paiement de la facture des travaux litigieux le 22 juillet 2003.
L'argument tiré par la société AXA FRANCE IARD du fait que l'on est en présence d'un délai de forclusion et non d'un délai de prescription ne peut résulter de la jurisprudence évoquée à ce titre (Civ 3ème 10/11/2016 n°15-24289) qui a été appliquée par la cour au délai d'action en matière de vice caché et non en matière de dommages intermédiaires.
La réalité jurisprudentielle est plus nuancée et on peut considérer que par application des dispositions de l'article 2240 du code civil au terme duquel, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription, le protocole d'accord conclu entre les consorts [F]-[B] et la SARL M3 CONSTRUCTION le 03/10/2011 s'analyse bien en une reconnaissance de responsabilité ayant un effet interruptif.
Le moyen tiré du fait que les travaux réalisés en 2011 sur la base de cet accord ne seraient pas de même nature que ceux réalisés en 2003, pour n'avoir pas concerné le système de drainage qui fait aujourd'hui l'objet de l'action en garantie est également inopérant. Les désordres apparus après les premiers travaux de 2003 et qui se sont manifestés par un écoulement d'eau de ruissellement à partir de la terrasse sur les enduits inferieurs sont identiques à ceux que l'expert judiciaire a constatés après les travaux exécutés en 2011 et qu'il attribue à l'absence d'un système de récupération des eaux comme des gouttières ou gargouilles, absence dont il apparaît au vu du rapport qu'elle existait dès l'origine » (arrêt, p. 6) ;

Et aux motifs, adoptés du jugement, que « la SARL M3 CONSTRUCTION a réalisé en juillet 2003 des travaux de réfection de la terrasse de Mme [N] [F] et de M. [F] [B] comprenant la mise en oeuvre d'une étanchéité et d'un carrelage scellé, réglés selon facture du 22 juillet 2003. Ces travaux constituent indéniablement un ouvrage.
Selon protocole d'accord conclu entre les parties le 3 octobre 2011, faisant état de la présence de fissures et de salpêtres sur la tranche de la terrasse, la SARL M3 CONSTRUCTION s'est engagée à effectuer des travaux de réparation consistant en la réalisation d'un larmier en périphérie de la dalle de la terrasse au droit de la jonction entre la chape carrelée et l'étanchéité de cette terrasse, à reprendre l'intégralité des enduits fissurés et souillés par le salpêtre et les flashs présents sur le carrelage de la terrasse et à réaliser deux joints de fractionnement, avant le 15 novembre 2011.
Ces travaux ont été réalisés par la SARL M3 CONSTRUCTION et ont été réceptionnés selon procès-verbal du 20 juin 2012.
L'expert désigné par l'ordonnance de référé rendue le 24 août 2015 a retenu les désordres suivants : des ruissellements en tête de terrasse dégradant l'enduit, des traces de concrétion calcaire inesthétique dues aux infiltrations, des défauts de planéité et d'adhérence du carrelage sur la première rangée de carreaux en bordure de la terrasse, mettant en cause la mauvaise réalisation du système de drainage des eaux interstitielles.
L'expert a précisé que les désordres litigieux étaient de la même nature ou de la même cause que ceux ayant fait l'objet des travaux de reprise et les a imputés à une mauvaise exécution des travaux réalisés par la SARL M3 CONSTRUCTION.
Les désordres ainsi décrits procèdent de la même malfaçon initiale qui a été insuffisamment reprise par les travaux postérieurs.
En application de l'article 1792-4-3 du code civil, il est constant que l'action en responsabilité engagée par Mme [N] [F] et M. [F] [B] à l'encontre de la SARL M3 CONSTRUCTION se prescrit par dix ans à compter de la réception des travaux, soit en l'espèce jusqu'au 22 juillet 2013, alors qu'ils ont engagé la procédure afin d'obtenir une expertise en juillet 2015.
Cependant, par le protocole d'accord conclu entre les parties le 3 octobre 2011, la SARL M3 CONSTRUCTION a reconnu de manière non équivoque sa responsabilité au titre des désordres constatés, qu'elle s'est engagée à reprendre, par des travaux qui ont été réalisés et réceptionnés le 20 juin 2012, de sorte que ce protocole a emporté l'interruption de la prescription décennale.
Les demandes formées par Mme [N] [F] et M. [F] [B] sont donc recevables » (jugement, p. 4) ;

1/ Alors que le délai de 10 ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l'article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion, lequel n'est pas, en principe, régi par les dispositions concernant la prescription ; que si la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription, elle n'interrompt pas le délai de forclusion ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a décidé que le protocole d'accord conclu entre les consorts [F]-[B] et la SARL M3 Construction le 3 octobre 2011 s'analysait en une reconnaissance de responsabilité ayant un effet interruptif du délai décennal de l'action en responsabilité contre les constructeurs pour les dommages intermédiaires ; qu'en appliquant ainsi à un délai de forclusion une règle concernant seulement les délais de prescription, la cour d'appel a violé les articles 1792-4-3, 2220 et 2240 du code civil ;

2/ Alors que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; que la compagnie Axa a soutenu, dans ses conclusions d'appel (p.5 pénultième alinéa), qu'en application de l'article 4.4 des conditions générales du contrat d'assurance souscrit pas la société M3 Construction, aucune reconnaissance de responsabilité, aucune transaction intervenue sans son accord, ne lui était opposable ; que pour juger que la reconnaissance de responsabilité par cette société avait valablement interrompu le délai d'action à son encontre et était opposable à son assureur, la cour a retenu que l'argument tiré par l'assureur de l'inopposabilité de la reconnaissance de responsabilité de son assuré n'était pas pertinent car l'arrêt cité à ce propos concernait un cas d'espèce dans lequel le contrat prévoyait expressément une clause d'inopposabilité sur ce point, ce qui faisait défaut dans le présent litige ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a dénaturé le contrat d'assurance et violé le principe ci-dessus rappelé.

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