2 juin 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 18-22.016

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:SO00684

Titres et sommaires

STATUTS PROFESSIONNELS PARTICULIERS - Voyageur représentant placier - Contrat de représentation - Cessation - Indemnités conventionnelles - Indemnité spéciale de rupture - Bénéfice - Conditions - Indemnité de clientèle - Bénéfice de l'indemnité - Renonciation à l'indemnité - Renonciation dans les 30 jours suivant l'expiration du contrat de travail

Il résulte de la combinaison des articles L. 7313-13, alinéa 1, du code du travail et 14 de l'accord national interprofessionnel des voyageurs, représentants, placiers du 3 octobre 1975, d'une part, qu'en cas de résiliation d'un contrat à durée indéterminée par le fait de l'employeur pour une autre cause que la faute grave du représentant, celui-ci bénéficie d'une indemnité spéciale de rupture, à condition d'avoir renoncé, dans les trente jours suivant l'expiration du contrat de travail, à l'indemnité de clientèle à laquelle il pourrait avoir droit, d'autre part, que le bénéfice de l'indemnité spéciale de rupture n'est pas subordonné à la reconnaissance d'un droit à l'indemnité de clientèle. Dès lors, pour pouvoir bénéficier de l'indemnité spéciale de rupture, le salarié doit, peu important qu'il puisse ou non prétendre à l'indemnité de clientèle, renoncer à son bénéfice dans les 30 jours suivant l'expiration du contrat de travail

STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL - Conventions et accords collectifs - Accords collectifs - Article 14 de l'accord national interprofessionnel des voyageurs, représentants, placiers du 3 octobre 1975 - Indemnité spécifique de rupture - Bénéfice - Conditions - Indemnité de clientèle - Bénéfice de l'indemnité - Renonciation à l'indemnité - Renonciation dans les 30 jours suivant l'expiration du contrat de travail

Texte de la décision

SOC.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 juin 2021




Cassation partielle


M. CATHALA, président



Arrêt n° 684 FS-P

Pourvoi n° C 18-22.016




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 JUIN 2021

La société Loire incendie sécurité, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 18-22.016 contre l'arrêt rendu le 29 juin 2018 par la cour d'appel de Rennes (8e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant à M. [U] [P], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de la société Loire incendie sécurité, et l'avis de M. Desplan, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 avril 2021 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mme Monge, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, Mme Lecaplain-Morel, conseillers, Mmes Ala, Prieur, Techer, conseillers référendaires, M. Desplan, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 29 juin 2018), M. [P] a été engagé, le 3 octobre 2005, par la société Loire incendie sécurité en qualité de voyageur, représentant, placier (VRP) monocarte.

2. Il a été licencié, le 11 mars 2014, pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

3. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale, le 10 mars 2015, de diverses demandes en paiement au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail, notamment d'une indemnité spéciale de rupture et, à titre subsidiaire, d'une indemnité de clientèle.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une certaine somme au titre de l'indemnité spéciale de rupture, alors « que le représentant de commerce ne peut revendiquer le bénéfice de l'indemnité spéciale de rupture qu'à la condition de renoncer à l'indemnité de clientèle dans le délai de trente jours à compter de l'expiration du contrat de travail, même dans le cas où il n'a pas droit à cette dernière ; qu'en jugeant, pour condamner la société Loire incendie sécurité à verser à M. [P] une indemnité spéciale de rupture, qu'à défaut pour ce dernier de remplir les conditions pour bénéficier de l'indemnité de clientèle, il n'avait pas à y renoncer, la cour d'appel a violé l'article 14 de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975, ensemble l'article L. 7313-13 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 7313-13, alinéa 1er, du code du travail et l'article 14 de l'accord national interprofessionnel des voyageurs, représentants, placiers du 3 octobre 1975 :

5. Aux termes du premier de ces textes, en cas de rupture du contrat de travail à durée indéterminée par l'employeur, en l'absence de faute grave, le voyageur, représentant ou placier a droit à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui.

6. Selon le second, lorsque le représentant de commerce se trouve dans l'un des cas de cessation du contrat prévus à l'article L. 751-9, alinéas 1er et 2 du code du travail, devenu les articles L. 7313-13 et L. 7313-14, alors qu'il est âgé de moins de soixante-cinq ans et qu'il ne rentre pas dans le champ d'application de l'article 16 du présent accord, et sauf opposition de l'employeur exprimée par écrit et au plus tard dans les quinze jours de la notification de la rupture ou de la date d'expiration du contrat à durée déterminée non renouvelable, ce représentant, à la condition d'avoir renoncé au plus tard dans les trente jours suivant l'expiration du contrat de travail à l'indemnité de clientèle à laquelle il pourrait avoir droit en vertu de l'article L. 751-9 précité, bénéficiera d'une indemnité spéciale de rupture fixée comme suit dans la limite d'un maximum de dix mois (...).

7. Il résulte de ces textes, d'une part, qu'en cas de résiliation d'un contrat à durée indéterminée par le fait de l'employeur pour une autre cause que la faute grave du représentant, celui-ci bénéficie d'une indemnité spéciale de rupture, à condition d'avoir renoncé, dans les trente jours suivant l'expiration du contrat de travail, à l'indemnité de clientèle à laquelle il pourrait avoir droit, d'autre part, que le bénéfice de l'indemnité spéciale de rupture n'est pas subordonné à la reconnaissance d'un droit à l'indemnité de clientèle.

8. Dès lors, pour pouvoir bénéficier de l'indemnité spéciale de rupture, le salarié doit, peu important qu'il puisse ou non prétendre à l'indemnité de clientèle, renoncer à son bénéfice dans les trente jours suivant l'expiration du contrat de travail.

9. Pour condamner l'employeur à verser au salarié une somme à titre d'indemnité spéciale de rupture, l'arrêt, après avoir retenu que le salarié ne rapportait pas la preuve qu'il avait apporté ou créé une clientèle en nombre ou en valeur, retient que, ne remplissant pas les conditions pour bénéficier d'une indemnité de clientèle, il n'avait pas à y renoncer.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt relatives à la condamnation de l'employeur à payer au salarié une indemnité spéciale de rupture entraîne la cassation des chefs de dispositifs ordonnant à l'employeur de remettre au salarié des documents rectificatifs et condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement de frais irrépétibles, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Loire incendie sécurité à payer à M. [P] la somme de 9 489,64 euros au titre de l'indemnité spéciale de rupture, en ce qu'il lui ordonne de remettre à M. [P] des documents rectificatifs et en ce qu'il la condamne à payer à M. [P] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux dépens d'appel, l'arrêt rendu le 29 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;

Condamne M. [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Loire incendie sécurité ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux juin deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Buk Lament-Robillot, avocat aux Conseils, pour la société Loire incendie sécurité.

La société Loire incendie sécurité fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à M. [P] la somme de 9489,64 euros au titre de l'indemnité spéciale de rupture ;

AUX MOTIFS QUE sur l'indemnité spéciale de rupture ; que l'article 14 de la convention collective prévoit que : « Lorsque le représentant de commerce se trouve dans l'un des cas de cessation du contrat prévu à l'article L. 751-9 alinéas 1 et 2 du code du travail alors qu'il est âgé de moins de 65 ans et qu'il ne rentre pas dans le champ d'application de l'article 16 du présent accord - et sauf opposition de l'employeur exprimée par écrit et au plus tard dans les 15 jours de la notification de la rupture ou de la date d'expiration du contrat à durée déterminée non renouvelable, ce représentant, à condition d'avoir renoncé au plus tard dans les 30 jours suivant l'expiration du contrat de travail à l'indemnité de clientèle à laquelle il pourrait avoir droit en vertu de l'article L. 751-9 du code du travail, bénéficiera d'une indemnité spéciale de rupture fixée comme suit, dans la limite d'un maximum de 10 mois :
- pour les années comprises entre 0 et 3 ans d'ancienneté : 0,70 mois par année entière,
- pour les années comprises entre 3 et 6 ans d'ancienneté : 1 mois par année entière,
- pour les années comprises entre 6 et 9 ans d'ancienneté : 0,70 mois par année entière,
- pour les années comprises entre 9 et 12 ans d'ancienneté : 0,30 mois par année entière,
- pour les années comprises entre 12 et 15 ans d'ancienneté : 0,20 mois par année entière, - pour les années au-delà de 15 ans d'ancienneté : 0,10 mois par année entière.
Cette indemnité spéciale de rupture, qui n'est cumulable avec ni avec l'indemnité légale de licenciement ni avec l'indemnité de clientèle, est calculée sur la rémunération moyenne mensuelle des douze derniers mois » ; que les parties s'opposent sur la question de savoir si, par son courrier du 11 avril 2014, M. [P] a ou non renoncé à l'indemnité de clientèle dans le délai de 30 jours suivant l'expiration du contrat de travail, ce dernier ajoutant que si l'employeur considère qu'il n'a apporté, créé ou développé aucune clientèle, cette condition devenait alors sans objet ; qu'il est de principe que l'on ne peut renoncer qu'à un droit né et actuel ; que l'indemnité de clientèle n'étant due qu'à certaines conditions, il convient d'examiner à titre liminaire si l'appelant était éligible à cette indemnité ; que l'article L. 7313-13 du code du travail énonce qu'en cas de rupture du contrat de travail à durée indéterminée par l'employeur, en l'absence de faute grave, le VRP a droit à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui ; qu'à l'appui de sa prétention, M. [P] produit une liste non datée de plusieurs centaines de noms, une liste de ses interventions chez les clients et des attestations de clients déclarant qu'ils avaient été personnellement démarchés par lui avant ou après 2005 ; que les cinq attestations de personnes déclarant travailler avec M. [P] depuis les années 90 sont insuffisantes pour démontrer un apport de clientèle au sens du texte précité, les autres pièces étant inexploitables ; qu'il ne développe aucune argumentation permettant de comprendre en quoi il aurait apporté, créé ou développé des clients en nombre ou en valeur ; qu'au contraire, au regard des pièces qu'elle verse aux débats, l'intimée est fondée à rappeler que les VRP de la société n'ont aucune exclusivité sur le secteur qu'ils prospectent (article 4 du contrat de travail), un client pouvant être suivi par plusieurs VRP en fonction des disponibilités de chacun, que le chiffre d'affaire des VRP qui intervenaient en [Localité 1] n'avait que peu augmenté entre 2005 et 2006 et que le chiffre d'affaires réalisé par M. [P] a légèrement baissé en 2013 par rapport à 2006 de sorte qu'il n'a fait que maintenir le chiffre d'affaires sur la clientèle qui lui avait été confiée à son arrivée ; que M. [P] ne remplissant pas les conditions pour bénéficier de l'indemnité de clientèle, il n'avait pas à y renoncer ; qu'il remplit les autres conditions pour bénéficier de l'indemnité spéciale de rupture au versement de laquelle l'intimée ne s'est pas opposée dans les 15 jours suivant la notification de la rupture ; qu'il sera donc fait droit à l'appel ; que l'intimée sera condamnée à payer à M. [P] une indemnité correspondant à 6,5 mois de salaire représentant une somme de 12 941,05 ?, soit 9.489,64 ? après déduction de l'indemnité légale de licenciement ; que le jugement sera infirmé ;

ALORS QUE le représentant de commerce ne peut revendiquer le bénéfice de l'indemnité spéciale de rupture qu'à la condition de renoncer à l'indemnité de clientèle dans le délai de trente jours à compter de l'expiration du contrat de travail, même dans le cas où il n'a pas droit à cette dernière ; qu'en jugeant, pour condamner la société Loire incendie sécurité à verser à M. [P] une indemnité spéciale de rupture, qu'à défaut pour ce dernier de remplir les conditions pour bénéficier de l'indemnité de clientèle, il n'avait pas à y renoncer, la cour d'appel a violé l'article 14 de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975, ensemble l'article L 7313-13 du code du travail.

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