27 mai 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-17.587

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:SO00623

Titres et sommaires

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Pouvoir disciplinaire - Sanction - Prononcé - Modification du contrat de travail - Notification d'un délai de réflexion - Silence du salarié - Prescription des faits fautifs - Point de départ de la prescription - Détermination - Portée

Lorsque l'employeur notifie, après l'engagement de la procédure disciplinaire, une proposition de modification de contrat de travail soumise au salarié, et fixe un délai à l'expiration duquel le silence de celui-ci vaudrait refus de la sanction, le délai de prescription de deux mois prévu par l'article L. 1332-4 du code du travail court, en l'absence de réponse, à compter du terme du délai fixé par l'employeur, peu important le refus du salarié réitéré de façon expresse ultérieurement

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Pouvoir disciplinaire - Modification du contrat de travail - Fixation d'un délai de réflexion par l'employeur - Réponse du salarié postérieure au délai - Ecoulement de la prescription - Effets - Détermination

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 27 mai 2021




Rejet


M. CATHALA, président



Arrêt n° 623 FS-P

Pourvoi n° J 19-17.587






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 27 MAI 2021

La société Esso raffinage, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 19-17.587 contre l'arrêt rendu le 4 avril 2019 par la cour d'appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant à M. [F] [X], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Le Lay, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Esso raffinage, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [X], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 mars 2021 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Le Lay, conseiller rapporteur, Mme Leprieur, conseiller doyen, M. Pietton, Mme Mariette, MM. Barincou, Seguy, conseillers, Mme Duvallet, M. Le Corre, Mmes Prache, Marguerite, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 4 avril 2019), M. [X], employé par la société Esso raffinage, s'est vu notifier le 2 mai 2013 une mutation disciplinaire par l'employeur qui lui a donné un délai expirant le 10 mai suivant pour faire connaître sa position, lui précisant que l'absence de réponse dans ce délai vaudrait refus. Le salarié a exprimé son refus le 18 mai 2013.

2. Le salarié a été convoqué le 16 juillet 2013 à un nouvel entretien préalable en vue d'une nouvelle sanction, fixé au 23 juillet 2013. Il lui a été notifié par courrier du 29 juillet 2013 une rétrogradation disciplinaire, qu'il a expressément acceptée.

3. Il a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'annulation de la sanction de rétrogradation.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt d'annuler la sanction, de dire n'y avoir lieu d'impartir un délai à la société pour prononcer une nouvelle sanction d'un degré moindre et d'ordonner que le salarié soit rétabli dans ses droits éludés, alors « que le refus d'une mutation disciplinaire par le salarié interrompt le délai de prescription prévu par l'article L. 1332-4 du code du travail, de sorte que l'employeur dispose d'un nouveau délai de deux mois, à compter de ce refus, pour convoquer le salarié à un entretien en vue d'une autre sanction disciplinaire ; que le délai de deux mois court à compter du refus exprimé par le salarié, peu important que ce refus soit postérieur au délai qui lui a été imparti par l'employeur pour se prononcer ; que pour annuler en l'espèce la rétrogradation disciplinaire prononcée par la société Esso raffinage contre M. [X], la cour d'appel a jugé que seul l'accord du salarié à la rétrogradation disciplinaire devait être exprès, que le 2 mai 2013, l'employeur avait notifié au salarié son intention de le muter à titre disciplinaire et lui a donné un délai jusqu'au 10 mai suivant pour faire connaître son accord et que faute de réponse à cette date, il appartenait alors à l'employeur, soit de prendre une autre sanction dans le délai d'un mois à compter de l'entretien préalable du 5 avril 2013, soit s'il faisait le choix de convoquer le salarié à un nouvel entretien, de le faire dans les deux mois du refus du salarié résultant de son absence de réponse avant le 10 mai, ainsi qu'expressément indiqué dans la lettre du 2 mai 2013, i.e avant le 10 juillet 2013, ce alors que le salarié n'avait été convoqué au second entretien préalable que le 16 juillet 2013 pour le 23 juillet suivant ; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait que le salarié n'avait exprimé son refus de la sanction disciplinaire litigieuse que par courrier du 18 mai 2013, ce dont il se déduisait que la convocation du salarié au second entretien, le 16 juillet suivant, était intervenue dans le délai de prescription de deux mois qui n'avait commencé à courir qu'à compter de l'envoi de ce courrier par le salarié, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article L. 1332-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. La notification par l'employeur, après l'engagement de la procédure disciplinaire, d'une proposition de modification de contrat de travail soumise au salarié, interrompt le délai de deux mois prévu par l'article L. 1332-4 du code du travail qui court depuis la convocation à l'entretien préalable. Le refus de cette proposition par le salarié interrompt à nouveau ce délai. Il s'ensuit que la convocation du salarié par l'employeur à un entretien préalable en vue d'une autre sanction disciplinaire doit intervenir dans les deux mois de ce refus.

6. La cour d'appel, qui a constaté que l'employeur avait fixé au 10 mai 2013 le délai à l'expiration duquel l'absence de réponse du salarié vaudrait refus de la sanction disciplinaire proposée, a retenu à bon droit qu'en l'absence de réponse du salarié, le délai de prescription de deux mois courait à partir de cette date, peu important le refus de l'intéressé réitéré de façon expresse postérieurement, et que dès lors, la nouvelle convocation à un entretien préalable, le 16 juillet 2013, était intervenue postérieurement à l'expiration du délai de deux mois prévu par l'article L. 1332-4 du code du travail.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Esso raffinage aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Esso raffinage et la condamne à payer à M. [X] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mai deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Esso Raffinage


Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR constaté le caractère disproportionné de la sanction disciplinaire prononcée contre M. [X] et de l'AVOIR annulée, d'AVOIR dit n'y avoir lieu à impartir un délai à la société Esso Raffinage pour prononcer une nouvelle sanction d'un degré moindre et d'AVOIR ordonné que l'employeur rétablisse le salarié dans les droits éludés du fait de la rétrogradation disciplinaire annulée depuis le 1er septembre 2013 ;

AUX MOTIFS QUE « le 31 janvier 2013, une formation interne sur les marges de raffinage a été organisée à laquelle devait participer M. [F] [X] et d'autres salariés ; en début de session, une feuille d'émargement a été signée par l'ensemble des participants ; M. [F] [X] apposant également sa signature face au nom de M. [B], salarié travaillant dans l'équipe qu'il encadrait alors que celui-ci ne s'est pas présenté ; le lendemain, M. [F] [X] a demandé à M. [B] de régulariser son absence en posant une journée de congé à la date du 31 janvier 2013, demande qu'il a validée en sa qualité de responsable hiérarchique ; le 29 mars 2013, l'employeur a convoqué [F] [X] à un entretien préalable en vue d'une éventuelle sanction fixé au 5 avril 2013 ; le 2 mai 2013, l'employeur a notifié au salarié une sanction de mutation disciplinaire qu'il refusait par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 mai 2013 ; une nouvelle convocation à entretien préalable a été adressée au salarié le 16 juillet 2013 pour le 23 juillet suivant ; le 29 juillet 2013, la société Esso Raffinage a notifié à M. [F] [X] sa rétrogradation disciplinaire au poste de consoliste, soumise à son accord, qu'il donnait le 8 août 2013 ; la société Esso Raffinage soulève l'irrecevabilité de la contestation du salarié, lequel a par lettre du 8 août 2013 accepté la rétrogradation disciplinaire qui lui a notifiée le 29 juillet 2013 et qui a pris son nouveau poste de consoliste à compter du 1er septembre 2013 ; conformément aux dispositions de l'article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige, il appartient à la juridiction prud'homale d'apprécier la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction ; dans la mesure où il n'est pas contesté que la rétrogradation a été prononcée pour sanctionner le salarié, son acceptation ne peut valoir renonciation à se prévaloir de la nullité de cette sanction pour des motifs tirés de l'irrégularité de la procédure ou de sa disproportion ; la cour confirme ainsi le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté ce moyen ; M. [F] [X] soulève l'irrégularité de la procédure sur le fondement de l'article L. 1332-2 du code du travail compte tenu du caractère tardif de la convocation au second entretien préalable et de la notification de la seconde sanction proposée ; l'article L. 1332-2 du code du travail prévoit que lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation et la sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien ; lorsque le salarié refuse la modification de son contrat de travail à titre de sanction disciplinaire, l'employeur peut, dans le cadre de son pouvoir disciplinaire, prononcer une autre sanction en lieu et place de la sanction refusée ; si la nouvelle convocation ne s'impose qu'en cas de licenciement envisagée, en l'espèce, l'employeur qui a fait le choix de convoquer M. [F] [X] à un nouvel entretien préalable doit en respecter les délais impartis ; en l'espèce, la société Esso Raffinage a notifié le 2 mai 2013 son intention de muter le salarié à titre disciplinaire et lui a donné un délai jusqu'au 10 mai 2013 pour faire connaître son accord ; faute de réponse à cette date, étant précisé que seul l'accord doit être exprès, il appartenait alors à l'employeur, soit de prendre une autre sanction dans le délai d'un mois à compter de l'entretien préalable du 5 avril 2013, soit s'il faisait le choix de convoquer le salarié à un nouvel entretien, de le faire dans les deux mois du refus du salarié résultant de son absence de réponse avant le 10 mai, ainsi qu'expressément indiqué dans la lettre du 2 mai 2013, soit avant le 10 juillet 2013 ; or, le salarié a été convoqué au second entretien préalable par lettre du 16 juillet pour le 23 juillet 2013 ; cette irrégularité de la procédure rend nulle la sanction prononcée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens ; la cour confirme le jugement entrepris ayant annulé la sanction disciplinaire ; en revanche, la décision déférée est infirmée en ce qu'elle a imparti un nouveau délai à l'employeur pour prononcer une autre sanction ; il convient d'ordonner que l'employeur rétablisse le salarié dans les droits éludés du fait de la rétrogradation annulée depuis le 1er septembre 2013 » ;

ALORS QUE le refus d'une mutation disciplinaire par le salarié interrompt le délai de prescription prévu par l'article L. 1332-4 du code du travail, de sorte que l'employeur dispose d'un nouveau délai de deux mois, à compter de ce refus, pour convoquer le salarié à un entretien en vue d'une autre sanction disciplinaire ; que le délai de deux mois court à compter du refus exprimé par le salarié, peu important que ce refus soit postérieur au délai qui lui a été imparti par l'employeur pour se prononcer ; que pour annuler en l'espèce la rétrogradation disciplinaire prononcée par la société Esso Raffinage contre M. [X], la cour d'appel a jugé que seul l'accord du salarié à la rétrogradation disciplinaire devait être exprès, que le 2 mai 2013, l'employeur avait notifié au salarié son intention de le muter à titre disciplinaire et lui a donné un délai jusqu'au 10 mai suivant pour faire connaître son accord et que faute de réponse à cette date, il appartenait alors à l'employeur, soit de prendre une autre sanction dans le délai d'un mois à compter de l'entretien préalable du 5 avril 2013, soit s'il faisait le choix de convoquer le salarié à un nouvel entretien, de le faire dans les deux mois du refus du salarié résultant de son absence de réponse avant le 10 mai, ainsi qu'expressément indiqué dans la lettre du 2 mai 2013, i.e avant le 10 juillet 2013, ce alors que le salarié n'avait été convoqué au second entretien préalable que le 16 juillet 2013 pour le 23 juillet suivant ; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait que le salarié n'avait exprimé son refus de la sanction disciplinaire litigieuse que par courrier du 18 mai 2013, ce dont il se déduisait que la convocation du salarié au second entretien, le 16 juillet suivant, était intervenue dans le délai de prescription de deux mois qui n'avait commencé à courir qu'à compter de l'envoi de ce courrier par le salarié, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article L. 1332-4 du code du travail.

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