19 mai 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-17.779

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C100355

Titres et sommaires

PROFESSIONS MEDICALES ET PARAMEDICALES - Médecin - Exercice illégal de la profession - Défaut - Pratique de l'épilation à la lumière pulsée

Après avoir admis que les professionnels non médecins ne pouvaient réaliser d'épilations à la lumière pulsée, la Cour de cassation, revenant sur sa jurisprudence, a retenu que les personnes non médecins pratiquant l'épilation à la lumière pulsée ne pouvaient être légalement condamnées pour exercice illégal de la médecine (Crim., 31 mars 2020, pourvoi n° 19-85.121, Bull. crim. 2020, (cassation sans renvoi)). Il s'en déduit que la pratique par un professionnel non médecin d'épilations à la lumière pulsée n'est plus illicite et que, si elle peut être soumise à des restrictions pour des motifs d'intérêt général, elle ne justifie pas l'annulation des contrats que ce professionnel a pu conclure au seul motif qu'ils concernent une telle pratique. Cette évolution de jurisprudence s'applique immédiatement aux contrats en cours, en l'absence de droit acquis à une jurisprudence figée et de privation d'un droit d'accès au juge

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6, § 1 - Equité - Egalité des armes - Violation - Défaut - Cas - Application immédiate d'une règle jurisprudentielle nouvelle - Condition

CASSATION - Arrêt - Arrêt de revirement - Règle nouvelle - Application dans le temps - Application à l'instance en cours - Exclusion - Cas - Partie privée d'un procès équitable - Applications diverses

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 mai 2021




Cassation partielle


Mme BATUT, président



Arrêt n° 355 FS-P

Pourvoi n° P 20-17.779




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 19 MAI 2021

1°/ La société Depil Tech, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ la société [Personne physico-morale 1], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [A] [M], agissant en qualité de mandataire à la procédure de sauvegarde de la société Depil Tech,

3°/ la société BG et associés, dont le siège est [Adresse 3], en la personne de Mme [S] [I], agissant en qualité d'administrateur à la procédure de sauvegarde de la société Depil Tech,

ont formé le pourvoi n° P 20-17.779 contre l'arrêt rendu le 28 mai 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-3), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Beauty Pulse, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à M. [Q] [Q], domicilié [Adresse 5],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Depil Tech et des sociétés [Personne physico-morale 1] et BG et associés, ès qualités, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Beauty Pulse et de M. [Q], et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 mars 2021 où étaient présents Mme Batut, président, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, M. Girardet, Mme Teiller, MM. Avel, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Darret-Courgeon, conseillers, M. Vitse, Mmes Dazzan, Le Gall, Kloda, M. Serrier, Mmes Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Randouin, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 mai 2020), par acte sous seing privé du 10 novembre 2014, M. [Q] et la société Beauty Pulse (les franchisés), qui souhaitaient ouvrir deux instituts esthétiques, ont conclu deux contrats de franchise avec la société Depil Tech (le franchiseur), qui propose des méthodes d'épilation définitive par lumière pulsée et de photo-rajeunissement, moyennant deux droits d'entrée d'un montant total de 52 800 euros.

2. Invoquant un vice de leur consentement et l'impossibilité d'ouvrir l'un des instituts à la suite d'un refus bancaire de financement, les franchisés ont assigné le franchiseur en nullité des contrats pour objet illicite et indemnisation de leurs préjudices.

3. Le franchiseur a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde à la suite de laquelle sont intervenues volontairement à l'instance la société BG et associés, prise en la personne de Mme [I] en qualité d'administrateur judiciaire, et la société civile professionnelle [Personne physico-morale 1], prise en la personne de M. [M] en qualité de mandataire à la procédure.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. La société Depil Tech, le mandataire et l'administrateur à la procédure de sauvegarde de cette société font grief à l'arrêt de prononcer la nullité des contrats de franchise et de condamner le franchiseur au paiement de certaines sommes, alors « que les revirements de jurisprudence sont d'application immédiate ; qu'en retenant, pour considérer que les contrats avaient une cause (en réalité, un objet) illicite, qu'il convenait de se placer au 10 novembre 2014, date de leur signature pour en apprécier la validité, la cour d'appel a violé le principe d'application immédiate des revirements de jurisprudence, et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 4161-1 du code de la santé publique et 2, 5°, de l'arrêté du 6 janvier 1962, fixant notamment la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins :

5. Selon le troisième de ces textes, la pratique de tout mode d'épilation, à l'exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire, est réservée aux médecins.

6. Selon le deuxième, exerce illégalement la médecine toute personne qui pratique l'un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé, sans être titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre exigé pour l'exercice de la profession de médecin.

7. La Cour de cassation en a déduit que les professionnels non médecins ne pouvaient réaliser d'épilations à la lumière pulsée (1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-21.597, 15-24.610, Bull. 2016, I, n° 256) et a considéré leur pratique d'épilations au laser ou à la lumière pulsée comme un exercice illégal de la médecine (Crim., 8 janvier 2008, pourvoi n° 07-81.193, Bull. 2008, n° 2 ; Crim., 13 septembre 2016, pourvoi n° 15-85.046, Bull. 2016, n° 238).

8. Après avoir admis que la pratique de ces épilations était réservée aux médecins (CE 28 mars 2013, M. [J], n° 348089) et que les articles L. 4161-1 et l'arrêté de 1962 rendaient inutile le recours à un décret pour réglementer les actes à visée esthétique d'épilation (CE 8 novembre 2017, M. [L] et autres n° 398746), le Conseil d'Etat, saisi d'un recours pour excès de pouvoir, a annulé la décision de refus implicite par la ministre des solidarités et de la santé d'abroger les dispositions du 5° de l'article 2 de l'arrêté, en tant qu'elles réservent aux docteurs en médecine l'épilation au laser et à la lumière pulsée (CE 8 novembre 2019, M. [V] et SELARl Docteur [K] [V], n° 424954).

9. La Cour de cassation, revenant sur sa jurisprudence, a retenu que les personnes non médecins pratiquant l'épilation à la lumière pulsée ne pouvaient être légalement condamnées pour exercice illégal de la médecine (Crim., 31 mars 2020, pourvoi n° 19-85.121, publié).

10. Il s'en déduit que la pratique par un professionnel non médecin d'épilations à la lumière pulsée n'est plus illicite et que, si elle peut être soumise à des restrictions pour des motifs d'intérêt général, elle ne justifie pas l'annulation des contrats que ce professionnel a pu conclure au seul motif qu'ils concernent une telle pratique.

11. Cette évolution de jurisprudence s'applique immédiatement aux contrats en cours, en l'absence de droit acquis à une jurisprudence figée et de privation d'un droit d'accès au juge.

12. Pour prononcer la nullité des contrats de franchise pour cause illicite et condamner le franchiseur au paiement de certaines sommes, l'arrêt retient qu'en 2014, l'épilation à la lumière pulsée exercée par des non-médecins, proposée par le franchiseur, était une activité illicite relevant d'un exercice illégal de la médecine, tout mode d'épilation, sauf à la pince ou à la cire, étant interdit aux non-médecins.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les demandes de sursis à statuer et de révocation de l'ordonnance de clôture formées par la société Depil Tech, l'arrêt rendu le 28 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne M. [Q] et la société Beauty Pulse aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mai deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Depil Tech et les sociétés [Personne physico-morale 1] et BG et associés, ès qualités

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé la nullité des contrats de franchise pour cause illicite et d'avoir condamné la société Depil tech au paiement de différentes sommes,

AUX MOTIFS QU'en vertu des anciens articles 1131 et 1133 du code civil applicables au litige, l'obligation sans cause ou sur une fausse cause ou sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet ; que la cause est illicite quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes moeurs ou à l'ordre public ; que les intimés, qui rappellent qu'il convient de se placer au jour de la signature de la convention, déduisent des articles L.4161-1.1° du code de la santé publique et 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962, que l'activité de dépilation à la lumière pulsée proposée par la société Depil tech est une activité illicite relevant d'un exercice illégal de la médecine ; que selon le premier de ces textes, est considérée comme exerçant illégalement la médecine toute personne qui (...) pratique l'un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis de l'Académie nationale de médecine ; que la nomenclature réside dans l'arrêté du 6 janvier 1962 fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant être pratiqués également par des auxiliaires médicaux ou des directeurs de laboratoires d'analyses médicales non médecins ; qu'aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962, ne peuvent être pratiqués que par les docteurs en médecine, conformément à l'article L. 372 (1°) du code de la santé publique, les actes médicaux suivants° : 5) Tout mode d'épilation, sauf les épilations à la pince ou à la cire (...) ; que l'appelante répond que l'objet du contrat concerne non seulement la dépilation par lumière pulsée mais aussi le photo rajeunissement, légal, de sorte que les intimés qui ne peuvent démontrer une impossibilité absolue affectant l'obligation dans sa totalité, ne peuvent réclamer la nullité du contrat ; qu'elle considère que ce sont les articles L1151-2 et L1151-3 du code de la santé publique encadrant les actes à visée esthétique, qui s'appliquent au présent litige et non l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962, obsolète et corporatiste, et souligne que le règlement européen 2017/8745 du 5 avril 2017 fait entrer l'usage des appareils à lumière pulsée dans la catégorie des actes à vocation esthétique et non médicaux ; qu'elle ajoute qu'à ce jour, aucun décret d'application n'est venu encadrer l'épilation au moyen de la vente flash ni limiter ou interdire la dépilation à la lumière pulsée ; qu'elle précise que l'illicéité ne peut donc être retenue d'autant que les textes sont peu clairs, se contredisent, que la jurisprudence est loin d'être homogène et vise surtout la technologie du laser qui relève bien du monopole des médecins mais qui est distincte de la lumière pulsée ; qu'elle souligne que le caractère licite de l'activité est renforcé par le fait que les appareils de dépilation à la lumière pulsée sont en libre-service dans le commerce et utilisables par les particuliers hors tout de contrôle des médecins ; que cependant, il convient de se placer au 10 novembre 2014, date de la signature des deux contrats de franchise pour en apprécier leur validité ; qu'au 10 novembre 2014, les articles L.4161-1.1° du code de la santé publique et 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 étaient en vigueur, à l'inverse du règlement européen 2017/8745 intervenu seulement le 5 avril 2017 et applicable uniquement à compter de mai 2020 ; qu'au surplus, la légalité de l'arrêté de 1962 précité a été retenue par le Conseil d'état dans son arrêt du 28 mars 2013 ; qu'il en ressort qu'en 2014, la dépilation à la lumière pulsée exercée par des non médecins, proposée par la société Depil tech, était une activité illicite relevant d'un exercice illégal de la médecine, sans qu'il soit besoin de distinguer entre le laser et la lumière pulsée, tout mode d'épilation, sauf à la pince ou à la cire, étant interdit ; que l'appelante a d'ailleurs été déclarée coupable de complicité du délit d'exercice illégal de la médecine par fourniture de moyens en signant un contrat de franchise relatif à des actes d'épilation à la lumière pulsée par jugement du tribunal correctionnel de Paris du 15 mars 2016 ; qu'elle n'est donc pas fondée à invoquer les articles L1151-2 et L1151-3 du code de la santé publique qui concernent les actes à visée esthétique ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la cause des deux contrats de franchise querellés est illicite ; qu'enfin, si l'activité de photo rajeunissement est légale, elle reste complètement marginale à celle de dépilation qui constitue l'élément déterminant de l'engagement des parties, comme en témoignent notamment les propos de l'un des dirigeants de la société Depil tech qui indique au journal « profession bien-être » que l'épilation définitive représente 90% de l'activité, la publicité de la société Depil tech et le nom même de celle-ci ; que la nullité des contrats, en leur entier, doit par conséquent être prononcée sans qu'il soit autrement besoin de suivre les parties dans le détail de leur argumentation relative aux autres causes de nullité de la convention,

1) ALORS QUE l'interdiction de l'épilation à la lumière pulsée par des personnes autres que des médecins est contraire à la liberté d'établissement et de prestation de services garanties par les articles 49 et 56 TFUE ; que la cour d'appel, pour prononcer l'annulation des contrats de franchise des 10 novembre 2014, a retenu qu'ils portaient sur une activité d'épilation par lumière pulsée réservée par l'article L. 4161-1 du code de la santé publique et l'article 2-5° de l'arrêté du 6 janvier 1962 aux médecins ; qu'elle a ce faisant violé la liberté de prestation de services et d'établissement garanties par les articles 49 et 56 TFUE ;

2) ALORS QUE les revirements de jurisprudence sont d'application immédiate ; qu'en retenant, pour considérer que les contrats avaient une cause (en réalité, un objet) illicite, qu'il convenait de se placer au 10 novembre 2014, date de leur signature pour en apprécier la validité, la cour d'appel a violé le principe d'application immédiate des revirements de jurisprudence, et l'article 6.1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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