15 avril 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-20.424

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C300357

Titres et sommaires

CONTRAT D'ENTREPRISE - Sous-traitant - Rapports avec le maître de l'ouvrage - Connaissance de la présence du sous-traitant - Mise en demeure à l'entrepreneur principal de le faire agréer - Défaut - Faute - Préjudice - Réparation - Conditions - Cas - Faute délictuelle ou quasi délictuelle du mandataire - Responsabilité du mandant - Défaut - Portée

La faute délictuelle ou quasi-délictuelle du mandataire n'engageant pas la responsabilité du mandant, celui-ci ne peut être condamné sur le fondement de l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 que s'il a personnellement connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier

Texte de la décision

CIV. 3

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 avril 2021




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 357 FS-P

Pourvoi n° T 19-20.424




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 AVRIL 2021

La société Activités courrier industriel, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 19-20.424 contre l'arrêt rendu le 24 mai 2019 par la cour d'appel de Montpellier (1re chambre A), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Face Languedoc Roussillon, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société Le Jarret, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Activités courrier industriel, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Face Languedoc Roussillon, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 16 mars 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mmes Georget, Renard, Djikpa, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 24 mai 2019), la société civile immobilière Activités courrier industriel (la SCI), maître d'ouvrage, a conclu avec la société en nom collectif Le Jarret (la SNC) un contrat de promotion immobilière avec délégation de maîtrise d'ouvrage.

2. La SNC a confié les travaux à la société EM2C, qui a sous-traité certains lots à la société Midi asphalte, devenue la société Face Languedoc Roussillon.

3. Une procédure de sauvegarde a été ouverte au bénéfice de la société EM2C.

4. N'ayant pu obtenir le règlement de l'intégralité de ses créances par l'entrepreneur principal, la société Face Languedoc Roussillon a assigné la SCI et la SNC en dommages-intérêts sur le fondement de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Face Languedoc Roussillon une certaine somme, in solidum avec la SNC, alors
« que le maître d'ouvrage n'engage sa responsabilité à l'égard du sous-traitant, faute d'avoir mis l'entrepreneur principal en demeure de le faire agréer, qu'à la condition d'avoir eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier ; que cette connaissance doit être personnelle et ne saurait se déduire de la seule connaissance qu'en avait le maître d'ouvrage délégué ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a cru pouvoir condamner la SCI à payer à la société Face Languedoc Roussillon, sous-traitante, une somme à titre de dommages-intérêts pour manquement aux dispositions de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance, sans rechercher si la SCI avait eu personnellement connaissance de sa présence sur le chantier ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, ensemble l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1382, devenu 1240, du code civil et 14-1, alinéas 1 à 3, de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance :

6. Selon le premier de ces textes, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

7. Selon le second, pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics, le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations et si le sous-traitant accepté, et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître de l'ouvrage doit exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni la caution.

8. Il en résulte que, la faute délictuelle ou quasi-délictuelle du mandataire n'engageant pas la responsabilité du mandant, celui-ci ne peut être condamné sur le fondement de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 que s'il a personnellement connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier.

9. Pour condamner le maître d'ouvrage à réparer le préjudice subi par le sous-traitant, l'arrêt retient que le promoteur avait connaissance de sa présence sur le chantier.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la SCI avait connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

11. La cassation s'étend, en application de l'article 624 du code de procédure civile, à la disposition condamnant la SNC à garantir la SCI des sommes mises à sa charge.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la SCI Activités courrier industriel à payer à la société Face Languedoc Roussillon la somme de 54 408,79 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2010, in solidum avec la condamnation prononcée par le premier juge à l'encontre de la SNC Le Jarret et en ce qu'il condamne la SNC Le Jarret à garantir intégralement la SCI Activités courrier industriel des condamnations qu'il prononce contre elle en principal, intérêts, frais et dépens, l'arrêt rendu le 24 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne la société Face Languedoc Roussillon aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze avril deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société Activités courrier industriel.

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la SCI Activités Courrier Industriel à payer à la société Face Languedoc Roussillon la somme de 54 408,79 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2010, in solidum avec la condamnation prononcée par le premier juge à l'encontre de la SNC Le JARRET et ayant acquis force de chose jugée ;

AUX MOTIFS QUE : « sur la responsabilité de la SCI :

que la SA Face Languedoc conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de condamner la SCI Activités courrier industriel, in solidum avec la SNC Le Jarret, à lui payer le solde impayé de son marché qu'elle réactualise à la somme de 54 408,79 euros, déduction faite des règlements obtenus de l'entrepreneur principal dans le cadre du plan de continuation, en fondant ses prétentions sur l'article 1831-2 du code civil ;

que la SCI Activités courrier industriel conteste sa qualité de partie à l'opération de sous-traitance ; qu'elle soutient avoir délégué la maîtrise d'ouvrage au promoteur à l'égard des co-contractants comme des tiers et fait valoir qu'en tout état de cause, elle ne peut être tenue à l'égard de ces derniers des manquements fautifs de son mandataire ;

que ni le contrat de promotion immobilière, ni la délégation de maîtrise d'ouvrage consentie par la SCI au promoteur aux articles 10.1 et suivants de ce contrat ne font disparaître les qualités de maître d'ouvrage et de mandant de la SCI à l'égard des co-contractants et des tiers, contrairement à ce qu'elle soutient ;

qu'en vertu des dispositions de l'article 1831-2 du code civil, le maître de l'ouvrage est tenu d'exécuter les obligations contractées par le promoteur en son nom en vertu des pouvoirs que celui-ci tient de la loi ou de la convention ;

que par application des dispositions d'ordre public de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, le maître de l'ouvrage qui a connaissance de la présence d'un sous-traitant sur le chantier est tenu de mettre en demeure l'entrepreneur principal de le faire agréer ;

que la SNC Le Jarret, promoteur, bien qu'ayant connaissance de la présence sur le chantier de la société Midi Asphalte devenue Face Languedoc Roussillon depuis le 20 mars 2009, a omis de mettre en demeure la société EM2C de faire agréer ce sous-traitant, lequel a obtenu du promoteur des dommages-intérêts équivalent au montant de sa créance, ainsi que cela résulte des chefs du jugement non déférés à la cour et ayant acquis force chose jugée ;

que la SNC Le Jarret a commis cette omission fautive dans le cadre de l'exécution de ses missions de promoteur et de maître d'ouvrage délégué, en agissant au nom et pour le compte de la SCI, propriétaire des ouvrages ;

que la SCI, en sa qualité de maître d'ouvrage et de mandant, est tenue d'exécuter les obligations contractées par la SNC Le Jarret en son nom et pour son compte en vertu des pouvoirs que celle-ci tient de la loi précitée du 31 décembre 1975 et elle doit être condamnée, in solidum avec le promoteur, à réparer le préjudice subi par la société Face Languedoc Roussillon et correspondant au montant de ses travaux restés impayés ;

que la créance invoquée par l'appelante est contestée par la SCI qui soutient que la société Face Languedoc ne justifie pas des travaux supplémentaires exécutés en contrepartie de la somme réclamée ;

que la créance de travaux supplémentaires de la société Face Languedoc a été admise définitivement au passif de la procédure collective de la société EM2C, entrepreneur principal, pour un montant de 100 697,03 euros ainsi que cela résulte de l'avis d'admission du juge commissaire du 27 janvier 2011 reçu par le créancier le 2 février 2011, la créance totale (incluant les travaux prévus initialement) ayant été admise au passif pour 155 453,70 € ;

que la société Face Languedoc justifie des règlements obtenus dans le cadre du plan de continuation pour un montant total de 101 044,91 € (7 échéances annuelles) et il lui reste dû la somme de 54 408,79 € (correspondant à 35% de la créance totale de 155 453,70 €) ;

que contrairement à ce que soutient la SCI, la société Face Languedoc justifie d'un préjudice actuel qui résulte de l'absence de certitude de paiement du solde de sa créance dans le cadre du plan de sauvegarde de l'entreprise principale ;

que par conséquent, la société Activités courrier industriel sera condamnée à payer à la société Face Languedoc Roussillon la somme de 54 408,79 e à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 22 mars 2010 en réparation des obligations quasi-délictuelles contractées par son mandataire dans l'exercice de ses missions, cette condamnation devant être prononcée in solidum avec la condamnation décidée par le premier juge contre la SNC Le Jarret et ayant acquis force de chose jugée ;

que le jugement sera donc infirmé sur ce point » ;

1°/ ALORS QUE le maître d'ouvrage délégué qui, ayant connaissance de la présence d'un sous-traitant sur le chantier, omet de mettre en demeure l'entrepreneur de le faire agréer, commet une faute délictuelle engageant sa responsabilité personnelle à l'égard du sous-traitant; que cette faute n'est susceptible d'engager la responsabilité de son mandant que lorsqu'il existe un lien de préposition entre eux; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que la société Le Jarret, maître d'ouvrage délégué, bien qu'ayant connaissance de la présence sur le chantier de la société Face Languedoc Roussillon, avait omis de mettre en demeure la société EM2C de faire agréer cette sous-traitante; qu'elle a pourtant cru pouvoir condamner non seulement la société Le Jarret, mais encore la SCI Activités Courrier Industriel, sa mandante, à réparer le préjudice en résultant, sans caractériser un lien de préposition entre ces deux sociétés; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1384, alinéa 5 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, 1984 du même code et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ;

2°/ ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE le maître d'ouvrage n'engage sa responsabilité à l'égard du sous-traitant, faute d'avoir mis l'entrepreneur principal en demeure de le faire agréer, qu'à la condition d'avoir eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier; que cette connaissance doit être personnelle et ne saurait se déduire de la seule connaissance qu'en avait le maître d'ouvrage délégué ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a cru pouvoir condamner la SCI Activités Courrier Industriel à payer à la société Face Languedoc Roussillon, sous-traitante, une somme à titre de dommages et intérêts pour manquement aux dispositions de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance, sans rechercher si la SCI avait eu personnellement connaissance de sa présence sur le chantier ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, ensemble l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ;

3°/ ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le simple risque de non-paiement constitue un préjudice éventuel, qui ne donne pas lieu à réparation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a cru pouvoir condamner la SCI Activités Courrier Industriel à payer la somme de 54 408,79 euros à la société Face Languedoc Roussillon, correspondant au solde de la créance détenue par cette dernière à l'encontre de la société EM2C, faisant l'objet d'un plan de sauvegarde judiciaire, au motif que « la société Face Languedoc justifie d'un préjudice actuel qui résulte de l'absence de certitude de paiement du solde de sa créance dans le cadre du plan de sauvegarde de l'entreprise principale » (v. arrêt attaqué p. 5, § 5) ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser la certitude du préjudice subi par la société Face Languedoc Roussillon, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, ensemble l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.

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