29 janvier 2013
Cour de cassation
Pourvoi n° 11-23.676

Chambre commerciale financière et économique

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2013:CO00099

Titres et sommaires

SOCIETE (RèGLES GéNéRALES) - personnalité morale - personnalité distincte de celle de ses membres - cession de la totalité des parts ou changement de dirigeants - sort d'un contrat en cours - absence de clause de rupture - portée - rupture avant échéance injustifiée - contrats et obligations conventionnelles - résiliation - résiliation conventionnelle - résiliation unilatérale - causes non autorisées par le contrat - cession des parts ou changement de dirigeants de la société contractante - effets - résiliation injutifiée

Le principe d'autonomie de la personne morale prévalant, la rupture d'un contrat avant échéance ne peut être justifiée par la cession de la totalité des parts ou actions d'une société, ou le changement de ses dirigeants, en l'absence de stipulation particulière du contrat l'autorisant

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :





Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 17 mai 2011), que les sociétés Castes industrie et Seeb, après avoir été en relations d'affaires pendant deux ans, ont conclu en février 1999 une convention de distribution et de licence de marque accordant à la seconde une exclusivité de vente dans un secteur déterminé, pour une durée initiale de 2 ans, tacitement renouvelable par période d'un an ; qu'ayant appris que l'intégralité du capital de la société Seeb était, à la suite d'une cession totale, détenue par un actionnaire unique et que cette situation avait entraîné un changement de dirigeant social, la société Castes industrie a entendu mettre un terme au contrat en décembre 2007 ; qu'estimant que cette brusque résiliation était fautive, la société Seeb l'a fait assigner en paiement de dommages-intérêts ;


Sur le premier moyen :


Attendu que la société Castes industrie fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande, alors, selon le moyen :


1°/ que le contrat conclu en considération de la personne du dirigeant est résilié de plein droit en cas de changement de cette personne non agréé par le partenaire ; que cette résiliation intervient de plein droit et ne peut présenter aucun caractère abusif ; qu'un contrat de distribution est un contrat intuitu personae par nature, compte tenu de l'intégration du distributeur au réseau et de la confiance entre partenaires que cela suppose ; qu'en refusant, pour apprécier les circonstances de sa rupture, de tenir compte du caractère intuitu personae du contrat de distribution, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6-1-5° du code de commerce ;


2°/ qu'en retenant, pour écarter le caractère intuitu personae du contrat, que la société Castes avait continué à approvisionner la société Seeb, la cour d'appel, qui a confondu la rupture du contrat de distribution litigieuse et le fait que la société Castes ait accepté de satisfaire, hors réseau, les commandes de la société Seeb, a violé l'article L442-6-1-5° du code de commerce ;


Mais attendu qu'ayant justement énoncé qu'en raison du principe d'autonomie de la personne morale cette dernière reste inchangée en cas de cession de la totalité des parts ou actions d'une société ou de changement de ses dirigeants et relevé l'absence de stipulation contractuelle autorisant la rupture avant échéance dans de telles hypothèses, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir qu'il n'était pas établi que la convention de distribution exclusive ait été conclue en considération de la personne du dirigeant, en a déduit à bon droit, sans écarter le caractère intuitu personae du contrat, qu'en l'absence d'une stipulation particulière, la convention était maintenue en dépit des changements survenus ; que le moyen, qui manque en fait en sa seconde branche, n'est pas fondé en sa première branche ;


Sur le second moyen :


Attendu que la société Castes industrie fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :


1°/ que pour condamner la société Castes, la cour d'appel a retenu que la société Seeb n'avait bénéficié que d'un préavis de 5 mois effectifs ; qu'en ne recherchant pas si le préavis en cours n'avait pas été rompu par la société Seeb elle-même, qui avait de son propre chef cessé de passer commande à la société Castes et saisi, le 5 mai 2008, le tribunal de commerce de Rodez, tandis que la société Castes avait de son côté maintenu son offre d'approvisionnement aux conditions habituelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6-1-5° du code de commerce ;


2°/ que le préjudice consécutif à la rupture abusive d'une relation commerciale établie s'établit à la perte de marge à raison de l'absence ou de l'insuffisance du préavis ; qu'en retenant que la société Seeb n'avait bénéficié, à compter du 13 décembre 2007, que de 5 mois de préavis, tout en constatant qu'elle avait continué à utiliser la marque de la société Castes jusqu'au 11 juin 2008, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 442-6-1-5° du code de commerce ;


Mais attendu, d'une part, que l'adéquation du préavis écrit qui est consenti, tenant compte de la durée de la relation commerciale, s'apprécie à la date à laquelle l'auteur de la rupture notifie son intention d'y mettre fin; qu'ayant relevé qu'après dix ans de relation commerciale établie, la société Castes avait notifié à la société Seeb la caducité de la convention les liant, par une lettre reçue le 13 décembre 2007, lui demandant à compter de ce jour de ne plus faire usage ni du logo ni de la marque sous licence, tout en lui proposant de maintenir les conditions d'achats et de règlements, à titre provisoire, dans l'attente d'une rencontre entre les parties, ce dont il se déduisait qu'inexistant à l'égard de l'usage de la marque, le préavis demeurait incertain à l'égard des conditions d'approvisionnement à la date de notification de la rupture, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ces constatations rendaient inopérantes, a caractérisé l'insuffisance du préavis reprochée à l'auteur de la rupture ;


Et attendu, d'autre part, qu'ayant constaté que l'offre de maintenir les conditions d'approvisionnement avait cessé au bout de cinq mois après notification de la rupture, ce qui établissait le caractère effectif de cette dernière, et relevé qu'en dépit de la demande de cessation immédiate d'usage de la marque notifiée en décembre 2007 la société Seeb n'avait obtempéré qu'en juin 2008, ce dont il ne se déduisait aucune poursuite de la relation commerciale jusqu'à cette date, la cour d'appel a justement retenu que la période de cinq mois correspondant au maintien effectif et provisoire de la relation commerciale établie devait être imputée sur le délai de préavis jugé nécessaire ;


D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;


PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi ;


Condamne la société Castes industrie aux dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la société Seeb la somme de 2 500 euros et rejette sa demande ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf janvier deux mille treize.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt


Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils pour la société Castes industrie


PREMIER MOYEN DE CASSATION


Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société CASTES INDUSTRIES au paiement de la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts ;


AUX MOTIFS QUE la société Castes spécialisée dans la fabrication ainsi que dans la conception de produits de menuiserie et titulaire de droits exclusifs de propriété sur la marque «la boutique du menuisier» a développé une gamme de fenêtres en PVC, aluminium et bois qu'elle commercialisait par l'intermédiaire d'un réseau de distributeurs; que le 16 février 1999 elle concluait avec la société SEEB une «convention de distribution et de licence de marque» par laquelle elle lui accordait dans un secteur géographique déterminé une exclusivité de vente de sa gamme de fenêtres extérieures en PVC, bois et aluminium ainsi que la licence de la marque «la boutique du menuisier» ; que cet accord était conclu pour une durée initiale de deux années tacitement renouvelable par période d'un an sauf envoi d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au moins un mois avant la date d'échéance de la période en cours; que cette convention était résiliable en cas: de décision judiciaire rendue après une faute contractuelle découlant du nonrespect par l'une des parties de ses obligations contractuelles, de cessation des paiements, de redressement ou de liquidation judiciaire de l'une des parties, du non-respect des conditions de paiement par le dépositaire, de désaccord du dépositaire sur l'augmentation des prix de la gamme ; qu'ayant appris que l'intégralité du capital social de la SEEB était désormais détenue par son actionnaire unique la SAS groupe SEGARD et que cette situation avait entraîné un changement de dirigeant social, la société Castes prévenait la société SEEB, par courrier RAR reçu le 13 décembre 2007, que l'accord précité était en conséquence devenu caduc et lui précisait: «.... à dater de ce jour, nous vous sommes reconnaissants de ne plus faire référence ni au logo, ni à l'appellation «la boutique du menuisier» sur les façades, véhicules, lettres à en-tête, carte de visite .... néanmoins nous vous proposons dans un premier temps de ne rien changer aux conditions d'achat, de règlements et autres dans l'attente de rencontrer le repreneur M. Jean-Michel X... ....» ; qu'en cas de cession de la totalité des parts sociales ou de changement des dirigeants de la société, le principe de l'autonomie de la personne morale par rapport à la personne de ses associés ou de ses dirigeants aboutit au maintien de la personne morale et, sauf stipulation particulière du contrat, au maintien de l'accord précédemment passé avec cette société ; que la convention du 16 février 1999 ne contenant pas de stipulation relative à un changement d'associés ou de dirigeants elle sera considérée comme maintenue en dépit du changement des associés et des dirigeants de la société SEEB ; Attendu que l'article 7 du contrat en question prévoyait, qu'en raison du caractère déterminé de sa durée, il ne pouvait être rompu avant l'échéance de renouvellement sauf pour l'une des quatre raisons précitées énumérées en son article 9 parmi lesquelles ne figuraient ni la cession de la totalité des parts sociales, ni le changement des dirigeants sociaux ; qu'en cas de manquement de l'une des parties à ses obligations leur créancier peut résilier le contrat unilatéralement et avec effet immédiat s'il s'agit d'un manquement grave rendant impossible le maintien des liens contractuels ; qu'en écrivant à sa partenaire: «.... nous vous proposons dans un premier temps de ne rien changer aux conditions d'achats, de règlement et autres dans l'attente de rencontrer le repreneur M. Michel X....... » la société Castes reconnaissait que le changement des associés et des dirigeants sociaux de la société SEEB ne rendait pas impossible la poursuite de leurs relations commerciales ; qu'en l'état de ces considérations il y a lieu de déclarer que la société Castes a rompu le contrat signé le 16 février 1999 de manière abusive et brutale,


1°/ ALORS QUE le contrat conclu en considération de la personne du dirigeant est résilié de plein droit en cas de changement de cette personne non agréé par le partenaire ; que cette résiliation intervient de plein droit et ne peut présenter aucun caractère abusif ; qu'un contrat de distribution est un contrat intuitu personae par nature, compte tenu de l'intégration du distributeur au réseau et de la confiance entre partenaires que cela suppose ; qu'en refusant, pour apprécier les circonstances de sa rupture, de tenir compte du caractère intuitu personae du contrat de distribution, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6-1-5° du code de commerce ;


2°/ ALORS QU'en retenant, pour écarter le caractère intuitu personae du contrat, que la société CASTES avait continué à approvisionner la société SEEB, la cour d'appel, qui a confondu la rupture du contrat de distribution litigieuse et le fait que la société CASTES ait accepté de satisfaire, hors réseau, les commandes de la société SEEB, a violé l'article L. 442-6-1-5° du code de commerce.


SECOND MOYEN DE CASSATION


Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société SEEB à payer la somme de 200 000 euros à titre de dommages-et-intérêts ;


AUX MOTIFS QUE les sociétés Castes et SEEB étaient en relation d'affaires depuis 1997 lorsqu'elles ont signé en 1999 la convention de distribution et de licence de marque à laquelle la société Castes a mis fin au mois de décembre 2007 soit après 10 ans de relations commerciales établies; que la société SEES avait deux activités d'une part la pose de menuiseries dont elle achetait une partie auprès de la société Castes, d'autre part la réalisation d'aménagements intérieurs dont les éléments n'entraient pas dans le champ de l'accord du 16 mars 1999 ; qu'eu égard à la durée des relations commerciales afférentes à la pose des menuiseries et au fait que la société SEEB avait une deuxième branche d'activité, la durée du préavis que devait respecter la société Castes sera fixée à 15 mois; qu'en l'état de la proposition faite le 13 décembre 2007 par la société Castes de ne rien changer dans un premier temps aux conditions «d'achats, de règlement et autres» dans l'attente de rencontrer M. X... et dans la mesure où cette offre a été suivie d'effet pendant 5 mois ainsi que cela résulte des pièces n°s 28, 29 et 30 de la société appelante, la société Castes ne sera tenue de l'indemniser que pour la durée restante du préavis soit 10 mois ; qu'eu égard aux documents de nature financière et comptable versés au débat par la société Seeb visés à son bordereau de communication sous les numéros 12, 13, 15, 17, 18, J 9,22, 28, 29, 30 et 31 la cour dispose d'éléments de fait suffisants pour évaluer le préjudice subi par la société SEEB à la suite de la rupture de ses relations contractuelle avec la société Castes sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'expertise ; qu'elle sera déboutée de cette demande subsidiaire ainsi que de celle subséquente d'octroi d'une provision à hauteur de 90 000 € ; que M. Y..., expert-comptable de la société Seeb, expose dans son attestation rédigée le 14 mars 20 Il qu'au cours de l'année 2007 la société Seeb a réalisé un chiffre d'affaires de 955 174 € (347 940 € pour l'activité agencement et 607 235 € pour l'activité menuiserie), a procédé à des achats consommés (matières et fournitures incorporées aux travaux) pour 404 925 € ,que ceux effectués auprès de la société Castes s'élèvent à 158 617 € et qu'il est ainsi possible d'évaluer la part de chiffre d'affaires menuiserie correspondant aux achats effectués auprès de la société Castes à 374 J 58 € ; qu'au vu de ces indications ainsi que de celles figurant dans les documents de nature financière et comptable sus-visés et des taux de marge pratiqués tels qu'ils résultent de l'analyse des dits documents la cour dispose d'éléments de détermination suffisants pour dire que la société Seeb n'était pas sous la dépendance économique de la société Castes et pour chiffrer à 200 000 € Je montant du préjudice subi par la société Seeb à la suite de la rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Castes étant observé que la société Seeb ne rapporte pas la preuve que la baisse de chiffre d'affaires de sa branche «agencements" résulte directement de la rupture des' relations commerciales avec la société Castes ; que la société Seeb reproche à la société Castes d'avoir exigé qu'elle cesse dès le 13 décembre 2007, c'est-à-dire immédiatement de faire usage du logo et de l'appellation "la boutique du menuisier" et que cette immédiateté lui a causé un préjudice moral qu'elle chiffre à l00.000 € ; qu'elle ne justifie avoir obtempéré à cette demande que le 11 juin 2008 (cf. PV de constat de Maître Z...) ; que le délai écoulé entre le 13 décembre 2007 et le 11 juin 2008 exclut le caractère d'immédiateté dont se plaint la société Seeb ce qui amène le rejet de sa demande d'indemnisation pour ce chef de préjudice ;


1°/ ALORS QUE pour condamner la société CASTES, la cour d'appel a retenu que la société SEEB n'avait bénéficié que d'un préavis de 5 mois effectifs ; qu'en ne recherchant pas si le préavis en cours n'avait pas été rompu par la société SEEB elle-même, qui avait de son propre chef cessé de passer commande à la société CASTES et saisi, le 5 mai 2008, le tribunal de commerce de Rodez, tandis que la société CASTES avait de son côté maintenu son offre d'approvisionnement aux conditions habituelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6-1-5° du code de commerce ;


2°/ ALORS QUE le préjudice consécutif à la rupture abusive d'une relation commerciale établie s'établit à la perte de marge à raison de l'absence ou de l'insuffisance du préavis ; qu'en retenant que la société SEEB n'avait bénéficié, à compter du 13 décembre 2007, que de 5 mois de préavis, tout en constatant qu'elle avait continué à utiliser la marque de la société CASTES jusqu'au 11 juin 2008, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 442-6-1-5° du code de commerce.

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