26 octobre 2010
Cour de cassation
Pourvoi n° 09-68.928

Chambre commerciale financière et économique

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2010:CO01058

Titres et sommaires

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - article 6 § 1 - equité - egalité des armes - violation - cas - application immédiate d'une règle jurisprudentielle nouvelle - applications diverses - instance en cours au moment du prononcé du revirement - règle de preuve de vaines poursuites contre une société civile ayant pour conséquence antérieurement évitée de prescrire l'action en responsabilité en cours contre les associés

Un revirement de jurisprudence, dont l'application prive l'une des parties d'un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne peut recevoir application dans une instance en cours au moment de son prononcé. Dès lors, si par un arrêt du 18 mai 2007, la chambre mixte de la Cour de cassation a retenu que la simple déclaration de créance à la liquidation d'une société civile constitue la preuve de vaines poursuites par le créancier de cette société, ce principe ne s'applique pas à une instance en cours dans laquelle le créancier se trouvait, compte tenu de la jurisprudence antérieure, dans l'impossibilité d'éviter de laisser prescrire sa créance

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :





Sur le moyen unique :


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 mai 2009, rectifié le 12 novembre 2009), que par acte notarié du 3 août 1989, la SCI Bethovena (la société Bethovena) dont sont associés M. Jean-Pierre X..., Mme Josiane, devenue Diane Z..., épouse X..., MM. Vincent et Thomas X... et Mme Anabel A...-X... (les consorts X...), a acquis de la société Mabidel des biens immobiliers, dont le prix a été financé par un apport personnel, un crédit souscrit auprès du Crédit lyonnais, le solde étant stipulé remboursable par mensualités ; que par jugement du 15 octobre 1998, le tribunal de grande instance de Nanterre a prononcé la liquidation judiciaire de la société Bethovena et que la créance de la société Mabidel a été admise à titre définitif et privilégié pour une certaine somme, par ordonnance du 18 septembre 2000 ; qu'après paiement de plusieurs sommes à la société Mabidel, le liquidateur judiciaire de la SCI a, le 26 octobre 2006, déclaré le solde irrecouvrable ; qu'en conséquence, la société Mabidel a, par plusieurs actes des 1er, 6, 11 et 13 décembre 2006, fait assigner les consorts X..., en leur qualité d'associés de la société Bethovena, aux fins de les voir condamner à lui payer ce solde ;


Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée par eux de la prescription et de les avoir condamnés, en leur qualité d'associés de la société Bethovena, à payer diverses sommes à la société Mabidel, alors, selon le moyen :


1°/ que la publication du jugement de liquidation judiciaire d'une société civile constitue le point de départ de la prescription quinquennale visée par l'article 1859 du code civil contre les associés non-liquidateurs ; qu'en jugeant que l'action exercée par la société Mabidel contre les consorts X... en leur qualité d'associés de la société Bethovena n'était pas prescrite, tout en relevant que cette action avait été exercée plus de cinq années après la publication du jugement de liquidation de cette société, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et ainsi violé l'article 1859 du code civil ;


2°/ que le délai dans lequel les créanciers d'une société civile doivent agir contre les associés est distinct des conditions d'exercice de cette action, notamment de celle relative à l'exercice de préalables et vaines poursuites contre la société ; qu'en relevant, pour écarter la prescription de l'action exercée par la société Mabidel, que la solution retenue par la Chambre mixte de la Cour de cassation le 18 mai 2007 ne pouvait être appliquée rétroactivement, quand cette décision s'était prononcée sur les conditions d'exercice de cette action, et non sur son délai de mise en oeuvre, la cour d'appel a violé les articles 1858 du code civil, par fausse application, et 1859 du même code, par refus d'application ;


3°/ qu'en toute hypothèse, seule la privation de l'accès au juge peut permettre d'écarter une disposition légale ; qu'en relevant, pour écarter l'application de l'article 1859 du code civil, qu'avant l'arrêt rendu par la Chambre mixte de la Cour de cassation le 18 mai 2007, les solutions dégagées par la jurisprudence ne permettaient pas au créancier d'agir dans le délai légal, quand la jurisprudence antérieure ménageait déjà au créancier la faculté d'agir avant la clôture des opérations de liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;


Mais attendu qu'après avoir rappelé que la prescription de cinq ans à compter de la mise en liquidation d'une société civile pour agir contre les associés ne court pas lorsque ceux-ci se sont trouvés dans l'impossibilité d'agir contre la société avant d'engager les poursuites contre les associés, ainsi que le leur impose l'article 1858 du code civil, l'arrêt retient à bon droit que le revirement de jurisprudence opéré par la chambre mixte de la Cour de cassation par un arrêt du 18 mai 2007, qui a retenu que la simple déclaration de créance à la liquidation de la société civile constitue la preuve de vaines poursuites par le créancier, ne peut recevoir application à l'instance en cours au moment de son prononcé, sans priver la créancière d'un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, celle-ci se trouvant, eu égard à la jurisprudence antérieure, dans l'impossibilité d'éviter de laisser prescrire sa créance ; que le moyen n'est pas fondé ;


PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi ;


Condamne les consorts X... aux dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à la société Mabidel la somme globale de 2 500 euros et rejette leur demande ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille dix.



MOYEN ANNEXE au présent arrêt


Moyen produit par de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils pour les consorts X... ;


Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté les consorts X... de la fin de non-recevoir tirée de la prescription et d'AVOIR condamné, en leur qualité d'associés de la société BETHOVENA, Monsieur Jean-Pierre X..., Madame Diane X..., Messieurs Vincent et Thomas X... et Madame Annabel X... à payer diverses sommes à la société MABIDEL ;


AUX MOTIFS QUE le créancier poursuivant est admis à justifier de l'impossibilité d'agir à l'encontre de la personne morale s'il démontre de vaines poursuites préalables à l'encontre de la société débitrice ; que le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation à la date récente d'un arrêt de chambre mixte du 18 mai 2007, qui voit dans la simple déclaration de créance à la liquidation de la SCI débitrice la preuve de l'existence des vaines poursuites par le créancier, ne peut recevoir application à l'instance en cours, sans priver la demanderesse d'un procès équitable au sens où elle ne pouvait prendre ses dispositions avant son action pour éviter de la laisser prescrire au sens de la jurisprudence intervenue postérieurement à son assignation ; qu'en l'espèce, l'appelante n'a obtenu le certificat d'irrecouvrabilité du liquidateur que le 26 octobre 2006, soit après l'expiration du délai de cinq ans de la publication du jugement déclaratif ; qu'en conséquence, l'action de la SNC MABIDEL ne peut être déclarée prescrite ;


1°) ALORS QUE la publication du jugement de liquidation judiciaire d'une société civile constitue le point de départ de la prescription quinquennale visée par l'article 1859 du Code civil contre les associés non-liquidateurs ; qu'en jugeant que l'action exercée par la société MABIDEL contre les consorts X... en leur qualité d'associés de la société BETHOVENA n'était pas prescrite, tout en relevant que cette action avait été exercée plus de cinq années après la publication du jugement de liquidation de cette société, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et ainsi violé l'article 1859 du Code civil ;


2°) ALORS QUE le délai dans lequel les créanciers d'une société civile doivent agir contre les associés est distinct des conditions d'exercice de cette action, notamment de celle relative à l'exercice de préalables et vaines poursuites contre la société ; qu'en relevant, pour écarter la prescription de l'action exercée par la société MABIDEL, que la solution retenue par la Chambre mixte de la Cour de cassation le 18 mai 2007 ne pouvait être appliquée rétroactivement, quand cette décision s'était prononcée sur les conditions d'exercice de cette action, et non sur son délai de mise en oeuvre, la Cour d'appel a violé les articles 1858 du Code civil, par fausse application, et 1859 du même Code, par refus d'application ;


3°) ALORS QU'en toute hypothèse, seule la privation de l'accès au juge peut permettre d'écarter une disposition légale ; qu'en relevant, pour écarter l'application de l'article 1859 du Code civil, qu'avant l'arrêt rendu par la Chambre mixte de la Cour de cassation le 18 mai 2007, les solutions dégagées par la jurisprudence ne permettaient pas au créancier d'agir dans le délai légal, quand la jurisprudence antérieure ménageait déjà au créancier la faculté d'agir avant la clôture des opérations de liquidation judiciaire, la Cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

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