28 février 2006
Cour de cassation
Pourvoi n° 05-12.138

Chambre commerciale financière et économique

Publié au Bulletin

Titres et sommaires

CONCURRENCE - conseil de la concurrence - décision - sanction - sanction pécuniaire - entreprise ou organisme sanctionné - transfert des activités - portée

Le principe de la continuité économique et fonctionnelle de l'entreprise s'applique quel que soit le mode juridique de transfert des activités dans le cadre desquelles ont été commises les pratiques anticoncurrentielles, qui lui sont ainsi imputées, indépendamment de son statut juridique, et sans considération de la personne qui l'exploite.

Texte de la décision

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 25 janvier 2005) que, le 4 décembre 1998, la société Reims Bio, qui avait pour activité l'élaboration, la transformation et la vente de produits sanguins traités pour la fabrication de réactifs à usage industriel, et qui, pour se fournir en produits sanguins à usage non thérapeutique, s'approvisionnait, à concurrence de 90 % de ses besoins, auprès du groupement d'intérêt public Champagne-Ardennes (le GIPCA), a saisi le Conseil de la concurrence (le Conseil) d'un dossier relatif aux pratiques qu'elle estimait anticoncurrentielles, mises en oeuvre par le GIPCA qui avait interrompu ses livraisons ; que le 27 avril 1999 la société Reims Bio a été mise en liquidation judiciaire ; que la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 ayant transféré à l'Etablissement français du sang (EFS), les activités précédemment exercées par les établissements de transfusion sanguine, le Conseil a notifié à l'EFS un grief d'abus de position dominante et un grief d'abus de dépendance économique de cette société ; que, par décision n° 04-D-26 du 30 juin 2004, le Conseil, après avoir estimé qu'il existait un marché pertinent des produits sanguins bruts à usage non thérapeutique prélevés sur des donneurs présentant des garanties virologiques importantes et un standard biologique moyen sur lequel le GIPCA était en position dominante, a dit qu'il était établi que l'EFS avait enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce et lui a infligé une sanction pécuniaire de 76 224 euros ; que l'EFS a formé un recours contre cette décision ;


Sur le premier moyen :


Attendu que l'EFS fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevables les moyens énoncés dans son mémoire en réplique déposé le 29 novembre 2004, alors, selon le moyen :


1 / que conformément aux dispositions de l'article 8 du décret du 19 octobre 1987 relatif aux recours exercés contre les décisions du Conseil de la concurrence, le magistrat délégué par le premier président a, par ordonnance du 20 septembre 2004, fixé les délais dans lesquels les parties à l'instance devaient se communiquer leurs observations écrites et en déposer copie au greffe de la cour d'appel ; que la date du 29 novembre 2004 a été retenue pour le dépôt des mémoires en réplique ; qu'en déclarant irrecevables les moyens énoncés par l'EFS dans son mémoire en réplique régulièrement déposé le 29 novembre 2004 et en lui interdisant de compléter son argumentation, la cour d'appel a méconnu l'article 4 du calendrier de procédure fixé par le magistrat délégué, ensemble les articles 2 et 8 du décret du 19 octobre 1987, 15 et 16 du nouveau Code de procédure civile et 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;


2 / que ne constitue pas un moyen nouveau au sens de l'article 2 du décret du 19 octobre 1987 une argumentation complémentaire qui se rattache par un lien direct aux moyens initialement soulevés dans le recours ; que l'argumentation invoquée par lui dans son mémoire en réplique du 29 novembre 2004 relative à l'absence d'abus de position dominante du GIP Champagne-Ardennes n'est pas nouvelle puisque dans son mémoire initial du 2 septembre 2004, il faisait valoir que le GIP n'était pas en situation de position dominante sur le marché ; que l'ensemble de cette argumentation a une cause juridique commune et consiste à soutenir que l'infraction prévue par l'article L. 420-2 du Code de commerce n'était pas constituée ; qu'en déclarant irrecevable les critiques dirigées contre les motifs de la décision du Conseil de la concurrence relative à l'exploitation abusive d'une position dominante, l'arrêt attaqué a, de nouveau, méconnu les articles 2 et 8 du décret du 19 octobre 1987, 15 et 16 du nouveau Code de procédure civile et 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;


Mais attendu que l'arrêt n'a pas écarté le mémoire en réplique déposé le 29 novembre 2004, mais a retenu que seuls seraient examinés les moyens déja articulés dans le mémoire du 2 septembre 2004 ; que, dès lors qu'il est constant que l'EFS n'a pas, dans son premier mémoire, formulé de moyen contre les motifs par lesquels le Conseil a caractérisé l'existence d'un abus de position dominante, la cour d'appel, sans violer le principe de l'égalité des armes, a justement retenu qu'il s'agissait d'un moyen nouveau qui était irrecevable comme ayant été déposé plus de deux mois après la notification de la décision déférée ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;


Sur le deuxième moyen :


Attendu que l'EFS fait grief à l'arrêt du rejet de son recours, alors, selon le moyen :


1 / que l'article 18 de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 a prévu qu'une convention entre lui et chaque personne concernée dont le GIP Champagne-Ardennes devait fixer les conditions dans lesquelles les droits et obligations, créances et dettes liés aux activités du GIPCA a lui étaient cédés ; qu'ainsi pouvaient être aménagées par voie conventionnelle des modalités particulières de reprise susceptibles de déroger au principe de la continuité économique et fonctionnelle ; que sur le fondement de la loi susvisée, la convention du 17 décembre 1999 a prévu qu'il s'est obligé aux dettes du GIPCA à l'exception des engagements résultant d'une faute intentionnelle imputable au GIPCA ;


qu'en considérant que cet aménagement conventionnel n'excluait pas le prononcé d'une sanction à son encontre pour des pratiques imputables au seul GIPCA, la cour d'appel a méconnu les articles 18 de la loi du 1er juillet 1998 et L. 464-2 du Code de commerce, ensemble le principe de la personnalité des poursuites et des sanctions et l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;


2 / que la reprise des activités du GIPCA par lui est intervenue en exécution de la loi du 1er juillet 1998 dans un souci de renforcement de la sécurité sanitaire des produits de santé destinés à l'homme ; que ce transfert forcé de propriété ne permet pas d'assurer de manière automatique la continuité économique et fonctionnelle des activités transférées ; que le but d'intérêt général poursuivi par le législateur exclut qu'une sanction pour abus de position dominante puisse frapper l'opérateur qui a repris ces activités sans être l'auteur des manquements ; qu'en lui imputant les pratiques reprochées au GIPCA, la cour d'appel a derechef méconnu les articles 18 de la loi du 1er juillet 1998 et L. 464-2 du Code de commerce, ensemble le principe de la personnalité des poursuites et des sanctions et l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;


Mais attendu que les pratiques anticoncurrentielles sont imputées à une entreprise, indépendamment du statut juridique de celle-ci et sans considération de la personne qui l'exploite ;


Attendu, d'une part, qu'ayant constaté que l'EFS a, en application de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 et de la convention qu'il a conclue le 17 décembre 1989 avec le GIPCA, repris l'ensemble des biens, droits et obligations, créances et dettes de ce groupement d'intérêt public, ainsi que l'ensemble de ses activités et de son personnel, l'arrêt retient à bon droit qu'il assure en droit et en fait la continuité économique et fonctionnelle du GIPCA, peu important à cet égard que la loi ait laissé la possibilité d'aménager conventionnellement la reprise des droits et obligations, créances et dettes liés aux activités exercées précédemment par les établissements de transfusion sanguine ;


Attendu, d'autre part, que le principe de la continuité économique et fonctionnelle de l'entreprise s'applique quel que soit le mode juridique de transfert des activités dans le cadre desquelles ont été commises les pratiques sanctionnées ;


D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;


Sur le troisième moyen :


Attendu que l'EFS fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :


1 / que ne peuvent présenter des caractéristiques et propriétés thérapeutiques ou virologiques différentes des produits du corps humain appartenant à une même famille élaborés et distribués selon des normes uniques obligatoires destinés à permettre leur substituabilité parfaite ; que sur le marché des produits sanguins bruts à usage non thérapeutique, les activités de collecte et de vente de produits sanguins sont soumises à des règles uniques à l'échelle nationale d'analyses biologiques et de test de dépistage des maladies transmissibles sur l'ensemble des donneurs ainsi qu'à des règles de bonnes pratiques de prélèvement ; que l'existence d'une réglementation ayant pour objet d'imposer un standard de qualité unique assurant une substituabilité parfaite des produits sanguins en cause ne permettait pas à la cour d'appel d'individualiser artificiellement plusieurs marchés distincts pour la commercialisation du sang à usage non thérapeutique ; qu'en se déterminant par des motifs impropres à établir que le marché des produits sanguins non thérapeutique prélevés sur des donneurs présentant des garanties virologiques importantes et un standard biologique moyen formait un marché identifiable pour être distinct du marché général des produits sanguins à usage non thérapeutique, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ;


2 / que conformément à la réglementation sanitaire, l'ensemble des produits sanguins à usage thérapeutique devait subir des tests et analyses destinés à s'assurer de l'innocuité des produits et des garanties virologiques des marqueurs ; qu'en distinguant un marché autonome des produits sanguins à usage non thérapeutique prélevé sur des donneurs présentant des garanties virologiques importantes et un standard biologique moyen alors que les tests et analyses destinés à assurer la sécurité et la qualité des produits concernaient la totalité des produits sanguins, les juges d'appel ont de nouveau privé leur décision de base légale au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ;


Mais attendu que l'arrêt constate, par motifs adoptés, que chaque fabricant de réactifs, client de Reims Bio, imposait, dans ses cahiers des charges, le respect de conditions de prélèvement très particulières tenant tant à la définition des produits recherchés au regard des phénotypes des donneurs qu'à la nécessité de procéder à des prélèvements sur des sujets présentant des garanties virologiques importantes, et relève en outre qu'un savoir-faire particulier et des mesures de prévention de risques virologiques supplémentaires par rapport aux analyses et tests prévus par la loi étaient nécessaires pour répondre aux cahiers des charges des clients de Reims Bio et qu'ainsi ces derniers contraignaient Reims Bio à s'approvisionner auprès d'établissements de transfusion sanguine capables de prélever et de sélectionner des produits sanguins à usage non thérapeutique sur des donneurs en nombre suffisant présentant des phénotypes différents et des garanties virologiques importantes ; qu'il retient encore, par motifs propres, que les exigences des clients de la société Reims Bio impliquaient pour celle-ci la mise en place de "process" définis conjointement avec les établissements de transfusion pour sélectionner les donneurs en vue de la constitution de concentrés globulaires et de l'élaboration de poches plasmas à façon, et que, sur la foi de témoignages des partenaires de la société Reims Bio, à la différence de la douzaine d'établissements de transfusion sanguine ayant développé la collecte de produits sanguins à usage non thérapeutique, le GIPCA et, dans une moindre mesure, l'établissement de Strasbourg bénéficiaient d'une situation particulière en ce que les deux régions, d'une part, sont "connues pour les risques virologiques (hépatite et sida notamment) très faibles des donneurs", d'autre part, avaient constitué un panel important de donneurs de sang à usage non thérapeutique alors que les donneurs refusent généralement que leur sang ne soit pas affecté à un usage thérapeutique ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a fait ressortir que les produits sanguins à usage non thérapeutique collectés par le GIPCA et l'établissement de transfusion sanguine de Strasbourg répondaient seuls aux exigences sérologiques et virologiques fixées par les clients de Reims Bio et n'étaient pas substituables, en raison de ces caractéristiques, aux produits sanguins à usage non thérapeutique collectés et commercialisés par les autres établissements de transfusion sanguine en France, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;




Et sur le quatrième moyen :


Attendu que l'EFS fait à nouveau grief à l'arrêt du rejet de son recours, en invoquant un manque de base légale au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce, au regard des motifs par lesquels la cour d'appel a retenu l'existence d'un état de dépendance économique ;


Mais attendu que ce moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi ;


Condamne l'Etablissement français du sang aux dépens ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit février deux mille six.

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