17 mars 2015
Cour de cassation
Pourvoi n° 13-23.983

Chambre sociale

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2015:SO00470

Titres et sommaires

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - licenciement - cause - cause réelle et sérieuse - défaut - applications diverses - licenciement prononcé en violation d'une procédure constituant une garantie de fond et contenue dans une convention collective - statut collectif du travail - conventions et accords collectifs - conventions diverses - etablissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif - convention collective nationale du 31 octobre 1951 - article 03.01.6 - procédure de licenciement disciplinaire - information des délégués du personnel - garantie de fond - portée

L'article 03.01.6 de la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951, aux termes duquel "outre les attributions traditionnelles et les fonctions supplétives prévues par les dispositions légales et réglementaires, les délégués du personnel sont informés des licenciements pour motif disciplinaire avant exécution de la décision", institue une information des délégués du personnel préalable au licenciement disciplinaire qui, s'ajoutant aux formalités prévues par les dispositions de l'article 05.03.2 de la convention collective relatives à la procédure disciplinaire, constitue une garantie de fond. Il en résulte que doit être rejeté le pourvoi formé contre un arrêt qui juge que le non-respect par l'employeur de cette garantie de fond prive le licenciement de cause réelle et sérieuse (arrêt n° 1, pourvoi n° 13-24.252). En revanche, encourt la cassation l'arrêt qui retient que la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 se limite à subordonner la validité du licenciement disciplinaire, hors faute grave, au prononcé préalable de deux sanctions et dit que le licenciement prononcé pour faute grave est justifié (arrêt n° 2, pourvoi n° 13-23.983)

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :





Sur le moyen unique pris en sa troisième branche :


Vu l'article 03.01.6 de la convention collective des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 ;


Attendu qu'aux termes de ce texte « outre les attributions traditionnelles et les fonctions supplétives prévues par les dispositions légales et réglementaires, les délégués du personnel sont informés des licenciements pour motif disciplinaire avant exécution de la décision » ;


Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagé le 3 septembre 2007 par la mutualité française de la Loire en qualité de directeur de clinique, M. X... a été licencié pour faute grave, par lettre du 15 juillet 2011 ;


Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave et rejeter les demandes du salarié au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la convention collective applicable se limite à subordonner la validité du licenciement disciplinaire, hors faute grave, au prononcé préalable de deux sanctions ;


Qu'en statuant ainsi, alors que l'information des délégués du personnel préalable au licenciement disciplinaire instituée par l'article 03.01.6 de la convention collective des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951, qui s'ajoute aux formalités prévues par les dispositions de l'article 05.03.2 de la convention collective relatives à la procédure disciplinaire, constitue une garantie de fond dont le non-respect prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;


PAR CES MOTIFS :


CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 juillet 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;


Condamne la mutualité française aux dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mars deux mille quinze.



MOYEN ANNEXE au présent arrêt


Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour M. X....


Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir jugé que le licenciement de M. Franck X... reposait sur une faute grave et, en conséquence, de l'avoir débouté de l'intégralité de ses demandes ;


Aux motifs que : « le licenciement a été prononcé pour motif disciplinaire ; la convention collective des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif dite FEHAP 51 applicable à la cause se limite à subordonner la validité du licenciement disciplinaire, hors faute grave, au prononcé préalable de deux sanctions.


L'employeur qui se prévaut d'une faute grave du salarié doit prouver l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre de licenciement et doit démontrer que ces faits constituent une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; dans la mesure où l'employeur a procédé à un licenciement pour faute disciplinaire, il appartient au juge d'apprécier, d'une part, si la faute est caractérisée et, d'autre part, si elle est suffisante pour motiver un licenciement.


La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige se fonde sur un seul grief, le harcèlement moral exercé à l'encontre de certains salariés placés sous son autorité.


Au soutien du licenciement, l'employeur invoque :


* la docteur du docteur Y... qui a rompu son contrat de travail en avril 2010 et s'est plainte de harcèlement moral devant le comité d'entreprise le 1er avril 2010,


* la situation de madame Z..., directrice des soins, qui a rompu son contrat de travail le 4 octobre 2010 et a écrit le 10 novembre 2010 à la direction des ressources humaines une lettre dans laquelle elle se déclare victime de maltraitances,


* la situation de monsieur A..., nouveau directeur des soins, qui a alerté l'employeur le 29 juin 2011 sur les agissements du directeur.


L'employeur a initié la procédure de licenciement par l'envoi de la lettre de convocation à l'entretien préalable datée du 1er juillet 2011.


L'article L. 1332-4 du code du travail édicte une prescription de deux mois des faits fautifs à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance mais ne s'oppose pas à la prise en considération d'un fait antérieur à deux mois si le comportement du salarié s'est poursuivi dans ce délai.


Les doléances de M. A... précèdent immédiatement l'engagement de la procédure de licenciement.


Dans ces conditions, la prescription n'est pas acquise.


L'employeur verse :


* un courrier électronique de la directrice des ressources humaines du 29 mai 2009 dans lequel elle écrit que Franck X... se comporte de manière odieuse avec la directrice des soins, Véronique Z..., qu'il a répondu à la demande de conseil de Véronique Z... « il y en a une qui me fait chier au siège vous n'allez pas me faire chier aussi », qu'il lui a interdit de transmettre un tableau, qu'il a crié après elle, qu'il maintient une pression difficilement supportable du fait d'un état d'énervement constant,


* sa lettre d'observation adressée le 17 juin 2009 à Franck X... en raison de son comportement qui générait des tensions internes grandissantes et qui révélait une difficulté réelle et majeure de management, la lettre reprenant les difficultés rencontrées par madame Z...,


* une lettre de la directrice des ressources humaines du 21 janvier 2010 qui a rompu son contrat de travail et qui relate ses difficultés relationnelles avec Franck X...,


* l'attestation de la directrice des ressources humaines qui affirme qu'elle a rapidement compris que Franck X... fonctionnait sur le mode du harcèlement envers ses collaborateurs, qu'elle a dénoncé ce mode de management pervers, qu'elle a subi une franche hostilité de la part de Franck X... et que son départ de la mutualité n'a pas été étranger aux critiques répétées formulées par Franck X... à son encontre.


* le procès-verbal de la réunion exceptionnelle du comité d'entreprise du 1er avril 2010 qui retranscrit l'audition du docteur Y... laquelle déplore une dégradation de l'ambiance de travail jusqu'à devenir invivable sans accuser nommément quiconque,


* le compte-rendu de la réunion des délégués du personnel du 10 juin 2010 lesquels se sont insurgés contre les propos du directeur envers une secrétaire médicale ainsi retranscrits : « les dossiers sont de la bouse » « se mettre les dossiers sous son derrière et qu'elle lorsqu'elle toucherait le plafond elle saurait peut-être quoi en faire »,


* la lettre de Véronique Z... du 10 novembre 2010 qui explique son départ décidé le 4 octobre 2010 par la maltraitance que lui a fait subir Franck X..., agressivité, dégradation, propos humiliants, abus d'autorité, même postérieurement à la lettre d'observation de juin 2009,


* une attestation de Raphaël B..., directeur des ressources humaines adjoint, qui prétend que Franck X... ne l'appréciait pas, le critiquait, ne lui adressait pas la parole, lui envoyait des courriers électroniques rédigés en des termes agressifs, menaçants, vexants : « attention à ne pas lasser les bonnes volontés », « j'assumerai une nouvelle fois l'amateurisme avec lequel sont gérés les dossiers »,


* la lettre de Philippe A... du 29 juin 2011 qui se plaint de l'attitude de Franck X... pour qui « exercer une pression maximale sur ses collaborateurs est la meilleure manière d'obtenir des résultats » et qui explique qu'alors qu'il se trouvait en période d'essai et était en position de congé, Franck X... lui a téléphoné pour lui annoncer le renouvellement de sa période d'essai, qu'à son retour de congé, Franck X... lui a confié des dossiers importants à mener à bien dans les plus brefs délais et lui a dit à plusieurs reprises qu'il n'hésitait pas à se séparer de ses collaborateurs comme il l'avait fait avec la précédente directrice des soins.


Le salarié verse :


* une attestation de Norbert C..., élu délégué du personnel au collège cadre en mai 2010, qui témoigne qu'aucun salarié n'est venu le rencontrer pour se plaindre de harcèlement ou de pression dans le cadre du management de Franck X... et que lui-même travaillait en collaboration avec Franck X..., se montre élogieux et ne comprend pas les griefs qui lui sont reprochés.


* l'invitation faite le 13 janvier 2010 de la directrice des ressources humaines au repas qu'elle a organisé à l'occasion de son départ.


Les pièces produites par l'employeur et qui ne sont pas utilement contredites par la seule attestation communiquée par le salarié démontrent que les méthodes de gouvernance de ses subordonnés par Franck X... constituaient des agissements répétés de harcèlement moral qui avaient pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits ou à la dignité des salariés ou d'altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel.


Un tel comportement est fautif.


Au regard de l'importance de la faute, de la lettre d'observation du 17 juin 2009 restée sans effet et de l'ancienneté de Franck X..., légèrement inférieure à 4 ans, le licenciement constitue une sanction proportionnée.


L'employeur a initié la procédure de licenciement dès réception des doléances de Philippe A....


Le comportement réitéré de Franck X... générait une souffrance au travail qui rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, étant rappelé qu'il pèse sur l'employeur l'obligation de préserver la santé des salariés.


En conséquence, le licenciement repose sur une faute grave et Franck X... doit être débouté de ses demandes.


Le jugement entrepris doit être infirmé » ;


1. Alors que, d'une part, au-delà des énonciations de la lettre de licenciement, il incombe au juge de rechercher la véritable cause du licenciement ; qu'en l'espèce, M. X... soutenait que la décision de mettre fin à son contrat de travail était, en réalité, motivée par des raisons d'ordre économique et par la volonté de son employeur de procéder à des réductions d'effectifs ; que, dès lors, en s'étant bornée à examiner les griefs articulés à la lettre de licenciement sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si ceux-ci constituaient la cause exacte et véritable de la rupture du contrat de travail de M. X... et si cette mesure n'était pas, le cas échéant, motivée par une cause autre, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1232-1 du Code du Travail ;


2. Alors que, d'autre part, la faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, ne peut invoquer la faute grave l'employeur qui, après avoir eu connaissance des manquements du salarié, les a néanmoins tolérés et a maintenu l'intéressé dans ses fonctions pendant un temps plus ou moins long ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a relevé que les faits reprochés à M. X... remontaient au mois de mai 2009, qu'ils avaient, dès cette époque, été portés à la connaissance de la hiérarchie et des instances représentatives dans l'entreprise et qu'ils avaient perduré jusqu'en juin 2011 ; qu'en retenant que ces faits seraient constitutifs d'une faute grave quand ces circonstances démontraient, au contraire, que l'employeur les avait tolérés pendant plus de deux ans, période pendant laquelle il avait maintenu le salarié dans ses fonctions sans diligenter contre lui de procédure disciplinaire, la Cour d'appel n'a pas tiré les conclusions qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé l'article L. 1234-1 du Code du Travail ;


3. Alors qu'enfin et en tout état de cause, le non-respect de la procédure conventionnelle de licenciement prive ce dernier de cause réelle et sérieuse ; qu'ainsi, l'information des Délégués du personnel préalablement aux licenciements pour motif disciplinaire, prévue par l'article 03.01.6 de la Convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951, constitue pour le salarié une garantie de fond dont le non-respect prive nécessairement le licenciement de cause réelle et sérieuse ; que, dès lors, en l'espèce, en ayant considéré que le non-respect par l'employeur de cette obligation d'origine conventionnelle ne saurait être sanctionné et ne priverait pas le licenciement de M. X... de cause réelle et sérieuse, la Cour d'appel a violé ce texte, ensemble l'article L. 1232-1 du Code du Travail.

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