16 mai 2001
Cour de cassation
Pourvoi n° 00-85.066

Chambre criminelle

Publié au Bulletin

Titres et sommaires

JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - disqualification - conditions - prévenu ayant été mis en mesure de présenter sa défense sur la nouvelle qualification - banqueroute - abus de biens sociaux

S'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de présenter sa défense sur la nouvelle qualification envisagée. Encourt, dès lors, la censure l'arrêt qui requalifie d'office des faits poursuivis sous la qualification de banqueroute en abus de biens sociaux, sans que le prévenu n'ait été invité à s'expliquer sur cette modification. (1).

Texte de la décision

CASSATION sur le pourvoi formé par :

- X... Georges,

contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 21 juin 2000, qui, pour abus de biens sociaux, l'a condamné à 2 ans d'emprisonnement dont 18 mois avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.



LA COUR,



Vu le mémoire produit ;



Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 241-3, L. 626-1 et L. 626-2 du Code de commerce ensemble l'article préliminaire et les articles 388 et 593 du Code de procédure pénale, violation des règles et principes qui gouvernent la saisine, violation des exigences de la défense et de l'article 6.1 et 6.3 de la Convention européenne des droits de l'homme :



" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable du délit d'abus de biens sociaux, commis entre les mois de juin et d'octobre 1992 ;



" aux motifs que, par jugement du 12 mars 1998, le tribunal de grande instance de Montbrison a retenu Georges X... dans les liens de la prévention pour s'être, à Andrezieux-Bouthéon (42), depuis septembre 1992 et courant 1993, étant gérant de société, rendu coupable du délit de banqueroute en ayant, à l'occasion de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif social, en l'espèce 827 000 francs et du matériel évalué à 1 200 000 francs, infraction prévue et réprimée par les articles 192, 196, 197.2°, 198, alinéa 1, 200, 201, alinéa 1, de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, 131-26 et 131-35 du Code pénal ; que Georges X..., assisté de son conseil, fait valoir que l'indemnité, versée le 8 septembre 1992 par la Compagnie d'assurance AGF à la suite de l'incendie survenu le 21 juin 1992 au préjudice de la société Nouvelle Viennoiserie du Centre, n'a pas été détournée mais a servi à régler une dette envers la société Les Biscuits de Miribel et à constituer le capital social de la société Miribis destinée à regrouper toutes les sociétés du groupe ; que si la somme de 800 000 francs a transité par son compte personnel, il ne s'agit que d'une irrégularité comptable ; qu'il soutient également qu'il n'est pas démontré que le matériel transféré dans les locaux de la société Les Biscuits de Miribel appartenait à la société Nouvelle Viennoiserie du Centre et que sa valeur estimée à 1 200 000 francs n'est pas justifiée ; qu'il fait plaider sa relaxe ; que le ministère public requiert la confirmation du jugement déféré ; qu'il est constant que Georges X... était le gérant de droit de la société Nouvelle Viennoiserie du Centre créée le 21 octobre 1991 ; que cette société a fait l'objet d'un redressement judiciaire le 8 septembre 1993, puis d'une liquidation judiciaire le 13 octobre 1993, la date de cessation des paiements étant fixée au 8 septembre 1993 ; que Me Y..., désigné en qualité de mandataire liquidateur, a relevé dans son rapport que le débiteur était dans l'impossibilité de remettre la liste de ses créanciers ainsi que le moindre élément comptable ; qu'à la suite de l'incendie du 21 juin 1992, Georges X... a reçu de la Compagnie d'assurances AGF, à titre d'indemnisation, un chèque d'un montant de 827 112,41 francs, daté du 8 septembre 1992, et libellé à l'ordre de la société Nouvelle Viennoiserie du Centre ; qu'il a rempli et signé une quittance en date du 11 septembre 1992 ; que ledit chèque n'a pas été déposé sur le compte habituel "Société Générale" de la société, mais sur un compte CCP préalablement ouvert à la poste d'Andrézieux-Bouthéon ; qu'il convient d'ores et déjà d'observer que cette ouverture de compte apparaît pour le moins suspecte, d'autant que la Société Générale apparaît comme créancier chirographaire de la société Nouvelle Viennoiserie du Centre pour un montant de 209 149,85 francs ; que, de plus, Georges X... a émis un chèque de 800 000 francs de ce compte à son ordre et l'a déposé sur son compte personnel à la Caisse d'Epargne des Alpes le 30 septembre 1992 ; qu'il a établi alors un nouveau chèque du même montant et l'a déposé le 2 octobre 1992 sur le compte Banque Populaire de la SA Miribis afin de constituer le capital de cette dernière société ; que ces manoeuvres démontrent déjà, à elles seules, l'intention frauduleuse du prévenu ;



que, de même, le matériel récupéré dans les locaux de la société Nouvelle Viennoiserie du Centre après l'incendie du 21 juin 1992 a été transféré dans ceux de la société Les Biscuits de Miribel ; que l'inventaire de ce matériel a permis d'évaluer sa valeur négociable à la somme de 105 000 francs ; que cependant, selon un courrier du 8 juin 1993 du cabinet d'avocats "Juristes Consultants" chargé des opérations de constitution de la SA Miribis, l'augmentation du capital de cette société a été effectuée par apport en nature de matériel appartenant à la société Nouvelle Viennoiserie du Centre d'une valeur de l'ordre de 1 200 000 francs ; que Georges X... a expliqué que l'indemnité d'assurance devait rembourser en partie la créance de la société Les Biscuits de Miribel tout en précisant qu'il ne disposait d'aucune pièce comptable pour en justifier ; que seule une note de synthèse du 8 juin 1993 fait apparaître que la société Les Biscuits de Miribel était créancière de la société Nouvelle Viennoiserie du Centre d'une somme de 1 113 929 francs correspondant à des matières premières livrées et non payées ; qu'il a également déclaré que le matériel de la société Nouvelle Viennoiserie du Centre avait été transporté dans les locaux de la société Les Biscuits de Miribel en vue d'effectuer des réparations ;



" et aux motifs qu'il ressort du dossier de la procédure qu'en réalité les fonds et le matériel ont été destinés exclusivement à la SA Miribis dont Georges X... était le président-directeur général ; qu'il n'a d'ailleurs pas contesté la matérialité des faits indiquant avoir agi "dans le seul but, non de s'enrichir personnellement, mais de créer une structure commerciale apte à conserver les parts de marché et à gérer au mieux un développement rapide de la société" ; qu'il y a lieu de rappeler qu'une éventuelle union économique entre deux sociétés ne saurait justifier le détournement de fonds et de biens appartenant à l'une au profit de l'autre dans laquelle le dirigeant est également intéressé ; qu'en l'espèce, il ne peut pas plus s'agir d'une dation en paiements puisque la SA Miribis, qui a exclusivement bénéficié de ces détournements, ne pouvait être créancière de la société Nouvelle Viennoiserie du Centre ayant cessé toute activité après le 21 juin 1992 ; que ces agissements commis volontairement au préjudice de la société Nouvelle Viennoiserie du Centre, dont il était le gérant, pour favoriser la SA Miribis dans laquelle il était intéressé en qualité de président-directeur général, et ayant eu lieu de juin à octobre 1992, soit antérieurement à la date de cessation des paiements fixée au 8 septembre 1993, constituent en réalité le délit d'abus de biens sociaux ; qu'il convient, par infirmation du jugement déféré, de déclarer Georges X... coupable des faits ainsi requalifiés ; qu'en répression, la nature de l'infraction poursuivie causant un trouble grave à l'ordre public pour avoir d'une part profondément porté atteinte aux intérêts de la société et surtout de ses créanciers, et d'autre part perturbé le libre jeu de la concurrence et le principe de la loyauté dans les échanges commerciaux, ainsi que la personnalité du prévenu, justifient que soit confirmée la peine de 2 ans d'emprisonnement dont 18 mois assortis du sursis prononcée par le tribunal ;



" alors, de première part, que les juges ne peuvent légalement statuer que sur les faits dont ils sont saisis ; qu'en l'espèce, les juges correctionnels qui étaient exclusivement saisis par le mandement de citation du 5 janvier 1998, d'un prétendu délit de banqueroute par détournement entre les mois de septembre 1992 et courant 1993, au préjudice de la société Nouvelle Viennoiserie du Centre, ne pouvaient déclarer Georges X... coupable d'un délit d'abus de biens sociaux perpétré au préjudice de cette société entre les mois de juin et octobre 1992, sans ajouter aux faits de la poursuite et excéder leurs pouvoirs ;



" alors, d'autre part, que les juges correctionnels ne pouvaient statuer sur des faits dont ils n'étaient pas saisis, dès lors qu'il ne résulte d'aucun élément du dossier que Georges X... ait formellement accepté d'être jugé sur les faits nouveaux retenus et non compris dans la saisine, et encore moins qu'il ait pu s'expliquer sur le délit d'abus de biens sociaux que la Cour a retenu par requalification ;



" alors, enfin, que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver les droits des parties ; que l'autorité judiciaire doit veiller à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale ; que toute personne poursuivie a le droit d'être informée des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur ; qu'en matière pénale une information précise et complète des charges pesant contre un accusé, et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre, est une condition essentielle de l'équité de la procédure et que le droit d'être informé sur la nature et la cause de l'accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l'accusé de préparer une défense pertinente par rapport au délit qualifié retenu à son encontre ; qu'ainsi, la Cour ne pouvait requalifier les faits dont elle était saisie s'agissant du délit de banqueroute en délit d'abus de bien social sans donner la possibilité à Georges X... d'exercer ses droits de défense sur ce point d'une manière concrète et effective, et notamment en temps utile, ce d'autant que le délit d'abus de bien social ne constituait pas un élément intrinsèque de la poursuite initiale du délit de banqueroute " ;



Vu l'article 388 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;



Attendu que s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de présenter sa défense sur la nouvelle qualification envisagée ;



Attendu que Georges X... a été poursuivi pour, étant gérant de société, s'être rendu coupable du délit de banqueroute en ayant, " à l'occasion de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ", détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif social, en l'espèce 827 000 francs et du matériel évalué à 1 200 000 francs ;



Attendu que les juges du second degré ont requalifié d'office les faits en abus de biens sociaux, sans avoir invité le prévenu à s'expliquer sur cette modification ;



Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé ;



D'où il suit que la cassation est encourue ;



Par ces motifs :



CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 21 juin 2000, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :



RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Dijon.

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