3 mars 1993
Cour de cassation
Pourvoi n° 92-85.002

Chambre criminelle

Publié au Bulletin

Titres et sommaires

SECURITE SOCIALE - accident du travail - temps et lieu du travail - accident de trajet - distinction avec l'accident du travail - action civile - préjudice - evaluation - appréciation souveraine - principe - limites - référence à des règles établies à l'avance

Constitue un accident de trajet tout accident dont est victime le travailleur, à l'aller ou au retour, entre le lieu où s'accomplit le travail et sa résidence dans des conditions où il n'est pas encore ou n'est plus soumis aux instructions de l'employeur (1).

Texte de la décision

REJET du pourvoi formé par :

- la compagnie d'assurances Prudence Créole GFA, partie intervenante,

contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, chambre correctionnelle, du 27 août 1992, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre Ghislain X... pour homicides et blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 411-1, L. 451-1 du Code de la sécurité sociale, 2, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevables les constitutions de parties civiles des consorts Y... et Z..., dit que l'accident survenu le 5 avril 1989 au préjudice de Jean-Pierre Z... et Jimmy Y... constitue un accident de trajet, et a condamné in solidum Ghislain X..., Simon A... et la compagnie d'assurances Prudence créole GFA à en réparer les conséquences dommageables ;

" aux motifs que si les victimes étaient transportées dans un véhicule de l'entreprise venant de leurs chantiers respectifs vers le dépôt de Saint-Paul, situé sans contestation des parties au siège de l'entreprise, le passage des ouvriers par le dépôt ne résulte pas d'un ordre donné par l'employeur de décharger le camion, mais du choix fait par les intéressés, sans obligation de leur part, de ne pas attendre la camionnette destinée spécialement à leur transport, ledit passage au dépôt de l'entreprise ne constituant qu'une étape sur le trajet du lieu de travail vers les domiciles via la gare routière de Saint-Paul ; que le fait qu'une des victimes ait pris un taxi le matin pour se rendre sur le chantier occasionnel n'interdit pas de considérer que les ouvriers usaient de manière plus habituelle de l'autocar entre Saint-Paul et leurs domiciles respectifs ;

" alors que constitue un accident de travail, et non un accident de trajet, l'accident survenu à un salarié lors d'un déplacement professionnel accompli sur l'ordre de son employeur et dans l'intérêt de l'entreprise, que tel est le cas de l'accident survenu lors du trajet de retour du lieu de travail occasionnel du salarié au siège de l'entreprise ; qu'en refusant la qualification d'accident du travail à l'accident de la circulation dont ont été victimes MM. Y... et Z..., la Cour, qui relève que ces derniers étaient transportés dans un véhicule de l'entreprise depuis un chantier occasionnel vers le dépôt de Saint-Paul, siège de l'entreprise, pour prendre l'autocar et rejoindre leur domicile, n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s'imposaient et a, par conséquent, violé les textes susvisés " ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Jean-Pierre Z... et Jimmy Y... sont décédés à la suite d'un accident survenu alors qu'ils avaient pris place, avec d'autres ouvriers, à bord d'un camion appartenant à leur employeur, Simon A..., et conduit par leur copréposé, Ghislain X..., lequel les ramenait de leurs chantiers respectifs vers le dépôt de Saint-Paul, siège de leur entreprise ; que, par décision définitive, Ghislain X... a été condamné pour homicides et blessures involontaires ;

Attendu que, pour déclarer recevables les constitutions de parties civiles des ayants droit des victimes et leur accorder réparation, la juridiction du second degré retient qu'il s'agit d'un accident de trajet, contrairement aux conclusions de l'assureur de l'employeur qui soutenait le caractère professionnel de l'accident ; qu'elle relève à cet égard que " le travail des ouvriers était terminé au moment où ils ont quitté leurs chantiers " et qu'il n'est pas allégué qu'ils étaient rémunérés pendant le parcours ; que les juges ajoutent qu'au lieu d'attendre la camionnette adaptée spécialement au transport du personnel et mise à leur disposition, sans obligation par eux d'en user, et alors que X... n'avait jamais reçu l'autorisation de transporter le personnel dans le camion-lequel était chargé de bois destiné au dépôt de Saint-Paul-les ouvriers ont choisi de prendre place dans ce dernier véhicule, hors de tout lien de subordination ; que les juges précisent encore que leur passage par le dépôt de l'entreprise n'aurait résulté que de leur choix de ne pas attendre la camionnette, ce passage ne constituant qu'une étape sur le trajet du lieu de travail vers les domiciles via la gare routière ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui procèdent de l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, l'arrêt attaqué n'encourt pas le grief allégué ; qu'en effet, constitue un accident de trajet, tout accident dont est victime le travailleur, à l'aller ou au retour, entre le lieu où s'accomplit le travail et sa résidence dans des conditions où il n'est pas encore ou n'est plus soumis aux instructions de l'employeur ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 2, 3, 593 du Code de procédure pénale, 5, 1382 du Code civil, défaut de motif et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a accordé à titre de dommages-intérêts les sommes de 50 000 francs à chacun des parents et 15 000 francs à chacun des frères et soeurs de la victime Jimmy Y... ;

" aux motifs que les demandes des consorts Y..., concernant leur préjudice moral, sont conformes à la jurisprudence de la Cour et doivent être retenues ;

" alors qu'aux termes de l'article 5 du Code civil, il est interdit au juge de se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire ; qu'en se bornant, pour déterminer le montant des dommages-intérêts à allouer aux parties civiles à titre de réparation de leur préjudice moral, à se référer à sa propre jurisprudence, la cour d'appel, qui a ainsi statué par un motif d'ordre général, n'a pas donné de base légale à sa décision " ;

Attendu qu'en prononçant comme elle l'a fait sur la réparation du préjudice moral des ayants droit de la victime, la cour d'appel n'a fait qu'user du pouvoir souverain dont les juges disposent de fixer, dans les limites des demandes des parties, l'indemnité propre à réparer le dommage résultant de l'infraction ; qu'il ne saurait lui être fait grief d'avoir surabondamment fait référence à ses décisions antérieures rendues en la matière ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.

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