26 mars 1996
Cour de cassation
Pourvoi n° 95-81.527

Chambre criminelle

Publié au Bulletin

Titres et sommaires

CRIMES ET DELITS COMMIS A L'ETRANGER - crimes - poursuite en france - crimes contre l'humanité, crimes de guerre, tortures - faits commis sur le territoire de l'ex - yougoslavie - présence en france des auteurs ou complices - conditions - conventions internationales - résolution 27 du conseil de sécurité des nations unies du 25 mai 1993 - loi du 25 janvier 1995 - competence - compétence territoriale - crimes et délits commis à l'étranger - compétence des juridictions françaises

La loi du 2 janvier 1995, portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations Unies, instituant un Tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire, commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis le 1er janvier 1991, est applicable aux instances en cours. Il résulte des dispositions des articles 1er et 2 de ladite loi que les juridictions françaises ne peuvent poursuivre et juger que s'ils sont trouvés en France, les auteurs ou complices de crimes ou délits définis par la loi française qui constituent, au sens des articles 2 à 5 du statut du Tribunal international, des infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, des violations des lois ou coutumes de la guerre, un génocide ou des crimes contre l'humanité. La présence en France de victimes de telles infractions ne saurait à elle seule justifier la mise en mouvement de l'action publique, dès lors que les auteurs ou complices soupçonnés de ces infractions n'ont pas été découverts sur le territoire français.

Texte de la décision

REJET du pourvoi formé par :

- X... Elvir, Y... Kasim, Z... Munib, A... Sénada, épouse Z..., B... Meho, l'association Cimade, l'association Ligue des Droits de l'homme, parties civiles,

contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, en date du 24 novembre 1994, qui a déclaré le juge d'instruction incompétent pour connaître des faits dénoncés des chefs de tortures, génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 2 et 3 et 689-2 du Code de procédure pénale, de la Convention de New York du 10 décembre 1984 approuvée par la France et publiée par décret n° 87-916 du 9 novembre 1987, violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 485, 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que la décision attaquée a décidé que le juge d'instruction était incompétent sur le fondement de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels ou inhumains et dégradants ;

" aux motifs que le texte des nouvelles dispositions des articles 689-1 et 689-2 du Code de procédure pénale prévoit que toute personne qui, hors du territoire de la République, s'est rendue coupable de tortures au sens de la Convention de New York du 10 décembre 1984, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France ; que la compétence des juridictions françaises résulte d'un élément objectif et matériel de rattachement consistant en la présence des auteurs présumés sur le territoire français ; qu'en l'espèce, il n'existe aucun indice de cette présence en France ;

" alors que toute personne victime d'une infraction prévue par la Convention de New York doit, sous peine d'être privée d'un procès équitable, au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, pouvoir exercer l'action civile contre l'auteur de l'infraction dont elle a été victime ; qu'il incombe à la juridiction d'instruction saisie d'une plainte qui déclenche l'action publique de procéder aux vérifications nécessaires pour rechercher si la personne contre laquelle une plainte est déposée se trouve sur le territoire français ; qu'il n'incombe pas à la victime de procéder à cette démonstration " ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 55 de la Constitution, 146, alinéa 2, de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 49, alinéa 2, de la Convention pour l'amélioration du sort des blessés, malades dans les forces armées en campagne, 129, alinéa 2, de la Convention de Genève du 12 août 1949 relative au traitement des prisonniers de guerre, 485, 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que la décision attaquée a déclaré les juridictions françaises incompétentes ;

" aux motifs qu'aux termes des quatre Conventions de Genève entrées en vigueur pour la France le 28 décembre 1951, les Etats parties s'engagent à prendre les mesures législatives nécessaires pour réprimer, par des sanctions adéquates, les infractions graves ; que ces conventions imposent également aux parties contractantes de rechercher les auteurs de ces infractions graves, de les déférer à leurs propres tribunaux quelle que soit leur nationalité ou de les remettre à une autre partie contractante intéressée à la poursuite ; que la rédaction de ces textes permet de déduire que les obligations précitées ne pèsent que sur les Etats parties et qu'elles ne sont pas directement applicables en droit interne ; que ces dispositions revêtent un caractère trop général pour créer directement des règles de compétence extraterritoriales en matière pénale, lesquelles doivent nécessairement être rédigées de manière détaillée et précise ; qu'en l'absence d'effet direct les dispositions des quatre Conventions de Genève relatives à la recherche et à la poursuite des auteurs d'infractions graves, l'article 689 du Code de procédure pénale ne saurait recevoir application ;

" alors qu'est directement applicable une convention internationale suffisamment précise pour ne pas exiger de mesures particulières préalables à son exécution ; qu'une telle convention qui prend directement sa place dans l'ordre interne français, crée des droits au profit des particuliers ; qu'il en est ainsi des Conventions de Genève qui font peser sur chaque partie l'obligation de rechercher les personnes prévenues d'avoir commis ou d'avoir ordonné de commettre l'une ou l'autre des infractions graves prévues par les conventions et de les déférer à ses tribunaux quelle que soit leur nationalité ; que ces dispositions claires, précises et se suffisant à elles-mêmes doivent être considérées comme d'application directe, sans que la possibilité donnée aux Etats d'extrader les parties au bénéfice d'une autre partie contractante puisse enlever leur caractère exécutoire aux dispositions des conventions " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure, que le 20 juillet 1993, Elvir X..., Kasim Y..., Munib Z..., Sénada Z... et Meho B..., ressortissants bosniaques résidant en France, ont déposé plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction de Paris, contre personne non dénommée, pour crimes de guerre, torture, génocide, crimes contre l'humanité ; que les plaignants ont dénoncé des faits dont ils auraient été victimes, en 1992, en Bosnie-Herzégovine ; que les associations Cimade et Ligue des droits de l'homme se sont constituées parties civiles par voie d'intervention ; que par ordonnance du 6 mai 1994, le juge d'instruction a décliné sa compétence sur le fondement de la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et crimes contre l'humanité du 26 novembre 1968, de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, ainsi que de la Charte du tribunal militaire international annexée à l'accord de Londres du 8 août 1945 ; qu'en revanche, ce juge s'est déclaré compétent pour instruire, sur le fondement de la Convention de New York du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et des quatre conventions de Genève du 12 août 1949 relatives aux crimes de guerre ; que les constitutions de partie civile ont été déclarées recevables ;

Attendu que, pour infirmer cette ordonnance, sur l'appel du ministère public, et déclarer le juge d'instruction incompétent, la chambre d'accusation énonce notamment que la compétence des juridictions françaises, prévue par les articles 689-1 et 689-2 du Code de procédure pénale, résulte d'un élément objectif et matériel de rattachement, consistant en la présence des auteurs présumés sur le territoire français ; que les juges relèvent qu'en l'espèce, il n'existe aucun indice de cette présence en France, et en déduisent l'incompétence des juridictions françaises pour connaître des faits dénoncés sur la base de la Convention de New York du 10 décembre 1984 ; que l'arrêt ajoute qu'en l'absence d'effet direct des dispositions des quatre conventions de Genève, relatives à la recherche et à la poursuite des auteurs d'infractions graves, l'article 689 du Code de procédure pénale ne saurait recevoir application ;

Attendu qu'en cet état, la Cour de Cassation est en mesure de s'assurer que la décision n'encourt pas les griefs allégués ;

Que les faits dénoncés par les plaignants entrent dans les prévisions de la loi du 2 janvier 1995, portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 827 du conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international, en vue de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire, commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis le 1er janvier 1991 ; qu'il résulte des dispositions des articles 1er et 2 de ladite loi, applicable aux instances en cours, que les juridictions françaises ne peuvent poursuivre et juger, que s'ils sont trouvés en France, les auteurs ou complices de crimes ou délits définis par la loi française qui constituent, au sens des articles 2 à 5 du statut du tribunal international, des infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, des violations des lois ou coutumes de la guerre, un génocide ou des crimes contre l'humanité ; que la présence en France de victimes de telles infractions ne saurait à elle seule justifier la mise en mouvement de l'action publique, dès lors que, comme en l'espèce, les auteurs ou complices soupçonnés de ces infractions n'ont pas été découverts sur le territoire français ;

D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.

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