18 novembre 1991
Cour de cassation
Pourvoi n° 90-83.775

Chambre criminelle

Publié au Bulletin

Titres et sommaires

SOCIETE - société par actions - société anonyme - responsabilité pénale - dirigeant - dirigeant de fait - direction indirecte - banqueroute - mandataires sociaux - définition - etat de cessation des paiements - date - fixation - pouvoirs des juges - société à responsabilité limitée - peines - peines complémentaires - faillite personnelle - prononcé - conditions - peines accessoires ou complémentaires - juridictions correctionnelles - citation - enonciations - faits poursuivis - texte dont l'application est demandée - peine complémentaire - omission - portée

Dans une société anonyme, la présence de prête-noms comme administrateurs, le contrôle de la comptabilité et la fixation du prix de vente par une personne autre que les dirigeants de droit sont des éléments de nature à caractériser la direction indirecte de cette société au sens des articles 463 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 et 196.2° de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 (arrêt n° 1) (1).

Texte de la décision

REJET du pourvoi formé par :

- F... Jean-Louis,

contre l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, chambre correctionnelle, en date du 26 avril 1990 qui, pour abus de biens sociaux et banqueroute par détournement d'actif, l'a condamné à 18 mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé contre lui la faillite personnelle pour une durée de 5 ans.





LA COUR,





Vu le mémoire produit ;



Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 437. 3° et 464 de la loi du 24 juillet 1966, 185 et suivants, 196, 197 et 201 de la loi du 25 janvier 1985, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale :



" en ce que la cour d'appel a reconnu à Jean-Louis F... la qualité de gérant de fait de la SA Castelab et de la SARL Segi, et l'a déclaré coupable des faits d'abus de biens sociaux et de détournement d'actif tels que visés dans la prévention ;



" aux motifs que les faits retenus à la charge de Jean-Louis F... s'inscrivent dans le cadre de la politique commerciale suivie par les dirigeants de la SA Labinter ; qu'en effet, c'est dans le but de compléter la gamme des produits offerts à leur clientèle par, notamment, la fabrication et la commercialisation de dilueurs (diluteurs) que les dirigeants de la SA Labinter ont pris la décision fin 1983 de confier cette activité à une nouvelle société, indépendante en droit de la SA Labinter, susceptible de bénéficier des aides publiques et privées nécessaires à la réalisation du projet ; qu'ainsi a été constituée et implantée à Castelsarrasin, sur un site de reconversion de la société Pechiney, la SA Castelab dont le capital social initial de 430 000 francs n'a pu être réuni que grâce aux apports effectués de façon occulte par F... et Z... qui ont respectivement versé 180 000 francs et 150 000 francs à deux actionnaires, par ailleurs ingénieurs technico-commerciaux au service de la SA Labinter : Yves E... et Daniel X... dont l'apport personnel n'a été que de 10 000 francs chacun, les autres apports ayant été le fait de E... (50 000 francs), Mme F... (10 000 francs), M. Jacques C... (10 000 francs), Mme Anne-Marie Y... (10 000 francs) et M. Philippe B... (15 000 francs), la présidence du conseil étant assurée par M. Raymond A..., recruté par contrat à cet effet courant septembre 1984, les administrateurs étant M. X..., Mme Y... et M. C..., avant que vienne se joindre à eux à l'occasion d'une augmentation du capital (580 000 francs) réalisée courant décembre 1985 une autre société, la SARL Segi, constituée le 12 mars 1984 ; que cette dernière, dont le siège social était situé comme celui de la SA Labinter à Aix-en-Provence, lieu du domicile de F..., et dont le capital social initial de 20 000 francs libéré par ses trois fondateurs, M. Z..., Mme D... et Mme F..., a été porté à 120 000 francs le 20 novembre 1985 grâce à un apport de F..., a signé avec la SA Castelab le 17 avril 1984, par l'intermédiaire de son gérant G..., un contrat de gestion administrative et commerciale qui a reçu exécution ; que ces faits, tels que visés dans la prévention, ont pu être révélés par une enquête diligentée à la suite de la déconfiture de la SA Castelab ayant accusé un passif de 3 700 000 francs nonobstant les apports de ses actionnaires, un prêt de 1 200 000 francs débloqué le 15 mars 1984 par la Sofipe, une prime forfaitaire régionale à la création d'emplois de 150 000 francs, une prime à l'aménagement du territoire de 114 470 francs, un crédit du CEPME de 530 752, 28 francs ; que le tribunal de commerce de Montauban, statuant sur une assignation de l'URSSAF par jugement du 4 juin 1986, ordonnait l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire convertie le 2 juillet 1986 en règlement judiciaire ; qu'au vu du rapport du syndic, le Parquet de Montauban ordonnait une enquête le 17 décembre 1986, prélude à une procédure d'instruction à l'issue de laquelle F..., X..., G..., E... et A... étaient renvoyés devant le tribunal correctionnel, lequel retenait dans les liens de la prévention les seuls F..., X..., G... et E... ; qu'il est reproché à F... en qualité de dirigeant de droit ou de fait de la SA Castelab et de la SARL Segi divers faits constitutifs d'abus de biens sociaux et de banqueroute ; que, pour solliciter la réformation du jugement entrepris, F... soutient au principal qu'il n'a jamais rempli la fonction de dirigeant de fait de la SA Castelab, subsidiairement que les infractions relevées à son encontre ne sont pas caractérisées, qu'il a en outre sollicité une expertise ; que sur le rôle prêté au prévenu dans la SA Castelab, attendu que F... (...) ne peut être suivi dans ses explications tendant à dénier sa qualité de dirigeant de fait ; que tout d'abord, les circonstances et le but ayant présidé à la création de la SA Castelab font apparaître son intérêt à la réalisation d'un projet certainement conçu avec Pierre Z... mais qu'il a en fait seul tenté de mener à bien par suite de l'incapacité d'agir dans laquelle ce dernier s'est trouvé à la suite de son accident ; que d'autre part, l'objet essentiel de la SARL Segi (dont F... était le dirigeant de fait) était d'assurer la gestion comptable et commerciale de la SA Castelab qui n'était qu'une simple unité de production ; qu'ainsi, il a pu surveiller voire contrôler l'évolution de la société anonyme ; que lorsque Castelab s'est trouvée, fin 1985, confrontée à des difficultés financières telles qu'elles ont incité ses dirigeants à procéder à une augmentation du capital, c'est la Segi qui a supporté les fonds nécessaires à cette augmentation par chèque de 150 000 francs tiré le 14 décembre 1985, soit 2 jours après que la société anonyme eut émis à son ordre un chèque de 160 000 francs ayant placé son compte en position débitrice, étant cependant observé que la Segi a obtenu au soutien de cette opération le concours de la Sofipe, laquelle, moyennant caution personnelle de F... et Z..., lui a accordé un crédit de 300 000 francs viré par chèque du 27 décembre 1985 ; qu'il échet dès lors de considérer que c'est au terme d'une exacte appréciation des éléments de la cause que les premiers juges ont reconnu au prévenu la qualité de dirigeant de fait de la SA Castelab (arrêt pp. 6 et 7) ;



" 1°) alors que, d'une part, la direction de fait s'entend exclusivement de la participation à la conduite générale de l'entreprise, active, régulière et comportant prise de décision (arg : CC. déc. n° 77. 5, 18 octobre 1977, Rec. 81) ; que pour déclarer F... dirigeant de fait de Castelab, la Cour s'est fondée sur quatre éléments : l'intérêt de Labinter, dont le prévenu est président-directeur général, à la création de Castelab, la conduite par Segi sous la direction de fait de F... de la gestion comptable et commerciale de Castelab, l'entrée de Segi en décembre 1985 dans le capital social de Castelab, la caution personnelle fournie par F... à la Sofipe à raison d'un prêt de 300 000 francs accordé à la même époque à Segi ; qu'en se déterminant ainsi, sans autrement préciser en quoi le prévenu eût, personnellement depuis 1984, participé à la conduite active de Castelab de manière active, régulière et pris effectivement des décisions quant à la gestion de Castelab, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;



" 2°) alors que, d'autre part, la cour d'appel n'était pas autorisée à tenir Jean-Louis F... comme étant dirigeant de fait de la SARL Segi depuis 1984 en l'état de la prévention initiale renvoyant l'intéressé devant le tribunal correctionnel pour des faits attribués à la Segi courant 1985 et 1986 (deuxième chef de prévention) et reprochés à F... seulement en sa qualité prétendue de dirigeant de fait de la SA Castelab ; qu'en ne constatant pas que le prévenu ait accepté ou ait été en mesure de se défendre sur un fait étranger à la prévention, la cour d'appel a violé les droits de la défense ;



" 3°) alors que, de troisième part, la mission d'assistance administrative, comptable et commerciale de la Segi auprès notamment de la SA Castelab ne comportant aucun pouvoir direct ou indirect de gestion (contrat du 14 avril 1984. production), la cour d'appel, qui s'est bornée à affirmer que F..., au travers de la Segi, avait pu surveiller voire contrôler l'évolution de la SA, s'est déterminée à la faveur de motifs hypothétiques et n'a caractérisé du fait de la Segi ou de F... aucun acte effectif de gestion, privant ainsi sa décision de toute base légale ;



" 4°) alors que, de quatrième part, la participation de Segi à l'augmentation du capital social de Castelab en décembre 1985 ne suffit pas à établir que Segi, apporteur de fonds, ait pour autant assumé la gestion de fait de Castelab " ;



Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 437. 3° et 464 de la loi du 24 juillet 1966, 185 et suivants, 196, 197 et 201 de la loi du 25 janvier 1985, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale :



" en ce que la cour d'appel ayant rejeté la demande d'expertise sollicitée par la défense, a confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré Jean-Louis F... coupable des faits d'abus de biens sociaux et de détournement d'actif tels que visés dans la prévention et a condamné le prévenu à 18 mois d'emprisonnement avec sursis, la mesure de faillite personnelle ordonnée par le Tribunal étant limitée à 5 ans ;



" aux motifs, sur les faits qualifiés d'abus de biens sociaux et de détournement d'actif, qu'il est fait reproche, au demeurant insuffisant pour caractériser le délit de l'article 405 du Code pénal, à F... sous cette qualification :- d'avoir détourné au préjudice de la SA Castelab et au profit de la Segi une somme de 10 000 francs à l'occasion du mouvement de fonds opéré entre ces deux sociétés dans le cadre de l'augmentation du capital social de la SA ;- la facturation des produits livrés par la SA Castelab à la SA Labinter à un prix inférieur à leur coût de revient ;- la facturation par la Segi à la SA Castelab de prestations qu'elle n'avait pas fournies ; que le prévenu se défend de cette accusation en soutenant :- que le Tribunal a fait à tort un rapprochement entre l'émission par la SA Castelab d'un chèque de 160 000 francs à l'ordre de la Segi et celle par cette dernière société d'un chèque de 150 000 francs à l'ordre de la SA Castelab, la cause de ces versements de fonds étant aussi réelle que différente : paiement de prestations dues en exécution du contrat liant les deux sociétés pour ce qui concerne le chèque de 160 000 francs ; libération des actions nouvelles de la SA dans le cadre de l'augmentation de son capital social pour ce qui concerne le chèque de 150 000 francs ;- que les sommes versées par la SA Castelab à la Segi au titre de la rémunération de ses prestations ont toujours été l'exacte contrepartie du travail administratif et comptable effectué, à savoir notamment la mise en place de l'organisation nécessaire à cette double activité ; la fourniture de rapports trimestriels, de documents fiscaux, la transmission de contrats, de propositions de licences ;- que la facturation des produits livrés par la SA Castelab à la SA Labinter a toujours été sincère, ce qui peut être démontré par une expertise (...) ; attendu qu'il est constant que le 12 décembre 1985, la SA Castelab a tiré à l'ordre de la Segi un chèque de 160 000 francs dont la cause n'a pas été précisée ; que le 14 décembre 1985 un chèque de 150 000 francs a été émis par la Segi à l'ordre de la SA Castelab au compte de laquelle il a été crédité sous la référence remise chèque Segi aug. capital ; que pour retenir la réalité du détournement de la différence entre ces deux sommes et affirmer que l'augmentation du capital de la SA Castelab a été réalisée à l'aide des fonds de cette même société, le Tribunal s'est essentiellement fondé sur la chronologie de l'émission des chèques, sur la fausseté du procès-verbal du 7 décembre 1985, enfin sur l'absence d'indication de la cause du chèque de 160 000 francs ; que la Cour fait sienne cette appréciation, sauf à écarter de celle-ci le procès-verbal du 7 décembre 1985 dès lors que l'augmentation du capital social a été effective, en observant que la prise en compte dans cet examen des faits du prêt de 300 000 francs accordé à la Segi par la Sofipe pour, a précisé un de ses dirigeants, consolider l'opération Castelab et plus encore de la date à laquelle son montant a été débloqué (27 décembre 1985), permet de considérer que le versement des 160 000 francs n'a eu d'autre but que celui de permettre à la Segi de libérer les nouvelles actions de Castelab à une date-18 décembre 1985- à laquelle le montant du prêt Sofipe n'avait pas encore été viré sur son compte ;



" attendu enfin que les premiers juges ont, en des énonciations suffisantes et des motifs que la Cour adopte, retenu la culpabilité de F... sur les deux premiers chefs de la prévention, savoir les détournements de fonds commis au préjudice de la SA Castelab à l'occasion de la facturation des appareils livrés à la SA Labinter (jugement entrepris p. 10- III, paragraphes 2 et s.) : il ressort des déclarations des personnes ayant participé au fonctionnement de la SA Castelab que Labinter, principal client avec lequel 80 % du chiffre d'affaires était réalisé, fixait les prix de vente qui étaient nettement inférieurs aux coûts de fabrication ; même si des éléments plus précis, notamment chiffrés, n'ont pu être recueillis, il faut retenir des déclarations concordantes précitées, d'ailleurs corroborées par la situation financière catastrophique de la SA Castelab, laquelle ne peut être expliquée que par des opérations irrégulières et à celle de la facturation des prestations effectuées par la Segi, les charges relevées par le Tribunal ne laissant aucune place à un doute qui seul aurait pu justifier l'expertise sollicitée (jugement précité p. 11, paragraphes 1 et s.) : Castelab et Segi ont conclu le 17 avril 1984 un contrat par lequel la Segi devait effectuer certaines prestations administratives, essentiellement comptables et commerciales, moyennant des honoraires de 264 000 francs ; que jusqu'en octobre 1985, les livres comptables de Castelab étaient centralisés par la Segi pour être envoyés à l'expert-comptable ; que par la suite, G..., selon ses propres déclarations, " saisissait quelques écritures de base " ; quant aux animations commerciales, elles étaient inexistantes ; que Labinter pendant 2 ans était pratiquement le seul client de Castelab ; que G..., gérant de la Segi, n'a fourni aucune prestation commerciale ; qu'en vertu du contrat précité, Segi a perçu des sommes importantes sans rapport avec les prestations fournies, d'un montant total de 470 000 francs ; que cette somme a ainsi été détournée de Castelab au profit de Segi ; qu'enfin, à titre personnel, F... a perçu des salaires pour un montant total de 87 000 francs environ au titre d'un emploi au sein de la Segi qu'il n'a jamais occupé ; que la Cour s'écartera par contre, au moins pour partie, des conclusions tirées par le Tribunal des éléments de la cause pour sanctionner les agissements du prévenu ; que rien ne permet en effet d'affirmer que lesdits agissements ont été guidés par la recherche d'un profit pécuniaire personnel par des moyens illicites, la déconfiture de Castelab (déficit de 3 700 000 francs en 27 mois d'existence) ayant essentiellement découlé d'une mauvaise appréciation des difficultés de fabrication et de mise au point des appareils destinés à Labinter et, partant, de leur coût de revient ; des fautes commises par le prévenu dans le cadre d'une gestion occulte, marquée par le refus d'accepter son échec et la décision de poursuivre l'exploitation au prix d'irrégularités dans l'espoir de redresser une situation irrémédiablement compromise, mais en prenant soin de sauvegarder dans la mesure du possible les intérêts des deux autres sociétés ; que s'il convient de baisser le montant de la peine prononcée par les premiers juges, il apparaît justifié de maintenir la mesure de faillite personnelle prise contre le prévenu (arrêt pp. 10 et 11 ; add : jugement pp. 10 et 11) ;



" 1°) alors que, d'une part, en déclarant F... coupable dans les termes de la prévention initiale tout en déclarant confirmer le jugement entrepris qui avait procédé d'une requalification des faits, la cour d'appel a privé la déclaration de culpabilité du prévenu de toute base légale ;



" 2°) alors que, d'autre part, faute pour elle d'avoir caractérisé l'absence prétendue de cause extrinsèque du chèque de 160 000 francs tiré le 12 décembre 1985 par Castelab SA à l'ordre de la Segi en règlement, suivant la défense, de factures figurant au dossier, la cour d'appel n'a caractérisé aucun abus de biens sociaux reprochable au prévenu ;



" 3°) alors que, de troisième part, la Cour n'a pas répondu aux conclusions péremptoires de la défense établissant qu'outre l'augmentation de capital de 150 000 francs effectivement libéré, Castelab avait reçu de Segi la disposition dans son compte courant d'un prêt de 300 000 francs accordé par le groupe Pechiney à Segi pour Castelab en sorte que cette société, loin de subir le moindre détournement, avait bénéficié courant décembre 1985 d'une somme de 450 000 francs ;



" 4°) alors que, de quatrième part, la cour d'appel a privé F... d'un procès équitable quant à sa déclaration de culpabilité du chef d'abus de biens sociaux au préjudice de Castelab SA dans l'intérêt exclusif de Labinter qui aurait imposé au fabricant des prix de vente inférieurs au coût de revient desdits matériels ; qu'en l'absence avérée sur ce point essentiel de la prévention d'éléments chiffrés-circonstance relevée par les premiers juges qui s'étaient bornés à entériner les déclarations controuvées et reprochables des personnes ayant participé à la gestion de Castelab SA-c'est à tort, au regard des éléments chiffrés et pertinents apportés en cause d'appel par F... sur les marges bénéficiaires revenant à Castelab, que la Cour, d'une part, n'a pas examiné le moyen de défense de F... et, d'autre part, a cru devoir refuser l'expertise sollicitée à la faveur de motifs contradictoires, violant ainsi les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble la présomption d'innocence ;



" 5°) alors que, de cinquième part, F... ne pouvait se voir reprocher une banqueroute par détournement d'actif au préjudice de Castelab SA dans l'intérêt de Segi à raison d'un contrat de prestations de services du 17 avril 1984 prévoyant un honoraire de 264 000 francs par an dès lors que les circonstances de la conclusion dudit contrat ne figuraient pas dans la prévention articulée contre F... (deuxième chef de prévention limité à la période 1985-1986) ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, la Cour a méconnu les limites de la prévention en violation des droits de la défense ;



" 6°) alors que, de sixième part, la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, affirmer tout à la fois que le contrat de prestations de services du 17 avril 1984 avait reçu exécution et que les prestations fournies par Segi à Castelab étaient hypothétiques ;



" 7°) alors que, de septième part, la cour d'appel ne pouvait affirmer par adoption des motifs des premiers juges que F... avait reçu de Segi 87 000 francs à titre de salaire sans contrepartie effective de travail ; qu'en se déterminant par voie de pure affirmation sans référence aux DASS établissant la réalité des missions confiées à F... pour le compte de Castelab et sans répondre aux conclusions de la défense sur la circonstance et la réalité desdites missions, la Cour a privé sa décision de motifs ;



" 8°) alors que, de huitième part, en l'état du redressement judiciaire de Castelab prononcé en juin 1986 et converti en juillet 1986 en liquidation des biens, la Cour, qui n'a pas précisé au regard des énonciations du tribunal de commerce à quelle date Castelab pouvait être considéré en cessation des paiements, n'a pu caractériser aucun fait de détournement d'actif reprochable pour quelque cause que ce soit à Jean-Louis F..., privant ainsi sa décision de toute base légale ;



" 9°) alors que, de neuvième part, en relevant expressément que rien ne permet d'affirmer que lesdits agissements ont été guidés par la recherche d'un profit pécuniaire personnel par des moyens illicites, la Cour se devait de relaxer F... du chef d'abus de biens sociaux ;



" 10°) alors, enfin, qu'à défaut d'élément intentionnel, le détournement d'actif n'est pas constitué ; que la Cour est derechef en tort de n'avoir pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations sur l'absence d'élément intentionnel du chef de F... " ;



Les moyens étant réunis ;



Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement que la société anonyme Castelab, créée en avril 1984 à l'initiative de Jean-Louis F... et ayant pour objet la fabrication et la commercialisation d'appareils et de produits de laboratoire, avait pour dirigeants de droit, notamment, Yves E..., président du conseil d'administration et Daniel X..., administrateur, eux-mêmes salariés de la société Labinter dont F... était le dirigeant, ainsi que, à partir de décembre 1985, en qualité d'administrateur, la société à responsabilité limitée Segi ; que la société Castelab dont l'objet était le même que celui de la société Labinter a bénéficié, en raison de son installation dans un site antérieurement occupé par une autre industrie, d'aides financières publiques et privées importantes ; que la société Castelab est restée étroitement dépendante de la société Labinter qui était pratiquement sa seule cliente ; qu'en 2 années d'existence la société Castelab n'a accumulé que des pertes et que le 2 juillet 1986, après une procédure de redressement judiciaire ouverte le 4 juin 1986, sa liquidation judiciaire a été prononcée, le tribunal de commerce ayant fixé au 7 mai 1986 la date de cessation des paiements ; que F..., en qualité de dirigeant de fait de la société Castelab, est poursuivi pour diverses infractions, celles d'abus de biens sociaux et de banqueroute par détournement d'actif ayant été seules retenues par l'arrêt attaqué ;



Attendu que, pour déclarer Jean-Louis F... coupable de ces deux infractions, la cour d'appel, par des motifs propres et adoptés des premiers juges, après avoir relevé que, dès janvier 1985, la société Castelab, ayant cessé ses règlements à l'URSSAF, s'est trouvée en état de cessation des paiements, énonce :



- d'une part, que le prévenu a créé et géré de façon occulte la société Castelab en se dissimulant derrière les prête-noms qu'étaient E... et X... ; que la société Segi dont il était le gérant de fait, ainsi qu'il l'a reconnu lui-même, avait pour objet d'assurer la gestion comptable et financière de la société Castelab ; que les documents comptables de celle-ci ont été découverts au siège de la société Labinter ; que des reconnaissances de dettes et des actes de cessions d'actions en blanc non datés, signés par les deux plus importants actionnaires de la société Castelab, E... et X..., qui, pour souscrire au capital de cette société, avaient reçu des fonds de F..., ont été retrouvés au domicile de ce dernier ; qu'enfin, selon l'ensemble des personnes ayant participé au fonctionnement de la société Castelab, F... fixait le prix de vente des produits fabriqués par cette société et présentait à E... tous les documents et les chèques que celui-ci signait sans contrôle ;



- d'autre part, que la société Castelab, après avoir tiré, à l'ordre de la société Segi, un chèque de 160 000 francs dont la cause n'a pu être précisée, a reçu 2 jours plus tard, au titre d'une augmentation de capital, un chèque de 150 000 francs de la Segi qui a ainsi bénéficié indûment, en définitive, d'une somme de 10 000 francs ; que selon divers témoignages, la société Castelab a livré à la société Labinter des produits facturés à un prix inférieur à leur coût de revient et qu'elle a versé, au titre d'un contrat de prestations de services, une somme globale de 470 000 francs à la société Segi, sans rapport avec les prestations fournies, ainsi qu'une somme de 87 000 francs ; qu'elle ajoute que les charges relevées ne laissent aucune place à un doute qui seul aurait pu justifier l'expertise sollicitée et que F... a agi, non dans un intérêt personnel, mais pour sauvegarder les intérêts des sociétés Labinter et Segi ;



Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a caractérisé, sans insuffisance ni contradiction et sans excéder les limites de sa saisine, la direction indirecte et occulte d'une société au sens de l'article 463 de la loi du 24 juillet 1966 et de l'article 196. 2° de la loi du 25 janvier 1985, a donné une base légale à sa décision sans encourir aucun des griefs allégués ;



Qu'en effet, pour déclarer constitué le délit de banqueroute, le juge répressif a le pouvoir de retenir, en tenant compte des éléments soumis à son appréciation, une date de cessation des paiements autre que celle fixée par la juridiction consulaire ;



Que dès lors les moyens ne peuvent qu'être écartés ;



Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 437. 3° et 464 de la loi du 24 juillet 1966, 185 et suivants, 196, 197 et 201 de la loi du 25 janvier 1985, 591 et 593 du Code de procédure pénale :



" en ce que la cour d'appel, ayant condamné le prévenu pour abus de biens sociaux et détournement d'actif, a prononcé la faillite personnelle de F... pour une durée de 5 ans ;



" 1°) alors que, d'une part, les textes visés par la prévention initiale ne visaient pas les dispositions de l'article 201 de la loi du 25 janvier 1985 en sorte qu'une telle sanction, à la supposer applicable, ne pouvait en tout état de cause être prononcée d'office par les juges répressifs, faute d'information préalable suffisante et complète du prévenu sur la nature et la cause de la prévention ;



" 2°) alors que, d'autre part, le juge répressif ne saurait prononcer une mesure de faillite personnelle sans demande expresse du liquidateur, inexistante en l'espèce, faute de constitution de partie civile du liquidateur de Castelab ;



" 3°) alors, enfin, que la cour d'appel ne pouvait infliger à F... la sanction complémentaire de la faillite personnelle, sanction prévue par l'article 201 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 entrée en vigueur le 1er janvier 1986, alors que cette sanction, pour des faits situés avant cette date, ne relevait pas de la compétence de la juridiction consulaire (Crim. 30 novembre 1987, B. n° 435 p. 1145) ; qu'en l'espèce, les faits de banqueroute reprochés au prévenu courant 1985 ne permettaient pas à la Cour de prononcer une mesure de faillite personnelle en l'absence de caractérisation d'un fait précis commis en 1986 " ;



Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que F... a été déclaré coupable de banqueroute par détournement d'actif pour des faits commis en 1984, 1985 et 1986 en qualité de dirigeant de fait de la société Castelab qui a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire à compter du 4 juin 1986 et qu'en répression il a été condamné à la peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis et à la peine complémentaire de la faillite personnelle pendant une durée de 5 ans ;



Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel, qui n'avait pas à être saisie par le liquidateur, n'a encouru aucun des griefs allégués dès lors que la loi du 25 janvier 1985, applicable aux faits poursuivis à compter du 1er janvier 1986, était visée, avec les textes réprimant l'infraction reprochée au prévenu, dans l'ordonnance de renvoi ;



Que le moyen ne peut dès lors être accueilli ;



Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;



REJETTE le pourvoi.

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