17 avril 1989
Cour de cassation
Pourvoi n° 88-81.189

Chambre criminelle

Publié au Bulletin

Titres et sommaires

IMPOTS ET TAXES - dispositions communes - procédure - action civile - préjudice - réparation - majorations et amendes fiscales mises par l'administration à la charge du fraudeur

La constitution civile devant les juridictions correctionnelles, dans les poursuites exercées pour les infractions visées au Code général des impôts, fondée sur les dispositions de l'article L. 232 du Livre des procédures fiscales permet à l'administration des Impôts de suivre la procédure et d'y intervenir dans l'intérêt du fisc, mais ne lui ouvre pas le droit de demander, pour la réparation du préjudice causé au Trésor public par la fraude, une réparation distincte de celle qui est assurée par les majorations et amendes fiscales (1).

Texte de la décision

CASSATION PARTIELLE par voie de retranchement sans renvoi sur le pourvoi formé par :

- X... Bernard,

- Y... Martine, épouse X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 8 février 1988, qui les a condamnés, pour fraude fiscale, le premier à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 5 000 francs, la seconde à 5 000 francs d'amende et a prononcé sur les réparations civiles au profit du Trésor public.

LA COUR,

Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 1741 et 1742 du Code général des impôts, L. 227, L. 228, L. 229 et L. 232 du Livre des procédures fiscales, R. 228-1 du même Livre, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que les poursuites ont été engagées sur la plainte du trésorier-payeur général de l'Eure, et que l'arrêt attaqué, après avoir accueilli la constitution de partie civile du Trésor public, a condamné les prévenus à payer à celui-ci 1 franc de dommages-intérêts et 3 000 francs au titre des frais irrépétibles ;

" alors qu'en matière de fraude fiscale, les plaintes sont déposées par le service chargé de l'assiette ou du recouvrement ; qu'ainsi, seul le Directeur général des Impôts ou le receveur, territorialement compétents, avaient le pouvoir de déposer une plainte et de se constituer partie civile ; que, dès lors, en admettant que les poursuites aient pu être engagées par le trésorier-payeur général de l'Eure, la cour d'appel a violé les dispositions d'ordre public précitées " ;

Et sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 1741 et 1742 du Code général des impôts, L. 229 du Livre des procédures fiscales, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué n'a pas constaté que la plainte déposée l'avait été sur avis conforme de la Commission des infractions fiscales " ;

Les moyens, communs aux deux demandeurs, étant réunis ;

Attendu qu'il ne résulte ni des énonciations des juges du fond ni d'aucunes conclusions des prévenus que les exceptions invoquées aux moyens aient été proposées devant les premiers juges avant toute défense au fond ; que dès lors, par application de l'article 385 du Code de procédure pénale, les moyens ne sont pas recevables ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 1741 et 1742 du Code général des impôts, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les époux X... coupables du délit de fraude fiscale ;

" aux motifs qu'il ne peut être retenu que les prévenus aient été introuvables après leur départ de Pont-Audemer, X... ayant, dès le 29 août 1983, adressé une correspondance au percepteur de Pont-Audemer ; que cependant les sommes recueillies par les prévenus ont été consacrées au paiement de dettes importantes et que les conditions de la vente de la maison de Patrimonio sont suspectes ; que, s'il doit être retenu que les époux X... ont effectivement quitté leur domicile de Pont-Audemer sans en aviser le percepteur local, il apparaît que le comportement des prévenus avait pour dessein d'organiser leur insolvabilité pour se soustraire au paiement de partie de l'impôt ; que peu importe qu'ils aient réalisé leur actif avant d'avoir reçu notification soit de redressements, soit de la mise au rôle des impositions de 1983, étant observé qu'ils se trouvaient à la date des réalisations débiteurs d'impôts pour une somme qu'ils ne devaient apurer qu'au 28 janvier 1986 ;

" 1°) alors que le délit de fraude fiscale suppose un élément intentionnel ; qu'en l'espèce, il ne ressort pas des constatations de l'arrêt que les époux X... aient frauduleusement et volontairement organisé leur insolvabilité pour se soustraire au paiement des impôts ;

" 2°) alors que l'arrêt a relevé que les époux X... avaient réalisé leur actif avant d'avoir reçu notification des redressements et de la mise au rôle des impositions en sorte que les prévenus ne pouvaient avoir eu l'intention d'organiser leur insolvabilité ; qu'ainsi la Cour a violé les textes susvisés et s'est contredite ;

" 3°) alors que l'arrêt qui a constaté qu'au 28 janvier 1986, les prévenus avaient totalement apuré leur dette fiscale ne pouvait, sans se contredire, énoncer que les prévenus avaient organisé leur insolvabilité " ;

Attendu que les motifs de l'arrêt attaqué pour partie reproduits au moyen lui-même mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que les juges du second degré ont caractérisé sans insuffisance ni contradiction, en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, le délit de fraude fiscale dont ils ont déclaré les demandeurs coupables ; que, dès lors, le moyen, qui se borne à contester l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;

Mais sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles L. 232 du Livre des procédures fiscales, R. 228-1 du même Livre, 475-1 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a accueilli la constitution de partie civile du Trésor public et a condamné les prévenus à payer à celui-ci 1 franc de dommages-intérêts ainsi qu'une somme de 3 000 francs au titre des frais irrépétibles ;

" alors que l'administration fiscale, partie civile, agit comme auxiliaire du ministère public et n'est donc pas fondée à réclamer des dommages-intérêts ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a de ce chef violé les textes visés au moyen " ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que, par application de l'article L. 232 du Livre des procédure fiscales, la constitution de partie civile devant la juridiction correctionnelle sur des poursuites exercées pour les infractions visées au Code général des impôts, permet à l'administration fiscale de suivre la procédure et d'y intervenir dans l'intérêt du fisc mais ne lui ouvre pas le droit de demander, pour le préjudice causé au Trésor public par la fraude, une réparation distincte de celle qui est assurée par les majorations et amendes fiscales ;

Attendu que l'arrêt attaqué, statuant sur la constitution de partie civile du Trésor public, après l'avoir déclarée recevable, a condamné les prévenus à payer à ce dernier la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 francs sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ; que la cassation est encourue de ce chef par voie de retranchement et sans renvoi ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE par voie de retranchement et sans renvoi, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen en date du 8 février 1988 mais seulement en celles de ses dispositions par lesquelles il a condamné les demandeurs à payer au Trésor public diverses sommes à titre de dommages-intérêts et au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues.

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