14 janvier 2016
Cour de cassation
Pourvoi n° 14-25.089

Troisième chambre civile

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2016:C300040

Titres et sommaires

SERVITUDE - servitudes diverses - passage - enclave - assiette - elargissement - passage d'un véhicule automobile

Viole l'article 682 du code civil une cour d'appel qui retient qu'un fonds n'est pas enclavé, tout en constatant qu'il est desservi par un escalier de quatre-vingt-dix-neuf marches extrêmement pentu et que l'approche de la maison est impossible avec un véhicule, alors que l'accès par un véhicule automobile correspond à l'usage normal d'un fonds destiné à l'habitation

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 682 du code civil ;

Attendu que le propriétaire dont les fonds sont enclavés, et qui n'a sur la voie publique aucune issue ou qu'une issue insuffisante, est fondé à réclamer sur le fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de son fonds ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 12 juin 2014), que les époux X... ont acquis une propriété sur laquelle est édifiée une maison à laquelle ils accédaient par un chemin appartenant aux consorts Y... ; que, ceux-ci ayant fermé ce chemin en 2011, les époux X..., soutenant que leur fonds, auquel on accède par un escalier escarpé de quatre-vingt-dix-neuf marches, était enclavé, ont assigné les consorts Y... en désenclavement ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que la maison des époux X... est desservie par un escalier extrêmement pentu et que, si l'approche de la maison en véhicule est impossible par cet escalier, l'accès à la propriété reste possible moyennant certains aménagements ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'accès par un véhicule automobile correspond à l'usage normal d'un fonds destiné à l'habitation, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 juin 2014, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne les consorts Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les consorts Y... à payer à M. et Mme X... la somme de 3 000 euros ; rejette la demande des consorts Y... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille seize.



MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X....

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la parcelle cadastrée section AE n° 14 à Beaulieu sur mer, au lieu-dit « Crête de Serre », n'est pas enclavée, d'avoir débouté M. et Mme X... de l'intégralité de leurs demandes à l'encontre des Consorts Y... et de les avoir condamnés au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens ;

Aux motifs propres que, aux termes de l'article 691 du code civil, « les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes, ne peuvent s'établir que par titres. La possession même immémoriale ne suffit pas pour les établir... ». La demande principale des époux X... tendant à voir constater l'existence d'une servitude de passage par prescription acquisitive ne peut donc être accueillie, s'agissant d'une servitude discontinue. En l'espèce, il n'existe pas de convention accordant au fonds cadastré section AE n° 14 de servitude de passage sur la parcelle n° 17 et l'acte du 1er février 2005 par lequel Dimitry X... et son épouse Inna Z... ont acquis leur propriété précise au chapitre des servitudes : « l'acquéreur déclare avoir été parfaitement informé qu'une procédure a opposé la société venderesse à la propriété mitoyenne appartenant à Monsieur Y... concernant l'utilisation d'une voie d'accès par la route située entre ces deux propriétés, et qu'aux termes d'un arrêt, devenu définitif, rendu par la cour d'appel d'Aix en Provence le 29 avril 1976, la société venderesse a été déboutée de ses prétentions. L'acquéreur déclare en faire son affaire personnelle à l'entière décharge du vendeur et du notaire, desquels il déclare avoir reçu toutes informations ainsi que par la lecture qu'il a pu faire tant de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 29 avril 1976 que du jugement réformé du tribunal de grande instance de Nice en date du 15 janvier 1975, dont copies demeureront ci-jointes et annexées après mention. Le vendeur confirme expressément, par ailleurs, avoir, depuis l'issue de ce procès, utilisé cette route d'accès de manière paisible, publique et continue jusqu'à ce jour ». Le bénéfice d'une servitude de passage ne pourrait dès lors résulter que d'un état d'enclave, constituant un titre légal, et seule une prescription acquisitive de l'assiette de passage pourrait être revendiquée dans les conditions de l'article 685 du code civil. Aux termes de l'article 682 du code civil, « le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner ». L'acte du 1er février 2005 précise que la propriété acquise par les époux X... est une maison d'habitation, un terrain en nature de jardin et escalier d'accès, cadastré section AE n° 14 pour 4 ares 53 centiares. L'arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence du 29 avril 1976 qui avait statué au possessoire, avait relevé que le fonds aujourd'hui propriété des époux X... consistait en « une villa d'agrément ne disposant, tant en raison de la déclivité du terrain sur lequel elle a été édifiée, que de l'exiguïté de ce terrain, d'aucun garage, remise ou parking et à laquelle on ne peut donc accéder qu'à pieds, après avoir laissé son véhicule à une certaine distance, la courbe décrite par le chemin carrossable appartenant à Y..., à hauteur du portail existant, actuellement dans le mur de cette villa, ne constituant pas un parking, ni public, ni privé ». La preuve n'est pas rapportée à ce jour que la situation a évolué et qu'une possibilité d'accès et de stationnement automobile existe à l'intérieur de la propriété X.... Il ressort du constat d'huissier établi le 14 mars 2011 que cette propriété de vacances des époux X... est desservie par « un escalier de 99 marches en très mauvais état, extrêmement pentu, sinueux avec dénivelé important ». Dans ces conditions, alors même que l'approche de la maison en véhicule est impossible par les escaliers qui la desservent, et qu'ainsi l'accès de toute personne impotente ou handicapée, ou des services d'urgence ou de secours est en conséquence difficile, l'état d'enclave n'est pas caractérisé, la destination d'habitation de cette maison demeurant possible avec certaines restrictions ou aménagements. En l'absence d'état d'enclave, aucune prescription acquisitive de l'assiette du passage ne peut être invoquée au visa de l'article 685 du code civil. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les prétentions des époux X..., mais infirmé en ce qu'il a reconnu l'état d'enclave. Il sera complété par le rejet de la demande de dommages et intérêts des époux X... qui n'est ni motivée ni fondée ;

Et aux motifs adoptés que, sur la prescription acquisitive de la servitude de passage, M. et Mme X... exposent qu'ils ont acquis par acte authentique du 1er février 2005 de la SCI l'Heure bleue, une propriété sise à Beaulieu sur mer à laquelle ils accédaient depuis leur acquisition par le chemin des Serres prenant naissance sur le boulevard du Maréchal Joffre jusqu'à ce que ses voisins les consorts Y... installent un portail métallique électrique avec digicode en remplacement de l'ancien portail, ce qui leur interdit d'utiliser le chemin des serres pour accéder à leur propriété ; qu'ils ont fait constater cet état de fait par procès-verbal de constat de Me A... huissier de justice, en date du 14 mars 2011, le seul accès à leur propriété ne pouvant plus se faire que très difficilement en empruntant un escalier de 99 marches, insuffisant pour assurer une desserte de la propriété ; qu'ils se prévalent de ce que leur vendeur avait précisé, dans l'acte de vente du 1er février 2005, avoir depuis l'issue du procès l'ayant opposé aux consorts Y..., soit l'arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence du 29 avril 1976, avoir utilisé cette route de manière paisible, publique et continue jusqu'à ce jour ; que M. et Mme X... sont mal fondés à se prévaloir d'une prescription acquisitive de l'assiette de servitude de passage par le chemin goudronné alors que, selon les dispositions de l'article 691 du code civil, les servitudes continues non apparentes et les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes ne peuvent s'établir que par titres, la possession même immémoriale ne suffisant pas pour les établie ; qu'ils ne justifient d'aucun titre constitutif d'une telle servitude de passage sur le fonds appartenant aux consorts Y..., leur auteur n'ayant profité que d'une simple tolérance de passage comme cela résulte des pièces versées aux débats, une servitude de passage étant, par nature, une servitude discontinue relevant des dispositions de l'article 691 sus-rappelés ; qu'ils seront donc déboutés de leur demande tendant à leur reconnaître la prescription acquisitive d'une assiette de servitude de passage sur le fonds des consorts Y... ;

Alors 1°) que l'état d'enclave, justifiant l'instauration d'une servitude de passage, résulte de ce que le fonds ne dispose pas, sur la voie publique, d'une issue suffisante ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément relevé qu'il ressort du constat d'huissier établi le 14 mars 2011 que la propriété de vacances de M. et Mme X... est desservie exclusivement par « un escalier de 99 marches en très mauvais état, extrêmement pentu, sinueux avec un dénivelé important » et que « l'approche de la maison en véhicule est impossible par les escaliers qui la desservent, et qu'ainsi l'accès à toute personne impotente ou handicapée, ou des services d'urgence ou de secours, est en conséquence difficile » ; qu'il résulte de ces constatations que l'accès à ce fonds destiné à l'habitation est restreint aux seules personnes bien portantes ; qu'en décidant néanmoins que l'état d'enclave n'est pas caractérisé dès lors que la destination d'habitation demeurerait possible « avec certaines restrictions », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales s'évinçant de ses propres constatations, a violé l'article 682 du code civil ;

Alors 2°) que, dans ses écritures délaissées (p. 3 et p. 9), Mme X... expliquait, en se fondant sur son dossier médical qu'elle communiquait régulièrement aux débats (pièce n° 3), qu'elle était souffrante et handicapée en suite de l'ablation d'une tumeur au cerveau ayant provoqué une tétraplégie et une hémiparésie droite ainsi qu'une perte de tonus musculaire à l'origine de la fracture d'une de ses jambes ; qu'elle invoquait ainsi son impossibilité à gravir les 99 marches existantes et la nécessité absolue d'accéder en voiture à sa propriété par le chemin des Serres obstrué par le portail électrique installé par les Consorts Y... ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire qui était de nature à établir que le fonds des époux X... était enclavé dès lors que la seule voie d'accès sur la voie publique était impraticable pour Mme X... en raison de son état de santé, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Alors 3°) qu'en relevant, pour faire échec aux demande des époux X..., qu'il n'y a pas de possibilité de stationner une voiture à l'intérieur de leur propriété et que le chemin des Serres appartenant aux consorts Y... ne constitue pas un parking, quand leur demande en reconnaissance d'une servitude de passage pour enclave consistait seulement à pouvoir passer sur le fonds de leurs voisins afin d'accéder au plus près de leur bien en voiture, de permettre à Mme X... particulièrement d'y accéder le plus facilement possible et d'y déposer leurs affaires, sans pour autant s'y garer, la cour d'appel, qui a statué à la faveur d'un motif inopérant, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 682 du code civil ;

Alors 4°) que les juges du fond ne peuvent relever d'office un moyen de droit sans inviter préalablement les parties à conclure sur ce point ; qu'en relevant que la destination d'habitation de la maison des époux X... demeurait possible avec certains aménagements quand ni les époux Y... ni a fortiori les époux X... n'invoquaient la possibilité de tels travaux, la cour d'appel, qui n'a pas invité préalablement les parties à conclure sur ce point, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

Alors 5°) que seule la réalisation de travaux permettant un accès sur la voie publique, dont le coût ne serait pas disproportionné par rapport à la valeur du fonds ou à l'usage de la desserte, exclut que le fonds soit enclavé ; qu'en se bornant à retenir que la destination d'habitation de la maison des époux X... demeurait possible avec certains aménagements sans nullement s'expliquer sur leur nature et leur coût, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 682 du code civil.

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