16 septembre 2015
Cour de cassation
Pourvoi n° 14-20.392

Troisième chambre civile

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2015:C300915

Titres et sommaires

CONTRAT D'ENTREPRISE - responsabilité de l'entrepreneur - perte de la chose - article 1788 du code civil - domaine d'application - détermination - cas

Une cour d'appel, qui relève qu'aucune expertise n'a été réalisée par les assureurs aux fins d'évaluer les dommages occasionnés par une tempête aux travaux de construction d'une piscine située dans un camping, et qu'aucun élément ne permet d'exclure la reprise de ces travaux après, le cas échéant, remise en état, en déduit exactement que, faute d'établir la perte de l'ouvrage, l'interdiction administrative d'exploiter le camping, prononcée après la tempête, ne donne pas vocation à application de l'article 1788 du code civil

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 25 avril 2014), que la société Espace loisir, exploitant un camping, a confié à la société André Norée les travaux de gros oeuvre de construction d'une piscine et la création et l'équipement de la piscine à la société Concept piscine équipement (société CPE) ; que les travaux ont commencé au début de l'année 2010 ; que la tempête Xynthia est survenue le 28 février 2010 ; que la société Allianz, assureur au titre d'une police « multirisque hôtellerie de plein air », ayant refusé d'indemniser les désordres affectant la piscine en construction en soutenant qu'elle était toujours sous la responsabilité des entrepreneurs, la société Espace loisir l'a assignée, ainsi que la société André Norée et la société CPE, en paiement de sommes ;

Attendu que la société Espace loisir fait grief à l'arrêt de rejeter ces demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que la perte en est pour l'ouvrier, si avant d'être livrée, la chose vient à périr de quelque manière que ce soit ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a débouté la société Espace loisir de ses demandes formées contre les constructeurs aux motifs qu' « il est constaté que suite à la survenance de la tempête Xynthia, le camping a fait l'objet d'un arrêté d'interdiction d'exploitation seule cause de l'arrêt des travaux » et que « les entreprises Norée et CPE n'ont pas à supporter les conséquences de cette interdiction d'exploiter » ; qu'il n'est pas sérieusement contestable que la chose a péri à la suite de la tempête et de l'arrêté d'interdiction d'exploiter ; qu'en décidant que les entreprises André Norée et CPE n'ont pas à supporter les conséquences de cette perte bien que l'article 1788 du code civil met la perte à la charge de l'ouvrier dès lors que la chose vient à périr de quelque manière que ce soit, la cour d'appel a violé l'article 1788 du code civil ;

2°/ que si, dans le cas où l'ouvrier fournit la matière, la chose vient à périr, de quelque manière que ce soit, avant d'être livrée, la perte en est pour l'ouvrier, à moins que le maître ne fût en demeure de recevoir la chose ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a décidé qu' « il n'est pas contesté que l'ouvrage n'était pas en l'état d'être réceptionné » et que « les risques pesaient sur les entrepreneurs » ; que la cour d'appel a néanmoins débouté
la société Espace loisir de sa demande tendant à la condamnation des sociétés André Norée et CPE sur le fondement de l'article 1788 du code civil en disant qu' « il n'est pas établi, au vu du constat d'huissier, que la chose a péri » dès lors que « la piscine a été nettoyée après la tempête et aucun élément ne permet de dire que la reprise des travaux ne pouvait être envisagée, avec au besoin d'éventuelles remises en état préalables » ; que la cour d'appel a néanmoins également constaté que la reprise des travaux ne pouvait être envisagée, dès lors que « suite à la tempête Xynthia, le camping a fait l'objet d'un arrêté d'interdiction d'exploitation, seule cause de l'arrêt des travaux » ; qu'en rejetant ainsi la demande de la société Espace loisir au motif que la chose n'a pas péri dès lors qu'il n'est pas établi que la reprise des travaux ne pouvait être envisagée, pour décider quelques lignes plus loin que la reprise des travaux était impossible dans la mesure où, à la suite de la tempête, le camping a fait l'objet d'un arrêté d'interdiction d'exploitation, la cour d'appel a statué par une contradiction de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que l'article 1788 du code civil met la perte de la chose à la charge de l'entrepreneur qui fournit la matière ; que la charge des risques n'est pas supprimée ni modifiée si la perte est due à un événement qui présente les caractères de la force majeure ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu' « il n'est pas contesté que l'ouvrage n'était pas en l'état d'être réceptionné » ; que pour néanmoins dire que les termes de l'article 1788 du
code civil n'avaient pas vocation à s'appliquer aux faits de l'espèce et que les ouvriers n'avaient pas à assumer les risques qui pesaient sur eux aux termes de ce texte, la cour d'appel a dit que l'interdiction d'exploiter, seule cause de l'arrêt des travaux, « revêt les caractéristiques de la force majeure » ; qu'en statuant ainsi bien que la charge des risques n'est pas supprimée ni modifiée si la perte est due à un événement qui présente les caractères de la force majeure, la cour d'appel a violé l'article 1788 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé qu'il n'était pas établi, au vu d'un constat d'huissier de justice, que la chose eût péri, qu'en effet aucune expertise n'avait été réalisée par les assureurs aux fins d'évaluer les dommages subis, que la piscine avait été nettoyée après la tempête et qu'aucun élément ne permettait de dire que la reprise des travaux ne pouvait être envisagée, après, le cas échéant, remise en état, la cour d'appel en a exactement déduit, sans se contredire et abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant, qu'à défaut d'établir la perte de l'ouvrage, l'article 1788 du code civil n'avait pas vocation à s'appliquer ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Espace loisir aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize septembre deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Espace loisir

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la société ESPACE LOISIR de ses demandes principales présentées à l'encontre des sociétés ALLIANZ, ANDRE NOREE et CPE et d'avoir mis hors de cause la société AVIVA ;

AUX MOTIFS QUE «Sur la demande relative à la piscine il ressort d'un constat d'huissier en date du 20 juillet 2011 que le fond et les parois de la piscine sont terminés ainsi que l'espace balnéothérapie, que le reste est à l'état de chantier et que les tuyaux ne sont pas raccordés. Aux termes de l'article 1788 du code civil, « si dans le cas où l'ouvrier fournit la matière, la chose vient à périr, de quelque manière que ce soit, avait d'être livrée, la perte en est pour l'ouvrier, à moins que le maître ne fût en demeure de recevoir la chose ». Il n'est pas contesté que l'ouvrage n'était pas en état d'être réceptionné. Toutefois, il n'est pas établi, au vu du constat d'huissier que la chose a péri. En effet, aucune expertise n'a été réalisée par les assureurs aux fins d'évaluer les dommages subis, pouvant affecter tant les travaux de gros oeuvre réalisés par la SAS NOREE que ceux effectués par la société CPE. La piscine a d'ailleurs été nettoyée après la tempête et aucun élément ne permet de dire que la reprise des travaux ne pouvait être envisagée, avec au besoin d'éventuelles remises en état préalables. A défaut d'établir que l'ouvrage a péri, l'article 1788 précité n'a donc pas vocation à s'appliquer. Au surplus, la société ESPACE LOISIR est mal fondée à solliciter le remboursement de la totalité des sommes versées au titre des travaux sans démontrer qu'elles correspondent au montant des dommages. Il est constaté que suite à la survenance de la tempête Xynthia, le camping a fait l'objet d'un arrêté d'interdiction d'exploitation, seule cause de l'arrêt des travaux, et que par conséquent, les entreprises Norée et CPE n'ont pas à supporter les conséquences de cette interdiction d'exploiter, qui revêt les caractéristiques de la force majeure. La SARL Espace Loisir doit donc être déboutée de ses demandes à l'encontre de la SAS André Norée et de la SARL CPE, le jugement étant infirmé en ce qu'il a condamné ces sociétés à rembourser la société Espace Loisir les versements effectués en vertu des marchés de travaux.

Sur la garantie de la SA AVIVA la SAS NOREE étant mis hors de cause, son assureur doit l'être également » (Arrêt pages 6 et 7);

ALORS D'UNE PART QUE la perte en est pour l'ouvrier, si avant d'être livrée, la chose vient à périr de quelque manière que ce soit ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a débouté la société ESPACE LOISIR de ses demandes formées contre les constructeurs aux motifs qu' « il est constaté que suite à la survenance de la tempête XYNTHIA, le camping a fait l'objet d'un arrêté d'interdiction d'exploitation seule cause de l'arrêt des travaux » et que « les entreprises NOREE et CPE n'ont pas à supporter les conséquences de cette interdiction d'exploiter » (arrêt page 7) ; qu'il n'est pas sérieusement contestable que la chose a péri à la suite de la tempête et de l'arrêté d'interdiction d'exploiter ; qu'en décidant que les entreprises ANDRE NOREE et CPE n'ont pas à supporter les conséquences de cette perte bien que l'article 1788 du Code civil met la perte à la charge de l'ouvrier dès lors que la chose vient à périr de quelque manière que ce soit, la Cour d'appel a violé l'article 1788 du Code civil ;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE si, dans le cas où l'ouvrier fournit la matière, la chose vient à périr, de quelque manière que ce soit, avant d'être livrée, la perte en est pour l'ouvrier, à moins que le maître ne fût en demeure de recevoir la chose ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a décidé qu' « il n'est pas contesté que l'ouvrage n'était pas en l'état d'être réceptionné » et que « les risques pesaient sur les entrepreneurs » (arrêt page 7) ; que la Cour d'appel a néanmoins débouté la société ESPACE LOISIR de sa demande tendant à la condamnation des sociétés ANDRE NOREE et CPE sur le fondement de l'article 1788 du Code civil en disant qu' « il n'est pas établi, au vu du constat d'huissier, que la chose a péri » dès lors que « la piscine a été nettoyée après la tempête et aucun élément ne permet de dire que la reprise des travaux ne pouvait être envisagée, avec au besoin d'éventuelles remises en état préalables » (Arrêt page 7, § 2) ; que la Cour d'appel a néanmoins également constaté que la reprise des travaux ne pouvait être envisagée, dès lors que « suite à la tempête XYNTHIA, le camping a fait l'objet d'un arrêté d'interdiction d'exploitation, seule cause de l'arrêt des travaux » (Arrêt page 7, § 3) ; qu'en rejetant ainsi la demande de la société ESPACE LOISIR au motif que la chose n'a pas péri dès lors qu'il n'est pas établi que la reprise des travaux ne pouvait être envisagée, pour décider quelques lignes plus loin que la reprise des travaux était impossible dans la mesure où, à la suite de la tempête, le camping a fait l'objet d'un arrêté d'interdiction d'exploitation, la Cour d'appel a statué par une contradiction de motifs en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;

ALORS ENFIN QUE l'article 1788 du code civil met la perte de la chose à la charge de l'entrepreneur qui fournit la matière ; que la charge des risques n'est pas supprimée ni modifiée si la perte est due à un événement qui présente les caractères de la force majeure ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a constaté qu' « il n'est pas contesté que l'ouvrage n'était pas en l'état d'être réceptionné » (Arrêt page 7, §§ 1 et 2) ; que pour néanmoins dire que les termes de l'article 1788 du Code civil n'avaient pas vocation à s'appliquer aux faits de l'espèce et que les ouvriers n'avaient pas à assumer les risques qui pesaient sur eux aux termes de ce texte, la Cour d'appel a dit que l'interdiction d'exploiter, seule cause de l'arrêt des travaux, « revêt les caractéristiques de la force majeure » (arrêt page 7, § 3) ; qu'en statuant ainsi bien que la charge des risques n'est pas supprimée ni modifiée si la perte est due à un événement qui présente les caractères de la force majeure, la Cour d'appel a violé l'article 1788 du Code civil.

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