14 novembre 2013
Cour de cassation
Pourvoi n° 12-26.930

Deuxième chambre civile

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2013:C201712

Titres et sommaires

PROCEDURE CIVILE - ordonnance sur requête - ordonnance faisant droit à la requête - copie - delivrance à la personne à laquelle est opposée l'ordonnance - nécessité - portée - exécution - condition

En application des articles 16 et 495, alinéa 3, du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête autorisant un huissier à diligenter une mesure d'investigation sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile doit être laissée en copie à ceux à qui elle est opposée. Dès lors, une société dans les locaux de laquelle la mesure d'investigation doit être exécutée, et à qui l'ordonnance a été notifiée, ne peut se prévaloir d'un défaut de notification à l'égard d'autres personnes

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'alléguant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme qu'elle imputait aux sociétés Atout services (ATS) et ATS Nord, sociétés du groupe ATS, exerçant comme elle une activité de transport et d'affrètement d'urgence, ainsi qu'à d'anciens salariés dont MM. X... et Y..., récemment embauchés au sein de ce groupe, la société Taxicolis a obtenu, le 25 novembre 2010, du président d'un tribunal de commerce, statuant sur requête, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la désignation d'un huissier de justice et d'un expert pour rechercher dans les locaux de la société ATS Nord tous documents de nature à établir, au cours des trois années écoulées, l'existence de relations contractuelles avec six clients nommément désignés ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 145, 232 à 284-1 du code de procédure civile ;

Attendu que pour rétracter l'ordonnance sur requête, prononcer la nullité de la procédure poursuivie en exécution de cette ordonnance et notamment le pré-rapport du 9 décembre 2010 et ordonner la remise à la société ATS Nord des différents documents, supports, matériels informatiques remis, copiés, reproduits ou produits à l'occasion de l'exécution de l'ordonnance sur requête rétractée, l'arrêt retient que la société Taxicolis ne se contente pas de demander des mesures clairement identifiées et déterminées ; qu'indépendamment de celles-ci qui visent cinq clients, elle a aussi sollicité et obtenu que l'huissier soit habilité à se rendre « en tout autre lieu où serait assurée la gestion administrative et/ou l'exploitation de la société ATS Nord, y compris hors de sa compétence territoriale », à « se faire communiquer tout document de nature à établir le cas échéant à l'origine de cette relation (devis, acompte, échange de mails, fax, courriers, contrats etc¿), entre la société ATS et chacun des clients listés » à « avoir accès à l'ensemble des serveurs et postes informatiques se trouvant sur place », à « avoir accès à tous supports externes et internes de données informatiques ou documents susceptibles de contenir lesdits fichiers, listing ou courriels, aux fins de rechercher les éléments nécessaires au bon accomplissement de sa mission », à « prendre des photographies et/ou des copies sur support papier et/ou informatique des éléments identifiés », à « effectuer des copies complètes des disques magnétiques et autres supports de données associés aux dits moyens, après avoir restauré si possible les données qui auraient été déplacées ou effacées pour s'assurer de l'exhaustivité des éléments copiés pour les besoins de la présente mesure », et « en cas de nécessité, à procéder ou à faire procéder, postérieurement à l'appréhension des éléments, s'il s'avérait que le tri ne puisse être effectué sur place » ; que l'autorisation donnée à l'huissier de justice d'exécuter cette mission générale excéde manifestement les limites et prévisions de l'article 145 du code de procédure civile ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte des productions que la mission d'investigation donnée à l'huissier était circonscrite aux faits de concurrence déloyale dénoncés par la société Taxicolis dont pouvait dépendre la solution du litige, qu'elle était limitée géographiquement aux seuls locaux de la société ATS Nord, qu'elle était également limitée aux seules relations contractuelles de cette société avec un nombre limité de clients sur une durée déterminée, de sorte que, ne portant atteinte à aucune liberté fondamentale, elle constituait un mode de preuve légalement admissible, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches :

Vu les articles 16, 145, 495, alinéa 3, et 503 du code de procédure civile ;

Attendu que pour rétracter l'ordonnance sur requête, prononcer la nullité de la procédure poursuivie en exécution de cette ordonnance et notamment le pré-rapport du 9 décembre 2010 et ordonner la remise à la société ATS Nord des différents documents, supports, matériels informatiques remis, copiés, reproduits ou produits à l'occasion de l'exécution de l'ordonnance sur requête rétractée, l'arrêt retient que ladite ordonnance n'a été signifiée qu'à la société ATS Nord, alors que la mission confiée à l'huissier de justice concerne plus largement la société ATS, MM. Y... et X..., salariés de cette dernière, ce qui constitue une atteinte aux droits de la défense ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la société ATS Nord, à qui la notification avait été faite, ne pouvait se prévaloir d'un défaut de notification à l'égard d'autres personnes, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité et la fin de non-recevoir élevées par la société ATS Nord, déclaré irrecevable la demande de communication de pièces formulée par la société Taxicolis, et rejeté la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société ATS Nord, l'arrêt rendu le 13 septembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sauf sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;

Condamne la société ATS Nord aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Taxicolis la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Taxicolis

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rétracté l'ordonnance sur requête du 25 novembre 2010, prononcé la nullité de la procédure subséquente poursuivie en exécution de l'ordonnance rétractée et notamment le pré-rapport du 9 décembre 2010 et d'avoir ordonné la remise à la société ATS Nord des différents documents, supports, matériels informatiques remis, copie reproduits ou produits à l'occasion de l'exécution de l'ordonnance sur requête rétractée ;

Aux motifs que si toute personne peut par application de l'article 145 du Code de procédure civile, solliciter des mesures d'instruction dès lors qu'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès, la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, encore faut-il qu'elles soient légalement admissibles ; que le secret des affaires ne constitue pas en soi un obstacle à toute constatation judiciaire, mais il n'autorise d'autres mesures que celles strictement nécessaires à l'établissement de faits précis dont la preuve est recherchée ; qu'or la société Taxicolis ne se contente pas de demander des mesures clairement identifiées et déterminées ; qu'en effet, indépendamment de celles-ci qui visent cinq clients, elle a aussi sollicité et obtenu que l'huissier soit habilité à se rendre « en tout autre lieu où serait assurée la gestion administrative et/ou l'exploitation de ladite société (ATS Nord), y compris hors de sa compétence territoriale », à « se faire communiquer tout document de nature à établir le cas échéant à l'origine de cette relation (devis, acompte, échange de mails, fax, courriers, contrats etc¿), entre la société ATS et chacun des clients listés » à « avoir accès à l'ensemble des serveurs et postes informatiques se trouvant sur place », à « avoir accès à tous supports externes et internes de données informatiques ou documents susceptibles de contenir lesdits fichiers, listing ou courriels, aux fins de rechercher les éléments nécessaires au bon accomplissement de sa mission », à « prendre des photographies et/ou des copies sur support papier et/ou informatique des éléments identifiés », à « effectuer des copies complètes des disques magnétiques et autres supports de données associés aux dits moyens, après avoir restauré si possible les données qui auraient été déplacées ou effacées pour s'assurer de l'exhaustivité des éléments copiés pour les besoins de la présente mesure », et « en cas de nécessité, à procéder ou à faire procéder, postérieurement à l'appréhension des éléments, s'il s'avérait que le tri ne puisse être effectué sur place » ; qu'en outre ladite ordonnance n'a été signifiée qu'à la société ATS Nord, alors que la mission confiée à l'huissier de justice concerne plus largement la société ATS, MM. Y... et X..., salariés de cette dernière, ce qui constitue une atteinte aux droits de la défense ; que fort de cette ordonnance, et investi de ses différentes missions, l'huissier de justice est intervenu au sein de la société ATS Nord le 9 décembre 2010, ses opérations ayant donné lieu à la saisie de documents et à l'établissement d'un pré procès-verbal de constat le même jour ; que l'huissier de justice a ainsi été chargé non d'une simple mission de constat strictement déterminée, mais d'une mission générale d'investigation et d'un pouvoir d'enquête qui, non seulement excèdent manifestement les prévisions et limites de l'article 145 du Code de procédure civile, mais sont constitutifs d'une immixtion au sein de la société ATS Nord susceptible de gêner son fonctionnement ; que dans ces conditions, le non-respect des droits de la défense de la société ATS, ainsi que l'autorisation donnée à l'huissier de justice d'exécuter une mission générale excédant manifestement les limites et prévisions de l'article 145 du Code de procédure civile justifient d'infirmer l'ordonnance entreprise, de rétracter l'ordonnance du 25 novembre 2010 critiquée, d'annuler la procédure subséquente poursuivie en exécution de l'ordonnance rétractée et notamment le pré rapport du 9 décembre 2010, les différents documents saisis et notamment les documents, photographies, supports, matériels informatiques, copiés, reproduits ou produits à l'occasion de l'exécution de l'ordonnance sur requête devant être remis à la société ATS Nord ;

Alors d'une part, que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ; que constitue une mesure d'instruction légalement admissible au sens de l'article 145 du Code de procédure civile, la mission d'investigation donnée à l'huissier de justice, dès lors que cette mission ne porte atteinte à aucune liberté fondamentale, qu'elle est strictement limitée à une intervention au siège social ou dans le lieu de gestion administrative et/ou d'exploitation de la société ATS Nord, dans la continuité des opérations menées au siège social et à la recherche d'informations précises concernant la relation entre cette société et des clients expressément énumérés par le juge (à savoir Renault, Safran, Valéo, Mecaplast, Continental et Total), en vue d'établir l'existence de faits de concurrence déloyale ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé les articles 232 à 284-1 et 145 du Code de procédure civile ;

Alors d'autre part, que les conditions d'exécution de la mesure d'instruction ne relèvent pas du contentieux de la rétractation de cette mesure mais de celui de son exécution; qu'en se fondant pour ordonner la rétractation de l'ordonnance du 25 novembre 2010, sur l'absence de signification de ladite ordonnance à la société mère ATS et à MM. Y... et X... et sur une prétendue violation des droits de la défense de ces derniers qui plus est non partie à l'instance, la Cour d'appel a encore violé l'article 145 du Code de procédure civile ;

Alors enfin, que l'ordonnance sur requête est exécutoire au seul vu de la minute ; que la copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée ; que cette présentation vaut notification ; qu'en l'espèce, l'exécution de l'ordonnance sur requête contre la seule société ATS Nord à laquelle elle était ainsi opposée n'était pas subordonnée à sa signification préalable à la société mère ATS, ou encore aux salariés de la société ATS Nord ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé les articles 495 alinéa 3, 503 et 16 du Code de procédure civile.

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