25 septembre 2013
Cour de cassation
Pourvoi n° 12-22.079

Troisième chambre civile

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2013:C301027

Titres et sommaires

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE - indemnité - fixation - procédure - péremption de l'instance - renvoi après cassation - dispositions applicables - règles spécifiques en matière d'expropriation (non) - procedure civile - instance - péremption - règles spécifiques en matière d'expropriation (non) cassation - juridiction de renvoi - délais de dépôt des écritures - règles spécifiques en matière d'expropriation - portée

Une cour d'appel de renvoi ne peut écarter une demande tendant à voir constater la péremption d'instance résultant de l'article 386 du code de procédure civile au seul motif que les parties ont régularisé leurs premiers mémoires dans les délais prescrits par l'article R. 13-49 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, qu'après elles ne sont plus tenues à aucune diligence de nature à faire progresser l'instance et que la direction de la procédure ne leur appartient pas, alors que les dispositions de l'article R. 13-49 ne sont pas applicables devant la cour d'appel statuant sur renvoi après cassation

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :





Sur le premier moyen :


Vu l'article 386 du code de procédure civile ;


Attendu que l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ;


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 1er mars 2012), rendu sur renvoi après cassation (Civ 3e 13 janvier 2009, n° 0721755), que par un jugement du 16 mai 2006, la juridiction de l'expropriation du département de la Haute-Corse a fixé les indemnités devant revenir à Mmes Rose-Marie et Marie-José X..., par suite de l'expropriation, au profit de la Collectivité territoriale de Corse, de deux parcelles leur appartenant ;


Attendu que pour fixer à une certaine somme ces indemnités, l'arrêt retient que s'il ressort de l'article 386 du code de procédure civile que l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans, en l'espèce les parties ont régularisé leurs premiers mémoires dans les délais prescrits par l'article R. 13-49 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, de sorte qu'après elles ne sont plus tenues à aucune diligence de nature à faire progresser l'instance et que la direction de la procédure ne leur appartient pas ;


Qu'en statuant ainsi, alors que devant la cour d'appel de renvoi les dispositions de l'article R. 13-49 du code de l'expropriation ne sont pas applicables, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deux autres moyens :


CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er mars 2012, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes (chambre des expropriations) ;


Condamne la Collectivité territoriale de Corse aux dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la Collectivité territoriale de Corse à payer à Mme Marie-Rose X... et à Mme Marie-José X... la somme globale de 1 500 euros ; rejette la demande de la Collectivité territoriale de Corse ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq septembre deux mille treize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt


Moyens produits par Me Spinosi, avocat aux Conseils, pour Mme Marie-Rose X... et Mme Marie-Josée X....


PREMIER MOYEN DE CASSATION


Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mmes X... de leur demande tendant à la péremption d'instance ;


Aux motifs que « Mesdemoiselles X... soutiennent qu'aucun acte de procédure n'a été accompli depuis le mois de novembre 2009, soit depuis plus de deux ans.


Mais s'il ressort de l'article 386 du code de procédure civile que l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans, en l'espèce, les parties ont régularisé leurs premiers mémoires dans les délais prescrits par l'article R 13-49 du code de l'expropriation, de sorte qu'après elles ne sont plus tenues à aucune diligence de nature à faire progresser l'instance et que la direction de la procédure ne leur appartient pas ;


En conséquence, les intimées seront déboutées de leur demande tendant à voir déclarer la péremption de l'instance » ;


Alors que l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ; que ce principe doit nécessairement recevoir application dans la procédure en fixation des indemnités d'expropriation pour cause d'utilité publique, sauf à exposer la partie expropriée aux risques d'une procédure d'indemnisation excessivement longue dont la maîtrise lui échapperait, portant ainsi une atteinte disproportionnée à ses droits à un procès équitable et de propriété ; qu'en l'espèce, en ayant affirmé que, dès lors que les parties à l'instance en indemnisation avaient régularisé leurs premiers mémoires dans les délais prescrits, elles n'étaient plus tenues à aucune diligence de nature à faire progresser l'instance et que la direction de la procédure ne leur appartenait pas, de sorte que cette instance ne pouvait être périmée pour défaut de diligence pendant deux ans, la Cour d'appel a donc violé l'article 386 du Code de Procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales et l'article 1er de son Protocole additionnel n° 1.


DEUXIEME MOYEN DE CASSATION


Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevables le mémoire et les pièces déposés par la Collectivité Territoriale de Corse le 10 janvier 2012 ;


Aux motifs que « Mesdemoiselles X... concluent à l'irrecevabilité du mémoire déposé par l'autorité expropriante le 10 janvier 2012, sur le fondement de l'article R 13-49 du code de l'expropriation.


Aux termes de l'article R 13-49 du code de l'expropriation, l'appelant doit, à peine de déchéance, déposer ou adresser son mémoire et les documents qu'il entend produire au greffe de la chambre dans un délai de deux mois à compter de l'appel.


Mais il sera relevé :


- que l'article R 13-49 du code de l'expropriation ne contient aucune disposition relative à la procédure devant la cour de renvoi quant à l'envoi des mémoires ;


- que le mémoire déposé par l'appelante le 10 janvier 2012 ne contient ni demande nouvelle, ni moyens nouveaux et constitue une réponse aux moyens invoqués par la personne expropriée,


- que les parties expropriées ont disposé d'un délai suffisant pour prendre connaissance de ce mémoire et y répliquer.


En conséquence, le mémoire et les pièces déposés le 10 janvier 2012 seront déclarés recevables » ;


Alors que le juge ne saurait s'abstenir de motiver le chef de décision par lequel il rejette une demande ; qu'en l'espèce, en ayant débouté Mmes X... de leur demande tendant à ce que soit déclaré irrecevables tant le mémoire que les pièces déposés le 10 janvier 2012 en n'énonçant que les seuls motifs pour lesquels, selon elle, le mémoire serait recevable et sans énoncer ceux pour lesquels les pièces déposées le seraient elles aussi, la Cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du Code de Procédure civile.


TROISIEME MOYEN DE CASSATION


Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir limité à la somme de 106. 248, 00 ¿ l'indemnité due à Mmes X... au titre de l'expropriation de la parcelle BM 262 ;


Aux motifs que « en application de l'article L 13-15 du code de l'expropriation, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, en considération de l'usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l'ouverture de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique.


En l'espèce, l'enquête d'utilité publique a été ouverte le 21 août 2003.


Un an avant l'ouverture de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique, soit un an avant le 21 août 2003, c'est-à-dire le 21 août 2002, la parcelle BM 262 était située en zone ND du plan d'occupation des sols de la commune de BASTIA.


La zone ND est une zone naturelle à protéger, dans laquelle ne sont admis que des équipements publics d'infrastructures et les travaux d'aménagement de constructions existantes, sans changement de destination à condition de ne pas augmenter de plus de 30 % la SHOB initiale.


La décision de première instance a été rendue le 16 mai 2006.


Pour évaluer l'indemnisation, il convient de retenir à titre de termes de comparaison des biens analogues, de taille comparable, proches du bien à estimer, et selon des évaluations effectuées à une date proche de la décision de première instance.


La Collectivité Territoriale de Corse propose une indemnisation sur la base de 7, 62 ¿. Elle s'appuie sur sept éléments de comparaison situés en zone ND sur la Commune de BASTIA : d'une part, quatre ventes intervenues entre le 30 juillet 2004 et le 1er décembre 2005, avec des prix s'échelonnant entre 0, 29 ¿ le m ² et 16, 84 ¿ le m ², d'autre part deux jugements du tribunal de BASTIA, l'un du 17 septembre 2001, sur la base de valeurs variant entre 1, 52 ¿ le m ² et 3, 05 ¿ le m ², l'autre du 16 mai 2006 sur la base de 7, 62 ¿ le m ².


Les personnes expropriées évoquent la situation privilégiée de la parcelle de terre litigieuse : son caractère plat, sa grande superficie, le fait qu'elle soit bordée à l'ouest par le chemin communal d'Agliani, voie carrossable où passent également les réseaux d'eau, d'électricité et de téléphone et le fait qu'elle soit également entourée de constructions de type individuel à l'ouest et de type collectif à l'est et au nord.


Elles font valoir qu'une partie seulement de la parcelle BM 262 se situe en zone ND, le surplus se situant en zone UE.


Les personnes expropriées soulignent que curieusement, le changement de classement de la parcelle de zone Na en zone ND est intervenu entre le 5 novembre 2001 et le 5 décembre 2001, qu'il pourrait même constituer une manoeuvre dolosive et qu'il est en fait destiné à réaliser une opération de moindre coût.


Elles ajoutent que la Collectivité Territoriale de Corse procède de manière discriminatoire à l'égard de certains expropriés, dont elles-mêmes.


Mesdames X... évoquent deux termes de comparaison : deux jugements rendus par la juridiction de BASTIA, l'un en date du 16 mai 2006, dans l'affaire Y... (38 ¿ le m ²) pour des parcelles situées en zone NC, l'autre, en date du 22 avril 2009, dans la procédure visant la réalisation du nouveau cimetière, pour des parcelles situées en zone ND mais en région montagneuse (20 ¿ le m ²).


Elles se réfèrent enfin à la publication, dans le quotidien Corse Matin du 8 juillet 2005, d'une annonce pour la vente d'un terrain à AGLIANI, proche des lieux expropriés, au prix de 130 ¿ le m ².


Après avoir rappelé que les termes de comparaison sur la Commune de BASTIA sont rares, le Commissaire du Gouvernement en évoque trois, tous situés en zone ND, portant sur des ventes intervenues entre le 30 juillet 2004 et le 27 juillet 2005, à des prix situés entre 1, 54 ¿ le m ² et 61 ¿ le m ².


Le Commissaire du Gouvernement propose enfin des termes de comparaison situés sur la commune de FURIANI : d'une part, quatre termes de comparaison portant sur des parcelles situées en zone ND, vendues entre le 29 novembre 2002 et le 10 novembre 2004, à des prix variant entre 0, 794 ¿ le m ² et 5, 09 ¿ le m ², d'autre part, quatre autres termes de comparaison, portant sur des « terrains de meilleure configuration (terrain à bâtir) », et des ventes intervenues entre le 8 janvier 2004 et le 14 décembre 2004, à des prix s'échelonnant entre 6, 29 ¿ le m ² et 69 ¿ le m ².


Le Commissaire du Gouvernement se réfère enfin à deux jugements rendus par la juridiction de l'expropriation de Bastia, relatifs à des parcelles situées en zone ND, limitrophes de la ZAC du Fango, pour des valeurs de 1, 52 ¿ le m ² et 3, 05 ¿ le m ².


Le premier juge a retenu une valeur de 20 ¿/ m ², aux motifs que la parcelle BM 262 est limitrophe des zones urbanisées UE de Corbaja et Uba de Montesoro.


Cela étant,


Il a été rappelé ci-dessus qu'à la date de référence, soit le 21 août 2002, la parcelle expropriée était bien classée en zone Nd du plan d'occupation des sols de la commune de BASTIA.


Les développements consacrés par les personnes expropriées sur le changement de classement de la parcelle de zone Na en zone ND, intervenu entre le 5 novembre 2001 et le 5 décembre 2001, qui pourrait même constituer une manoeuvre dolosive et qui est en fait destiné à réaliser une opération de moindre coût, sont de peu d'intérêt sachant d'une part qu'il n'en est tiré aucune conséquence juridique, la Collectivité Territoriale de Corse n'étant pas l'auteur du P. O. S., d'autre part que l'utilité publique de l'opération n'a pas été contestée.


La Collectivité Territoriale de Corse propose une indemnisation sur la base de 7, 62 ¿. Elle s'appuie sur sept éléments de comparaison situés en zone ND sur la Commune de BASTIA : d'une part, quatre ventes intervenues entre le 30 juillet 2004 et le 1er décembre 2005, avec des prix s'échelonnant entre 0, 29 ¿ le m ² et 16, 84 ¿ le m ², d'autre part deux jugements du tribunal de BASTIA, sur la base de valeurs variant entre 1, 52 ¿ le m ² et 3, 05 ¿ le m ².


La moyenne de ces termes de comparaison s'établit à la somme de 4, 84 ¿ le m ².


Le premier terme de comparaison proposé par Mesdames X... (jugement de la juridiction de l'expropriation du 16 mai 2006 ¿ propriété Y...)
est relatif à des parcelles classées en zone NC et non ND et il ne constitue donc pas un élément de comparaison pertinent. Pour le second terme de comparaison, la CTC fait, à juste titre, remarquer que la preuve n'est pas rapportée du caractère définitif du deuxième jugement invoqué en date du 22 avril 2009. Enfin, l'annonce publiée dans le quotidien Corse-Matin fait état d'une offre de vente mais il ne s'agit pas d'une mutation d'ores et déjà effectuée, de sorte qu'elle ne peut être retenue comme élément de comparaison.


Les termes de comparaison proposés par le Commissaire du Gouvernement pour des terrains à bâtir, de meilleure configuration que les parcelles situées en zone ND ne sont pas pertinents et ne seront pas retenus car ils ne portent pas sur des biens analogues.


En revanche, les termes de comparaison proposés par le Commissaire du Gouvernement pour des parcelles de terres situées en zone ND sur la Commune de BASTIA sont pertinents en ce qu'ils se rapportent à des ventes intervenues à des dates proches du jugement de première instance et portant sur des biens analogues tant dans leur classement au regard de l'urbanisme, que dans leur proximité géographique des parcelles en cause.


La moyenne des termes de comparaison situés sur la Commune de BASTIA proposés par le Commissaire du Gouvernement s'établit à la somme de 7, 70 ¿ le m ², sachant que les deux ventes les plus proches de la date du jugement de première instance (8 septembre 2004 et 2 mars 2005) ont été réalisées au prix de 16, 84 ¿ le m ².


La parcelle expropriée est proche, notamment dans sa partie ouest, des zones urbanisées, sachant qu'une petite partie de cette parcelle est classée en zone UE. Il convient donc de fixer à 13 ¿ le prix au m ², de chiffrer à la somme de 95. 680 ¿ (7. 360 m ² x 13 ¿) le montant de l'indemnité principale et d'infirmer ainsi le jugement entrepris » ;


Alors que le principe de l'unicité du terrain s'oppose à ce qu'un ensemble d'un seul tenant soit qualifié, pour partie, de terrain à bâtir et, pour partie, de terrain agricole, l'ensemble du tenant devant, dans une telle hypothèse, recevoir la qualification de terrain à bâtir ; qu'en l'espèce, en ayant affirmé qu'à la date de référence, la parcelle expropriée était classée en zone ND, c'est-à-dire en « zone naturelle à protéger, dans laquelle ne sont admis que des équipements publics d'infrastructure et les travaux d'aménagement de constructions existantes, sans changement de destination à condition de ne pas augmenter de plus de 30 % la SHOB initiale », et en l'ayant, en conséquence, évaluée comme un terrain non constructible tandis que, dans le même temps, elle constatait expressément qu'une partie de cette même parcelle était classée en zone UE, c'est-à dire en « zone urbanisée », la Cour d'appel n'a pas tiré les conclusions qui s'évinçaient de ses propres constatations, a méconnu le principe de l'unicité du terrain et a violé, de ce fait, l'article L. 13-15 du Code de l'Expropriation.

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