5 juillet 2012
Cour de cassation
Pourvoi n° 11-19.250

Première chambre civile

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2012:C100960

Titres et sommaires

ETRANGER - entrée ou séjour irrégulier - placement en garde à vue - régularité - conditions - détermination - portée - mesures d'éloignement - rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire - prolongation de la rétention - portée union europeenne - visas, asile, immigration - directives - directive 2008/115/ce - retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier - détermination union europeenne - rétention - prolongation

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêts du 28 avril 2011, El Dridi, C-61/PPU, et du 6 décembre 2011, Achughbabian, C-329/11) et des articles 63 et 67 du code de procédure pénale, applicables à la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 sur la garde à vue (arrêt n° 1, pourvoi n° 11-30.371 et arrêt n° 2, pourvoi n° 11-19.250) ou de l'article 62-2 du même code, applicable à la période postérieure (arrêt n° 3, pourvoi n° 11-30.530), que le ressortissant d'un pays tiers, en séjour irrégulier en France, n'encourant pas la peine d'emprisonnement prévue par l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile français (CESEDA), lorsque celui-ci, non disposé à quitter le territoire national volontairement, soit n'a pas été préalablement soumis à l'une des mesures coercitives prévues à l'article 8 de la Directive 2008/115/CE, soit, a déjà fait l'objet d'un placement en rétention, mais n'a pas vu expirer la durée maximale de cette mesure, ne peut être placé en garde à vue à l'occasion d'une procédure de flagrant délit diligentée de ce seul chef. Dès lors, encourt la cassation, pour défaut de base légale, au visa des articles 8 et 15 de la Directive précitée, ensemble les articles 63 et 67 du code de procédure pénale, applicables à la période litigieuse, une ordonnance du premier président d'une cour d'appel ayant prolongé une mesure de rétention concernant un ressortissant d'un pays tiers, sans rechercher, au vu des pièces de la procédure suivie devant lui, si cet étranger avait été préalablement soumis à une mesure coercitive au sens de l'article 8 susvisé et, dans l'hypothèse où ce dernier aurait déjà fait l'objet d'un placement en rétention, si la durée de celle-ci avait été maximale (arrêt n° 1, pourvoi n° 11-30.371). En revanche, c'est à bon droit que des premiers présidents de cours d'appel ont retenu que le placement en garde à vue de ressortissants de pays tiers, pour la seule infraction de séjour irrégulier, était irrégulier, dès lors qu'il ne résulte pas des pièces de procédure que ces étrangers aient été préalablement soumis à une mesure coercitive au sens de l'article 8 de la Directive précitée (arrêt n° 2, pourvoi 11-19.250 et arrêt n° 3, pourvoi n° 11-30.530)

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :





Sur le moyen unique, après avis de la chambre criminelle :


Vu les articles 8 et 15 de la directive n° 2008/115/CE du Parlement et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ensemble les articles 63 et 67 du code de procédure pénale, applicables à la date des faits ;


Attendu qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêts du 28 avril 2011, El Dridi, C-61/PPU, et du 6 décembre 2011, Achughbabian, C-329/11) que la directive 2008/115/CE s'oppose à une réglementation nationale réprimant le séjour irrégulier d'une peine d'emprisonnement, en ce que cette réglementation est susceptible de conduire, pour ce seul motif, à l'emprisonnement d'un ressortissant d'un pays tiers, lorsque ce dernier, non disposé à quitter le territoire national volontairement, soit n'a pas été préalablement soumis à l'une des mesures coercitives prévues à l'article 8 de cette directive, soit, a déjà fait l'objet d'un placement en rétention, mais n'a pas vu expirer la durée maximale de cette mesure ; qu'en outre, en cas de flagrant délit, le placement en garde à vue n'est possible, en vertu des articles 63 et 67 du code de procédure pénale, qu'à l'occasion d'enquêtes sur les délits punis d'emprisonnement ; qu'il s'ensuit que le ressortissant d'un pays tiers, en séjour irrégulier en France, qui n'encourt pas l'emprisonnement prévu par l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lorsqu'il se trouve dans l'une ou l'autre situation exposée par la jurisprudence européenne précitée, ne peut être placé en garde à vue à l'occasion d'une procédure de flagrant délit diligentée de ce seul chef ;


Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel, et les pièces de la procédure, que M. Chérif X..., de nationalité tunisienne, en situation irrégulière en France, à l'encontre duquel avait été pris et notifié, le 14 avril 2011, un arrêté de reconduite à la frontière, lui laissant un délai de sept jours pour quitter le territoire national, a, le 1er mai de la même année, été interpellé en état de flagrance, sous une autre identité, d'alias Achraf Y..., et placé en garde à vue, pour séjour irrégulier en France ; que, le lendemain, le préfet de Haute-Garonne a pris à son encontre une décision de placement en rétention administrative ; qu'un juge des libertés et de la détention a prolongé la mesure de rétention ;


Attendu que, pour confirmer cette décision, l'ordonnance attaquée retient que la directive n° 2008/115/CE n'exclut pas la compétence pénale des Etats membres dans le domaine de l'immigration clandestine ou du séjour irrégulier ;


Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, au vu des pièces de la procédure suivie devant lui, si l'intéressé avait été préalablement soumis à une mesure coercitive au sens de l'article 8 de la directive n° 2008/115/CE et, dans l'hypothèse où ce dernier aurait fait l'objet d'un placement en rétention, si la durée de celle-ci avait été maximale, le premier président a privé sa décision de base légale ;


Vu l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;


Et attendu que les délais légaux de rétention étant expirés, il ne reste plus rien à juger ;


PAR CES MOTIFS :


CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle a déclaré l'appel recevable, l'ordonnance rendue le 6 mai 2011, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Toulouse ;


DIT n'y avoir lieu à renvoi ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement cassée ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille douze.





MOYEN ANNEXE au présent arrêt


Moyen produit par Me Spinosi, avocat aux Conseils, pour M. Chérif X... alias Achraf Y...



Il est reproché à l'ordonnance confirmative attaquée d'avoir débouté Monsieur X... de sa demande tendant à l'annulation de la prolongation de la mesure de rétention administrative dont il a fait l'objet à la demande du Préfet de la Haute-Garonne ;


Aux motifs que « Sur le placement en garde à vue irrégulier au regard des objectifs de la directive 2008/115/CE dite directive retour


Cette disposition n'exclut pas la compétence pénale des Etats membres dans le domaine de l'immigration clandestine ou de séjour irrégulier.


Il appartient donc à ces Etats d'aménager leur législation de manière à assurer le respect du droit de l'Union alors que la prolongation de la privation de liberté de M. X... est suspendu à l'interprétation de la directive 2008/115 qui concerne le domaine du titre V de la IIIème partie du Traité de Fonctionnement de l'Union Européenne.


Compte tenu de cet élément, le moyen est rejeté.


M. X... n'a pas remis aux services de police un passeport en cours de validité. Il ne peut en conséquence être assigné à résidence.


Il convient donc de confirmer l'ordonnance du Juge des libertés » ;


Alors que la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, notamment ses articles 8, 15 et 16, telle qu'interprétée par la Cour de Justice de l'Union Européenne par un arrêt préjudiciel du 28 avril 2011, s'oppose à ce que qu'un Etat membre de l'Union édicte ou maintienne en vigueur une réglementation prévoyant l'infliction d'une peine d'emprisonnement à un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui-ci demeure, en violation d'un ordre de quitter le territoire de cet Etat dans un délai déterminé, sur ledit territoire sans motif justifié ; qu'en refusant de considérer que la mesure de rétention administrative dont Monsieur X... a fait l'objet était entachée d'irrégularité dès lors que la mesure de garde à vue qui l'a immédiatement précédée, décidée pour le seul motif que ce dernier était en situation de séjour irrégulier, était elle-même entachée d'irrégularité pour être fondée sur les dispositions de l'article L. 621-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquelles doivent être laissées inappliquées en ce qu'elles prévoient une peine d'emprisonnement pour séjour irrégulier, compte tenu de l'interprétation adoptée par la Cour de Justice de l'Union Européenne, la Cour d'appel a violé les dispositions combinées des articles 8, 15 et 16 de la directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008.

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