12 avril 2012
Cour de cassation
Pourvoi n° 11-14.123

Première chambre civile

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2012:C100462

Titres et sommaires

CHOSE JUGEE - identité de cause - obligation de concentration des moyens - domaine d'application - demandes successives tendant au même objet par un moyen nouveau - demande d'indemnisation soumise successivement à un tribunal arbitral et à une juridiction étatique - portée - arbitrage - procédure - instance - demandeur - portée procedure civile - fin de non - recevoir - définition - chose jugée - demande - objet - détermination - prétentions respectives des parties - moyens fondant les prétentions - enonciation - moment - portée action en justice - moyen de défense - applications diverses

Ayant relevé, d'une part, que prétendant ne pas avoir obtenu du tribunal arbitral, statuant en amiable compositeur sur l'indemnisation, l'intégralité des sommes réclamées à titre de dommages-intérêts, une société demandait devant les juridictions étatiques le complément de l'indemnisation qui ne lui avait pas été alloué et, d'autre part, que cette société avait, devant le tribunal arbitral, mis en cause la responsabilité d'une autre société pour avoir facilité ou organisé la rupture anticipée du contrat de franchise, ce qui correspondait aux faits de tierce complicité sur lesquels était fondée l'action dont elle était saisie, une cour d'appel en a exactement déduit une identité d'objet entre les demandes, dont la seule différence de fondement juridique, fût-elle avérée, est insuffisante à écarter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée à la sentence arbitrale en cause dès lors qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :





Donne acte à la société Carrefour proximité France de son désistement du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Darma ;


Sur le moyen unique :


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 16 décembre 2010), qu'à la suite de la rupture, le 30 septembre 2005, par les sociétés Prodim et CSF, des contrats de partenariat et d'approvisionnement conclus avec la société Codis Aquitaine (la société Codis), coopérative de commerçants détaillants dans le secteur alimentaire, Mme X..., qui en était adhérente, ayant, le 3 novembre 2005, résilié le contrat de franchise qu'elle avait conclu avec la société Prodim pour l'exploitation d'un fonds de commerce de produits alimentaires sous l'enseigne "8 à huit", cette société a engagé une série d'actions devant des juridictions étatiques et arbitrales ; que, par une première sentence, du 11 mai 2007, un tribunal arbitral a déclaré fautive la résiliation du contrat de franchise et, en conséquence, a condamné Mme X... à payer une certaine somme à la société Prodim à titre de dommages-intérêts ; qu'à la suite du prononcé de cette sentence, la société Prodim a assigné la société Codis devant un tribunal de commerce en paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour s'être rendue complice de la résiliation du contrat de franchise; que, par une autre sentence, du 30 novembre 2007, un autre tribunal arbitral a déclaré fautive la rupture du contrat de partenariat et, en conséquence, a rejeté la demande de la société Prodim en indemnisation du préjudice résultant de la prétendue commission par la société Codis de manoeuvres déloyales, non seulement, au cours de l'exécution de ce contrat, ce qui aurait justifié la rupture de celui-ci, mais aussi, postérieurement à cette rupture, et, a accueilli la demande reconventionnelle de la société Codis en paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts en raison de cette rupture fautive ;


Attendu que la société Carrefour proximité France (la société Carrefour), venant aux droits de la société Prodim, fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande de dommages-intérêts à l'encontre de la société Codis en raison de l'autorité de la chose jugée attachée à la sentence du 30 novembre 2007, alors, selon le moyen, que la sentence arbitrale rendue sur un fondement contractuel n'a pas l'autorité de la chose jugée dans une procédure contre la même partie engagée sur un fondement délictuel pour tierce complicité dans la violation d'un contrat distinct, faute d'identité d'objet et de cause ; qu'en retenant que la sentence arbitrale rendue entre les sociétés Prodim et Codis, relative aux engagements contractuels de cette dernière, avait l'autorité de la chose jugée dans la présente procédure, relative à la faute délictuelle commise par la société Codis en ce qu'elle avait aidé des franchisés de Prodim à violer leurs propres engagements contractuels, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil ;


Mais attendu qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; qu'ayant relevé, d'une part, que prétendant ne pas avoir obtenu du tribunal arbitral, statuant en amiable compositeur sur l'indemnisation, l'intégralité des sommes réclamées à titre de dommages-intérêts, la société Carrefour demandait devant les juridictions étatiques le complément de l'indemnisation qui ne lui avait pas été alloué et, d'autre part, que cette société avait, devant le tribunal arbitral, mis en cause la responsabilité de la société Codis pour avoir facilité ou organisé la rupture anticipée du contrat de franchise, ce qui correspondait aux faits de tierce complicité sur lesquels était fondée l'action dont elle était saisie, la cour d'appel en a exactement déduit une identité d'objet entre les demandes, dont la seule différence de fondement juridique, fût-elle avérée, est insuffisante à écarter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée à la sentence du 30 novembre 2007 ; que le moyen n'est pas fondé ;


PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi ;


Condamne la société Carrefour proximité France aux dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Carrefour proximité France et la condamne à payer à la société Codis Aquitaine la somme de 1 000 euros ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze avril deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt


Moyen produit par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils pour la société Carrefour proximité France


Il est reproché à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable la demande de la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE venants aux droits de la société PRODIM à l'encontre de la société CODIS AQUITAINE en dommages-intérêts en raison de l'autorité de la chose jugée attachée à la sentence arbitrale du 30 novembre 2007 ;


AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article 1476 du code de procédure civile, la sentence arbitrale a, dès qu'elle est rendue, l'autorité de la chose jugée relative à la contestation qu'elle tranche ; cet article, à la différence de l'article 480 du même code relatif aux jugements, ne prévoit pas que l'autorité de chose jugée attachée à la sentence arbitrale implique que la contestation ait été tranchée dans un dispositif, et l'article 1471 du même code, à la différence de l'article 455 du même code relatif aux jugements, n'exige pas que la sentence arbitrale énonce la décision sous forme de dispositif il en résulte que l'autorité de la chose jugée ne se concentre pas dans le dispositif de la sentence mais que partie du dispositif peut être disséminée dans les motifs (Civ 2e, 25 mars 1999 Bull 1999 Il n° 57). En matière arbitrale, il convient de retenir une conception large de l'autorité de la chose jugée. L'autorité de chose jugée s'attache avec toutes ses conséquences aux sentences arbitrales rendues par des arbitres ayant pouvoir déjuger, même amiables compositeurs, ce principe étant fixé depuis un arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de cassation du 31 mai 1902 (DP 1902,1, p 352). Aux ternies de l'article 1351 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. L'identité des parties est en l'espèce parfaite : le litige présenté devant les arbitres ayant rendu la sentence arbitrale du 30 novembre 2007 opposait la société PRODIM et la société CODIS AQUITAINE. Leurs qualités respectives dans les deux instances sont les mêmes, la société CODIS est attraite devant le tribunal arbitral comme devant la Cour, personnellement tant en sa qualité de cocontractant de la société PRODIM tant sur la résiliation du contrat de partenariat que du chef de son comportement ultérieur. La demande est la même : la société PRODIM soutient que n'ayant pas obtenu du tribunal arbitral qui a statué en amiable compositeur sur l'indemnisation, l'intégralité des sommes réclamées de ce chef, elle vient demander devant les juridictions étatiques le complément d'indemnisation qui ne lui a pas été alloué. Il en résulte que les deux juridictions sont saisies de la même demande. Le fait que le tribunal arbitral ait statué en amiable compositeur n'altère pas l'autorité de la chose jugée attachée à sa sentence, alors qu'il était saisi de l'intégralité des postes d'indemnisation réclamés par PRODIM. La cause est la même : la société PRODIM ne peut ignorer, pour être à l'origine de l'application du principe de la concentration des moyens à la matière arbitrale par la haute juridiction, qu'il incombe au demandeur de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur la même cause et qu'il ne peut invoquer dans une instance postérieure un fondement juridique qu'il s'était abstenu de soulever en temps utile. Or la société PRODIM demande réparation devant le tribunal arbitral de la responsabilité encourue par la société CODIS pour avoir facilité ou organisé la rupture anticipée des contrats de franchise, ce qui correspond aux faits de complicité sur lesquels est fondée l'action dont est saisie la Cour. Il convient en effet, d'une part, de préciser les demandes soumises au tribunal arbitral, et les points qu'il a tranchés. Le mémoire présenté au tribunal arbitral vise (la Cour souligne) : 5 - les éléments les plus récents du dossier démontrant la duplicité de la société CODIS AQUITAINE 5.1 les manoeuvres déloyales de la société CODIS AQUITAINE avec la complicité des franchisés et du Groupe CASINO 5.2 le départ programmé des franchisés et la vente des fonds. 8 - les demandes de la société PRODIM 8.2 le préjudice économique lié à la rupture abusive des contrats et au comportement déloyal de la société CODIS AQUITAINE. Ce point évoque le comportement "complice des franchisés et de la société CODIS AQUITAINE ayant abouti à "un préjudice en terme d'atteinte à son image et à la notoriété des enseignes", et demande la réparation d'un préjudice "moral résultant d'agissements déloyaux", de "trouble commercial". Cette demande est ainsi résumée en fin de mémoire 4 indemnisation du préjudice subi par la société PRODIM du fait de l'opération de captation du réseau dont elle a été victime soit : réseau PROXI 1.500.000,00 euros et réseau 8 à HUIT 750.000,00 euros Le dispositif de la sentence arbitrale du 30 novembre 2007 est ainsi rédigé : Déboute en conséquence, la société PRODIM de ses demandes de dommages-intérêts, de ses demandes fondées sur les articles l 1 et 14 dudit contrat de partenariat ainsi que de sa demande d'indemnisation en ce qu'elle est également fondée sur le comportement ultérieur de la société CODIS AQUITAINE. La motivation de la sentence est la suivante : - page 38 : en troisième lieu sera traitée la question de la responsabilité encourue par la société CODIS pour avoir facilité ou organisé la rupture anticipée des contrats de franchise. - pages 53 et 54 : la société PRODIM fonde également sa demande de réparation de préjudice sur le comportement de la société CODIS postérieur à la résiliation (sont mentionnées les ventes de fonds de commerce pour paralyser les effets des contrats de franchise et interdire le retour des magasins sous l'enseigne 8 à HUIT et faire obstacle à l'exécution des décisions de justice)... il n'en demeure pas moins que les demandes de la société PRODIM soumettent au tribunal arbitral la question des prétendues manoeuvres de la société CODIS prises en tant qu'élément complétant la démonstration de la mauvaise foi de la société CODIS et justifiant le montant des sommes demandées... En revanche en ce qui concerne la demande de la société PRODIM, le tribunal arbitral tirant les conséquences du caractère fautif de la résiliation anticipée à laquelle elle a procédé le 30 septembre 2005, retiendra qu'en agissant de la sorte, la société PRODIM a empêché le contrat de s'achever dans des conditions normales. Dès lors les réactions prétendument désordonnées voire illicites que la société PRODIM reproche, dans ses diverses procédures, à la société CODIS et aux franchisés doivent être appréciées en fonction de cette rupture anticipée qui a obligé la société CODIS à se réorganiser dans l'urgence sous peine de ne pouvoir assurer ses obligations d'approvisionnement à laquelle elle demeurait tenue, après la rupture des contrats de partenariat et d'approvisionnement vis-à-vis de ses adhérents qui en ont fait la demande. Le conflit dans lequel se trouvaient les franchisés qui désiraient rester fidèles à leur coopérative et a fortiori pour ceux dans lesquels la société CODIS avait des intérêts propres comme propriétaire du fonds ou dans la société exploitant le fonds franchisé, a été, à l'évidence, accentué par cette rupture anticipée empêchant toute prévention et compréhension de la situation complexe en droit et en fait qui s'appliquait à toutes les parties. Il en résulte que, statuant en amiable composition, les comportements reprochés à la société CODIS, quelle qu'en soit la gravité alléguée par la société PRODIM, ne peuvent donner lieu à l'indemnisation demandée. D'autre part, il convient de préciser l'objet de la demande soumise au tribunal de commerce, telle qu'elle ressort de l'assignation: le dispositif de l'assignation porte demande de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, préjudice moral, commercial économique et financier. Cette demande est motivée par l'existence d'un détournement de clientèle ou captation du réseau, d'un trouble commercial consistant en une atteinte portée à l'enseigne ou l'image de marque de l'entreprise ayant entraîné la perte d'une chance de développement, et sur le caractère disciplinaire de l'action en concurrence déloyale visant à sanctionner les commerçants agissant au mépris des usages de la profession. Ces termes de l'assignation et des conclusions de la société PRODIM tant devant le premier juge que devant la Cour, sont exactement repris dans le mémoire présenté au tribunal arbitral. Il en résulte qu'à bon droit la société CODIS peut opposer à la société PRODIM dans la présente instance, l'autorité de la chose jugée par le tribunal arbitral dans sa sentence du 30 novembre 2007. La demande de la société PRODIM est donc irrecevable et le jugement doit être réformé de ce chef ;


ALORS OUE la sentence arbitrale rendue sur un fondement contractuel n'a pas l'autorité de la chose jugée dans une procédure contre la même partie engagée sur un fondement délictuel pour tierce complicité dans la violation d'un contrat distinct, faute d'identité d'objet et de cause ; qu'en retenant que la sentence arbitrale rendue entre les sociétés PRODIM et CODIS, relative aux engagements contractuels de cette dernière, avait l'autorité de la chose jugée dans la présente procédure, relative à la faute délictuelle commise par la société CODIS en ce qu'elle avait aidé des franchisés de PRODIM à violer leurs propres engagements contractuels, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil.

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