15 février 2012
Cour de cassation
Pourvoi n° 10-23.026

Première chambre civile

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2012:C100187

Titres et sommaires

TESTAMENT - nullité - exclusion - cas - disparition de la cause ayant déterminé le testateur à disposer - contrats et obligations conventionnelles - cause - cause de l'obligation - disparition - caractérisation - défaut - cas contrats et obligations conventionnelles - absence de cause

Il appartient exclusivement au testateur, capable, de tirer les conséquences de la disparition prétendue de la cause qui l'a déterminé à disposer. Par suite, viole l'article 1131 du code civil la cour d'appel qui, pour annuler un testament, retient que la disparition du motif déterminant du legs prive ce dernier de cause et entraîne sa nullité

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche :

Vu l'article 1131 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 23 septembre 1959, René X... a fait donation à son épouse commune en biens, Germaine C..., de la toute propriété de ses biens meubles et immeubles, avec la précision qu'en cas d'existence de descendant au jour de son décès, la libéralité serait réduite à la plus forte quotité disponible entre époux ; que, par acte notarié du 8 juin 1960, dressé par M. Y..., notaire à Pontoise, les époux X... ont vendu à l'une de leur deux filles, Danièle, un lot dépendant de la copropriété d'un immeuble situé à Taverny ; que, le 25 juillet 1962, les époux X...- Z..., parents de René X..., ont consenti à leur fils une donation en avancement d'hoirie portant sur la nue-propriété de lots dépendant de la copropriété d'un immeuble situé à Epinay-sur-Seine et que, par acte du même jour, René X... a fait donation à sa fille Danièle de certains de ces lots ; que, le 25 mars 1964, les époux X...- Z... ont fait donation, par préciput et hors part, à leurs deux petites-filles, Danièle et Michèle, de la nue-propriété de divers autres lots dépendant de la copropriété du même immeuble ; que René X... est décédé le 19 mars 1972 en laissant pour lui succéder son épouse, Germaine C..., et leurs deux filles, Danièle, épouse A..., et Michèle, épouse B..., et en l'état d'un testament olographe du 31 juillet 1963 rédigé en les termes suivants : " Pour rétablir les droits de chacun de mes enfants : je lègue à ma fille Michèle Germaine X..., somme égale à la valeur des biens que j'ai consenti et donné à ma fille aînée Danièle X..., épouse R. A..., en vertu d'un acte passé chez Maître Y..., notaire à Pontoise. Pour compenser les autres droits et biens donnés à ma fille aînée susnommée et provenant de mes parents, je lègue la quotité disponible de tous mes biens à ma seconde fille également susnommée. Telles sont mes dernières volontés " ; que Germaine C... est décédée le 3 octobre 2005 en l'état d'un testament authentique du 7 mars 2003 rédigé en les termes suivants : " Mon mari avait légué la quotité disponible de sa succession à ma fille Michèle Germaine X... en expliquant qu'il prenait cette disposition pour compenser les avantages dont il avait fait bénéficier auparavant notre fille aînée Mme Danièle A.... Or, il s'avère que cette dernière n'a pas reçu par donation de son père plus de biens que sa soeur de sorte que, privée de la quotité disponible, elle s'est trouvée désavantagée. Afin de rétablir l'équilibre entre mes deux filles, je lègue la quotité disponible de ma succession à Mme Danièle A..., j'entends que ce legs s'applique prioritairement sur les droits indivis dans l'immeuble de Taverny que je souhaite voir attribuer en totalité à ma légataire. Je révoque toute disposition testamentaire antérieure à ce jour " ; que Mme Danièle X..., épouse A..., a demandé l'annulation du testament de son père pour fausse cause ; qu'au cours de l'instance en partage, Mme Michèle X..., épouse B..., a soutenu qu'en cas d'annulation du testament de son père, le testament de sa mère ne pourrait qu'être annulé pour fausse cause ; que l'arrêt a annulé les deux testaments ;

Attendu que, pour annuler le testament de René X..., après avoir retenu qu'il résultait sans ambiguïté des termes mêmes de celui-ci que le motif déterminant des dispositions testamentaires était de " rétablir " les droits de chacune de ses filles et que le legs consenti par René X... d'une somme égale à la valeur des biens " donnés " à sa fille Danièle résultait d'une erreur commise par lui lors de la rédaction de son testament sur la nature de l'acte du 8 juin 1960 de sorte qu'il y avait lieu d'annuler cette disposition, l'arrêt énonce qu'il résulte de l'acte de donation de René X... à sa fille Danièle du 25 juillet 1962 portant sur des biens provenant de ses parents et de l'acte de donation de ces derniers à leurs deux petites-filles du 25 mars 1964, que l'avantage fait à Danièle par son père par le premier acte s'est trouvé compensé par l'avantage, plus important, consenti par ses parents à Michèle par le second de ces actes, de sorte que la disparition du motif déterminant du legs de la quotité disponible de ses biens fait par René X... à sa fille Michèle prive ce dernier de cause et entraîne sa nullité ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il appartient exclusivement au testateur, capable, de tirer les conséquences de la disparition prétendue de la cause qui l'a déterminé à disposer, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 mai 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Laisse les dépens à la charge de chacune des parties ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille douze.



MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils pour Mme B...


Il est fait grief à l'arrêt attaqué :

D'AVOIR annulé les dispositions prises par René X... aux termes de son testament du 31 juillet 1963 au profit de sa fille Michèle X... épouse B... ;

AUX MOTIFS QUE « Madame Danièle X... soutient que le testament de son père en faveur de sa soeur Michèle doit être annulé pour fausse cause, d'une part, en ce que l'acte que son père évoque n'est pas une donation mais un acte de vente et, d'autre part, en ce que les droits de chacune d'elles qu'il entend rétablir l'avaient déjà été par la donation de leurs grands-parents intervenue en 1964 ; que Madame Michèle X... réplique que la cause du testament n'est pas de compenser un acte de donation spécifique mais les avantages dont sa soeur Danièle a constamment bénéficié de la part de ses grands-parents et de sa mère ; qu'elle fait en outre valoir que si le testament de leur père était annulé, celui de leur mère perdrait alors sa cause et devrait l'être également ; qu'il résulte, sans ambiguïté, des termes mêmes du testament de René X... que le motif déterminant des dispositions prises était de « rétablir » les droits de chacune de ses filles, eu égard, à une donation faite à sa fille aînée en vertu d'un acte de Maître Y..., et, d'autre part, aux autres droits et biens donnés à sa fille aînée et provenant de ses parents, qu'il entendait « compenser » ; que, s'agissant des biens « donnés » à sa fille Danièle, précisément visés, en premier lieu, par le testateur, que celle-ci produit l'acte dressé le 8 juin 1960 par Maître Y... dont il résulte qu'il s'agissait non d'une donation mais d'une vente dont le prix de 3000 francs a été payé comptant le jour même de la vente et à la vue du notaire ; que Madame Michèle X..., qui se contente d'avancer que sa soeur n'avait aucun revenu et que le prix a été payé avec des fonds donnés par sa grand-mère maternelle, n'en rapporte pas la preuve ; qu'il s'ensuit que le motif, exprès et déterminant, du legs consenti par René X... à sa fille Michèle, d'une somme égale à la valeur des biens « donnés » à sa fille Danièle par acte de Maître Y..., consistant dans l'erreur commise par lui, lors de la rédaction de son testament, sur la nature de l'acte du 8 juin 1960, il y a lieu d'annuler cette disposition ; que si René X... évoque, en second lieu, en termes plus généraux, « les autres droits et biens donnés à sa fille aînée et provenant de ses parents », Madame Michèle X..., qui se contente d'affirmer avoir « amplement démontré que sa soeur a constamment été avantagée par ses grands-parents et par sa mère », ce que son père aurait voulu compenser, ne fait pas davantage la preuve d'autres donations ou avantages que ceux évoqués ci-dessus dont sa soeur aurait bénéficié, une telle preuve ne pouvait en effet s'induire de la seule énumération des opérations immobilières réalisées par Madame Danièle X... et son mari ; qu'il résulte de l'acte de donation de René X... à sa fille Danièle du 25 juillet 1962 portant sur des biens provenant de ses parents et de l'acte de donation de ces derniers à leurs deux petites filles du 25 mars 1964, que l'avantage fait à Danièle par son père par le premier acte s'est trouvé compensé par l'avantage, plus important, consenti par ses parents à Michèle par le second de ces actes ; qu'il s'ensuit que la disparition du motif déterminant du legs de la quotité disponible de ses biens fait par René X... à sa fille Michèle prive ce dernier de cause et entraîne sa nullité ; que, de même, le testament de Germaine C..., dont le motif exprès et déterminant était de rétablir l'équilibre entre ses deux filles, compromis par l'erreur commise par son mari lors de la rédaction de son propre testament, se trouve privé de cause du fait de la nullité des dispositions prises par René X... ; qu'ainsi la volonté commune, expresse et déterminante, de chacun des testaments de René X... et Germaine C... d'assurer entre leurs deux filles une réparation égale de leurs patrimoines et de celui provenant des parents de René X... commande l'annulation des dispositions testamentaires respectivement prises par chacun d'eux au profit de leurs filles » ;

ALORS DE PREMIERE PART QUE l'affirmation ultérieure, par le vendeur, de ce que la vente a réalisé une libéralité indirecte au profit de l'acheteur à raison de la remise gratuite des fonds par un tiers ne constitue pas, pour lui, une erreur sur la nature de cet acte mais la reconnaissance de la gratuité de l'acte pour son cocontractant ; que le paiement, à la vue du notaire, d'un prix par l'acheteur ne forme pas obstacle à la prise en compte de la gratuité de l'opération lorsque le notaire n'a pas constaté la provenance des fonds ainsi remis ; qu'en l'espèce, par acte du 8 juin 1960, dressé par Maître Y..., notaire à PONTOISE, René et Germaine X... ont « vendu » à leur fille Danièle le lot n° 1 dépendant d'une copropriété située... et rue... à TAVERNY (95) pour un prix de 3. 000 francs ; que l'acte stipule que Mademoiselle Michèle X... a payé comptant et à la vue du notaire la somme de 3. 000 francs au titre du prix de vente mais ne contient aucune précision relativement à l'origine des fonds ; qu'à l'époque de l'acte, Mademoiselle Danièle X... n'exerçait aucune activité professionnelle et n'avait aucun revenu ; que, si les parties avaient qualifié l'acte de « vente », ce n'est pas Madame Danièle X... qui avait réglé le prix de 3. 000 francs avec ses propres deniers, cette somme lui ayant en réalité été remise à titre de don manuel par sa grand-mère paternelle ; que, par testament olographe du 31 juillet 1963, René X... a légué à sa fille, Michèle, la quotité disponible des biens composant sa succession, le testament étant rédigé en ces termes : « Pour rétablir les droits de chacun de mes enfants, Je lègue à ma fille Michèle, Germaine X... somme égale à la valeur des biens que j'ai consenti et donné à ma fille aînée Danièle X... épouse R. A..., en vertu d'un acte passé chez Me Y... notaire à PONTOISE » ; que, par ce testament, René X... a clairement reconnu que l'acte du 8 juin 1960 avait en réalité constitué pour sa fille Danièle libéralité indirecte, celle-ci n'ayant consenti aucun sacrifice patrimonial en contrepartie du transfert de propriété du bien « vendu » ; qu'en considérant néanmoins, pour annuler le testament de René X..., que l'acte du 8 juin 1960 était exempt de toute gratuité pour Madame Danièle X..., qu'elle avait payé comptant un prix de 3 000 francs le jour même de la vente, à la vue du notaire et que le testateur avait commis une erreur sur la nature juridique de cet acte, la Cour d'appel a violé les articles 893, 970 et 1134 du Code civil ;

ALORS DE DEUXIEME PART QUE la cause s'apprécie au moment de la conclusion d'un acte juridique ; qu'en l'espèce, par acte du 25 juillet 1962, René X... avait fait donation à sa fille Danièle d'une partie des biens que ses père et mère lui avaient donné par acte du même jour ; que, René X... a rédigé son testament le 31 juillet 1963 afin de rétablir l'égalité entre ses filles ; qu'à l'époque de la rédaction du testament, l'égalité entre les deux filles avait bien été rompue ; qu'il en résulte que le testament avait bien une cause au moment de sa rédaction ; qu'en considérant néanmoins, pour annuler le testament, que, compte tenu de la donation faite par les père et mère de René X... à leurs deux petites-filles le 25 mars 1964, l'équilibre avait été rétabli entre les héritières présomptives par l'effet d'un avantage plus important consenti par les donateurs à leur petite-fille Michèle, la Cour d'appel, qui a pris en considération des éléments postérieurs à la rédaction du testament pour apprécier sa cause, a violé les articles 1131 et 1133 du Code civil ;

ALORS DE TROISIEME PART QU'à supposer que la cause puisse être appréciée postérieurement à la conclusion d'un acte juridique, sa disparition n'est pas sanctionnée par la nullité de l'acte ; qu'en prononçant l'annulation du testament, parfaitement valable, de René X... à raison de la prétendue disparition du motif déterminant du legs de la quotité disponible de sa succession à sa fille Michèle, la Cour d'appel a violé les articles 1131 et 1133 du Code civil ;

ALORS DE QUATRIEME PART QU'à supposer que la cause puisse être appréciée postérieurement à la conclusion d'un acte juridique, spécialement en matière de testament, sa disparition ne peut entraîner la caducité des dernières volontés qu'en présence de circonstances très particulières résultant notamment de la brièveté du délai ayant séparé le décès de la connaissance, par le testateur, de l'élément nouveau survenu ; qu'à défaut, il y a lieu de considérer que le testateur a entendu, malgré la survenance de ce nouvel élément, maintenir les dispositions prises en faveur du légataire ; qu'en l'espèce, la donation faite par les père et mère de René X... à leurs deux petites-filles résulte d'un acte du 25 mars 1964 ; que René X..., qui avait connaissance de cet acte auquel il avait participé en tant que représentant légal de sa fille mineure Michèle, est décédé le 19 mars 1972, soit huit ans plus tard, ce qui lui laissait largement le temps de révoquer ses dernières volontés s'il estimait que la donation de 1964 les avait rendu inutiles, ce qu'il n'a pas fait ; qu'en prononçant néanmoins l'annulation du testament de René X..., la Cour d'appel a violé les articles 970 et 1134 du Code civil.

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