19 janvier 2011
Cour de cassation
Pourvoi n° 10-10.528

Troisième chambre civile

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2011:C300070

Titres et sommaires

SERVITUDE - servitude conventionnelle - passage - assiette - déplacement - prescription (non) - portée

Viole les articles 706 et 691du code civil, la cour d'appel qui, constatant que l'assiette de la servitude conventionnelle de passage a été déplacée de fait et que celle établie conventionnellement a cessé d'être utilisée, retient que la servitude n'est pas éteinte par le non-usage pendant trente ans, alors que le propriétaire d'un fonds bénéficiant d'une servitude conventionnelle de passage ne peut prescrire une assiette différente de celle convenue

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :






Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 10 novembre 2009), que, par acte du 6 octobre 1966, deux servitudes de passage grevant les parcelles restant appartenir aux vendeurs ont été instituées au profit de celles cédées aux époux X... : l'une, dite "servitude Nord", l'autre dite "servitude Sud" ; que la société Garrot Chaillac a assigné Sébastien Y... et le GFA de Capette Nord, devenus propriétaires de ces parcelles, ainsi que Jean-Marie Y... (les consorts Y...), pour faire juger qu'elles n'étaient pas juridiquement enclavées dans la mesure où elles bénéficiaient des deux servitudes conventionnelles, faire constater qu'ils n'avaient aucun droit de passage sur le chemin traversant ses propres parcelles et leur interdire d'utiliser ce chemin ;


Sur le premier moyen, ci-après annexé :


Attendu que c'est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l'ambiguïté des conclusions rendait nécessaire, que la cour d'appel a retenu que le litige ne portait plus que sur l'existence ou non de la servitude Sud ;


D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;




Mais sur le deuxième moyen :


Vu les articles 706 et 691 du code civil ;


Attendu que la servitude est éteinte par le non usage pendant trente ans ; que les servitudes discontinues, apparentes ou non apparentes ne peuvent s'établir que par titres ; que la possession même immémoriale ne suffit pas pour les établir ;


Attendu que, pour dire non éteinte la servitude conventionnelle Sud, l'arrêt retient que le bénéfice de cette servitude n'est pas dénié aux consorts Y... par les propriétaires des fonds servants, que cette servitude a toujours été pratiquée, certes avec de fait le déplacement de son assiette, ce qui exclut l'abandon du droit consenti au fonds dominant, et que les consorts Y... ne peuvent se prévaloir d'une extinction par impossibilité d'en user au motif qu'elle serait devenue impraticable alors qu'il leur appartenait de l'entretenir ;


Qu'en statuant ainsi, alors que le propriétaire d'un fonds bénéficiant d'une servitude conventionnelle de passage ne peut prescrire une assiette différente de celle convenue, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;


Et sur le troisième moyen :


Vu l'article 1382 du code civil ;


Attendu que, pour condamner les consorts Y... à payer des dommages-intérêts à la société Garrot Chaillac, l'arrêt retient que, depuis des années, celle-ci est contrainte, par le jeu des artifices de procédure employés contre elle, de laisser passer sur son fonds les consorts Y..., ce qui détermine pour elle un préjudice en réparation duquel la somme de 5 000 euros doit lui être allouée ;


Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé une faute faisant dégénérer en abus le droit des consorts Y... d'agir en justice, a violé le texte susvisé ;


PAR CES MOTIFS :


CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 novembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes, autrement composée ;


Condamne la société Garrot Chaillac aux dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Garrot Chaillac à payer aux consorts Y... la somme de 2 500 euros et rejette la demande de la société Garrot Chaillac ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé à l'audience publique du dix-neuf janvier deux mille onze par Mme Bellamy, conformément à l'article 452 du code de procédure civile.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt


Moyens produits par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour les consorts Y... et le GFA Capette Nord


PREMIER MOYEN DE CASSATION


Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir constaté l'extinction de la servitude conventionnelle «Nord» ;


AUX MOTIFS QUE nonobstant la contradiction entre le dispositif et les motifs de leurs conclusions, MM. Y... et le GFA Capette Nord rejoignant de ce chef l'appelante exposent en page 12 de leurs dernières écritures que la servitude Nord est éteinte par non-usage et que le litige ne porte plus que sur l'existence ou non de la servitude Sud ;


ALORS QUE les juges du fond ne peuvent pas dénaturer les conclusions claires et précises des parties ; qu'en relevant que les consorts Y... avaient admis dans leurs écritures que la Servitude «Nord» était éteinte, cependant qu'il résultait de leurs dernières conclusions, déposées et signifiées le 21 octobre 2008 (p. 8 et 14), qu'ils faisant valoir n'y avoir lieu à constater l'extinction de cette servitude, pour laquelle ils demandaient même qu'un expert examine les conditions de sa remise en état, la cour d'appel a dénaturé ces conclusions, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;


DEUXIEME MOYEN DE CASSATION


Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que n'était pas éteinte la servitude conventionnelle «Sud», fait interdiction aux consorts Y... et au GFA de Capette Nord de passer par le chemin de Quatret appartenant à la SA Garrot-Chaillac, sous astreinte de 200 € par infraction constatée, et de les avoir condamnés à verser à cette dernière 5.000 € à titre de dommages-intérêts ;


AUX MOTIFS QUE la servitude conventionnelle s'éteint par l'impossibilité d'en user ou par l non-usage pendant 30 ans en application des articles 703 et 7906 du code civil ; que le bénéfice de la Servitude «Sud» n'est pas dénié aux consorts Y... GFA Capette Nord par les fonds servants ; qu'il ne peut être utilement soutenu qu'elle serait éteinte par non-usage puisqu'au contraire il résulte des allégations de l'ensemble des parties qu'elle a toujours été pratiquée, certes avec un déplacement de son assiette, d'ailleurs pendant la même durée évoquée à titre extinctif, ce qui exclut l'abandon du droit consenti au fonds dominant ; que les consorts Y... GFA de Capette Nord ne peuvent se prévaloir d'une extinction par l'impossibilité d'user de la servitude au motif qu'elle serait devenue impraticable, alors qu'en application de l'article 697 du code civil, il leur appartenait de l'entretenir ; qu'il en résulte que les consorts Y... GFA de Capette Nord sont toujours actuellement bénéficiaires d'une servitude conventionnelle assurant le désenclavement de leur fonds ; que le jugement entrepris doit être infirmé ; qu'il doit être fait droit à la demande de la SA Garrot Chaillac tendant à ce qu'il soit fait interdiction aux intimés de passer par le chemin des Quatret qui lui appartient ;


1°) ALORS QUE les juges du fond doivent répondre aux conclusions opérantes des parties ; que dans leurs dernières conclusions d'appel, déposées et signifiées le 21 octobre 2008 (p. 12), les consorts Y... faisaient valoir qu'ils ne pouvaient pas utiliser la servitude «Sud» dès lors que son tracé passait sur des parcelles appartenant à des tiers, qui n'étaient pas grevés par cette servitude conventionnelle, le tracé étant, de ce fait, interrompu par un portail métallique ; qu'en jugeant que les consorts Y... bénéficiaient toujours de la servitude «Sud» pour désenclaver leur fonds, sans répondre à ces conclusions opérantes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;


2°) ALORS QU'une servitude ne s'exerce que sur l'assiette conventionnellement fixée ; qu'en considérant que la servitude «Sud» avait toujours été pratiquée mais avec un déplacement d'assiette, ce dont il se déduisait que la servitude «Sud» conventionnellement définie n'était plus pratiquée, la cour d'appel, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 682, 686 et 701 du code civil ;


3°) ALORS QUE les juges du fond doivent répondre aux conclusions opérantes des parties ; que dans leurs dernières conclusions d'appel, déposées et signifiées le 21 octobre 2008 (p. 14), les consorts Y... faisaient valoir que l'impossibilité d'user de la servitude ne résultait pas seulement d'un défaut d'entretien, mais qu'elle était surtout liée à son état structurel (défaut d'enrochement, chemin en terre argileuse…) ; qu'en se contentant d'affirmer que les consorts Y... ne pouvaient pas se prévaloir de l'impraticabilité de la servitude, qu'il leur appartenait d'entretenir, sans répondre aux conclusions opérantes susvisées, la cour d'appel a derechef violé l'article 455 du code de procédure civile.


TROISIEME MOYEN DE CASSATION


Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné les consorts Y... et le GFA Capette Nord à payer à la société Garrot-Chaillac, la somme de 5.000 € à titre de dommages-intérêts ;


AUX MOTIFS QUE depuis plusieurs années, la SA Garrot-Chaillac est contrainte, par le jeu des artifices de procédure employés contre elle, de laisser passer sur son fonds les consorts Y... GFA de Capette Nord, ce qui détermine un préjudice en réparation duquel il doit lui être allouée la somme de 5.000 € ;


1°) ALORS QU'une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières qu'il appartient alors au juge de spécifier, constituer un abus de droit, lorsque sa légitimité a été reconnue par la juridiction du premier degré, malgré l'infirmation dont sa décision a été l'objet en appel ; qu'en statuant comme elle l'a fait, les premiers juges ayant jugé que les servitudes étaient éteintes par non usage et que les parcelles des consorts Y... se trouvaient enclavées, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;


2°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE l'exercice des voies de droit est un droit, qui ne peut donner lieu à indemnités que s'il est démontré l'existence de circonstances particulières l'ayant fait dégénérer en abus, ce que le seul fait de succomber ne suffit pas à établir ; que la cour d'appel, qui a relevé que les consorts Y... avaient usé «d'artifices de procédure», sans les caractériser, ni démontrer en quoi la, ou les, procédures menées par ces derniers étaient abusives, nonobstant le fait qu'ils aient finalement succombé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;


3°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE l'octroi d'une indemnité doit réparer exactement le préjudice causé, de sorte qu'elle ne peut être fixée de manière forfaitaire ; qu'en ne caractérisant pas précisément l'étendue du préjudice prétendument subi par la société Garrot-Chaillac, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.