25 février 2010
Cour de cassation
Pourvoi n° 09-11.180

Première chambre civile

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2010:C100198

Titres et sommaires

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - article 6 § 1 - equité - exigences - matière disciplinaire - droits de la défense - violation - cas - officiers publics ou ministeriels - discipline - procédure - débats - audition des parties - ordre - détermination

Le procès équitable implique, en matière disciplinaire, que la personne poursuivie ou son avocat soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier. Par suite, doit être cassé l'arrêt qui ne constate pas qu'il a été satisfait à ces exigences

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu que, suite à une inspection réalisée en 2007, Mme X..., greffier titulaire de charge, a été assignée, le 22 novembre 2007, pour qu'il soit statué sur la requête en destitution présentée par le ministère public ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir statué disciplinairement à l'encontre de Mme X..., alors, selon l e moyen, que le ministère public doit être entendu ; qu'il ne résulte pas des mentions de l'arrêt qu'il en ait été ainsi, en l'espèce, en violation des dispositions de l'article R. 743-14 du code de commerce ;

Mais attendu que l'arrêt indique que le procureur de la République était représenté par M. Pernollet, avocat général, lequel a requis la confirmation du jugement déféré ; que le moyen manque en fait ;

Sur le troisième moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de renvoi devant une juridiction limitrophe, alors, selon le moyen, que l'article 47 du code de procédure civile, qui est de portée générale et vise l'hypothèse où un magistrat ou un auxiliaire de justice est partie à un litige dans le ressort de la juridiction dans laquelle il exerce ses fonctions, permet à ce justiciable, quelle que soit la nature du litige en cause, de demander le renvoi de l'affaire devant une juridiction limitrophe ; que le juge ne peut rejeter une telle demande, dès lors que les conditions d'application en sont remplies et, par conséquent, doit déroger dans ce cas à la règle d'attribution de compétence territoriale des articles L. 743-4 et R. 745-28 du code de commerce, s'il lui en est fait la demande expresse ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a donc violé l'article 47 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 743-4 et R. 743-28 du code de commerce, outre l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

Mais attendu que l'arrêt attaqué décide exactement que les dispositions spéciales édictées par les articles L. 743-4 et R. 743-28 du code de commerce qui confèrent attribution spéciale de compétence, en premier ressort, au tribunal de grande instance dans le ressort duquel le tribunal de commerce a son siège et, en cas d'appel, à la cour d'appel territorialement compétente, échappent, par leur nature, aux dispositions générales de l'article 47 du code de procédure civile ; que ces dispositions n'étant pas contraires aux exigences de l'article 6. 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, le moyen n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement sans accueillir l'exception de nullité de la procédure tirée de l'absence d'indication précise des faits fondant les poursuites dans l'acte introductif d'instance, alors, selon le moyen, que l'acte introductif d'instance doit comporter, à peine de nullité, l'indication précise des faits qui fondent les poursuites et la référence aux dispositions législatives ou réglementaires applicables ; qu'ainsi que le faisait valoir Mme X..., en l'espèce, l'absence de production du rapport d'inspection de février 2007 sur lequel étaient fondées les poursuites, in extenso, ne permettait pas d'appréhender les faits reprochés dans leur contexte et dans leur intégralité et portait atteinte aux droits de la défense ; qu'en déclarant le contraire, la cour d'appel a violé les dispositions des articles R. 743-12 et R. 743-13 du code de commerce, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Mais attendu que l'assignation délivrée à Mme X... comportant en annexe 110 pages du rapport d'inspection détaillant les manquements reprochés, la cour d'appel qui, par motifs propres et adoptés, a constaté que celle-ci avait eu connaissance du rapport intégral de l'inspection et qu'elle le versait elle-même aux débats, en a exactement déduit qu'elle ne subissait aucun grief ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen :

Vu l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme ;

Attendu que l'exigence d'un procès équitable implique qu'en matière disciplinaire la personne poursuivie ou son avocat soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier ;

Attendu que l'arrêt attaqué prononce à l'encontre de Mme X... la peine de l'interdiction temporaire pendant trois ans ;

Qu'en statuant ainsi, sans constater que cette dernière ou son conseil avait été invité à prendre la parole en dernier, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le cinquième moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 décembre 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq février deux mille dix.



MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme X....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir statué disciplinairement à l'encontre de Laurence X..., titulaire de l'office de greffier du tribunal de commerce de Dreux, et prononcé une peine d'interdiction temporaire durant 3 ans, sans qu'il soit justifié de ce que Laurence X..., comparante, ni son avocat, aient eu la parole en dernier, ni même qu'ils aient été entendus, oralement, à l'audience ;

ALORS QUE l'exigence d'un procès équitable, et les principes généraux du droit, impliquent qu'en matière disciplinaire, la personne poursuivie ou son avocat soient entendus à l'audience et puissent avoir la parole en dernier ;
qu'aucune disposition de l'arrêt attaqué ne permet de s'assurer que cette règle fondamentale ait été observée en la cause ; qu'ainsi, les dispositions des articles R 743-14 du Code de commerce, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et les droits de la défense ont été méconnus, ensemble les principes généraux de droit.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé une sanction disciplinaire à l'encontre de Madame X..., titulaire de l'office de greffier du Tribunal de commerce de Dreux.

ALORS QUE le ministère public doit être entendu ; qu'il ne résulte pas des mentions de l'arrêt qu'il en ait été ainsi, en l'espèce, en violation des dispositions de l'article R. 743-14 du code de commerce.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de renvoi devant une juridiction limitrophe, requise par Mme X..., greffier du Tribunal de commerce de Dreux ;

AUX MOTIFS QUE les dispositions spécifiques édictées par les articles L. 743-4 et R. 743-28 du Code de commerce, qui dans les matières de nature disciplinaire, confèrent attribution spéciale de compétence au tribunal de grande instance dans le ressort duquel le tribunal de commerce a son siège et en cas d'appel à la Cour d'appel territorialement compétente, échappent, par leur nature, aux dispositions générales de l'article 47 du Code de procédure civile, ce qui ne contrevient pas aux dispositions de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, étant précisé que la Cour n'a pas à examiner l'exercice par les chefs de cour de leur mission de contrôle pour rechercher si l'appelante a ou non commis des manquements à ses obligations professionnelles de nature à constituer des fautes disciplinaires ; les dispositions de l'article 47 susvisé concernent le contentieux de droit commun mais n'ont pas vocation à s'appliquer au contentieux statutaire ou disciplinaire ; que c'est à tort que Laurence X... sollicite sur le fondement de ce texte le renvoi de l'affaire devant une cour d'appel limitrophe ;

ALORS QUE l'article 47 du Code de procédure civile, qui est de portée générale et vise l'hypothèse où un magistrat ou un auxiliaire de justice est partie à un litige dans le ressort de la juridiction dans laquelle il exerce ses fonctions, permet à ce justiciable, quelle que soit la nature du litige en cause, de demander le renvoi de l'affaire devant une juridiction limitrophe ;
que le juge ne peut rejeter une telle demande, dès lors que les conditions d'application en sont remplies et, par conséquent, doit déroger dans ce cas à la règle d'attribution de compétence territoriale des articles L. 743-4 et R. 745-28 du Code de commerce, s'il lui en est fait la demande expresse ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a donc violé l'article 47 du Code de procédure civile, ensemble les articles L 743-4 et R 743-28 du Code de commerce, outre l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement déféré sans faire droit à la demande de nullité de la procédure fondée sur l'absence d'indication précise des faits fondant les poursuites, dans l'acte introductif d'instance ;

AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article R 743-12 du Code de commerce, la citation devant le tribunal de grande instance statuant en matière disciplinaire comporte, à peine de nullité, l'indication précise des faits qui fondent les poursuites et la référence des dispositions législatives ou réglementaires énonçant les obligations auxquelles il est reproché au greffier poursuivi d'avoir contrevenu. L'article R 743-13 du même Code permet au greffier cité à comparaître de prendre connaissance de son dossier au greffe du tribunal de grande instance. C'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté l'exception de nullité tenant au défaut de production aux débats de l'intégralité du rapport d'inspection de février 2007 aux motifs que Laurence X... avait eu connaissance de l'intégralité dudit rapport avant la délivrance de l'assignation, qu'elle le versait aux débats et ne subissait en conséquence aucun grief ;

ALORS QUE l'acte introductif d'instance doit comporter, à peine de nullité, l'indication précise des faits qui fondent les poursuites et la référence aux dispositions législatives ou réglementaires applicables ; qu'ainsi que le faisait valoir Madame X..., en l'espèce, l'absence de production du rapport d'inspection de février 2007 sur lequel étaient fondées les poursuites, in extenso, ne permettait pas d'appréhender les faits reprochés dans leur contexte et dans leur intégralité et portait atteinte aux droits de la défense ; qu'en déclarant le contraire, la Cour d'appel a violé les dispositions des articles R 743-12 et R. 743-13 du Code de commerce, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

CINQUIEME MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé la sanction disciplinaire de l'interdiction temporaire durant trois ans ;

AUX MOTIFS QUE les faits commis par Laurence X... dans l'exercice de ses fonctions de greffier du tribunal de commerce de Dreux constituent des manquements à l'honneur et à la probité d'un officier public et ministériel justifiant le prononcé d'une sanction disciplinaire ; aux termes de l'article L. 743-3 du Code de commerce, les sanctions disciplinaires sont le rappel à l'ordre, l'avertissement, le blâme, l'interdiction temporaire, la destitution ou le retrait de l'honorariat ; que la peine de l'interdiction temporaire prévue à cet article, anciennement L. 822-2 du Code de l'organisation judiciaire, issu de la loi du 11 février 2004 n'est encourue que pour des faits commis postérieurement à son entrée en vigueur ; que dès lors qu'il est imputé à faute à Laurence X... des infractions commises postérieurement à l'entrée en vigueur de cette disposition législative, la sanction de l'interdiction temporaire peut être prononcée ; que, compte tenu des améliorations significatives constatées dans la gestion du greffe depuis la mission d'inspection, des efforts accomplis pour prendre en compte les recommandations malgré la persistance des difficultés liées à l'insuffisance des locaux, la sanction de la destitution apparaît disproportionnée par rapport aux faits reprochés, étant observé qu'aucune mesure de suspension provisoire n'a été requise à l'encontre de Laurence X... qui continue à assurer sa mission d'officier public et ministériel dans l'attente de l'imminente fermeture de la juridiction prévue pour janvier 2009 ; que le jugement déféré sera réformé sur l'appréciation de la sanction ; qu'eu égard à la nature des manquements commis par Laurence X..., la Cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour prononcer la peine de l'interdiction temporaire durant trois ans ;

ALORS QUE les juges du fond ne pouvaient considérer, pour justifier la sanction disciplinaire prononcée, que Madame X... avait commis des faits constitutifs de manquement « à l'honneur et à la probité » sans mieux s'en expliquer et en retenant de simples insuffisances d'organisation administrative, des carences matérielles dans le traitement des données, une gestion des archives insuffisante, en dépit des difficultés matérielles constatées, une tarification forfaitaire et non pas réelle, une comptabilité des expertises non conforme, autant d'irrégularités et de négligences, auxquelles il a été, pour la plupart, remédié après l'inspection et qui ne sont pas de nature à constituer des manquements à l'honneur et à la probité, au sens des textes applicables, s'agissant de simples manquements dans la gestion et l'organisation du greffe ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 743-2 et L. 743-3 du Code de commerce.

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