28 janvier 2010
Cour de cassation
Pourvoi n° 08-70.026

Première chambre civile

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2010:C100092

Titres et sommaires

VENTE - vente commerciale - livre - prix de vente au public - loi du 10 août 1981 - domaine d'application - partitions musicales (non) - interprétation stricte - portée

La loi n° 81-766 du 10/08/1981 sur le prix unique du livre, laquelle est d'interprétation stricte, en ce qu'elle déroge au principe de la liberté des prix, ne s'applique pas aux partitions musicales celles-ci n'y étant pas mentionnées

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :





Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :


Attendu que reprochant à Mme X..., qui exploite à Tourcoing une librairie spécialisée dans les ouvrages de musique, de ne pas respecter les dispositions de la loi du 10 août 1981 sur le prix unique du livre en consentant sur la vente des partitions musicales des rabais supérieurs à ceux autorisés par cette loi et en faisant de la publicité sur ces rabais hors de son lieu de vente, le syndicat de la Librairie française l'a assignée en cessation de ces pratiques et en paiement de dommages-intérêts ; qu'il fait grief à l'arrêt attaqué (Douai, 7 mai 2008) de l'avoir débouté de ses demandes, alors, selon le moyen :


1°/ que le livre n'est pas seulement la reproduction d'un texte littéraire mais se définit comme la reproduction, par l'impression sur un support papier comportant des pages imprimées et reliées, d'une oeuvre de l'esprit écrite et accessible par la lecture ; qu'à ce titre, les partitions musicales destinées à être lues avant de pouvoir être exécutées par un instrument ou par la voix, rentrent dans la définition du livre au sens de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 ; qu'en jugeant le contraire la cour d'appel a violé les articles 1er et 8 de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 ;


2°/ que si la consultation des travaux préparatoires révèle que l'instauration d'un régime dérogatoire au principe de la liberté des prix, a été fondée sur le refus de considérer le livre comme un produit marchand banalisé et sur la volonté d'infléchir les mécanismes du marché pour assurer la prise en compte de sa nature de bien culturel qui ne saurait être soumis aux seules exigences de rentabilité immédiate, le livre étant à cet égard qualifié de support de l'apprentissage, de moyen d'expression et de mode privilégié de diffusion de la culture, cette qualification n'exclut pas les partitions musicales du champ d'application de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 ; qu'en jugeant le contraire la cour d'appel a violé les articles 1er et 8 de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 ;


3°/ que la circonstance que les vendeurs ayant un rayon de musique imprimée ne subissent, selon les constatations de l'arrêt, pas la concurrence de la grande distribution, ne permet pas d'en déduire que l'inclusion des partitions musicales dans le champ d'application de la loi sur le livre ne présente aucun intérêt du point de vue de la distribution de ce produit culturel pour le consommateur ; qu'en effet, l'objectif de la loi vise à la plus grande diffusion de tous les produits culturels sans exclusion, et cet objectif ne peut être satisfait que par le maintien d'un réseau décentralisé très dense de distribution échappant à toute concurrence sur les prix ; qu'en jugeant le contraire la cour d'appel a violé les articles 1er et 8 de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 ;


4°/ que l'incrimination pénale par le décret n° 85-556 du 29 mai 1985 n'est pas de nature à conférer à la loi elle-même un caractère pénal et partant à restreindre son champ d'application ; qu'en statuant comme elle l'a fait la cour d'appel a violé les articles 1er et 8 de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 ;


Mais attendu que la cour d'appel a jugé à bon droit que la loi du 10 août 1981, qui est d'interprétation stricte puisque dérogeant au principe de la liberté des prix, ne s'applique pas aux partitions musicales qui n'y étaient pas visées ; que le moyen n'est pas fondé ;


PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi ;


Condamne le syndicat de la Librairie Française aux dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit janvier deux mille dix.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt


Moyen produit par Me Ricard, avocat aux Conseils pour le syndicat de la Librairie Française.


Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que les dispositions de la loi du 10 août 1981 sur le prix unique du livre ne s'appliquent pas aux partitions musicales et, en conséquence, d'avoir débouté le Syndicat de la Librairie Française de l'ensemble de ses demandes ;


AUX MOTIFS QU'


«Il convient tout d'abord de constater que la loi du 10 août 1981 ne comporte pas de définition du livre et qu'aucune disposition de celle-ci ne vise à un quelconque titre les partitions musicales.
Selon le sens commun, un livre, en tant qu'objet, se définit comme un ouvrage, non périodique, formé de feuilles imprimées réunies en un volume relié ou broché et destinées essentiellement, s'il y a texte littéraire, quelque soit l'objet de ce texte, à être lues, et/ou, si l'impression n'est pas textuelle, à être regardées. Quant à la partition musicale, en tant qu'objet, elle se définit, selon le sens commun, comme une ou plusieurs feuilles imprimées portant l'ensemble des parties d'un ouvrage musical destinées essentiellement à l'exécution de cet ouvrage par la voix ou par un instrument de musique.
Les deux termes selon le sens commun, ne sont pas synonymes et le premier, qui ne désigne pas, indépendamment de leur objet, tous les imprimés formés de plusieurs feuilles réunies, n'est pas un terme général incluant le second.
Il est par conséquent nécessaire en l'espèce de procéder à la recherche de la volonté du législateur, des motifs qui l'ont déterminé et du but qu'il a poursuivi, afin de circonscrire le champ d'application de la loi et de déterminer si la législation adoptée en matière de prix du livre a ou non vocation à inclure les partitions musicales ».
«La consultation des travaux préparatoires révèle que l'instauration d'un régime dérogatoire au principe de la Liberté des prix, a été fondée sur le refus de considérer le livre comme un produit marchand banalisé et sur la volonté d'infléchir les mécanismes du marché pour assurer la prise en compte de sa nature de bien culturel qui ne saurait être soumis aux seules exigences de rentabilité immédiate, le livre étant à cet égard qualifié de support de l'apprentissage, de moyen d'expression et de mode privilégié de diffusion de la culture.
Le système du prix unique du livre est apparu au législateur comme le mode de régulation le plus approprié pour un marché fragile et spécifique.
Le prix unique du livre doit permettre :


- l'égalité des citoyens devant le livre, vendu au même prix sur tout le territoire national, rendant ainsi la "lecture" accessible au plus grand nombre ;
- le maintien d'un réseau décentralisé très dense de distribution, notamment dans les zones géographiques les plus éloignées des villes ;
- le soutien au pluralisme dans la création et l'édition, en particulier pour les ouvrages littéraires.
Le souci du législateur a été d'éviter la pratique du bradage dite «discount», entraînant à long terme une raréfaction du nombre de "titres" disponibles, chacun s'attachant alors à proposer des ouvrages à «rotation rapide», connaissant un vaste public, au détriment des oeuvres de création originale ou des rééditions de titres jugés «difficiles» qui sont pour la plupart des livres à rotation lente. Dans un tel contexte favorisant la formation de positions dominantes, seuls les "libraires" ayant un chiffre d'affaires important auraient été en mesure de survivre. II en serait résulté la mise en péril du réseau traditionnel des libraires conduisant à une réduction du nombre de "détaillants de livres", au profit des grandes surfaces souvent moins à même que les "librairies" de taille plus modeste de fournir un service personnalisé aux clients.
Pris en considération dans sa dimension de véhicule privilégié de la culture, le livre doit être partout à la disposition du public.
Aux termes des conclusions prises devant la cour de justice des communautés européennes dans l'affaire «association des centres distributeurs Edouard Leclerc et autres» (arrêt du 10 janvier 1985), le gouvernement français a présenté quant à lui la loi du 10 août 1981 comme une législation ayant pour but de protéger le livre en tant que support culturel contre les effets négatifs qui résulteraient, pour la diversité et le niveau culturel de "l'édition", d'une concurrence sauvage sur les prix au détail. Il a soutenu que ladite loi était nécessaire pour maintenir l'existence de "librairies" spécialisées face à la concurrence d'autres canaux de distribution, axés sur une politique de marges réduites et de diffusion d'un nombre limité de "titres", et pour éviter que quelques grands distributeurs puissent imposer leur choix aux "éditeurs" au détriment de réédition "de livres de poésie, de science et de création". Il a considéré dès lors cette loi comme une mesure indispensable pour maintenir le livre en tant qu'instrument culturel.»
«En l'espèce, il ressort des pièces produites par Madame Sylvie X... que les éditeurs de musique ne sont pas des éditeurs de livres, les premiers ayant en effet créé leur propre chambre syndicale, au milieu du XIX ème siècle; que les tirages de nouveautés dans ce secteur d'activité s'effectuent dans des quantités infiniment moins importantes que pour les livres au sans courant du terme ; que les stocks ont en outre une très faible rotation, un exemplaire édité pouvant être commercialisé pendant 10 ou 20 ans ; que les réseaux de vente de partitions musicales sont totalement différents de ceux du livre, la France totalisant un effectif d'environ 800 marchands ayant un rayon de musique imprimée ; que le chiffre d'affaires dans ce secteur est réalisé à l'aide de petites commandes quotidiennes ; que ces vendeurs ne subissent nullement la concurrence de la grande distribution, aucune grande surface, qu'elle soit généraliste ou spécialisée dans la commercialisation de biens culturels, ne pratiquant la vente de partitions musicales qui n'intéressent, pour l'essentiel, conformément à leur destination, que ceux utilisant la voix ou un instrument de musique pour exécuter l'oeuvre musicale. Il apparaît en outre que l'objectif de "démocratisation de la lecture" en vue d'un accès du plus grand nombre à la culture, poursuivi lors de l'adoption de la loi du 10 août 1981, nonobstant le fait que le prix du livre peut en être plus élevé pour le consommateur que par l'application des règles normales de concurrence, ne peut être transposé aux partitions musicales qui ne constituent en effet le support de l'acquisition de la connaissance que dans un domaine très réduit, pour un objet essentiellement distinct de la lecture et dont les circuits de distribution sont différents, en raison de la fraction limitée de la population concernée, de sorte que l'inclusion des partitions musicales dans l'objet de la loi précitée sur le livre ne présente aucun intérêt du point de vue de la distribution de ce produit culturel pour le consommateur, alors qu'il peut contribuer notamment au renchérissement de son acquisition pour ce dernier, du fait de l'interdiction de la vente au détail avec des remises de prix supérieures à 5 % du prix public indiqué par l'éditeur ou l'importateur».
«Le syndicat de la librairie française verse aux débats un extrait de la circulaire prise le 30 décembre 1981 par le Ministre de la Culture, selon laquelle le champ d'application de la loi relative au prix du livre est identique à celui déterminé par la définition du livre contenue dans l'instruction en date du 30 décembre 1971 de la direction générale des impôts pour l'application du taux réduit de la TVA. Il y a lieu, toutefois, d'observer qu'une circulaire ministérielle donnant une interprétation de la loi sur le livre par référence à une instruction fiscale est sans portée normative.
De plus, dans l'instruction susvisée, relative à l'application du 6° de l'article 278 bis du code général des impôts touchant au taux de la taxe à la valeur ajoutée l'administration fiscale définit, pour cet objet, le livre comme un ensemble imprimé, illustré ou non, publié sous un titre, ayant pour objet la reproduction d'une oeuvre de l'esprit d'un ou plusieurs auteurs en vue de l'enseignement, de la diffusion de la pensée et de la culture.
Il convient de noter que cette instruction, qui classe parmi les ouvrages répondant à la définition du livre les méthodes de musique, livrets ou partitions d'oeuvres musicales pour piano ou chant, ouvrages d'enseignement musical et solfèges, retient cependant que ne répondent pas à cette définition les simples partitions qui diffusent le texte et la musique d'une chanson.
Par ailleurs, aux termes de l'instruction fiscale 3 C-4-05 du 12 mai 2005, la direction générale des impôts a étendu l'application du taux réduit de TVA à l'ensemble des partitions musicales, quel que soit le compositeur (classique ou contemporain) et qu'elles comportent ou non des paroles, afin de se conformer à la directive européenne relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, définissant les prestations de services pouvant bénéficier d'un taux réduit de TVA, qui assimile la fourniture de partitions musicales à celle des livres.
Cependant, conformément au principe de l'autonomie du droit fiscal, la position prise par l'administration quant à l'interprétation de dispositions du code général des impôts, n'a pas vocation à être étendue à d'autres domaines législatifs, étant de surcroît observé que le taux réduit de TVA est appliqué, en vertu de l'article 278 bis du code général des impôts à de nombreux biens de consommation tels que l'eau et les boissons non alcooliques, les produits destinés à l'alimentation humaine, les produits d'origine agricole, de la pêche, de la pisciculture et de l'aviculture n'ayant subi aucune transformation, ... sans qu'il puisse être établi une quelconque corrélation entre ces dispositions légales et les objectifs précités poursuivis par le législateur lors de l'adoption de la loi du 10 août 1981».
«Par ailleurs, ainsi que le souligne à juste titre Madame Sylvie X..., il ressort de la lecture de l'article un de l'arrêté du 12 janvier 1995 fixant les mentions obligatoires devant figurer sur les documents imprimés, graphiques et photographiques soumis au dépôt légal, que si la mention du prix est imposée en ce qui concerne les livres, cartes et plans, il n'en est pas de même des partitions musicales pour lesquelles les seules mentions requises sont celles du nom ou raison sociale et de l'adresse de l'éditeur et de l'imprimeur ainsi que l'indication du mois et de l'année du dépôt».
«Enfin, il sera relevé que le décret n°85-556 du 29 mai 1985 punit de la peine d'amende prévue pour la troisième classe de contraventions les auteurs d'infraction à la loi du 10 août 1981.
Il convient ainsi de procéder à une interprétation stricte des dispositions de la loi susvisée, ce qu'imposent tant la loi pénale que les dérogations au principe de la liberté des prix et de déduire, par conséquent, du silence de la loi que celle-ci ne s'applique pas à la situation particulière des partitions musicales, qu'elles ne visent pas, qui ne sont pas essentiellement destinées à être regardées et qui ne peuvent être lues en tant que texte littéraire».


ALORS QUE le livre n'est pas seulement la reproduction d'un texte littéraire mais se définit comme la reproduction, par l'impression sur un support papier comportant des pages imprimées et reliées, d'une oeuvre de l'esprit écrite et accessible par la lecture ; qu'à ce titre, les partitions musicales destinées à être lues avant de pouvoir être exécutées par un instrument ou par la voix, rentrent dans la définition du livre au sens de la loi n° 81-766 du 16 août 1981 ; qu'en jugeant le contraire la cour d'appel a violé les articles 1er et 8 de la loi n° 81-766 du 16 août 1981,


ALORS QUE si la consultation des travaux préparatoires révèle que l'instauration d'un régime dérogatoire au principe de la Liberté des prix, a été fondée sur le refus de considérer le livre comme un produit marchand banalisé et sur la volonté d'infléchir les mécanismes du marché pour assurer la prise en compte de sa nature de bien culturel qui ne saurait être soumis aux seules exigences de rentabilité immédiate, le livre étant à cet égard qualifié de support de l'apprentissage, de moyen d'expression et de mode privilégié de diffusion de la culture, cette qualification n'exclut pas les partitions musicales du champ d'application de la loi n° 81-766 du 16 août 1981 ; qu'en jugeant le contraire la cour d'appel a violé les articles 1er et 8 de la loi n° 81-766 du 16 août 1981,


ALORS QUE la circonstance que les vendeurs ayant un rayon de musique imprimée ne subissent, selon les constatations de l'arrêt, pas la concurrence de la grande distribution, ne permet pas d'en déduire que l'inclusion des partitions musicales dans le champ d'application de la loi sur le livre ne présente aucun intérêt du point de vue de la distribution de ce produit culturel pour le consommateur ; qu'en effet, l'objectif de la loi vise à la plus grande diffusion de tous les produits culturels sans exclusion, et cet objectif ne peut être satisfait que par le maintien d'un réseau décentralisé très dense de distribution échappant à toute concurrence sur les prix ; qu'en jugeant le contraire la cour d'appel a violé les articles 1er et 8 de la loi n° 81-766 du 16 août 1981,


ALORS QUE l'incrimination pénale par le décret du n°85-556 du 29 mai 1985 n'est pas de nature à conférer à la loi elle-même un caractère pénal et partant à restreindre son champ d'application ; qu'en statuant comme elle l'a fait la cour d'appel a violé les articles 1er et 8 de la loi n° 81-766 du 16 août 1981,

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