27 septembre 2006
Cour de cassation
Pourvoi n° 05-13.598

Troisième chambre civile

Publié au Bulletin

Titres et sommaires

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE - rétrocession - conditions - immeuble n'ayant pas reçu la destination prévue - applications diverses

Les anciens propriétaires de parcelles expropriées afin d'y édifier un ensemble de logements sociaux bénéficient d'un droit à rétrocession sur l'une de ces parcelles vendues par l'expropriant à un tiers pour la construction d'un casino, cette destination n'étant pas conforme à celle prévue par la déclaration d'utilité publique.

Texte de la décision

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 17 décembre 2004), que les consorts X..., propriétaires de terrains d'une surface de dix hectares, un are ont, en 1971, été expropriés au profit de la société Ozanam, société anonyme d'habitation à loyer modéré, pour la construction de logements sociaux ; que, par acte sous seing privé du 31 janvier 1972, les parties se sont accordées sur les modalités de versement de l'indemnité d'expropriation ainsi que sur le principe d'une rétrocession aux expropriés d'une superficie de 2 200 mètres carrés ; que cette rétrocession a été réalisée par acte authentique des 11 et 17 décembre 1980 contenant une clause selon laquelle ces derniers renonçaient à demander la rétrocession de toute autre parcelle ; que la société Ozanam ayant, par acte authentique du 4 mai 1995, vendu une parcelle d'une superficie de 4 948 mètres carrés à la société Casbat afin d'y édifier un casino, les consorts X..., soutenant que cette parcelle n'avait pas reçu la destination prévue par la déclaration d'utilité publique, ont assigné la société Ozanam en paiement de dommages-intérêts compensatoires ainsi que d'une indemnité pour privation de jouissance ; que cette société a appelé en garantie M. Y..., notaire associé ayant reçu cet acte de vente ainsi que la société civile professionnelle (SCP) François et Charles R. Gallet de Saint-Aurin, Paul Charlery, Robert Ceaux et Philippe Y... ;


Sur le premier moyen :


Attendu que la société Ozanam fait grief à l'arrêt, constatant que le terrain objet de la vente n'avait pas reçu la destination prévue, d'accueillir ces demandes alors, selon le moyen :


1 / que pour l'exercice du droit de rétrocession, la conformité de la destination du bien avec les objectifs poursuivis par la déclaration d'utilité publique doit s'apprécier au regard de l'ensemble des parcelles expropriées pour la réalisation de l'opération ; qu'en appréciant la conformité des réalisations effectuées au regard d'une parcelle résiduelle ne représentant que 5 % de la surface expropriée, la cour d'appel a violé les articles L. 12-6 et R. 12-6 du code de l'expropriation ;


2 / que les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel ne peuvent demander la rétrocession des immeubles expropriés que si ceux-ci n'ont pas reçu la destination prévue par la déclaration d'utilité publique ou ont cessé de recevoir cette destination ; que la cour d'appel retient qu'un ensemble immobilier conforme à la déclaration d'utilité publique a été réalisé, qu'en reconnaissant néanmoins l'existence du droit de rétrocession des consorts X..., la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles L. 12-6 et R. 12-6 du code de l'expropriation et a ainsi violé lesdits articles ;


Mais attendu qu'ayant relevé que la société Ozanam avait vendu à la société Casbat, pour la construction d'un casino, une parcelle non utilisée qui lui avait été attribuée à la suite d'une expropriation afin d'y édifier un ensemble de logements sociaux, la cour d'appel a exactement retenu que cette destination n'étant pas conforme à celle prévue par la déclaration d'utilité publique, les consorts X... bénéficiaient sur cette parcelle d'un droit à rétrocession ;


D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


Sur le deuxième moyen :


Attendu que la société Ozanam fait grief à l'arrêt de prononcer l'annulation de la clause de renonciation par les consorts X... à leur droit de rétrocession alors, selon le moyen :


1 / que l'acte de vente des 11 et 17 décembre 1980 stipulait que "par suite de la présente rétrocession, les consorts X... se trouvent pleinement satisfaits de l'expropriation dont leur propriété a été l'objet et ils renoncent en conséquence à la faculté qui leur est laissée par l'article L. 12-6 du code permanent de la construction et de l'urbanisme de demander la rétrocession de toute autre parcelle de ladite propriété", qu'en écartant l'application de cette clause au motif inopérant que l'étendue de la renonciation était imprécise, quand cette clause manifestait de manière non équivoque la volonté de renoncer à la faculté de demander la rétrocession de toute parcelle de leur propriété expropriée, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;


2 / que les expropriés peuvent renoncer à leur droit de demander la rétrocession du bien exproprié ; qu'en estimant que le consentement des consorts X... à la renonciation à leur droit de rétrocession, eût-il porté sur l'ensemble des parcelles expropriées, était subordonné à une affectation conforme, la cour d'appel a ajouté aux termes exprimés une condition qui n'y figurait pas, violant ainsi les articles L. 12-6 et R. 12-6 du code de l'expropriation, ensemble l'article 1134 du code civil ;


Mais attendu qu'appréciant souverainement le sens et la portée de la clause particulière de renonciation insérée dans l'acte de vente des 11 et 17 décembre 1980 rendue ambiguë par le visa d'un texte erroné et non de la disposition spécifique et d'ordre public du code de l'expropriation relative au droit de rétrocession ainsi que par son rapprochement avec les autres clauses de l'acte se référant au "protocole d'accord" du 31 janvier 1972, la cour d'appel a pu retenir que les consorts X... n'avaient pas valablement renoncé pour l'avenir à exercer leur droit de priorité lors de la rétrocession de toute autre parcelle ;


D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


Sur le troisième moyen :


Attendu que la société Ozanam fait grief à l'arrêt de dire que ni M. Y..., ni la société civile professionnelle à laquelle il appartient, n'ont commis de faute susceptible d'engager leur responsabilité et de les mettre hors de cause, alors, selon le moyen, que tenu professionnellement d'éclairer les parties, le notaire se doit d'appeler leur attention sur les conséquences et les risques des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique ; qu'en estimant que le notaire ne pouvait se faire juge de la validité de la renonciation des propriétaires expropriés à leur droit de rétrocession, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il avait rempli son obligation de conseil en avertissant la société Ozanam des risques présentés par la revente d'un terrain exproprié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;


Mais attendu que, saisie des conclusions de la société Ozanam reprochant à M. Y... d'avoir failli à son devoir de conseil en ne faisant aucune référence à l'acte des 11 et 17 décembre 1980 et soutenant que, s'il s'y était intéressé, il aurait dû en faire l'analyse, ce qui lui aurait permis de s'interroger pour savoir si les consorts X... avaient valablement renoncé à leur droit de rétrocession, la cour d'appel a légalement justifié sa décision en retenant, d'une part, qu'eût-il fait référence à cette renonciation constatée par acte authentique quinze ans auparavant, le notaire n'aurait pu ni se faire juge de sa validité, ni aviser ou faire intervenir à l'acte les consorts X... sous peine d'enfreindre le secret professionnel et, d'autre part, que le fait générateur du préjudice des consorts X... était la clause de renonciation portée à l'acte de 1980 auquel M. Y... et la SCP étaient étrangers ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi ;


Condamne la société Ozanam aux dépens ;


Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Ozanam, la condamne à payer aux consorts X... la somme de 2 000 euros et à M. Y... et à la SCP notariale, ensemble, la somme de 2 000 euros ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept septembre deux mille six.

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