8 juin 2006
Cour de cassation
Pourvoi n° 04-19.069

Troisième chambre civile

Publié au Bulletin

Titres et sommaires

VENTE - garantie - vices cachés - définition - applications diverses - existence - appréciation souveraine - pouvoirs des juges - caractère caché des vices de la chose vendue

Caractérise l'existence d'un vice caché la cour d'appel qui déduit souverainement de ses constatations que l'ampleur de la pollution, non connue de l'acquéreur, rendait l'immeuble impropre à sa destination dès lors que toute construction restait risquée pour la santé ou la sécurité tant des participants au chantier que des futurs utilisateurs.

Texte de la décision

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 septembre 2004), que la société Total solvants, actuellement Total fluides, a vendu le 23 décembre 1991 à la société Sem Plaine commune développement (la SEM) un "ensemble immobilier" anciennement à usage de stockage d'hydrocarbures en vue d'y réaliser une opération de construction après démolition des bâtiments ; que la SEM a consenti une promesse de vente sur une partie du site à la société Férinel aux droits de laquelle sont venues la société Georges V Industrie, puis Sari développement ;


qu'estimant que le bien était atteint d'un vice caché en raison de l'ampleur de la pollution, la SEM a assigné Total fluides en résolution de la vente, en paiement de dommages-intérêts et en garantie des condamnations prononcées au bénéfice de Sari développement et de la SCI Saint Denis Aubervilliers Lafargue, lesquelles ont demandé la condamnation de Total fluides à réparer leurs préjudices résultant de la caducité de la promesse de vente ;


Sur le premier moyen :


Attendu que la société Total fluides fait grief à l'arrêt de prononcer la résolution de la vente au profit de la SEM alors, selon le moyen :


1 ) que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, la société Total fluides se prévalait expressément d'une nouvelle Etude détaillée des risques (EDR) commencée en 2003 et dont elle produisait les conclusions provisoires aux débats, selon laquelle, "le site (litigieux) est tout à fait constructible" sous réserve du respect de spécifications techniques précises (mise en place d'une géomembrane ou d'un tapis drainant sous le bâtiment ;


venting préalable à tout aménagement) et dont il résultait que le surcoût généré par ces travaux spécifiques était d'environ 10 % du coût de la construction ; que dès lors, en omettant d'examiner ce nouvel élément de preuve, produit par Total fluides en cause d'appel, de nature à établir la constructibilité du site vendu, sans risques sanitaires sérieux, moyennant un surcoût limité par rapport au coût prévisible de la construction, la cour d'appel a violé l'article 1353-2 du code civil ensemble les articles 455 et 563 du nouveau code de procédure civile ;


2 ) qu'en prétendant déduire le caractère impropre à sa destination du terrain du fait que la construction ne serait possible que "grâce à un surcoût que SEM Plaine n'était pas supposée avoir intégré dans son projet", surcoût qui aurait été " très supérieur à 9 % retenu par SOCOTEC " dans un rapport concluant à la constructibilité du terrain, sans rechercher si le surcoût de construction dont elle n'évalue pas l'ampleur, était tel que le terrain devait être considéré comme impropre à l'usage auquel il était destiné, la cour d'appel a entaché son arrêt d'un défaut de base légale au regard des dispositions de l'article 1641 du code civil, la seule affirmation d'un surcoût, non déterminé, ne caractérisant pas le caractère rédhibitoire du vice retenu ;


3 ) que dans ses conclusions d'appel, la société Total fluides, faisant sur ce point siennes les conclusions de l'expert judiciaire et les constatations du jugement de première instance, soutenait expressément que dès lors que la SEM Plaine développement, ayant pour activité de réaliser des opérations immobilières et pour projet de transformer l'exploitation industrielle en cours de fermeture acquise en une zone d'aménagement concertée pour PME-PMI, n'avait pas fait pratiquer avant l'acquisition, comme elle y était tenue en sa qualité d'acquéreur professionnel normalement diligent, un diagnostic environnemental approfondi du site présumé pollué, ainsi que cela était de pratique courante en France depuis 10 ans, ce qui lui aurait permis de mesurer immédiatement l'ampleur de cette pollution et de déceler le vice de la chose vendue, elle ne pouvait se prévaloir du caractère caché du vice invoqué ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen essentiel, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;


Mais attendu, d'une part, qu'ayant retenu que les opérations d'expertise judiciaire, conduites de manière très complète après consultation des travaux déjà réalisés et de l'ensemble des études et prescriptions, avaient mis en évidence que le site restait pollué même en surface, qu'une décontamination complète était problématique et que toute opération de construction était risquée, la cour d'appel, appréciant les éléments de preuve qui lui étaient soumis, sans être tenue de s'expliquer sur ceux qu'elle décidait d'écarter ni de procéder à une recherche sur l'importance du surcoût que ses constatations rendaient inopérante, en a souverainement déduit que l'ampleur de la pollution, non connue de la société SEM, constituait un vice caché rendant l'immeuble impropre à sa destination dès lors que toute construction restait risquée pour la santé ou la sécurité tant des participants au chantier que des futurs utilisateurs ;


Attendu, d'autre part, que la société Total fluides n'ayant pas soutenu dans ses conclusions d'appel que le défaut de diagnostic environnemental approfondi du site empêchait la société SEM de se prévaloir d'un vice caché, le moyen manque en fait de ce chef ;


D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


Sur le deuxième moyen pris en sa première branche, ci-après annexé :


Attendu qu' ayant relevé qu'il était convenu que les bâtiments étaient voués à la démolition, la cour d'appel en a exactement déduit que la restitution devait porter sur la totalité du prix ;


D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


Et sur le deuxième moyen pris en sa seconde branche : :


Vu l'article 1149 du code civil ;


Attendu que pour fixer le préjudice consistant en des frais de société, l'arrêt retient que Total fluides a dénoncé la somme demandée comme excessive, que l'expert a relevé qu'il ne lui avait pas été fourni d'explication particulière sur l'importance de ces frais eu égard à l'absence de concrétisation du projet immobilier et qu'il convient de dire que ces frais seront remboursés pour la somme forfaitaire de 1 million de francs ;


Qu'en procédant à une évaluation forfaitaire, la cour d'appel a violé le texte sus-visé ;


Et attendu que le premier moyen ayant été rejeté, le troisième moyen, en ce qu'il est tiré d'une cassation par voie de conséquence, est devenu sans portée ;

PAR CES MOTIFS :


CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Total fluides à rembourser à la société SEM la somme de 1 million de francs comprise dans celle de 14 210 335 francs soit 2 166 351 euros, l'arrêt rendu le 8 septembre 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;


Condamne la société SEM aux dépens ;


Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne la société SEM à payer à la société Total fluides la somme de 2 000 euros ; rejette les autres demandes de ce chef ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit juin deux mille six.

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