14 décembre 2000
Cour de cassation
Pourvoi n° 98-22.427

Deuxième chambre civile

Publié au Bulletin

Titres et sommaires

PRESSE - journal - responsabilité - droit de réponse - insertion - refus d'insertion - action en réparation du refus d'insertion - moyen tiré de la prescription - moyen soulevé d'office - cassation - moyen - moyen d'ordre public - action en réparation du refus d'insertion d'un droit de réponse - prescription - moyen inopérant - moyen tiré de l'admission de la prescription soulevée postérieurement à l'ordonnance de clôture - action en insertion forcée - prescription civile - applications diverses - prescription de trois mois

La courte prescription, édictée par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, a pour objet de garantir la liberté d'expression. Cette prescription qui s'applique à l'action civile en réparation du préjudice occasionné par le refus d'insertion de réponse, exercée séparément en matière d'infractions de presse, est d'ordre public et doit être relevée d'office par un tribunal, ce qui rend inopérant le moyen de cassation pris de ce qu'elle avait été accueillie alors qu'elle n'avait été invoquée que par des conclusions postérieures à l'ordonnance de clôture.

Texte de la décision

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 octobre 1998) et les productions, que, le 21 novembre 1995, le journal quotidien Libération a publié un article intitulé : " Des Chemises noires au polo Cachemire " et sous-titré : " Au Texas, des historiens ont examiné les habits neufs de l'extrême droite européenne ", qui mettait en cause notamment l'association Club de l'horloge (l'association) ; que celle-ci, par lettre recommandée du 13 décembre 1995, a adressé au directeur de la publication du journal une demande de droit de réponse et une mise au point, qui n'a pas été publiée ; que, par acte d'huissier de justice du 13 mars 1996, l'association a fait assigner M. X..., directeur de la publication du journal, et la Société nouvelle de presse et de communication (SNPC), entreprise éditrice, devant le tribunal de grande instance, en réparation du préjudice occasionné par le refus d'insertion et en insertion forcée ;


Sur le premier moyen :


Attendu que l'association fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré prescrite l'action en réparation du refus d'insertion, alors, selon le moyen :


1° que l'action en réparation du préjudice résultant du refus d'insertion d'un droit de réponse est accessoire à l'action en insertion forcée de ce droit de réponse, de sorte que le délai de prescription doit être identique pour les deux demandes ; que l'action en insertion forcée est prescrite après un an à compter du jour où la publication a eu lieu ; qu'en décidant néanmoins que l'action en réparation du préjudice résultant du refus d'insertion était soumise au délai de prescription de trois mois, la cour d'appel a violé les articles 13 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;


2° que toute personne a droit à la liberté d'expression, laquelle comprend notamment la possibilité de répondre à une mise en cause formulée par un journaliste, ainsi que la liberté du lecteur d'un journal de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées ; que si ce droit peut faire l'objet de limitations, celles-ci doivent être proportionnées au but légitime poursuivi et ne pas porter atteinte à la substance même du droit protégé ; que toute personne a également un droit d'accès effectif à un tribunal ; que l'association Club de l'horloge a demandé au juge d'ordonner la publication d'une réponse à la suite d'un article la mettant en cause ; que pour déclarer prescrite l'action en réparation du dommage résultant du refus d'insertion de cette réponse, les juges du fond ont opposé la courte prescription de trois mois prévue par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'en se fondant ainsi sur une disposition qui porte une atteinte excessive et injustifiée à la liberté d'information et au droit d'accès à un tribunal, la cour d'appel a violé les articles 6, 10 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;


3° que, subsidiairement, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats après l'ordonnance de clôture, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office ; que M. X... et la SNPC n'ont invoqué le moyen pris de la prescription de l'action de l'association que par conclusions postérieures à l'ordonnance de clôture ; qu'en décidant que le tribunal avait pu accueillir le moyen ainsi soulevé postérieurement à l'ordonnance de clôture, la cour d'appel a violé l'article 783 du nouveau Code de procédure civile ;


4° qu'enfin, toujours à titre subsidiaire, la partie qui a conclu au fond en ayant le droit d'opposer une fin de non-recevoir, fût-elle d'ordre public, renonce par là même à invoquer cette fin de non-recevoir et ne peut la proposer par la suite ; que, devant le tribunal, M. X... et la SNPC ont déposé des conclusions au fond le 13 novembre 1996 et n'ont soulevé la prescription de l'action que par conclusions du 26 novembre, bien que cette prescription ait été acquise le 13 septembre 1996, les dernières conclusions interruptives ayant été signifiées le 13 juin 1996 ; que le moyen invoquant la prescription pouvait donc être invoqué dans les conclusions du 13 novembre 1996 ; qu'en décidant cependant que M. X... et la SNPC n'avaient pas renoncé à invoquer ce moyen, bien qu'ils ne l'aient pas soulevé dans leurs écritures signifiées le 13 novembre 1996, la cour d'appel a violé l'article 2224 du Code civil ;


Mais attendu que la courte prescription, édictée par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, a pour objet de garantir la liberté d'expression ;


Et attendu que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que la prescription instituée par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, qui s'applique à l'action civile exercée séparément en matière d'infractions de presse, est d'ordre public et peut être invoquée par les parties à tout moment de la procédure ; qu'ayant invoqué la courte prescription, en première instance, les intimés ne peuvent être présumés avoir renoncé à le faire, sous prétexte qu'ils ont soulevé cette fin de non-recevoir tardivement ; que si l'association a bien fait signifier le 13 juin 1996, trois mois après l'assignation, des conclusions tendant à confirmer celle-ci et manifestant sa volonté de poursuivre l'action, elle a ultérieurement laissé s'écouler un délai supérieur pour faire à nouveau connaître aux défendeurs son intention d'obtenir la sanction des faits incriminés ;


Qu'en déduisant de ces constatations et énonciations que l'action en réparation du préjudice occasionné par le refus d'insertion de réponse était prescrite, la cour d'appel, abstraction faite du motif critiqué par la troisième branche, qui est inopérant dès lors que la fin de non-recevoir devait être relevée d'office, n'a violé aucun des textes légaux et conventionnels visés au moyen, et a légalement justifié sa décision ;


Sur le second moyen :


Attendu que l'association fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande d'insertion forcée, alors, selon le moyen, que le droit de réponse est un droit fondamental, général et absolu, et peut être exercé par toute personne mise en cause dans un article de presse ; que ce droit peut porter non seulement sur des faits, mais également sur des jugements et opinions portés par l'auteur de l'article, a fortiori en cas d'accusations graves ; qu'en l'espèce, l'association Club de l'horloge a été mise en cause par un article selon lequel, d'une part, elle avait remplacé le concept de race par celui de culture pour se distancer d'un fascisme classique, d'autre part, elle appartenait à la nouvelle droite, dont les théoriciens récupèrent les valeurs universelles de tolérance et de droit à la différence pour justifier un racisme culturel, et qui a inspiré les partis d'extrême droite autrichien, italien et français ; qu'en réponse à cette assimilation, extrêmement précise et grave, au fascisme et au racisme, d'autant que l'article comportait une photographie de membres du mouvement socialiste italien commémorant la marche de Mussolini sur Rome et effectuant le salut fasciste, l'exposante a précisé que, contrairement à ce qui est indiqué dans cet article, elle n'a jamais appartenu à une quelconque extrême droite, ni à la nouvelle droite, et qu'elle était indépendante des partis politiques ; que, pour rejeter la demande d'insertion de cette réponse, le tribunal puis la cour d'appel, sans contester la corrélation avec l'article initial, ont décidé que le droit de réponse était destiné à rétablir le caractère contradictoire d'une information sur certains faits mais ne pouvait être invoqué pour combattre des analyses et jugements du journaliste ; qu'en rejetant ainsi la demande d'insertion d'une réponse, la cour d'appel a violé l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 ;


Mais attendu qu'il résulte de l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 que le délai d'un an imparti pour exercer l'action en insertion forcée s'applique uniquement à la demande d'insertion d'une réponse adressée au directeur de la publication, et que l'action en justice exercée à la suite d'un refus d'insertion, en réparation des conséquences dommageables de cette infraction, éventuellement par une publication judiciaire, est soumise au délai de prescription de trois mois prévu par l'article 65 de ladite loi ;


Que, par ce motif de pur droit, substitué à ceux de l'arrêt attaqué, la décision se trouve légalement justifiée ;


PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi.

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