26 mars 1996
Cour de cassation
Pourvoi n° 94-13.145

Première chambre civile

Publié au Bulletin

Titres et sommaires

PROFESSIONS MEDICALES ET PARAMEDICALES - médecin chirurgien - obligation de renseigner - etendue - consultation génétique - exclusion d'un risque de réapparition dans la descendance des troubles affectant le père - conception et naissance d'un enfant atteint de ces troubles - existence d'un lien de causalité - portée - responsabilite contractuelle - lien de causalité - applications diverses

La faute commise par un praticien en donnant à un couple, lors d'une consultation génétique, un conseil favorable, excluant pour ce couple le risque de réapparition dans sa descendance des troubles dont le mari était atteint, est en relation directe avec le désir de conception d'un enfant et la naissance de l'enfant atteint de la maladie de son père ; dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel a accueilli la demande d'indemnisation formée par les parents tant à titre personnel qu'au nom de leur enfant.

Texte de la décision

Attendu qu'au cours de l'année 1982, Mme Y... et son époux, celui-ci porteur d'un déficit des membres inférieurs associé à un syndrome pyramidal et à une comitialité récente, ont consulté M. X..., professeur de médecine, sur le risque éventuel pour le couple d'avoir un enfant porteur de troubles neurologiques identiques à ceux de M. Y... ; que M. X... a donné un conseil génétique favorable, en reprenant le diagnostic de la maladie de Little, formulé par les médecins traitants de M. Y..., et qui, au vu des examens cliniques, lui est apparu vraisemblable ; qu'en 1987, Mme Y... a mis au monde l'enfant Virginie, atteinte d'un handicap semblable à celui de son père ; que les experts ont conclu qu'il s'agissait non de la maladie de Little relative à une pathologie non transmissible, mais d'une maladie hérédo-dégénérative dite de Strumfell-Lorrain ; que les époux Y... ont assigné M. X... et son assureur, la Mutuelle du corps sanitaire, en réparation de leur préjudice et celui de leur enfant, en reprochant à ce praticien d'avoir négligé un problème neurologique existant chez un frère utérin de M. Y... ; que l'arrêt confirmatif attaqué (Riom, 25 janvier 1994) a retenu la faute de M. X... et considéré que l'erreur commise était en relation de causalité avec la naissance de l'enfant ; qu'il a, en conséquence, condamné le médecin à réparer tant le préjudice personnel des époux Y... que celui de leur enfant ;


Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :


Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à indemniser les époux Y... de leur préjudice personnel alors, selon le moyen, d'une part, qu'en manquant d'éclairer les époux sur les risques éventuels de cette naissance, le médecin aurait seulement pu leur faire perdre une chance d'éviter, par un refus de projet parental, les conséquences préjudiciables de cette naissance ; qu'en le déclarant responsable de l'entier préjudice subi par les parents, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ; alors, d'autre part, que la naissance de l'enfant en 1987 n'est pas nécessairement la conséquence de la consultation génétique donnée par M. X... 5 ans auparavant ; que l'existence d'un lien de causalité entre la faute imputée au médecin et la perte de chance étant hypothétique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte précité ;


Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel a retenu que les époux Y... avaient cherché auprès de M. X... un conseil déterminant et une certitude quant à l'absence du risque ; qu'elle a pu en déduire que l'erreur commise était en relation directe de causalité avec leur décision de conception d'un enfant ; que M. X..., qui n'a pas soutenu devant les juges du fond qu'il n'y avait eu qu'une perte de chance d'éviter, par un refus de procréer, les conséquences préjudiciables de cette naissance, n'est pas recevable à le faire pour la première fois devant la Cour de Cassation ; que, par ailleurs, la cour d'appel a encore pu considérer que la consultation génétique donnée 5 ans avant la naissance était en relation directe avec celle-ci dès lors qu'il n'était allégué ni que les troubles actuels de l'enfant eussent eu une autre cause ni que d'autres conseils médicaux déterminants eussent été donnés ;


D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa première branche, n'est pas fondé en la seconde ;


Sur le second moyen :


Attendu que M. X... fait aussi grief à l'arrêt de l'avoir condamné à indemniser les époux Y... en leur qualité d'administrateurs de leur fille, alors, selon le moyen, que, pour être indemnisé, le préjudice allégué doit être réparable et en relation directe avec la faute commise ; que le handicap dont souffre l'enfant est inhérent à sa personne et notamment à son patrimoine génétique et ne résulte pas des négligences reprochées au praticien ; qu'en statuant ainsi qu'elle a fait, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;


Mais attendu que les juges du fond ont pu considérer que la faute commise par le praticien en donnant un conseil, qui n'avertissait pas les époux Y... d'un risque de réapparition dans leur descendance des troubles dont M. Y... était atteint, était en relation directe avec la conception d'un enfant atteint d'une maladie héréditaire ; que, dès lors, leur décision condamnant M. X... à réparer les conséquences dommageables définitives des troubles de l'enfant est légalement justifiée ;


PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi.

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