20 février 2007
Cour de cassation
Pourvoi n° 06-15.647

Première chambre civile

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2007:C100224

Titres et sommaires

FILIATION - filiation adoptive - adoption simple - effets - transfert de l'autorité parentale au profit de l'adoptant - portée - domaine d'application - exclusion - cas

Viole l'article 365 du code civil la cour d'appel qui prononce une adoption simple en faveur de la compagne pacsée de la mère biologique, alors qu'une telle adoption réalise un transfert des droits d'autorité parentale, privant cette dernière, qui entendait continuer à élever l'enfant, de ses propres droits

Texte de la décision

Donne acte à Mmes X... et Y... de leur intervention ;

Sur les deux moyens du pourvoi auquel s'associent Mme X... et Y... :

Vu l'article 365 du code civil ;

Attendu que l'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale à moins qu'il ne soit le conjoint du père ou de la mère de l'adopté ; Attendu que pour prononcer l'adoption simple, par Mme X..., du fils de Mme Y..., né le 13 juillet 2004, en estimant que l'adoption était conforme à l'intérêt de l'enfant, l'arrêt attaqué relève que Mmes Y... et X... ont conclu un pacte civil de solidarité en 2001, et qu'elles apportent toutes deux à l'enfant des conditions matérielles et morales adaptées et la chaleur affective souhaitable et qu'il est loisible à Mme Y... de solliciter un partage ou une délégation d'autorité parentale ;

Qu'en statuant ainsi, alors que cette adoption réalisait un transfert des droits d'autorité parentale sur l'enfant en privant la mère biologique, qui entendait continuer à élever l'enfant, de ses propres droits, de sorte que, même si Mme Y... avait alors consenti à cette adoption, en faisant droit à la requête la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 avril 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt février deux mille sept.

Moyens produits par le procureur général près la cour d'appel de Bourges.

MOYENS ANNEXES à l'arrêt n° 224 :

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

VIOLATION des articles 361 et suivants, 353 du code civil EN CE QUE l'arrêt attaqué a jugé l'adoption conforme à l'intérêt de l'enfant ;

AUX MOTIFS que la motivation essentielle de la démarche de l'adoptante est la protection de l'enfant en cas de décès de sa mère biologique ; qu'il n'est ni allégué ni établi que Mme X... ne soit pas apte à assurer la sécurité et l'éducation de l'enfant au même titre que sa mère biologique avec laquelle elle vit depuis de nombreux mois et a envisagé l'éducation en commun d'un enfant ; que certes Mme Y... par le fait de l'adoption de son fils par Mme X... va se voir privée de l'exercice de son autorité parentale ; que pour autant elle conservera ses droits et devoirs résultant de la filiation naturelle en application de l'article 364 du code civil et que l'attribution de l'autorité parentale à l'adoptante, dès lors que cette dernière présente toutes garanties de prise en charge matérielle et affective de l'enfant, n'est pas contraire à son intérêt ;

ALORS QUE l'adoption simple entraînera une perte complète des droits de la mère naturelle et que cette situation juridique ne peut en aucun cas être considérée comme conforme à l'intérêt de l'enfant ;

Qu'il convient de rappeler qu'en application des dispositions de l'article 365 du code civil, l'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale, à moins qu'il ne soit le conjoint du père ou de la mère de l'adopté ; que dans ce cas, l'adoptant a l'autorité parentale concurremment avec son conjoint, lequel en conserve seul l'exercice, sous réserve d'une déclaration conjointe avec l'adoptant devant le greffier en chef du tribunal de grande instance aux fins d'un exercice en commun de cette autorité ;

Que le concubin ou le partenaire d'un PACS n'étant pas assimilé au conjoint, le parent biologique qui consent à l'adoption simple de son enfant dans un couple homosexuel perd en conséquence tous ses droits d'autorité parentale ; Que la perte de l'autorité parentale qui interviendrait en l'espèce pour la mère naturelle ne peut être considérée comme conforme à l'intérêt de l'enfant ;

Qu'une telle situation crée un risque de rupture définitive des liens éducatifs et affectifs entre l'enfant et sa mère biologique en cas de mésentente et de séparation du couple ;

Qu'il convient à cet égard d'observer que la révocation de l'adoption simple ne peut être prononcée que s'il est justifié de motifs graves et qu'il n'est nullement certain qu'un tribunal de grande instance considère que la séparation entre l'adoptante et la mère biologique constitue à elle-seule une cause grave de nature à justifier la révocation de l'adoption, si l'enfant a été élevé depuis sa naissance et pendant de nombreuses années par l'adoptante ;

Que ces considérations ont d'ailleurs conduit plusieurs juges du fond à refuser le prononcé de l'adoption simple dans de telles circonstances ;

Que c'est ainsi que par jugement du 22 octobre 2003, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté la demande d'adoption simple formée par la partenaire pacsée d'une femme qui, après avoir accompli des démarches en Belgique, avait donné naissance à deux jumeaux (affaire Z...-A...) ; que le tribunal a estimé que si les conditions légales de l'adoption étaient réunies, celle-ci n'était pas conforme à l'intérêt des enfants, "en raison des risques qu 'elle leur faisait encourir quant à la préservation du lien fondamental avec leur mère biologique" ; qu'il a ajouté qu'en cas de séparation du couple, le juge aux affaires familiales, appelé à statuer sur les conséquences de cette séparation, serait placé dans l'impossibilité totale de prévoir en faveur des enfants un exercice conjoint de l'autorité parentale par l'adoptante et la mère biologique ainsi que la fixation de leur résidence au domicile de cette dernière, laquelle serait nécessairement réduite à n'exercer qu'un droit de visite et d'hébergement ;

Que la cour d'appel de Paris, par arrêt en date du 6 mai 2004, a confirmé ledit jugement du tribunal de grande instance de Paris en retenant notamment les motifs suivants : - "la substitution, par le biais de l'adoption, de l'autorité parentale d'un tiers à celle de la mère biologique ne sera d'aucune utilité pour les enfants dès lors qu'il n'est pas établi ni même prétendu que Mme Z... serait mieux à même d'assurer leur sécurité et leur éducation que Mme A... ; - en réalité, cette substitution qui aurait pour effet de donner aux jumeaux deux mères, l'une biologique sans autorité parentale sur eux, l'autre adoptive titulaire de l'autorité parentale, alors qu'il y a communauté de vie, apparaît servir l'intérêt des appelantes et non celui des enfants" ;

Qu'en ayant ainsi considéré à tort l'adoption dont s'agit comme conforme à l'intérêt de l'enfant, l'arrêt attaqué ne peut échapper à la censure ;

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

VIOLATION des articles 361 et suivants, 353, 376 et suivants du code civil ;

EN CE QUE l'arrêt attaqué a jugé que la perte de l'autorité parentale par la mère biologique Mme Y... du fait de l'adoption ne peut conduire à faire considérer qu'une telle adoption est contraire à l'intérêt de l'enfant dans la mesure où le mécanisme de la délégation partage de l'autorité parentale viendra nécessairement, si Mme Y... en fait la demande, compenser un tel effet ;

AUX MOTIFS qu'il est en effet loisible à Mme Y... de solliciter un partage ou une délégation d'autorité parentale désormais admise par la jurisprudence, la cour d'appel considérant manifestement comme acquis qu'il serait fait droit à sa demande ;

ALORS QUE d'abord il ne peut en aucun cas être tenu pour acquis qu'après le prononcé de l'adoption, le parent adoptant s'adressera effectivement au juge aux affaires familiales afin d'obtenir une délégation avec partage de l'autorité parentale dont il est investi au profit du parent biologique ;

Que surtout, cette demande de délégation se trouve subordonnée à la seule volonté du parent adoptant, étant rappelé qu'après le prononcé de l'adoption, la mère biologique n'a plus qualité pour saisir le juge aux affaires familiales sur le fondement des articles 377 et 377-1 du code civil, faute d'exercer l'autorité parentale sur l'enfant ;

Que, dans ces conditions, en cas de séparation du couple avant la saisine du juge aux affaires familiales, la mère naturelle n'aura plus aucun droit de prendre part aux choix éducatifs concernant ce dernier, seul un droit de visite pouvant éventuellement lui être accordé sur le fondement de l'article 371-4 du code civil, si elle demande au procureur de la République de saisir le juge en ce sens.

Que, par ailleurs, même à supposer qu'une demande de délégation avec partage de l'autorité parentale soit formée postérieurement au prononcé de l'adoption, il ne saurait être présumé que le juge saisi ferait droit à cette demande ;

Que la Cour de cassation a certes récemment admis l'application de l'article 377-1 du code civil au sein d'un couple homosexuel ;

Que cet arrêt du 24 février 2006 ne vise cependant pas l'hypothèse d'une délégation d'autorité parentale prononcée au profit de la mère biologique postérieurement à un jugement d'adoption simple lui ayant fait perdre ses droits d'autorité parentale, mais concerne une délégation d'autorité parentale consentie par la mère biologique, initialement seule titulaire de cette autorité, au profit de sa compagne, situation dans laquelle la mère biologique reste titulaire de l'autorité parentale sur son enfant et peut, le cas échéant, en recouvrer l'exercice exclusif si elle justifie de circonstances nouvelles (art. 377-2 du code civil) ;

Qu'en tout état de cause, la Cour de cassation exige que certaines conditions de fond soient réunies, à savoir l'existence d'une union stable et continue, la preuve que la mesure correspond à l'intérêt de l'enfant et la démonstration que les circonstances exigent la délégation : en l'espèce, la mère naturelle était astreinte à de longs trajets quotidiens, faisant craindre la survenance d'un événement accidentel de nature à l'empêcher d'exprimer sa volonté ;

Que rien ne permet de supposer que ces trois conditions seraient réunies s'agissant du cas de Mmes X... et Y... ;

Que cet arrêt du 24 février 2006 ne paraît donc pas devoir remettre en cause l'analyse précédemment opérée par les juges du fond concernant l'éventuelle application de l'article 377-1 du code civil au profit de la mère biologique privée de ses droits suite au prononcé d'une adoption au bénéfice de sa compagne ;

Qu'aux termes du jugement précité du 22 octobre 2003, les juges du fond avaient ainsi précisé que la délégation d'autorité parentale évoquée par les parties au profit de la mère biologique, pour lui restituer tout ou partie de l'exercice de l'autorité parentale, était exclue dès lors que : - "cette délégation ne peut intervenir qu'en faveur d'un tiers, membre de la famille ou proche digne de confiance et que la mère biologique ne peut à l'évidence être qualifiée de "tiers" ou "proche" ; - il ne peut être inféré de la seule saisine du juge aux affaires familiales que ce dernier qui ne manquerait pas de voir dans la démarche entreprise auprès de lui un détournement de la procédure de délégation d'autorité parentale, aux fins de faire échec aux dispositions de l'article 365 du code civil, ferait droit à une telle demande".

Que, de leur côté, dans la décision du 6 mai 2004 susvisée, les magistrats la cour d'appel de Paris ont rappelé que "pour échapper aux effets de l'article 365 du code civil, Mmes Z... et A... opposent que le partage de l'autorité parentale est possible en application des articles 377 et 377-1 du même code ; mais selon ces textes, la délégation d'autorité parentale ne peut être demandée que si les circonstances l'exigent et son éventuel partage n'est prévu que pour les besoins de l'éducation de l'enfant, ce qui suppose que son intérêt soit pris en compte ; en l'espèce, la délégation d'autorité parentale ou son partage envisagés, au demeurant hypothétiques, et l'adoption demandée, sont antinomiques, dès lors de l'adoption simple d'un enfant mineur a notamment pour objectif de voir conférer l'autorité parentale à l'adoptant ; cette contradiction démontre encore que la requête sert à satisfaire les aspirations des appelantes et non l'intérêt présent des enfants".

Qu'en ayant ainsi considéré à tort que le mécanisme de la délégation partage de l'autorité parentale pourrait nécessairement compenser la perte de l'autorité parentale par la mère biologique du fait de l'adoption, l'arrêt attaqué encourt là encore la censure ;

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