18 mars 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 17-20.226

Deuxième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C200212

Titres et sommaires

SECURITE SOCIALE, ASSURANCES SOCIALES - Vieillesse - Pension - Majoration - Enfant handicapé - Article L. 541-1 du code de la sécurité sociale et 35a du code social allemand - Principe d'assimilation des faits - Office du juge - Obligation de vérification de la matérialité des faits

Selon l'article L. 351-4-1 du code de la sécurité sociale, une majoration de leur durée d'assurance est attribuée aux assurés sociaux élevant un enfant ouvrant droit, en vertu des articles L. 541-1 et R. 541-1, à l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et son complément lorsque le taux d'incapacité permanente de l'enfant est au moins égal à 80 % ou, sous certaines conditions, à 50 %. Saisie par la Cour de cassation d'une question préjudicielle, la Cour de justice de l'Union européenne, par arrêt du 12 mars 2020 (CJUE, arrêt du 12 mars 2020, Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail d'Alsace-Moselle, C-769/18), a dit pour droit que l'article 3 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009, doit être interprété en ce sens que l'aide à l'intégration des enfants et des adolescents handicapés mentaux, prévue à l'article 35a du huitième livre du Sozialgesetzbuch (code social allemand), ne constitue pas une prestation, au sens de cet article 3, et, dès lors, ne relève pas du champ d'application matériel de ce règlement. Elle a ensuite dit que l'article 5 du même règlement modifié doit être interprété en ce sens que l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, prévue à l'article L. 541-1 du code de la sécurité sociale français, et l'aide à l'intégration des enfants et des adolescents handicapés mentaux, au titre de l'article 35a du huitième livre du code social allemand, ne peuvent pas être considérées comme des prestations ayant un caractère équivalent, au sens du point a) de cet article 5, mais que le principe d'assimilation des faits consacré au point b) dudit article 5 s'applique dans des circonstances telles que celles en cause au principal et qu'il incombe donc aux autorités compétentes françaises de déterminer si, en l'occurrence, la survenance du fait requis au sens de cette disposition est établie, ces autorités devant, à cet égard, tenir compte des faits semblables survenus en Allemagne comme si ceux-ci étaient survenus sur leur propre territoire. Viole, dès lors, les articles L. 351-4-1, L. 541-1 et R. 541-1 du code de la sécurité sociale et 3 et 5 du règlement n° 883/2004 modifié, la cour d'appel qui accorde à un assuré une majoration de sa durée d'assurance, alors que les prestations française et allemande ne sont pas équivalentes et qu'il lui appartenait de vérifier, dans les conditions et sous les modalités rappelées par la Cour de justice de l'Union européenne dans sa décision, si le taux d'incapacité permanente de l'enfant handicapé requis par le droit français était atteint

UNION EUROPEENNE - Sécurité sociale - Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 - Domaine - Prestations - Exclusion - Aide à l'intégration des enfants et des adolescents handicapés mentaux

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 mars 2021




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 212 FS-P

Pourvoi n° M 17-20.226







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 MARS 2021

La caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) d'Alsace-Moselle, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° M 17-20.226 contre l'arrêt rendu le 27 avril 2017 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section SB), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme P... V..., domiciliée [...] ),

2°/ au ministre chargé de la sécurité sociale, domicilié [...] ,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Taillandier-Thomas, conseiller, les observations de la SCP de Gatineau Fattaccini Rebeyrol, avocat de la la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) d'Alsace-Moselle, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 février 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Taillandier-Thomas, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, Mmes Coutou, Renault-Malignac, M. Rovinski, Mmes Cassignard, Lapasset, M. Leblanc, conseillers, Mme Le Fischer, M. Gauthier, Mmes Vigneras, Dudit, conseillers référendaires, M. de Monteynard, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 27 avril 2017), Mme V... (l'assurée), résidant en Allemagne, a demandé la prise en compte par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail d'Alsace-Moselle (la caisse), pour la liquidation de ses droits à pension ouverts en application de la législation française, d'une majoration de durée d'assurance au titre de l'éducation d'un enfant handicapé, invoquant la reconnaissance du handicap de l'enfant par la législation sociale allemande.

2. La caisse lui ayant refusé cette majoration, l'assurée a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La caisse fait grief à l'arrêt de faire droit au recours, alors « que l'application des textes européens ne peut donner lieu à une discrimination à rebours, donnant plus de droits aux personnes ayant relevé de systèmes d'allocations d'autres pays membres qu'aux assurés sociaux ayant toujours relevé uniquement du régime français ; que, comme le faisait justement valoir la caisse devant la cour d'appel, la majoration de la durée d'assurance pour enfant handicapé suppose que l'enfant ait été atteint d'une incapacité permanente d'au moins 80 % ; que la cour d'appel ne pouvait statuer comme elle l'a fait, sans vérifier que la fille de Mme V... avait été atteinte d'une incapacité permanente d'au moins 80 % ; que la cour d'appel a violé, ensemble, l'article 5 du règlement CE n° 883/2004, les articles L. 351-4-1, L. 541-1 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 351-4-1, L. 541-1 et R. 541-1 du code de la sécurité sociale et 3 et 5 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 :

4. Selon le premier de ces textes, une majoration de leur durée d'assurance est attribuée aux assurés sociaux élevant un enfant ouvrant droit, en vertu des deuxième et troisième, à l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et son complément lorsque le taux d'incapacité permanente de l'enfant est au moins égal à 80 % ou, sous certaines conditions, à 50 %.

5. Saisie par la Cour de cassation dans le présent pourvoi d'une question préjudicielle, la Cour de justice de l'Union européenne, par arrêt du 12 mars 2020 (CJUE, caisse d'assurance retraite et de la santé au travail d'Alsace-Moselle, aff. C-769/18), a dit pour droit :

« L'article 3 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, doit être interprété en ce sens que l'aide à l'intégration des enfants et des adolescents handicapés mentaux, prévue à l'article 35a du huitième livre du Sozialgesetzbuch (code social allemand), ne constitue pas une prestation, au sens de cet article 3, et, dès lors, ne relève pas du champ d'application matériel de ce règlement.

L'article 5 du règlement n° 883/2004, tel que modifié par le règlement n° 988/2009, doit être interprété en ce sens que :

- l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, prévue à l'article L. 541-1 du code de la sécurité sociale français, et l'aide à l'intégration des enfants et des adolescents handicapés mentaux, au titre de l'article 35a du huitième livre du code social allemand, ne peuvent pas être considérées comme des prestations ayant un caractère équivalent, au sens du point a) de cet article 5 ;

- le principe d'assimilation des faits consacré au point b) dudit article 5 s'applique dans des circonstances telles que celles en cause au principal. Il incombe donc aux autorités compétentes françaises de déterminer si, en l'occurrence, la survenance du fait requis au sens de cette disposition est établie. À cet égard, ces autorités doivent tenir compte des faits semblables survenus en Allemagne comme si ceux-ci étaient survenus sur leur propre territoire. »

6. La Cour de justice a précisé, dans les motifs de sa décision :

- que lesdites autorités doivent tenir compte de faits semblables survenus en Allemagne et ne peuvent se limiter, dans l'appréciation de l'incapacité permanente de l'enfant handicapé concerné, aux seuls critères prévus à cet effet par le guide-barème applicable en France en vertu de l'article R. 541-1 du code de la sécurité sociale français ;

- qu'afin d'établir si le taux d'incapacité permanente est atteint, elles ne pourraient refuser de prendre en compte des faits semblables survenus en Allemagne, pouvant être démontrés par tout élément de preuve, et notamment par des rapports d'examens médicaux, des certificats ou encore des prescriptions de soins ou de médicaments ;

- que dans le cadre d'une telle vérification, elles doivent également respecter le principe de proportionnalité en veillant, notamment, à ce que le principe d'assimilation des faits ne donne pas lieu à des résultats objectivement injustifiés, conformément au considérant 12 du règlement n° 883/2004.

7. Pour accueillir le recours, l'arrêt retient que la Ville de Stuttgart ayant versé à l'assurée, à compter du 10 novembre 1995, une aide financière régulière pour allégement des charges du handicap de sa fille sur le fondement de l'article 35a du huitième livre du code social allemand, l'assurée a ainsi perçu un revenu lié à un handicap susceptible de produire un effet juridique, et que les prestations allemande et française étant équivalentes pour des faits ou événements semblables, elle pouvait prétendre, en vertu de la règle européenne de coordination et sans que la caisse puisse lui opposer la nécessité d'un taux d'incapacité d'au moins 80 %, à la majoration de carrière prévue par la législation française.

8. En statuant ainsi, alors que les prestations française et allemande ne sont pas équivalentes et qu'il lui appartenait de vérifier, dans les conditions et sous les modalités rappelées au § 6 ci-dessus, si le taux d'incapacité permanente de l'enfant handicapé requis par le droit français était atteint, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit l'appel recevable et confirme la décision du 11 septembre 2012 de la commission de recours amiable ayant fixé la date d'effet de la pension de retraite de Mme V... au 1er avril 2011, l'arrêt rendu le 27 avril 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

Condamne Mme V... aux dépens ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mars deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la CARSAT d'Alsace-Moselle

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point

D'AVOIR dit que la retraite de Madame V... devait être majorée de huit trimestres pour enfant handicapé

AUX MOTIFS QUE Madame V... était la mère d'un enfant handicapée, W..., née le [...] ; que la durée d'assurance était majorée, dans la limite de huit trimestres, si l'enfant percevait l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé pour une incapacité permanente d'au moins 80 %, ainsi que soit son complément (en cas d'handicap exigeant des dépenses particulièrement coûteuses ou le recours fréquent à une tierce-personne), soit la prestation de compensation du handicap (versée par le conseil général) ; que Madame V... ne pouvait justifier de la perception de telles allocations, dès lors qu'elle avait résidé en Allemagne et qu'elle y avait élevé sa fille ; que se posait la question de l'application de l'article 5 du règlement CEE n° 883/2004, disposant : « a) si en vertu de la législation de l'Etat membre compétent, le bénéfice de prestations de sécurité sociale ou d'autres revenus produit certains effets juridiques, les dispositions en cause sont également applicables en cas de bénéfice de prestations équivalentes acquises en vertu de la législation d'un autre Etat membre ou de revenus acquis dans un autre Etat membre ; b) si, en vertu de la législation de l'Etat membre compétent, des effets juridiques sont attribués à la survenance de certains faits ou évènements, cet Etat membre tient compte des faits ou évènements semblables survenus dans tout autre Etat membre comme si ceux-ci étaient survenus sur son propre territoire » ; que Madame V... faisait valoir l'équivalence des prestations allemandes ou de revenus perçus, respectivement des faits ou évènements semblables, tels que prévus aux a) et b) de l'article précité ; que la CARSAT opposait qu'il n'y avait pas d'équivalence entre des prestations de sécurité sociale française et une aide sociale allemande et que par ailleurs, au niveau européen, il n'y avait pas d'équivalence au taux d'incapacité de 80 % exigé ; que l'arrêté de la ville de Stuttgart du 29 janvier 1997 attribuait à Madame V... une aide financière régulière à compter du 10 novembre 1995, pour allègement des charges du handicap de sa fille, sur le fondement de l'article 35a § 1 point 1 du huitième livre du code social allemand ; que selon ce texte, les enfants ou adolescents avaient droit à une aide à l'intégration à condition d'un déficit ou d'un handicap mental compromettant leur participation à la vie dans la société, avec avis établi sur la base de la classification internationale des maladies émises par l'institut allemand de documentation et d'information médicale version allemande, d'un médecin pédo-psychiatre et d'un médecin ou thérapeute ayant une expérience dans ce domaine ; que Madame V... avait perçu, à compter du 10 novembre 1995, une somme d'environ 1270 DM ; qu'elle avait ainsi perçu un revenu lié à un handicap susceptible de produire un effet juridique, soit la majoration de la retraite de l'intéressée ; que les prestations allemandes et françaises étaient équivalentes pour des faits ou évènements semblables ; que la CARSAT ne pouvait opposer la nécessité d'un taux d'incapacité d'au moins 80 %, ce qui aurait pour effet d'interdire toute équivalence en droit européen, alors qu'elle admettait qu'au niveau européen, il n'y avait pas d'équivalence concernant le taux d'incapacité ; que la CARSAT ajoutait une condition spécifique non visée par le droit européen ;

ALORS QUE l'application des textes européens ne peut donner lieu à une discrimination à rebours, donnant plus de droits aux personnes ayant relevé de systèmes d'allocations d'autres pays membres qu'aux assurés sociaux ayant toujours relevé uniquement du régime français ; que, comme le faisait justement valoir la CARSAT d'Alsace-Moselle devant la Cour d'appel, la majoration de la durée d'assurance pour enfant handicapé suppose que l'enfant ait été atteint d'une incapacité permanente d'au moins 80 % ; que la Cour d'appel ne pouvait statuer comme elle l'a fait, sans vérifier que la fille de Madame V... avait été atteinte d'une incapacité permanente d'au moins 80 % ; que la Cour d'appel a violé, ensemble, l'article 5 du règlement CE n° 883/2004, les articles L 351-4-1, L 541-1 du code de la sécurité sociale ;

ET ALORS QUE la question de savoir si l'enfant handicapée de Madame V... était affectée d'une incapacité d'au moins 80 %, ouvrant droit à la majoration de la durée d'assurance pour enfant handicapée, était une question d'ordre médical ; que la Cour d'appel aurait dû ordonner, au besoin d'office, une expertise technique ; qu'elle a ainsi violé l'article L 141-1 du code de la sécurité sociale.

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