10 mars 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-15.910

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:C100204

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 10 mars 2021




Cassation partielle


Mme BATUT, président



Arrêt n° 204 F-D

Pourvoi n° M 19-15.910




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 10 MARS 2021

La société T... Q..., société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° M 19-15.910 contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. U... L..., domicilié [...] ,

2°/ à la société [...] , société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kerner-Menay, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société T... Q..., de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. L... et de la société [...] , et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 janvier 2021 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Kerner-Menay, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1.Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 décembre 2018), par acte du 30 mars 2010, la société [...] , qui exerce une activité de marchand de biens, a acquis par adjudication, au prix de 750 000 euros, un bien immobilier appartenant à M. S... et Mme M... dont la vente avait été décidée par une ordonnance du 24 janvier 2006 rendue par le juge commissaire à leur liquidation judiciaire et confiée à la SELARL T... Q... (le notaire).

2. Reprochant au notaire d'avoir établi un cahier des charges incomplet, mentionnant seulement que M. S... avait fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion rendue le 22 février 2008 et non l'arrêt du 23 janvier 2009 la confirmant et de s'être abstenu de demander un certificat de non-pourvoi, M. L... et la société [...] l'ont assigné en responsabilité et indemnisation.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Le notaire fait grief à l'arrêt de le condamner à payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts à la société [...] , alors « qu'une faute n'est causale que s'il est établi que, sans elle, le dommage allégué ne se serait pas produit ; qu'en condamnant le notaire à indemniser la société [...] de l'impossibilité de revendre le bien dans un délai de quatre ans, comme elle comptait le faire, et de la nécessité d'attendre sept ans pour procéder à cette revente, jusqu'à l'extinction des diverses instances introduites par M. S..., sans établir que sans la faute imputée au notaire à qui il était reproché de ne pas avoir fait état des procédures engagées, la société [...] aurait pu éviter les conséquences de ces procédures engagées par M. S..., doté d'un caractère procédurier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil :

4. Pour retenir la responsabilité du notaire et le condamner au paiement de dommages-intérêts au titre du préjudice matériel subi par la société [...] , après avoir relevé qu'il avait commis une faute en ne mentionnant pas l'état exact de la procédure relative à l'expulsion de M. S..., dont le caractère procédurier était manifeste, l'arrêt retient que la société [...] a acheté le bien avec l'intention de le revendre dans un délai de quatre ans après la réalisation de travaux, que compte tenu d'aléas procéduraux liés à la cassation prononcée par un arrêt du 25 octobre 2011, sur le pourvoi formé par M. S..., du rejet de ses demandes par l'arrêt du 21 mars 2013 rendu par la cour d'appel de renvoi et d'un nouveau pourvoi formé contre cet arrêt, rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 29 septembre 2015, les travaux ont été finalisés plus tard et un compromis de vente a été signé le 2 février 2017 pour la somme de 1 150 000 euros, de sorte que la société [...] a conservé le bien sept ans au lieu de quatre ans au maximum et réalisé une plus-value de 220 000 euros par rapport aux sommes investies. Il en déduit que son préjudice consiste en l'immobilisation sur une période plus longue que prévue de son investissement initial, ce qui a nécessairement perturbé l'équilibre financier de cette petite structure mais que celle-ci a réalisé une plus-value non négligeable et conservé la jouissance du bien pendant la période d'immobilisation.

5. En se déterminant ainsi, sans établir que, mieux informée par le notaire sur l'état des procédures engagées contre le propriétaire du bien immobilier, la société [...] aurait pu éviter les conséquences des procédures engagées par M. S..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la SELARL T... Q... à verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts à la société [...] , l'arrêt rendu le 11 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. U... L... et la SARL [...] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. L... et la société [...] à payer à la société T... Q... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix mars deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société T... Q...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la Selarl T... Q... à verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts à la société [...] ;

AUX MOTIFS QUE considérant que les appelants reprochent au cahier des charges de n'avoir pas mentionné l'existence d'un recours contre l'ordonnance du juge d'instance de Saint Maur des Fossés ayant décidé l'expulsion de M. S..., possédant un caractère procédurier [
]; que s'agissant de l'action dirigée contre le notaire que les premiers juges ont, par des motifs pertinents que la cour fait siens, retenu, sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil, que la Selarl T... Q..., en sa qualité de notaire rédacteur du cahier des charges litigieux, tenu à une obligation d'information et d'efficacité de l'acte, a commis une faute en ne mentionnant pas l'état exact de la procédure relative à l'expulsion de M. S..., dont le caractère procédurier était par ailleurs manifeste, au regard des multiples recours exercés contre toutes les décisions déjà rendues, incluant des demandes de récusation contre les différents intervenants à la procédure ; qu'elle aurait dû exiger de la Selarl X...-K... qu'elle lui fournisse tous les documents nécessaires à la complète information des candidats acquéreurs ; que quand bien-même l'immeuble acquis est resté inoccupé par M. S... qui disposait d'une résidence principale dans le Val de Marne, la société [...] , adjudicataire du bien en cause, qui pour être marchand de biens n'est pas pour autant un juriste professionnel, justifie avoir recueilli des avis autorisés du Cridon, d'un cabinet d'avocats TAJ et de son propre notaire lui recommandant d'attendre la fin de l'instance en cours pour revendre la maison d'[...] ; que le risque, même faible, d'une décision défavorable sur les différentes demandes de M. S... qui n'a pas craint de s'inscrire en faux contre le procèsverbal d'adjudication du bien, était manifestement de nature à faire reculer les candidats éventuels à l'achat de l'immeuble acquis par la société [...] ou à en faire diminuer considérablement le prix qu'ils seraient disposés à régler en connaissance de cause ; que l'administration fiscale, même si son analyse ne lie pas la cour, a fait droit à l'argumentation de la société [...] et renoncé à la redresser du fait du retard apporté à la revente de la maison en raison précisément de l'existence des recours exercés par M. S... et de la nécessité d'attendre qu'ils soient terminés ; que la société [...] a acheté en mars 2010 la maison en cause 750 000 euros avec l'intention de la revendre après la réalisation de travaux, dans un délai de 4 ans ; qu'elle n'y a jamais fixé son siège social ; que compte tenu des aléas procéduraux précités, les travaux n'ont été finalisés, pour une somme de 180 000 euros, qu'à l'automne 2016 ; qu'un compromis de vente a été en définitive signé le 2 février 2017 pour la somme de 1 150 000 euros ; qu'ainsi la société [...] a conservé le bien 7 ans au lieu de 4 ans au maximum et a réalisé une plus-value de 220 000 euros par rapport aux sommes investies ; que son préjudice consiste en l'immobilisation sur une période plus longue que prévue de son investissement initial, ce qui a nécessairement perturbé l'équilibre financier de cette petite structure ; qu'il n'est en revanche pas établi que le marché immobilier se soit effondré, la réalisation d'une plus-value non négligeable n'allant pas dans ce sens ; qu'elle a eu la jouissance de ce bien pendant cette période ; que la cour estime dans ces conditions le préjudice matériel subi par la société appelante à la somme de 50 000 euros ; qu'il n'est en revanche aucunement démontré l'existence d'un préjudice moral que la société [...] aurait subi ; qu'elle doit être déboutée de ce chef de demande ; qu'il n'est pas rapporté la preuve par M. U... L..., personnellement, qui se plaint d'une baisse de sa rémunération et d'une perte de cotisation pour son régime de retraite d'un préjudice certain en lien direct de causalité avec le manquement précité de la Selarl T... Q... ; qu'il doit être débouté de cette prétention ; que la Selarl T... Q... devra verser à la société [...] la somme de 5 000 euros pour compenser les frais qu'elle a exposés en première instance et en cause d'appel, qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu'elle devra en outre supporter les dépens de première instance et d'appel ; que les autres parties conserveront à leur charge les frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel ;

ALORS QU'une faute n'est causale que s'il est établi que, sans elle, le dommage allégué ne se serait pas produit ; qu'en condamnant la SARL T... Q... à indemniser la société [...] de l'impossibilité de revendre le bien dans un délai de 4 ans, comme elle comptait le faire, et de la nécessité d'attendre 7 ans pour procéder à cette revente, jusqu'à l'extinction des diverses instances introduites par M. S..., sans établir que sans la faute imputée au notaire à qui il était reproché de ne pas avoir fait état des procédures engagées, la société [...] aurait pu éviter les conséquences de ces procédures engagées par M. S..., doté d'un caractère procédurier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.

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