3 mars 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-19.000

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C100181

Titres et sommaires

QUASI-CONTRAT - Enrichissement sans cause - Action de in rem verso - Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 - Application dans le temps - Détermination - Portée

Le juge, saisi postérieurement au 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, d'une action fondée sur un enrichissement injustifié qui trouve sa source dans un fait juridique antérieur doit, pour la détermination et le calcul de l'indemnité, faire application des nouvelles règles prévues aux articles 1303, 1303-2 et 1303-4 du code civil

LOIS ET REGLEMENTS - Application dans le temps - Quasi-contrats - Enrichissement sans cause - Entrée en vigueur au 1er octobre 2016 - Critère - Détermination - Portée

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 mars 2021




Cassation partielle


Mme BATUT, président



Arrêt n° 181 FS-P


Pourvoi n° V 19-19.000



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 3 MARS 2021

Mme L... K..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° V 19-19.000 contre l'arrêt rendu le 11 avril 2019 par la cour d'appel de Bourges (chambre civile), dans le litige l'opposant à M. H... J..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme K..., et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 janvier 2021 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mme Antoine, M. Vigneau, Mmes Bozzi, Poinseaux, Guihal, M. Fulchiron, Mme Dard, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Gargoullaud, Azar, M. Buat-Ménard, conseillers référendaires, Mme Caron-Déglise, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 11 avril 2019), M. J... et Mme K... ont vécu en concubinage de novembre 2014 à décembre 2015.

2. Le 22 décembre 2017, M. J... a assigné Mme K... en paiement d'une indemnité, sur le fondement de l'enrichissement injustifié, au titre des sommes engagées par lui pour financer la construction d'une piscine dans la propriété de celle-ci.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Mme K... fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. J... la somme de 24 227,16 euros avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation, alors « que la loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le concubinage entre les parties a duré de novembre 2014 à décembre 2015, M. J... ayant exercé une action au titre d'un enrichissement injustifié dont le fait générateur, la réalisation de travaux sur la piscine appartenant à Mme K... à ses frais, est intervenu durant cette période ; qu'en condamnant néanmoins Mme K... à verser à M. J... la somme de 24 227,16 euros avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation au titre d'un enrichissement injustifié en application du nouvel article 1303 du code civil issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 qui n'est entré en vigueur que le 1er octobre 2016, en sorte qu'il n'était pas applicable au présent litige, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. L'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 fixe son entrée en vigueur au 1er octobre 2016. En l'absence de disposition transitoire concernant les quasi-contrats lorsqu'une instance a été introduite après cette date, les règles de conflit de lois dans le temps sont celles du droit commun.

5. Aux termes de l'article 2 du code civil, la loi ne dispose que pour l'avenir et elle n'a point d'effet rétroactif.

6. Il en résulte que si la loi applicable aux conditions d'existence de l'enrichissement injustifié est celle du fait juridique qui en est la source, la loi nouvelle s'applique immédiatement à la détermination et au calcul de l'indemnité.

7. Après avoir dit que Mme K... avait bénéficié d'un enrichissement injustifié au détriment de M. J..., la cour d'appel a déterminé l'indemnisation de celui-ci en se référant à bon droit aux dispositions de l'article 1303 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, lequel n'a fait que reprendre la règle de droit antérieure.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. Mme K... fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'action de in rem verso ne peut trouver application lorsque l'appauvri a agi en vue de son intérêt personnel et à ses risques et périls ; qu'en faisant néanmoins droit à la demande de M. J..., après avoir pourtant constaté que les travaux réalisés sur le bien de Mme K... avaient conduit à l'amélioration du cadre de vie et d'hébergement gratuit dont celui-ci avait profité pendant la période du concubinage, ce dont il résultait qu'il avait agi dans son intérêt personnel, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1371 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

10. Selon l'article 978, alinéa 3, du code de procédure civile, chaque moyen ou chaque élément de moyen doit préciser, à peine d'être déclaré d'office irrecevable, la partie critiquée de la décision et ce en quoi celle-ci encourt le reproche allégué.

11. Le moyen, dont le grief porte sur l'existence même d'un enrichissement injustifié de Mme K..., n'est pas dirigé contre le chef du dispositif de l'arrêt qui dit que celle-ci a bénéficié d'un tel enrichissement au détriment de M. J....

12. Ne satisfaisant pas aux exigences du texte susvisé, il est irrecevable.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

13. Mme K... fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'action de in rem verso ne tend à procurer à la personne appauvrie qu'une indemnité égale à la moins élevée des sommes représentatives, l'une de l'enrichissement, l'autre de l'appauvrissement ; qu'en ne recherchant pas quel était le montant de l'enrichissement de Mme K..., en l'occurrence la plus-value apportée à son bien, pour le comparer au montant de l'appauvrissement invoqué par M. J..., et retenir, au final, la somme la moins élevée de deux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1371 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1303 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

14. Selon ce texte, l'indemnité due au titre de l'enrichissement injustifié est égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement.

15. Pour accueillir la demande de M. J..., l'arrêt se borne à retenir le montant de l'appauvrissement, correspondant au règlement du coût par celui-ci de la réalisation et de l'installation d'une piscine dans la propriété de Mme K....

16. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, le montant de la plus-value immobilière apportée au bien de Mme K..., afin de fixer l'indemnité à la moins élevée des deux sommes représentatives de l'enrichissement et de l'appauvrissement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable la demande de M. J... et dit que Mme K... a bénéficié d'un enrichissement injustifié au détriment de celui-ci, l'arrêt rendu le 11 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;

Condamne M. J... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois mars deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour Mme K...

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné Mme K... à verser à M. J... la somme de 24.227,16 € avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation.

AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « il résulte des dispositions de l'article 1303 du Code civil dans sa rédaction nouvelle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 qu'en dehors des cas de gestion d'affaires de paiement de l'indu, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment de l'autre, doit à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement. Si aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d'eux doit supporter les dépenses de la vie courante qu'il a exposée ; l'enrichissement injustifié ne saurait servir de fondement à l'établissement des comptes entre les concubins afin d'aboutir un partage par moitié des dépenses de la vie commune, ce qui n'est pas prévu par la loi. Il apparaît qu'au cours de la vie commune relativement brève entre les deux parties, H... J... rapporte la preuve d'avoir réglé seul, de ses deniers, suivant facture des 25 juin et 11 août 2015 la réalisation et l'installation d'une piscine de 8 m par 4, ovoïde auprès de l'entreprise Desjoyaux, pour un coût total de 24 227,16 €. Il n'est pas contesté que cette installation a été réalisée au [...] , sur la propriété de Madame L... K.... Pendant le temps de la vie commune en outre, l'intimé a réglé auprès du magasin Carrefour Market de Lignières pour une somme de 564,25 € qui doit être considérée comme une participation à la vie commune, les preuves en ce domaine étant par ailleurs difficiles à rapporter. Surtout, ces travaux de l'installation d'une piscine excèdent par leur ampleur la participation habituelle aux charges de la vie courante d'un concubin ; ils ne sont pas la contrepartie de l'amélioration du cadre de vie de l'hébergement gratuit dont celui-ci aurait profité pendant la période de concubinage. L'appelante a tiré bénéfice de ces travaux qui constituent une plus-value apportée à son bien » ;

ALORS en premier lieu QUE la loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le concubinage entre les parties a duré de novembre 2014 à décembre 2015, M. J... ayant exercé une action au titre d'un enrichissement injustifié dont le fait générateur, la réalisation de travaux sur la piscine appartenant à Mme K... à ses frais, est intervenu durant cette période ; qu'en condamnant néanmoins Mme K... à verser à M. J... la somme de 24.227,16 € avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation au titre d'un enrichissement injustifié en application du nouvel article 1303 du code civil issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 qui n'est entré en vigueur que le 1er octobre 2016, en sorte qu'il n'était pas applicable au présent litige, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil ;

ALORS en deuxième lieu et subsidiairement QUE l'action de in rem verso ne peut trouver application lorsque l'appauvri a agi en vue de son intérêt personnel et à ses risques et périls ; qu'en faisant néanmoins droit à la demande de M. J..., après avoir pourtant constaté que les travaux réalisés sur le bien de Mme K... avaient conduit à l'amélioration du cadre de vie et d'hébergement gratuit dont celui-ci avait profité pendant la période du concubinage, ce dont il résultait qu'il avait agi dans son intérêt personnel, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1371 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

ALORS en troisième lieu et subsidiairement QUE l'action de in rem verso ne tend à procurer à la personne appauvrie qu'une indemnité égale à la moins élevée des sommes représentatives, l'une de l'enrichissement, l'autre de l'appauvrissement ; qu'en ne recherchant pas quel était le montant de l'enrichissement de Mme K..., en l'occurrence la plus-value apportée à son bien, pour le comparer au montant de l'appauvrissement invoqué par M. J..., et retenir, au final, la somme la moins élevée de deux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1371 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

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