4 juin 2015
Cour d'appel d'Aix-en-Provence
RG n° 14/10341

1re Chambre B

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

1re Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 04 JUIN 2015

DT

N°2015/326













Rôle N° 14/10341







[T] [F]





C/



[M] [E] [W]





































Grosse délivrée

le :

à :





Me Corine SIMONI





SCP COHEN - GUEDJ - MONTERO - DAVAL-GUEDJ





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 03 Avril 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 13/04553.







APPELANT





Monsieur [T] [F]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 1],

demeurant [Adresse 2]



représenté par Me Corine SIMONI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Me Corinne MIMRAN, avocat plaidant au barreau de PARIS









INTIMEE





Maître Mireille REBUFFAT HADDAD,

demeurant [Adresse 1]





représentée par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN - GUEDJ - MONTERO - DAVAL-GUEDJ avocat au barreau d'Aix en Provence, assistée par Me Thomas DJOURNO, avocat plaidant au barreau de MARSEILLE.





























COMPOSITION DE LA COUR



En application des dispositions des articles 785, 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Avril 2015 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Danielle DEMONT, Conseiller, et Monsieur Dominique TATOUEIX, Conseiller, chargés du rapport.



Monsieur Dominique TATOUEIX, Conseiller, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Monsieur François GROSJEAN, Président

Mme Danielle DEMONT, Conseiller

Monsieur Dominique TATOUEIX, Conseiller



Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.



Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Juin 2015.





ARRÊT



Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Juin 2015.



Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




***



EXPOSÉ DES FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS,



Le 27 juin 1991, la Caisse Régionale de Crédit Agricole de la Drôme avait consenti un prêt de 1.000.000 francs à M.[Y] [F].



Par jugement du 8 novembre 1994, Ie tribunal de grande instance de Valence a condamné solidairement Mme [H] [B] épouse [F], M. [T] [F], Mme [J] [F] et Mme [C] [F] en leur qualité d'héritiers de M.[Y] [F], à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole de la Drôme la somme de 1.266.322,11 francs.



Ce jugement a été infirmé par la cour d=appel de Grenoble qui, par arrêt du 7 octobre 1996, a déclaré la Caisse Régionale de Crédit Agricole de la Drôme responsable d=un détournement de prêt accordé à M.[Y] [F] et a décidé que le préjudice des appelants était égal au solde du en principal et intérêts au titre du prêt immobilier. Après compensation, la Caisse Régionale de Crédit Agricole de la Drôme était dont déboutée de ses demandes.



La Cour de cassation par arrêt du 25 janvier 2000 a cassé l=arrêt du 2 octobre 1996.



La cour d=appel de Lyon, par arrêt du 14 janvier 2002 a confirmé le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Valence sauf en ce qu'il avait débouté les consorts [F] de leur demande reconventionnelle et ce faisant, la cour a condamné la Caisse Régionale de Crédit Agricole de la Drôme à payer aux consorts [F] en réparation de leur préjudice une indemnité égale à 50% des sommes dues en principal et en intéréts au titre du prêt consenti à M. [Y] [F].



Cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation le 12 juillet 2005, laquelle a renvoyé les parties devant la cour d=appel de Grenoble.



L>arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2995 a été signifié à M.[T] [F] le 22 février 2006 et à ses soeurs le 29 février 2006.



La cour d=appel de Grenoble, cour de renvoi, n>a été saisie que le 28 septembre 2006.



Par ordonnance du 15 mai 2007 le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable comme tardive la saisine de la cour de renvoi. Cette décision a été confirmée par arrêt de la cour d=appel du 11 décembre 2007. La Cour de cassation a, par arrêt du 17 décembre 2009 rejeté les pourvois formés par les consorts [F] contre cette décision.



A la suite de cet arrét, la Caisse Régionale de Crédit Agricole de la Drôme a repris la procédure diligentée contre les consorts [F] afin d>obtenir le paiement des sommes lui étant dues. Elle a poursuivi la saisie immobilière d=un bien appartenant aux consorts [F], lequel a été vendu à l=amiable moyennant un prix de 415.000 i.



Les 21, 22 et 25 février 2013 M.[T] [F] a fait assigner Me Mireille REBUFFAT HADDAD, avocat, Mme [J] [F] et Mme [C] [F] devant le tribunal de grande instance de Marseille afin d'obtenir la condamnation de Me [M] [V] à l=indemniser de son préjudice.



Par jugement contradictoire en date du 3 avril 2014, le tribunal de grande instance de Marseille a :

- débouté M.[T] [F] de ses demandes de dommages et intérêts,

- condamné Me [M] [V] au paiement de la somme de 1.000 i sur le fondement de l=article 700 du code de procédure civile,

- rejeté les autres demandes,

- dit n=y avoir lieu à exécution provisoire,

- mis les dépens à la charge de Me Mireille [V].



Par déclaration de Me Corine SIMONI, avocat, en date du 22 mai 2014, M. [T] [F] a relevé appel de ce jugement.




Par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 7 août 2014, M. [T] [F] demande à la cour, au visa de l=article 411 et 412 du code de procédure civile, de l=article 1147 du code civil, de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Marseille en date du 3 avril 2014, en ce qu=il a constaté que Me [M] [V] n=avait pas rempli ses obligations contractuelles vis-à-vis de ses clients en :

- ne remplissant pas son devoir d'information, de conseil et de mise en garde vis-à-vis de ses clients,

- en laissant son client domicilié à une fausse adresse dans la procédure et en ne prévenant pas la partie adverse du changement de celle-ci,

- en invoquant ne pas avoir reçu d=instruction de son client pour saisir la cour de renvoi,

- que ce faisant, elle est a l'origine du préjudice subi par le requérant qui a été aggravé du fait de l'absence de diligence de son avocat et du fait de la perte de chance de faire débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole de la Drôme de tout ou partie de ses demandes,

- réformer ledit jugement en ce qu=il a débouté M. [T] [F] de ses demandes d=indemnisation au titre du préjudice en résultant,

- condamner Me [M] [V], au paiement de la somme de 832.148,27 i se décomposant ainsi :

- principal 690.514,64 i,

- intérêts supplémentaires dus au 21 décembre 2011 : 29.826,07 i,

- intérêts supplémentaires dus au 1 février 2013 : 111.807,56 i, sauf à parfaire au cas où la Caisse Régionale de Crédit Agricole de la Drôme le poursuivrait pour le paiement de sommes supérieures compte tenu du cours des intérêts au taux de contractuel de 14,45 %,

- condamner Me [M] [V], au paiement des intérêts au taux conventionnel sur la somme allouée jusqu=à parfait paiement avec capitalisation des intérêts par application de l=article 1154 du code civil,

- condamner Me [M] [V], au paiement de la somme de 15.000 i au titre de l=article 700 du code de procédure civile,

- condamner Me [M] [V], aux entiers dépens.



M. [T] [F] fait valoir que :

- la cour d'appel de renvoi aurait retenu la responsabilité de la CRCAM dont le prêt consenti à M. [Y] [F] visait en réalité à apporter des fonds à une société dont la situation était irrémédiablement compromise en obtenant d'un actionnaire qu'il fasse un emprunt immobilier personnel qui constituait une garantie pour la banque lui permettant d'éviter de venir en concours avec d'autres créanciers dans la procédure collective et une condamnation pour soutien abusif,

- la motivation de l'arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2005 n'interdisait nullement à la cour d'appel de renvoi, de retenir la responsabilité de la CRCAM qu'avait déjà retenu la cour d'appel de Lyon puis la cour d'appel de Grenoble dans son arrêt du 7 octobre 1996,

- dire comme le fait Me [V] que ses clients n'avaient pas une chance sérieuse d'aboutir à une procédure favorable, c'est reconnaître que l'avocat les a poussés de façon inconsidérée dans une procédure qui était vouée à l'échec,

- l'hoirie [F] a été poursuivie par la CRCAM pour obtenir paiement de la somme de 832 148,27 € dont elle a obtenu le remboursement partiel par la vente d'un bien immobilier appartenant à l'hoirie et la perte de chance dont elle a été victime justifie la condamnation de la CRCAM au paiement de cette somme.



Par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 6 octobre 2014, Me [M] [V] demande à la cour de :

- confirmer le jugement, sauf en ce qu=il a condamné Me [M] [V] au paiement de la somme de 1.000 i sur le fondement de l=article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [T] [F] au paiement de la somme de 10.000 i sur le fondement de l=article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens distraits au profit de la SCP COHEN GUEDJ, avocats.



Me [V] fait valoir que :

- la perte de chance invoquée est inexistante dès lors qu'au regard des attendus de la Cour de cassation dans ses arrêts du 25 janvier 2000 et du 12 juillet 2005, la banque était demeurée étrangère au montage organisé par son client emprunteur et qu'elle n'était redevable à celui-ci d'aucun devoir de conseil puisqu'il était particulièrement bien informé et en mesure d'apprécier l'opportunité de ses décisions,

- les procédures qu'elle a menées pendant plusieurs années étaient parfaitement justifiées en raison des arrêts rendus par la cour d'appel de Grenoble et par la cour d'appel de Lyon qui rendaient incertaines l'issue du litige c'est en l'état du dernier arrêt de la Cour de cassation que les chances d'obtenir gain de cause étaient vouées à l'échec.



L=instruction de l=affaire a été déclarée close le 18 mars 2015






MOTIFS DE LA DECISION



Attendu que comme l'ont très justement relevé les premiers juges, Me [V] avait parfaitement connaissance de la nouvelle adresse de son client et en ne la mentionnant pas sur ses actes de procédure, elle a privé M. [F], auquel l'arrêt de la Cour de cassation a donc été notifié à son ancienne adresse, d'un nouvel examen de l'affaire devant la cour d'appel de renvoi ;



Que les premiers juges ont également retenu à bon droit que le défaut de retrait par M. [F] de son nom sur la boîte aux lettres de son ancien domicile ou sa prétendue expérience n'exonère en rien l'avocat de ses obligations ;



Attendu que M. [F] invoque une perte de chance d'obtenir devant la cour d'appel de renvoi le rejet des demandes de la CRCAM ;



Que pour soutenir que la perte de chance invoquée est inexistante, Me [V] renvoie à la motivation de l'arrêt du 12 juillet 2005 aux termes de laquelle la Cour de cassation a jugé que la cour d'appel de Lyon ne pouvait, sans violer l'article 1147 du Code civil, retenir la responsabilité de l'établissement de crédit après des constatations dont il résultait que la Caisse, demeurée étrangère au montage organisé par son client emprunteur, n'était redevable à celui-ci, qui était particulièrement bien informé et en mesure d'apprécier l'opportunité de ses décisions, d'aucun devoir de conseil ;





Qu'en considération toutefois d'un certain aléa judiciaire, Me [V] a fait perdre à M. [F] une chance, même minime, d'obtenir le rejet, ne serait-ce que partiel, des prétentions de la CRCAM ;



Et attendu que la chance perdue ne peut pas être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée



Que le préjudice résultant de cette perte de chance sera entièrement indemnisé par l'octroi d'une somme de 10.000 € ;



Que le jugement déféré doit être en conséquence infirmé en toutes ses dispositions ;





PAR CES MOTIFS



Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,



Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;



Statuant à nouveau et y ajoutant,



Condamne Me [M] [V] à payer à M. [T] [F] la somme de 10.000 € (dix mille euros) à titre de dommages intérêts ;



Vu l'article 700 du code de procédure civile,



Condamne Me [M] [V] à payer à M. [T] [F] la somme de 1.500 € (mille cinq cents euros) ;



Condamne Me [M] [V] aux dépens distraits conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;







LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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