10 septembre 2015
Cour d'appel de Paris
RG n° 15/07399

Pôle 2 - Chambre 1

Texte de la décision

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRÊT DU 10 SEPTEMBRE 2015



AUDIENCE SOLENNELLE



(n° 423 , 4 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/07399



Décision déférée à la Cour : Décision du 17 Mars 2015 -Conseil de l'ordre des avocats de PARIS





DEMANDEUR AU RECOURS



LE PROCUREUR GÉNÉRAL

[Adresse 3]

[Adresse 4]



Représenté par M. Michel SAVINAS, substitut général





DÉFENDEURS AU RECOURS



Monsieur [O] [U]

ASSOCIATION D'AVOCATS MALTERRE-DIETSCH

[Adresse 2]

[Adresse 4]



Comparant assisté de Me ASSELINEAU Vincent, avocat au barreau de Paris, Toque R 130,





LE CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DE PARIS

[Adresse 1]

[Adresse 5]



Représenté par Me ROBERT Hervé, avocat au barreau de Paris, Toque P 277,





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 25 Juin 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :



- M. Jacques BICHARD, Président de chambre

- Madame Anne VIDAL, Présidente de chambre

- Madame Sylvie MAUNAND, Conseillère

- Madame Marie-Laure DALLERY, Conseillère

- Madame Patricia GRASSO, Conseillère



qui en ont délibéré



Greffier, lors des débats : Mme Sylvie BENARDEAU

DÉBATS : à l'audience tenue le 25 Juin 2015, on été entendus :



- M. Jacques BICHARD, en son rapport

- M. Michel SAVINAS, substitut général,

- Me ROBERT Hervé, avocat représentant le Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de PARIS, en ses observations

- Me ASSELINEAU Vincent, avocat de Monsieur [O] [U] en ses observations

-Monsieur [O] [U] , en ses observations ayant eu la parole en dernier



ARRÊT :



- contradictoire

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Jacques BICHARD, président et par Mme Sylvie BENARDEAU, greffier.




* * *



Vu le recours déposé le 8 avril 2015 par le parquet général près cette cour à l'encontre de l'arrêté pris le 17 mars 2015 par le conseil de l'ordre des avocats de Paris qui a accepté la demande d'inscription de M. [O] [U] au tableau du barreau de Paris .




Vu les écritures en date du 21 mai déposées par le ministère public qui conclut à l'infirmation de l'arrêté déféré et au rejet de la demande d'inscription au tableau de M. [O] [U] .



Vu les écritures déposées par M. [O] [U] qui conclut à la confirmation de l'arrêté en cause.



Entendus à l'audience du 25 juin 2015, le ministère public, le conseil de M. [O] [U] et M. [O] [U], lui même, en tous points conformes à leurs écritures, le conseil de l'ordre qui n'a pas pris de conclusions écrites préalables, s'en rapportant à la décision de la cour .




SUR QUOI LA COUR



Considérant que l'article 11, alinéa 4, de la loi du 31 décembre 1971 énonce :

' Nul ne peut accéder à la profession d'avocat s'il ne remplit pas les conditions suivantes: N'avoir pas été l'auteur de faits ayant donné lieu à une condamnation pénale pour agissements contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs' ;



Considérant que poursuivi pénalement, ainsi que quinze autres personnes, comme lui d'origine kurde, M. [O] [U], a été condamné par arrêt rendu par cette cour le 23 avril 2013, à la peine d' un an d'emprisonnement avec sursis :



qu'il lui était reproché d'avoir courant 2000 et jusqu'au 5 février 2007, sur le territoire national et notamment à [Localité 1], participé à un groupement formé ou à une entente établie, pour partie sur le territoire national, en vue de la préparation caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme mentionnés aux articles 421-1 et suivants du code pénal, en l'espèce en participant à l'organisation PKK, en étant le secrétaire particulier de [D] [I], dirigeant européen du PKK ( parti des travailleurs du Kurdistan )et à ce titre en l'assistant dans le maintien de ses contacts avec des membres actifs de cette organisation et d'avoir entre le 16 novembre 2001 et le 5 février 2007 financé une entreprise terroriste en fournissant, en réunissant et en gérant des fonds, des valeurs ou des biens quelconques, ou en donnant des conseils à cette fin, dans l'intention de voir ses fonds, valeurs ou biens utilisés ou en sachant qu'ils sont destinés à être utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre l'un quelconque des actes de terrorisme prévus aux articles 421-1 et suivants du code pénal, indépendamment de la survenance éventuelle d'un tel acte, en l'espèce en participant et en donnant des conseils au financement de l'entreprise terroriste, notamment par le système de la collecte de fonds mise en place sur le territoire français par l'organisation PKK ;



Considérant que le conseil de l'ordre a fondé la décision déférée en retenant l'ancienneté des faits, la modération de la sanction prononcée au regard de la gravité des actes commis et sa non inscription au bulletin numéro 2 du casier judiciaire de l'intéressé, l'aveu spontané que M. [O] [U] lui en a faite, ainsi que la déclaration par le requérant de toute absence à l'heure actuelle d'affinités politiques ou idéologiques avec la PKK, témoignant ainsi un repentir sincère et une volonté non feinte d'exercer de façon irréprochable la profession d'avocat, justifiée par les nombreux témoignages émanant d' avocats, d'enseignants qui attestent de sa moralité ;



Considérant que M. [O] [U] fait valoir en premier lieu que la non inscription au bulletin numéro 2 de son casier judiciaire de la condamnation pénale l'ayant sanctionné fait obstacle à l'application de l'article 11, alinéa 4, de la loi du 31 décembre 1971 modifiée ;



que cependant l'exclusion du bulletin numéro 2 du casier judiciaire de la condamnation pénale dont s'agit est sans effet sur la nature des faits commis qui, en eux mêmes, sont contraires à l'honneur et à la probité, valeurs exigées par l'article 11, alinéa 4 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée pour pouvoir exercer les fonctions d'avocat et qui correspondent aux principes essentiels de cette profession ;



Considérant que l'amendement, notion retenue par le conseil de l'ordre pour motiver sa décision et qui est mis en avant par le requérant, ne peut résulter des seules compétences juridiques et professionnelles de celui-ci, certes largement attestées par de nombreux témoignages dont la cour ne remet pas en cause la sincérité ;



Considérant que les faits commis par M. [O] [U], quand bien même ils n'ont donné lieu qu'à une peine assortie intégralement du sursis, sont graves en ce qu'ils ont traduit l'adhésion complète et sans réserve de celui-ci à l'idéologie mais aussi aux moyens et méthodes employés au soutien de celle-ci par le PKK ;



que dans sa décision du 23 avril 2013 cette cour a particulièrement rappelé que :

' Il résulte des divers éléments recueillis au cours de l'enquête, de l'instruction et des déclarations de certains des prévenus (........), selon lesquelles l'argent de la collecte alimentait le financement du terrorisme et au vu des avis confirmatifs donnés à cet égard par les autorités judiciaires de plusieurs pays européens (........), que l'organisation du PKK constitue au sens du code pénal une entente délictueuse, présentant les caractères d'un groupement unifié, structuré, hiérarchisé, où chaque membre a un rôle, ayant une permanence certaine, un nombre important de membres pour commettre des crimes et délits contre les personnes et les biens, dont l'existence et l'activité se manifestent tant en Turquie qu'en Europe et notamment en France, selon des modalités différentes, mais troublant gravement l'ordre public par l'intimidation et la terreur au sens des articles 421-1 et 421-2-1 du code pénal, permettant ainsi de qualifier cette organisation de terroriste selon le droit français .

(.......) Chacun des prévenus s'est engagé dans le soutien de cette organisation illicite (......) et ont participé à des niveaux différents mais volontairement, aux faits intéressants la présente procédure et notamment à l'activité de collecte pour le PKK, en sachant que ces fonds étaient affectés à soutenir la cause, même si certains le contestent et servaient notamment à financer la guérilla.

Ces faits sont bien en lien avec une entreprise terroriste dés lors que les moyens utilisés par le PKK à l'appui de sa politique, paraissent effectivement de nature à troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, le soutien apporté par les intéressés ayant pour but de financer ou d'apporter un support logistique à la poursuite de l'action du PKK, voire par le biais d'associations ou de mouvements qui n'en étaient que la vitrine légale, les prévenus ayant été parfaitement informés des attentats commis et revendiqués, sur le sol de la République Turque.

(..........) Les prévenus ne peuvent en effet sérieusement soutenir avoir ignoré la destination des sommes d'argent recueillies au moyen de la ' kampanya' même si une partie restait manifestement en France, tous les cadres et les collecteurs connaissant précisément le cheminement des fonds, dans la mesure où ils étaient parfaitement informés, très impliqués dans la cause kurde, qu'ils se réunissaient régulièrement, échangeant souvent par téléphone, quelles que soient les modalités pratiques de ces envois ou même leur montant .

La participation à l'association de malfaiteurs telle que visée à la prévention est punissable dés lors que 'l'affilié' connaissait, même dans ces grandes lignes, le dessein du groupe litigieux et qu'il y a adhéré volontairement, quelle que soit la fonction occupée ou le rôle joué par celui-ci.

Les prévenus n'ont pu ignorer (......) Les idées développées par le PKK, les actes déjà intervenus et revendiqués par le mouvement, revendication dont la presse internationale se faisait l'écho .

En poursuivant leur action, ils ont ainsi manifesté une adhésion à la cause et aux moyens de ladite cause et se sont organisés sciemment dans l'organisation illicite avec la volonté d'y apporter une aide efficace dans la poursuite du but que celle-ci s'était assignée' ;

(.......) La participation ( de M. [O] [U] ) à l'association illicite est caractérisée (....) par les faits matériels relevés (.....), notamment les nombreux contacts qu'il entretenait avec les membres de l'organisation, étant le secrétaire particulier de [D] [I], responsable européen du PKK, entente à laquelle il a sciemment adhéré et dont il connaissait les objectifs' ;



Considérant que l'engagement de M. [O] [U] en faveur du PKK s'est poursuivie pendant plusieurs années ;



que seule l'information pénale y a mis fin de sorte qu'il ne peut être utilement retenu que les déclarations que celui-ci a pu faire au cours d'instruction caractériseraient de sa part une repentance qui, au demeurant ne trouve aucune traduction dans sa déclaration, toujours maintenue, consistant à proclamer son innocence, alors même que le fin juriste que présentent les témoins, ne peut se méprendre sur les conséquences pénales de son engagement politique, voire idéologique qui, pendant au moins sept ans, l'a conduit à soutenir une organisation qualifiée par les instances internationales de terroriste, usant de violences pour parvenir à ses fins et ceci quelle que soit la légitimité des revendications qu'elle professe ;



Considérant dés lors que pas davantage l'éloignement dans le temps des actes commis, à savoir sept ans, n'apparaît comme le gage suffisamment sérieux d'un amendement réel alors que la non inscription de la condamnation pénale au bulletin numéro 2 du casier judiciaire de l'intéressé n'en constitue pas un élément de démonstration, mais n'est que le moyen, accordé par le juge pénal, d'y parvenir ;



Considérant qu'il convient en conséquence d'infirmer la décision déférée et de rejeter la demande d'inscription de M. [O] [U] au barreau de Paris ;



PAR CES MOTIFS



Infirme l'arrêté pris le 17 mars 2015 par le conseil de l'ordre des avocats de Paris qui a accepté la demande d'inscription de M. [O] [U] au tableau du barreau de Paris .



Statuant à nouveau,



Rejette la demande d'inscription de M. [O] [U] au tableau du barreau de Paris .



Laisse les dépens à la charge de M. [O] [U] .





LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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