10 septembre 2015
Cour d'appel de Paris
RG n° 14/02114

Pôle 1 - Chambre 2

Texte de la décision

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 10 SEPTEMBRE 2015



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 14/02114



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 16 Janvier 2014 -Président du TGI de Paris - RG n° 13/15379





APPELANT



Monsieur [S] [T]

[Adresse 1]

[Adresse 2]



Assisté de Me Laurence MITRANI de l'AARPI FONTAINE MITRANI, avocat au barreau de PARIS, toque : G0038

Représenté par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151







INTIMES



Monsieur [J] [Q]

[Adresse 3]

[Adresse 4]



ASSOCIATION [X] [X]

agissant en la personne de son Président domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 4]



Représentés par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

Assistés de Me Julie RODRIGUE, avocat au barreau de PARIS, toque : R241







COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Juin 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Mireille DE GROMARD, Conseillère, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Frédéric CHARLON, président

Madame Evelyne LOUYS, conseillère

Madame Michèle GRAFF-DAUDRET, conseillère



Qui en ont délibéré



Greffier, lors des débats : Mme Sonia DAIRAIN





ARRÊT :



- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Frédéric CHARLON, président et par Mme Sonia DAIRAIN, greffier.






ELEMENTS DU LITIGE':



M. [S] [T] est propriétaire de quatre tableaux attribués à l'artiste russe [X] [X] (1882 - 1949), décédée sans héritiers connus.



M. [T] a prêté ces tableaux aux organisateurs d'une exposition intitulée '[X] [X] et ses amis russes', prévue du 6 janvier 2009 au 22 mars 2009 au [Localité 1] en Indre-et-Loire.



Contestant l'authenticité des 'uvres ainsi présentées au public, M. [J] [Q] et une association [X] [X] dont il est le président, ont déposé une plainte auprès du procureur de la République du tribunal de grande instance de Tours, des chefs de contrefaçon, apposition de fausses signatures sur des 'uvres non encore tombées dans le domaine public, escroquerie et recel.



Cette plainte ayant été classée sans suite, M. [Q] et l'association [X] [X] ont déposé devant le doyen des juges d'instruction une plainte avec constitution de partie civile, à la suite de quoi les tableaux exposés, à l'exception d'un seul appartenant à M. [T], ont alors été saisis et placés sous scellés judiciaires.



Diverses expertises ont été réalisées dans le cadre de l'instruction pénale, avec des résultats divergents, mais en dernier lieu un expert, Mme [B], a déposé un rapport indiquant que les trois tableaux saisis appartenant à M. [T] étaient authentiques, ce qui a conduit le juge d'instruction à ordonner la restitution de ces 'uvres à leur propriétaire.



Sur requête présentée le 10 janvier 2012 par M. [Q] et l'association [X] [X], le président du tribunal de grande instance de Paris, par ordonnance du même jour et en application de l'article L.121-3 du code de la propriété intellectuelle, a désigné cette association en qualité de mandataire ad hoc afin de défendre le droit moral d'[X] [X], l'a autorisée à poursuivre en justice toute personne susceptible de porter atteinte aux 'uvres de l'artiste et dit que cette désignation était faite pour un an avec possibilité de renouvellement, exception faite de la procédure engagée à Tours pour laquelle l'association était habilité à poursuivre jusqu'à son issue.



M. [T] a demandé la rétractation de cette ordonnance sur requête, mais cette action a été déclarée irrecevable par une ordonnance du 26 novembre 2012.



M. [T] a interjeté appel de cette décision et par arrêt du 25 juin 2013, la cour d'appel de Paris a déclaré recevable la demande de rétractation, rejeté l'exception d'incompétence de la juridiction civile au profit de la juridiction pénale, rétracté l'ordonnance sur requête du 10 janvier 2012 et rejeté la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive présentée par M. [Q] et l'association [X] [X].



La cour de cassation, par arrêt du 18 décembre 2014, a rejeté le pourvoi interjeté contre l'arrêt du 25 juin 2013.



Alors que l'instance en rétractation de l'ordonnance du 10 janvier 2013 était en cours, M. [Q] et l'association [X] [X] ont présenté au président du tribunal de grande instance de Paris le 7 janvier 2013 une requête aux fins de «'proroger pour une année'» la désignation cette association «'en qualité de mandataire ad hoc, chargé de poursuivre les violation du droit moral portées sur l''uvre de [X] [X], en application de l'article L.121-3 du code de la propriété intellectuelle'».



Par ordonnance du 9 janvier 2013, le président du tribunal de grande instance a fait droit à cette requête mais le 21 octobre 2013, M. [T] a assigné M. [Q] et l'association [X] [X] en rétractation de cette décision.



Par ordonnance du 16 janvier 2014, le président du tribunal de grande instance a déclaré cette demande irrecevable à l'égard de M. [Q], rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l'association [X] [X], débouté M. [T] de sa demande de rétractation et l'a condamné aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



M. [T] a interjeté appel de cette ordonnance le 29 janvier 2014 et dans ses dernières conclusions du 13 mai 2015 il demande':

-d'infirmer l'ordonnance du 16 janvier 2014 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a jugé M. [T] recevable à agir à l'encontre de l'Association [X] [X] et rejeté la demande de sursis à statuer de l'Association et de son président,

- de dire recevable l'action en rétractation à l'encontre de M. [Q],

- de dire que la procédure par voie de requête engagée par M. [Q] et l'Association [X] [X] n'est pas justifiée en application des dispositions des articles 493 et 812 alinéa 2 du code de procédure civile,

- de dire que la demande de M. [Q] et de l'association [X] [X] faite dans la requête du 7 janvier 2013 viole le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui,

- de dire que cette demande constitue une action déclaratoire,

- de déclarer en conséquence la demande de M. [Q] et l'association [X] [X] irrecevable et ce faisant, de rétracter l'ordonnance du 9 janvier 2013,

- de dire que les demandes de M. [Q] et l'association [X] [X] sont mal fondées et, ce faisant rétracter l'ordonnance du 9 janvier 2013,

- de condamner solidairement M. [Q] et l'association [X] [X] aux dépens et de condamner chacun d'entre eux à payer à M. [T] la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.




Par conclusions du 26 mai 2015, M. [Q] et l'association [X] [X] demandent':



A titre principal':

- d'infirmer l'ordonnance rendue le 16 janvier 2014 en ce qu'elle a dit que M. [T] était recevable en son action en rétractation,

- de dire irrecevable l'action engagée par M. [T] sur le fondement des dispositions des articles 31 et 122 du code de procédure civile,

- subsidiairement':

- de confirmer l'ordonnance rendue le 16 janvier 2014,

- d'écarter le moyen, nouveau en appel, tiré du non respect des articles 493 et 812 alinéa 2 du code de procédure civile,

- de débouter M. [T] de l'ensemble de ses moyens,



Reconventionnellement :

- de faire droit à la procédure d'inscription de faux relative à la pièce numérotée 43 comprenant deux lettres en anglais, l'une à Mme [N] [C], l'autre à Madame [N] [N], subsidiairement de les écarter des débats,

- de condamner M. [T] à verser à chaque intimé une indemnité de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de le condamner aux dépens.






MOTIFS DE LA DECISION





Considérant que le délai d'un an de validité de l'ordonnance du 9 janvier 2013 est expiré à ce jour et qu'actuellement l'association [X] [X] exerce en vertu d'une ordonnance du 14 janvier 2015 les fonctions de mandataire ad hoc chargé de défendre le droit moral d'[X] [X]';



Que cependant, cette circonstance ne prive pas M. [T] d'un intérêt à agir puisque celui-ci doit être apprécié au moment de l'engagement de l'action, effectué le 21 octobre 2013, et la rétractation, si elle intervenait, aurait un effet rétroactif, de sorte que la désignation de l'association [X] [X] comme mandataire ad hoc serait censée n'être jamais intervenue avec toutes les conséquences de droit sur la validité des actes accomplis par elle ès qualités dans l'année qui a suivie l'ordonnance sur requête';



Considérant que, toujours sur l'intérêt de M. [T] à agir en rétractation de l'ordonnance du 9 janvier 2013, il résulte des dispositions de l'article 496 du code de procédure civile, que s'il est fait droit à une requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance';



Considérant que dans leur requête et dans «'le rapport moral et financier de l'association [X] [X] pour l'année 2012'» produit en pièce n°3, M. [Q] et l'association [X] [X] invoquaient « l'action engagée par Monsieur [T]'» parmi les éléments justifiant, selon eux, de la nécessité de proroger l'ordonnance du 10 janvier 2012';



Qu'ainsi, M. [T], justifie d'un intérêt à contester une ordonnance accordant à cette association le droit de «'poursuivre en justice toute personne susceptible de porter atteinte aux droits de l'artiste [X] [X]'», et ce notamment dans la perspective d'un procès, puisque si l'affaire pendante devant le juge d'instruction de Tours était renvoyée devant le tribunal correctionnel, celui-ci serait amené à réexaminer la question de la recevabilité de la constitution de partie civile de l'association [X] [X], les décisions prises sur ce point par les juridictions d'instruction n'ayant pas autorité de la chose jugée devant la juridiction de jugement ;



Qu'il en résulte que M. [T], qui agit non pas dans le but de se substituer à l'association [X] [X] pour défendre le droit moral d'[X] [X], mais dans le but de sauvegarder ses propres droits de propriétaire de tableaux dont la valeur dépend de leur authentification, est au sens de l'article 496 du code de procédure civile, une personne directement intéressée à la rétractation de l'ordonnance sur requête, et qu'il est donc recevable à agir';



Considérant qu'en définitive, M. [T] est recevable à agir pour obtenir la rétractation de l'ordonnance rendue sur requête par le président du tribunal de grande instance de Paris le 9 janvier 2013';



Considérant que la cour, statuant sur l'appel d'une ordonnance de référé-rétractation, se trouve investie des attributions du juge qui l'a rendue et qu'elle doit donc rechercher si les conditions des articles 693 et suivants et de l'article 812 du code de procédure civile étaient réunies à la date où l'ordonnance sur requête a été rendue, étant précisé que l'instauration d'un débat contradictoire devant le juge de la rétractation ne permet aucunement de régulariser une mesure prise sur requête s'il s'avère qu'elle aurait dû être prise en référé sur assignation';



Considérant que, contrairement aux mesures d'instruction décidées avant tout procès en application de l'article 145 du code de procédure civile, les mesures sollicitées sur le fondement de l'article 812 doivent être urgentes et qu'il incombe alors au requérant de justifier d'une telle urgence et au juge des requêtes de la constater';



Que cependant ni la requête du 7 janvier 2013, ni l'ordonnance du 9 janvier 2013 n'exposaient d'éléments concrets dont il aurait résulté que la mesure dût être exécutée incessamment, sans le moindre atermoiement';



Qu'en effet, les pièces produites avec la requête se rapportaient d'abord aux activités de M. [Q], à ses relations avec le légataire d'[X] [X] et à ses interventions pour défendre l''uvre de cette artiste';



Qu'en outre, la requête et d'autres pièces annexées faisaient état des affaires judiciaires dans lesquelles l'association [X] [X] et M. [T] étaient parties, affaires déjà en cours au 7 janvier 2013, notamment l'information judiciaire ouverte à Tours et le référé-rétractation contre l'ordonnance du 10 janvier 2012';



Que cependant, il ne ressort pas de ces documents, que l'association [X] [X] devait accomplir en urgence un quelconque acte dans le cadre de l'une ou l'autre de ces procédures, ni engager en urgence une nouvelle action en justice';



Qu'en outre, les pièces produites en annexe de la requête ne concernaient que deux tableaux suspectés de faux par l'association [X] [X], l'un reproduit dans un ouvrage édité par Gallimard, l'autre exposé dans un musée en Allemagne, et que les échanges de correspondances qui s'y rapportaient étaient datés d'avril à juillet 2012, et qu'ainsi l'association [X] [X] avait une parfaite connaissance de ces faits six mois avant de déposer sa requête, ce qui est loin d'une situation d'urgence';



Que de même M. [Q] et l'association [X] [X] n'ont produit avec leur requête aucun document montrant l'urgence de «'la nécessité de recourir à un emprunt'» pour faire face aux dépenses nécessaires à la défense du droit moral d'[X] [X]' et qu'enfin rien ne permettait de justifier de ce que «'l'enrichissement et la documentation relative à l'artiste'» et le «'recours à des tests techniques sur des 'uvres authentiques'» étaient des tâche qui devaient être entreprises dans l'urgence';



Qu'en conséquence cette condition d'urgence exigée par l'article 812 du code de procédure civile n'est pas avérée';



Considérant que par ailleurs, M. [T] prétend devant la cour, et pour la première fois, qu'il n'est pas établi que les circonstances exigeaient que cette ordonnance ne fût pas prise contradictoirement';



Considérant qu'il s'agit non pas d'une demande nouvelle, mais d'un moyen nouveau que M. [T] pouvait invoquer pour justifier en appel les prétentions qu'il avait soumises au premier juge et qu'en toute hypothèse, que ce soit demandé ou non par une partie, il appartient à la cour d'appel investie des mêmes attributions que l'auteur de l'ordonnance, de vérifier d'office si, au vu des énonciations de la requête et de l'ordonnance, il était justifié de déroger au principe de la contradiction' cette vérification devant être effectuée en se fondant sur les seuls motifs de la requête et sur les pièces produites à son soutien';



Considérant que ni la requête, ni l'ordonnance ne mentionnent un quelconque motif qui imposait de déroger au contradictoire';



Que le seul fait que des actions en justice impliquant M. [T] fussent alors en cours était insusceptible de justifier que cette demande de désignation d'un mandataire ad hoc soit examinée à l'insu de M. [T], et que de même, la circonstance selon laquelle l'association [X] [X] était la seule à prétendre remplir cette mission, n'était pas de nature à fonder le recours à une procédure sur requête';



Qu'enfin, les éléments exposés dans la requête et dans la décision du 9 janvier 2013 ne permettait de constater que le respect d'une procédure contradictoire aurait compromis l'efficacité de la mesure sollicitée et qu'un effet de surprise était nécessaire';



Considérant qu'en définitive, la condition prescrite par l'article 493 du code de procédure civile n'est pas constituée et qu'il convient d'infirmer la décision entreprise et de rétracter l'ordonnance du 9 janvier 2013, sans qu'il y ait lieu de procéder à aucune autre recherche, ni à statuer sur les mérites de la requête du 7 janvier 2013 qui ne pouvait saisir régulièrement le juge';



Considérant que M. [Q] et l'association [X] [X] ont soulevé reconventionnellement un incident de vérification d'écriture concernant deux courriers adressés l'un à Mme [Q] [C], l'autre à Mme [N] [N], et relatifs à une exposition intitulée «'si [I] était une femme'», exposition qui, selon les intimés, n'aurait jamais eu lieu ;



Mais considérant que ces deux documents ont été produit par M. [T] dans le but d'établir ses compétences en matière d''uvre d'[X] [X] et qu'ils ne sont pas nécessaires à la solution du présent litige en rétractation de l'ordonnance sur requête du 16 janvier 2013';



Que cette demande reconventionnelle sera donc rejetée';



Considérant que M. [Q] et l'association [X] [X], qui succombent en cause d'appel, seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel et seront condamnés à payer chacun à M. [T] la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';





PAR CES MOTIFS





DÉCLARE M. [T] recevable en ses prétentions et moyens ;



INFIRME l'ordonnance rendue en référé le 16 janvier 2014';



RÉTRACTE l'ordonnance sur requête, rendue le 9 janvier 2013';



DÉBOUTE M. [Q] et l'association [X] [X] de leur demande incidente d'inscription de faux';



Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile':



CONDAMNE M. [Q] et l'association [X] [X] aux dépens de première instance et d'appel';



LAISSE à leur charge leurs frais irrépétibles';



CONDAMNE M. [Q] et l'association [X] [X] à payer chacun à M. [T] la somme de 5.000 euros en remboursement de ses frais non compris dans les dépens';



ACCORDE à Maître Edmond Fromantin le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.







LE GREFFIER,

LE PRÉSIDENT,

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