3 novembre 2015
Cour d'appel de Versailles
RG n° 14/03276

6e chambre

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES



Code nac : 85D



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 03 NOVEMBRE 2015



R.G. N° 14/03276



AFFAIRE :



FÉDÉRATION NATIONALE DES INDUSTRIES CHIMIQUES CGT (FNIC CGT)

C/

SA FIABILA

ET AUTRES





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Juillet 2014 par le Tribunal de Grande Instance de CHARTRES

N° chambre : 01

N° RG : 12/00635



Expéditions exécutoires

Expéditions

délivrées le :

à :

Me Franck LAFON



Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS



Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL LM AVOCATS

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LE TROIS NOVEMBRE DEUX MILLE QUINZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



FÉDÉRATION NATIONALE DES INDUSTRIES CHIMIQUES CGT (FNIC CGT)

[Adresse 1]



Ayant pour avocat Me Franck LAFON, avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 20140327, et Me Tamara LOWY, avocat au barreau de BOBIGNY



APPELANTE

****************



SA FIABILA

N° SIRET : 310 81 0 4 866

[Adresse 2]



Ayant pour avocat Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL LM AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, et Me Dominique PICHAVANT de l'ASSOCIATION JELTY PICHAVANT, avocat au barreau de NANTERRE



Monsieur [D] [S] es-qualité de membre titulaire élu à la Délégation Unique du Personnel de la SA FIABILA sur son lieu de travail

[Adresse 2]



Ayant pour avocat Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 20140603

et Me Isabelle VAREILLE, avocat au barreau de PARIS



Madame [Y] [K] es-qualité de membre titulaire élue à la Délégation Unique du Personnel de la SA FIABILA sur son lieu de travail

[Adresse 2]



Ayant pour avocat Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 20140603

et Me Isabelle VAREILLE, avocat au barreau de PARIS



Monsieur [L] [X] es-qualité de membre titulaire élu à la Délégation Unique du Personnel de la SA FIABILA sur son lieu de travail

[Adresse 2]



Ayant pour avocat Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 20140603

et Me Isabelle VAREILLE, avocat au barreau de PARIS



Monsieur [T] [R] es-qualité de membre titulaire élu à la Délégation Unique du Personnel de la SA FIABILA sur son lieu de travail

né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 1]

[Adresse 2]



Ayant pour avocat Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 20140603

et Me Isabelle VAREILLE, avocat au barreau de PARIS











DELEGATION UNIQUE DU PERSONNEL DE LA SA FIABILA

[Adresse 2]



Ayant pour avocat Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 20140603

et Me Isabelle VAREILLE, avocat au barreau de PARIS





INTIMES



****************



Composition de la cour :



L'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Septembre 2015 devant la cour composée de :



Madame Catherine BÉZIO, président,

Madame Sylvie FÉTIZON, conseiller,

Madame Sylvie BORREL-ABENSUR, conseiller,



qui en ont délibéré,



Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE






****************



EXPOSE DU LITIGE





La société FIABILA, dont l'activité de fabrication de vernis à ongles justifie l'application de la convention collective nationale des industries chimiques, a signé le 19 avril 2011 avec la Délégation Unique du Personnel un accord d'entreprise portant à 220h par salarié le contingent annuel d'heures supplémentaires, accord validé par la commission paritaire de branche et enregistré par la DIRECCTE.



Par assignation du 23 février 2012 la Fédération Nationale des Industries Chimiques CGT (la FNIC-CGT), a sollicité l'annulation de cet accord ; par jugement en date du 2 juillet 2014, dont la FNIC CGT a formé appel, le Tribunal de Grande Instance de Chartres a déclaré son action irrecevable et l'a condamné à payer d'une part à la société FIABILA la somme de 1500 € et d'autre part à la Délégation Unique du Personnel et à Mme [K] et Mrs [S], [X] et [R] ensemble la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



A l'audience de plaidoirie du 8 septembre 2015, les parties ont soutenu leurs conclusions respectives dûment signifiées avant l'ordonnance de clôture intervenue le 30 juin 2015 :



La FNIC CGT sollicite à titre principal la nullité de l'accord d'entreprise du 19 avril 2011 et la condamnation de la société FIABILA à lui payer la somme de 4000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et à titre subsidiaire que ces dispositions relatives au contingent annuel d'heures supplémentaires soient jugées non applicables.



La société FIABILA conclut à titre principal à la confirmation du jugement, et à titre subsidiaire sollicite que la Cour juge cet accord valablement applicable au sein de l'entreprise et déboute la FNIC CGT de ses demandes, tout en condamnant cette dernière à lui payer la somme de 4000 € sur le fondement de l'article 700.



La Délégation Unique du Personnel, Mme [K] et Mrs [S], [X] et [R], concluent dans les mêmes termes que la société FIABILA.






MOTIFS DE LA DÉCISION





Sur la recevabilité de l'action de la FNIC CGT



Selon l'article L 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice concernant des faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.



En l'espèce, la FNIC CGT conteste les conditions de réalisation et de négociation de l'accord d'entreprise du 19 avril 2011, soutenant d'une part que l'ensemble des organisations syndicales représentatives au niveau de la branche n'a pas été informé de manière régulière et complète, ce qui vicierait cet accord, et que d'autre part cet accord ne pouvait déroger à la convention collective nationale des industries chimiques plus favorable quant au nombre maximum d'heures supplémentaires.



Les conditions de négociation et de réalisation de cet accord d'entreprise, ainsi que le contenu de cet accord moins favorable que la convention collective nationale de branche, mettant en jeu l'intérêt collectif de la profession représentée par la FNIC CGT, l'action de cette dernière en nullité de cet accord est nécessairement recevable, quand bien même cet accord aurait été validé par la commission paritaire de branche, organe non juridictionnel dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours ; cette "validation" ne peut en effet soustraire au juge l'appréciation de la validité d'un accord d'entreprise.





Sur la demande de nullité de l'accord d'entreprise du 19 avril 2011



L'article L 2232-21 du code du travail dispose que dans les entreprises de moins de 200 salariés, dans lesquelles il n'existe pas de délégués syndicaux, ou dans les entreprises de moins de 50 salariés où il n'existe pas de délégué du personnel désigné comme délégué syndical, les représentants élus du personnel au comité d'entreprise ou la Délégation Unique du Personnel, ou à défaut les représentants du personnel, peuvent négocier et conclure des accord collectifs de travail sur des mesures dont la mise en 'uvre est subordonnée par la loi à un accord collectif, à l'exception des accords collectifs relatifs aux licenciements économiques.



Ce texte précise que l'employeur doit informer les organisations syndicales représentatives au niveau de la branche concernée de sa décision d'engager des négociations.



En l'espèce, la FNIC CGT soutient que la Fédération Chimie Mines Textile Energie CFTC a été convoquée à la mauvaise adresse, de sorte que la lettre d'information est revenue avec la mention « n'habite pas à l'adresse indiquée », ce qui est effectivement établi au vu des pièces produites, l'adresse n'étant pas la bonne.



Toutefois, cette absence d'information du syndicat CFTC de branche n'est susceptible d'avoir causé grief qu'à cette organisation et celle-ci , qui faisait partie de la commission paritaire de branche a approuvé l'accord litigieux ; l'organisation CGT appelante n'a dès lors pas qualité pour soulever une irrégularité quelconque subséquente.





Contrairement à ce que soulève la FNIC CGT, il apparaît que Mme [U], directrice des ressources humaines de la société FIABILA, était valablement mandatée par le président de la société Mr [H] pour le représenter auprès de la Délégation Unique du Personnel et pour signer l'accord d'entreprise, comme cela ressort du pouvoir de ce dernier en date du 16 février 2011, la première réunion de négociation ayant eu lieu le 18 février 2011.



Ces moyens ne seront donc pas retenus.



La FNIC CGT prétend encore que les lettres envoyées aux autres organisations syndicales représentatives au niveau de la branche ne mentionnent comme seul sujet de la négociation le contingent annuel d'heures supplémentaires, alors que l'accord aurait finalement également porté sur l'aménagement du temps de travail.



Or, l'accord litigieux indique reprendre en son article 2, mais seulement pour permettre de préciser la définition des heures supplémentaires, les dispositions d'un accord d'entreprise précédent en date du 19 décembre 2001 concernant l'aménagement du temps de travail'; cet accord n'est certes pas produit par la société FIABILA, mais il ressort des conclusions de la Délégation Unique du Personnel que les salariés élus affirment que la négociation n'a porté que sur le contingent des heures supplémentaires et qu'ils étaient informés de l'accord de 2001, d'autant que cet aménagement du temps de travail était appliqué depuis 10 ans dans l'entreprise.



Ainsi, l'ordre du jour de la négociation figurant sur les convocations des organisations syndicales a été respecté, et il importe peu que cet accord ne soit pas produit aux débats, puisqu'il n'est pas en lui- même discuté.



Comme l'article L 2232-27-1 du code du travail le prévoit, l'employeur et les salariés élus déterminent ensemble les informations remises à ces derniers préalablement à la négociation, ce qui constitue un gage de bonne information des salariés élus (faisant partie de la Délégation Unique du Personnel) et de loyauté de la négociation ; si aucun élément sur les documents transmis aux salariés élus préalablement à la négociation n'a été produit, malgré deux sommations de communiquer, il n'est pas permis de douter de la bonne information et de la bonne préparation de la Délégation Unique du Personnel avant et au cours de la négociation de l'accord du 19 avril 2011'; en effet, dans ses conclusions la Délégation Unique du Personnel expose, sans être contredite, avoir été à l'origine de la négociation, les salariés étant demandeurs d'effectuer des heures supplémentaires, au vu du carnet de commandes de la société FIABILA.



Enfin, la FNIC CGT soutient que les salariés élus n'auraient pas été informés de la faculté d'être assistés par des organisations syndicales représentatives au niveau de la branche, ce qui invaliderait la conclusion de l'accord.



Or, si la société FIABILA ne rapporte pas la preuve d'avoir informé la Délégation Unique du Personnel de sa faculté de prendre attache avec organisations syndicales représentatives au niveau de la branche, la Délégation Unique du Personnel indique elle- même dans ses conclusions qu'elle connaissait cette faculté et qu'elle n'a pas estimé opportun de se faire soutenir par les organisations syndicales représentatives au niveau de la branche, les négociations ne devant pas prendre un tour conflictuel, l'initiative de la négociation venant des salariés.



Ces moyens tirés de l'information insuffisante de la Délégation Unique du Personnel ne sont donc pas plus valables.



En conséquence, la demande de nullité de l'accord pour non respect des règles de conclusion sera rejetée.



Sur la validité de l'accord d'entreprise du 19 avril 2011



L'accord d'entreprise du 19 avril 2011 prévoit un contingent d'heures supplémentaires de 220h par an et par salarié, pouvant être porté à 250 h sous certaines modalités.



La FNIC CGT estime que l'accord du 19 avril 2011 est inapplicable, aux motifs :



- qu'il ne peut déroger à l'accord cadre de branche en date du 8 février 1999, antérieur au 4 mai 2004, dans la fixation du contingent des heures supplémentaires et dans la définition du temps de travail, en raison du caractère non rétroactif de la loi du 4 mai 2004, comme l'a précisé la décision du Conseil Constitutionnel en date du 29 avril 2004,



- que la loi du 20 août 2008 portant réforme du temps de travail a également été jugée comme non rétroactive par le Conseil Constitutionnel, par souci de ne pas remettre en cause les conventions collectives légalement conclues.



Au contraire, la société FIABILA et la Délégation Unique du Personnel soutiennent la validité de l'accord, invoquant l'article L.3121-11 du code du travail, issu de la loi du 20 août 2008, qui permet de fixer le contingent d'heures supplémentaires par une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement, ou à défaut par une convention ou un accord de branche, ce qui permettrait ainsi de conclure un accord d'entreprise dérogeant à un accord de branche antérieur, comme l'a indiqué la circulaire DGT du 13 novembre 2008, faisant état de la décision du Conseil Constitutionnel en date du 7 août 2008.



Or, si dans le cette décision, le Conseil Constitutionnel a indiqué que les parties à la négociation collective peuvent dès la publication de la loi du 20 août 2008 conclure des accords d'entreprise prévoyant un contingent différent d'heures supplémentaires (du contingent prévu par les conventions collectives antérieures), c'est à la condition d'avoir dénoncé ces conventions antérieures, ce qui n'est pas le cas en l'espèce concernant l'accord cadre de branche en date du 8 février 1999.



En outre, cet accord cadre, qui a été conclu avant la loi du 4 mai 2004, laquelle a remis en cause la hiérarchie des normes jusqu'alors en vigueur, ne comprend pas de dispositions permettant expressément aux entreprises d'y déroger, et fixe dans son article 8 le contingent d'heures supplémentaires à 130 heures par an et par salarié ; ainsi, il n'est pas possible de conclure d'accord collectif d'entreprise déterminant un contingent d'heures supplémentaires supérieur à celui prévu par l'accord de branche.



La validité de l'accord d'entreprise du 19 avril 2011, conclu entre la société FIABILA et la Délégation Unique du Personnel, est donc contestée à juste titre par l'appelante, et il convient d'annuler cet accord, après avoir infirmé le jugement déféré.



En application de l'article 700 du code de procédure civile, il sera alloué à l'appelante la somme de 4000 €.



Les salariés élus et la Délégation Unique du Personnel, à l'instar de la société FIABILA, seront déboutés de leur demande sur ce fondement, les dépens restant à la charge de la société, avec distraction des dépens au profit de Maître Franck LAFON avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.







PAR CES MOTIFS,



LA COUR,



STATUANT contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,



INFIRME le jugement du Tribunal de Grande Instance de Chartres en date du 2 juillet 2014, et statuant à nouveau :



DIT que la Fédération Nationale des Industries Chimiques CGT (la FNIC- CGT), est recevable et bien fondée en ses demandes ;



ANNULE l'accord d'entreprise du 19 avril 2011, conclu entre la société FIABILA et sa Délégation Unique du Personnel ;



CONDAMNE la société FIABILA à payer à la Fédération Nationale des Industries Chimiques CGT (la FNIC-CGT), la somme de 4000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;



CONDAMNE la société FIABILA aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction des dépens au profit de Maître Franck LAFON avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.





- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,



- signé par Catherine BÉZIO, président, et par Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.





Le GREFFIER,Le PRESIDENT,

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