26 janvier 2016
Cour d'appel de Paris
RG n° 13/17701

Pôle 5 - Chambre 1

Texte de la décision

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 1



ARRÊT DU 26 JANVIER 2016



(n° 011/2016, 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 13/17701



sur renvoi après cassation, par arrêt de la Cour de Cassation rendu le 09 juillet 2013 (pourvoi n°12-18.135), d'un arrêt du pôle 5 chambre 2 de la Cour d'appel de PARIS rendu le 30 mars 2012 (RG n°10/18202) rendu sur appel d'un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 22 juin 2010 - 3ème chambre - 1ère section (RG n°08/04585)







APPELANTES



SAS LHOIST FRANCE

Agissant poursuites et diligences de son Président en exercice et/ou tous représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de NANTERRE sous le numéro 352 326 763

[Adresse 1],

[Adresse 1]

[Adresse 1]





Société LHOIST RECHERCHE ET DEVELOPPEMENT - LHOIST R&D

Société de droit étranger

Agissant poursuites et diligences de tous représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

BELGIQUE



Représentées par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Assistées de Me Mireille BUYDENS, avocat au barreau de Bruxelles





INTIMÉS



Monsieur [Z] [D]

[Adresse 3]

[Adresse 3]



















CMF PRODUCTS SAS anciennement dénommée CARMEUSE FRANCE SAS

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]



Représentées par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

Assistées Me Dariusz SZLEPER de l'AARPI SZLEPER HENRY Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : R017







PARTIE INTERVENANTE :



Société CARMEUSE CHAUX

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Adresse 5]



Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

Assistée Me Dariusz SZLEPER de l'AARPI SZLEPER HENRY Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : R017





COMPOSITION DE LA COUR :



Après rapport oral dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile et en application des dispositions des articles 786 et 907 du même code, l'affaire a été débattue le 18 novembre 2016, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle DOUILLET, conseillère et Nathalie AUROY, conseillère, chargée d'instruire l'affaire,



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Nathalie AUROY, conseillère la plus ancienne, faisant fonction de président

Madame Isabelle DOUILLET, conseillère,

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, conseiller, en remplacement

de Monsieur Benjamin RAJBAUT, président, empêché.





Greffier, lors des débats : Madame Karine ABELKALON





ARRÊT :




Contradictoire

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Mme Nathalie AUROY, conseiller et par Madame Carole TREJAUT, greffier présent lors du prononcé.







***





Vu le jugement rendu le 22 juin 2010 par le tribunal de grande instance de Paris,



Vu l'arrêt rendu le 30 mars 2012 par la cour d'appel de Paris, pôle 5 - chambre 2,



Vu l'arrêt rendu le 9 juillet 2013 (pourvoi n°12-18.135) par la chambre commerciale de la Cour de cassation,



Vu la déclaration de saisine de la cour d'appel de Paris autrement composée du 3 novembre 2013 de la société Lhoist France et la société Lhoist recherche et développement (ci-après les sociétés Lhoist),




Vu les dernières conclusions numérotées 5 transmises le 8 septembre 2015 par les sociétés Lhoist,



Vu les dernières conclusions transmises le 19 octobre 2015 par la société CMF products, anciennement dénommée Sicab-Carmeuse France puis Carmeuse France, et M. [Z] [D], défendeurs à la saisine, et la société Carmeuse chaux, intervenante volontaire,



Vu l'ordonnance de clôture du 3 novembre 2015,






MOTIFS DE L'ARRÊT





Considérant que la société Sicab-Carmeuse France a déposé le 15 septembre 2004, avec M. [D], un brevet français enregistré sous le n° 04 09767, délivré le 15 décembre 2006 et intitulé 'utilisation de chaux partiellement pré-hydratée dans la séparation d'une suspension matières solide/liquide, procédé de traitement des boues et boues purifiées obtenues selon ce procédé' ; que la société Lhoist recherche et développement , titulaire du brevet européen EP 1 154 958, déposé le 3 février 2000 sous priorité du 8 février 1999, délivré le 31 mars 2004 et portant sur un procédé de conditionnement des boues, ainsi que la société Lhoist France, ont fait assigner la société Sicab-Carmeuse France et M. [D] devant le tribunal de grande instance de Paris en nullité du brevet français n° 04 09767, notamment pour défaut de nouveauté et d'activité inventive ;



Que dans son jugement du 22 juin 2010, le tribunal a, sur ce point :


dit que les demandes de nullité du brevet français n° 2 875 228 sont mal fondées tant sur le défaut de nouveauté que sur celui d'activité inventive,

débouté les sociétés Lhoist de leurs demandes de nullité de ce brevet ;




Que dans son arrêt du 30 mars 2012, statuant sur l'appel interjeté par les sociétés Lhoist, la cour d'appel a notamment, infirmant le jugement de ces chefs :


prononcé la nullité des revendications 1 à 8 du brevet français n°de publication 0 875 228 et n°d'enregistrement national 04 09767 pour défaut de nouveauté et de la revendication 9 du même brevet pour défaut d'activité inventive,

dit que mention de cette annulation sera inscrite au Registre national des brevets tenu par l'Institut national de la propriété industrielle, sur réquisition du greffier ou sur requête de l'une des parties, conformément aux dispositions de l'article R613-54 du code de la propriété intellectuelle,

ordonné la publication du dispositif du présent arrêt dans cinq journaux ou revues au choix des sociétés Lhoist et aux frais de la société Sicab-Carmeuse France, sans que le coût total des cinq insertions ne dépasse la somme de 25 000 € hors taxes ;














Que dans son arrêt du 9 juillet 2013, la Cour de cassation, statuant sur le pourvoi formé par la société Carmeuse France et M. [D], a cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a annulé les revendications 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9 du brevet n° 04 09767 et ordonné la publication du dispositif de l'arrêt dans cinq journaux ou revues aux frais de la société Carmeuse France, l'arrêt rendu le 30 mars 2012, remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;



Que le 1er janvier 2014, la société Carmeuse France a fait un apport partiel d'actifs, comprenant le brevet n°04 09767, à la société Boulet Fillers, dont la nouvelle dénomination sociale est Carmeuse Chaux ;



Considérant que la société Carmeuse chaux et M. [D] ont déposé le 30 janvier 2014 une demande de limitation des revendications du brevet n° 04 09767, acceptée par décision du 25 mars 2014 ; que les revendications d'origine du brevet, qui consistaient en des revendications d'utilisation (notamment la revendication 1, qui portait sur l'utilisation de la chaux vive partiellement pré-hydratée à réactivité retardée, annulée pour défaut de nouveauté par disposition définitive de l'arrêt du 30 mars 2012), de procédé et de produit, ont été abandonnées et remplacées par les nouvelles revendications 1 à 4 ;



Qu'il n'est pas contesté qu'en application de l'article L613-24, alinéa 4, du code de la propriété intellectuelle, 'Les effets de la renonciation ou de la limitation rétroagissent à la date de dépôt de la demande de brevet' ; que selon l'article L613-25, alinéa 7, du même code, 'le brevet ainsi limité constitue l'objet de l'action en nullité engagée' ;



Que c'est dans ces conditions que les sociétés Lhoist demandent à la cour d' infirmer le jugement entrepris et de prononcer la nullité des revendications 1 à 4 du brevet n° 04 09767 tel que limité, pour défaut d'activité inventive, et par voie de conséquence, de juger que le dit brevet est dépourvu de validité au regard des articles L611-10 et -14 du code de la propriété intellectuelle et de le déclarer nul en application de l'article L613-25 du même code ;



Que les sociétés CMF products et Carmeuse France et [D] concluent à la confirmation du jugement et au rejet des demandes des sociétés Lhoist ;



Considérant qu'il y a lieu de rappeler au préalable que, selon l'article 954 du code de procédure civile, les prétentions des parties sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif ;



Le domaine technique de l'invention :



Considérant que l'invention du brevet contesté est intitulée 'utilisation de chaux partiellement pré-hydratée dans la séparation d'une suspension matières solide/liquide, procédé de traitement des boues et boues purifiées obtenues selon ce procédé' ;


Considérant que le brevet rappelle qu'il est bien connu que la chaux peut être utilisée pour améliorer les performances des méthodes de séparation liquide/solide, soit par son apport à la suspension lors du traitement des boues avant la séparation liquide/solide, c'est-à-dire lors de la concentration des matières solides, avant filtration, centrifugation ou décantation, opération appelée 'pré-chaulage', soit après ladite séparation liquide/solide, c'est-à-dire après filtration, centrifugation ou décantation, lors de la dessiccation et la décontamination des boues, opération appelée 'post-chaulage' ;













Qu'il rappelle aussi que seule la chaux éteinte, composée principalement d'hydroxyde de calcium (Ca(OH) 2), obtenue par hydratation de la chaux vive, composée principalement d'oxyde de calcium (CaO) est utilisable dans le cadre du pré-chaulage car la présence d'eau dans la suspension interdit l'utilisation de la chaux vive qui, réagissant violemment au contact de l'eau en provoquant une élévation de température, perturberait l'homogénéisation de la suspension ainsi que la séparation liquide/solide, et que l'on sait de WO 02/32818 que c'est l'augmentation du pH et de la température associée à la réaction de la chaux vive avec l'eau résiduelle contenu dans les gâteaux humides de séparation qui assure leur hygiénisation en post-chaulage, et ce, en permettant d'accroître leur niveau de siccité comme indiqué dans US 4279279 ;



Considérant que le brevet relève les inconvénients de ces opérations ;



Que, s'agissant d'abord du pré-chaulage, il indique ainsi que les particules de CA(OH)2 ajoutées lors du pré-chaulage sont trop petites pour pouvoir augmenter la porosité du résidu ou gâteau de séparation et favoriser ainsi la dessiccation et la décontamination de ce dernier ;



Qu'il mentionne que l'on sait de l'article de S. Deeneux-Mustin et al. Wat.Res, 2001, vol.35 (n°12, pp.3018 et 3024), que l'utilisation de chaux associée à FeCl3 favorise la déshydratation mécanique des boues et que l'on sait aussi que lors de l'utilisation de floculants polymères organiques, l'ajout de chaux engendre un pH élevé provoquant leur inactivation ou destruction ;



Qu'il précise que le brevet EP 1 154 958 (ou brevet Lhoist) propose de contourner cette difficulté en contrôlant ou retardant l'augmentation du pH, en ajoutant aux boues à conditionner un floculant organique et une chaux particulière, notamment une chaux vive à réactivité retardée (CVRR) ;



Que selon ce brevet antérieur, il existe plusieurs types de CVRR, parmi lesquels la chaux vive partiellement préhydratée, traitée en surface, en ce sens qu'une petite quantité d'eau a été ajoutée en surface externe des particules de chaux, de façon à obtenir une couche de chaux éteinte poreuse ralentissant la réaction de l'eau avec la chaux vive en leur coeur ;



Que s'agissant ensuite du post-chaulage, il indique qu'il est, d'une part, difficile d'obtenir un mélange homogène, à cause de la violence de la réaction de la chaux vive au contact de l'eau et, d'autre part, plus coûteux et plus complexe, dès lors qu'il implique une étape supplémentaire, à savoir le mélange de la suspension concentrée avec la chaux vive ;



Considérant que l'invention se propose de remédier aux inconvénients des opérations classiques de pré-chaulage et de post-chaulage ;



Considérant que le but essentiel de l'invention est de 'fournir une nouvelle solution technique au problème du traitement des suspensions comportant un liquide capable de réagir avec CAO (chaux vive), en vue de concentrer, décontaminer (i.e. 'hygiéniser' ou dépolluer), dessécher et recueillir les matières solides sèches contenues dans lesdites suspensions, notamment les suspensions aqueuses' et de l'appliquer 'plus particulièrement au traitement des boues', 'par exemple en vue de leur épandage sans risque de pollution pour l'environnement, notamment pour améliorer ou amender les sols cultivables' ;



Que le brevet propose 'enfin de fournir, en tant que produits industriels nouveaux les boues purifiées obtenues selon ce procédé, et une combinaison d'une CVRR avec au moins un sel de fer et/ou d'aluminium' ;









Considérant qu'il convient ici d'observer que pour annuler pour défaut de nouveauté l'ancienne revendication 1 du brevet litigieux, qui portait sur l'utilisation de la chaux vive partiellement pré-hydratée à réactivité retardée, par une disposition aujourd'hui définitive, l'arrêt du 30 mars 2012 retient dans ses motifs que le brevet opposé (soit le brevet Lhoist), qui poursuit le même but essentiel, a déjà divulgué la mise en oeuvre de ladite CVRR dans le traitement des boues tout au long du processus
1: souligné par la cour


lequel moyen combine les avantage du pré-chaulage au moyen de la chaux éteinte avec ceux du post-chaulage avec la chaux vive, de façon à ce que s'opèrent la concentration, la séparation, la dessiccation et la décontamination des matières solides ;


La solution préconisée par l'invention :

Considérant que pour parvenir à l'invention, le brevet propose de combiner deux produits particuliers, la chaux vive partiellement pré-hydratée et des sels métalliques dans des conditions spécifiques d'usage, notamment en ce qui concerne la qualité de matière utilisée, ses propriétés et la durée du procédé ;



Qu'il se compose désormais de quatre revendications, qui se lisent comme suit :



1. Procédé pour le traitement d'une boue au moyen de chaux en vue de

concentrer, dessécher et recueillir ses matières solides, ledit procédé étant

caractérisé en ce qu'il comprend les étapes consistant à :



(') mettre en contact et sous agitation, pendant 0,4 à 30 minutes, de préférence pendant une durée inférieure ou égale à 10 minutes, et mieux pendant une durée de 2 à 3 minutes, de la chaux vive partiellement pré-hydratée à réactivité retardée (CVRR) associée à un sel métallique avec la boue à traiter, à raison d'au moins 1 partie en poids sec de ladite CVRR pour 100 parties en poids sec de matières solides contenues dans ladite boue, le Ca(OH)2 des particules de ladite CVRR servant à la concentration ou floculation desdites matières solides ;



(') séparer, notamment par filtration, centrifugation ou décantation, la suspension résultante pour obtenir un matériau solide se présentant sous la forme d'un premier gâteau humide, qui est un mélange homogène desdites matières solides concentrées, de ladite CVRR et d'eau; puis,



(y) faire réagir ou laisser réagir le CaO de ladite CVRR, qui est contenue dans

ledit matériau solide ainsi séparé, avec l'eau dudit matériau solide ;



et en ce que l'étape (a) est mise en 'uvre avec une CVRR constituée de 40 à 90 % en poids de CaO et de 60 à 10 % en poids de Ca(OH) 2 , de préférence de 85 à 90% en poids de CaO et de 15 à 10% en poids de Ca(OH) 2 , selon une quantité de CVRR, exprimée en équivalents de CaO, de 20 à 100 parties en poids pour 100 parties en poids sec de matières solides contenues dans ladite boue, ladite CVRR ayant une granulométrie inférieure à 5 mm, de préférence une granulométrie moyenne comprise entre 20 µm et 500 µm, et mieux une granulométrie moyenne telle que 20 µm



(i) sous la forme d'une poudre, ou

(ii) sous la forme d'une suspension aqueuse à une concentration supérieure ou égale à 10 % en poids, de préférence à une concentration supérieure ou égale à 50 % en poids, et mieux (en association dans ce cas avec un superplastifiant) à une concentration de 75 à 90 % en poids,



en ce que la séparation de l'étape (b) est mise en 'uvre au moyen d'une

centrifugeuse, d'un filtre-presse ou d'un filtre à bande,

et en ce que la réaction de l'étape (y) est déclenchée, pendant ou après l'étape (b), notamment par initiation par voie thermique, sonique ou chimique (revendication 6 d'origine).'



2. Procédé suivant la revendication 1, caractérisé en ce que ledit sel

métallique est un sel de Fe3+ et/ou un sel de Al 3+ , de préférence FeCl 3 ,

Al 2 (SO 4 ) 3 et/ou le chlorure basique d'aluminium (description, page 10, lignes

11-17)'



3. Procédé suivant la revendication 1 ou 2, caractérisé en ce que la réaction

de l'étape (y) est initiée



' par voie thermique, notamment par apport de vapeur sèche ;

' par voie sonique, notamment par un champ d'ultrasons ; ou

' par voie chimique, notamment avec une substance choisie parmi l'ensemble

constitué par les acides minéraux, les acides organiques, les sels alcalins, les

sels alcalino-terreux, les polyols et leurs mélanges.'



4. Matériau pour le traitement d'une boue, caractérisé en ce qu'il s'agit d'une

combinaison de



(a) une CVRR, constituée de 40 à 90% en poids de CaO et de 60 à 10 % en poids

de Ca(OH) 2, de préférence de 85 à 90 % en poids de CaO et de 15 à 10 % en

poids de Ca(OH) 2 , ayant une granulométrie moyenne telle que 20 µm



(b) au moins un sel métallique, notamment un sel de Fe 3+ et/ou un sel de Al 3+ ,

de préférence FeCl 3 , Al 2 (SO 4 ) 3 et/ou le chlorure basique d'aluminium,



dans laquelle la CVRR et le sel métallique sont conditionnés séparément, sous la forme de deux produits distincts, ou ensemble, sous la forme d'un seul produit résultant de leur mélange, ladite combinaison étant notamment utile pour (i) la séparation matières solides/eau d'une boue industrielle, d'une boue urbaine, d'une boue d'eaux usées, d'une boue biologique, d'une boue agricole telle que le lisier, ou d'une boue de dragage, et (ii) la décontamination des matières solides résultant de ladite séparation.'



La définition de l'homme du métier :

Considérant que l'homme du métier est celui qui possède les connaissances normales de la technique en cause et est capable, à l'aide de ses seules connaissances professionnelles, de concevoir la solution du problème que propose de résoudre l'invention ;

Considérant qu'en l'espèce, au regard des problèmes techniques que résout l'invention, il doit être admis, comme le soutiennent les sociétés Lhoist, que l'homme du métier est un spécialiste dans le domaine du traitement des boues et qu'il connaît donc la chaux, classiquement utilisée pour le traitement des boues ;

















L'activité inventive :



Considérant que l'article L 611-14 du code de la propriété intellectuelle dispose qu' 'une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique' ;



- sur la revendication 1 :



Considérant que les sociétés Lhoist contestent l'activité inventive de cette revendication en présence notamment des documents de l'art antérieur suivants : le brevet européen Lhoist 1 154 958, intitulé 'Procédé de conditionnement des boues' cité dans le brevet litigieux, le mémento technique de l'eau de Degrémont de 1989 (chapitre 19 traitement des boues) et la demande de brevet antérieur [D] n°de publication n°2 841 895 et n° d'enregistrement 02 08302, intitulé 'Materiau à base de chaux constitué de CaO partiellement hydraté, procédé de préparation et utilisation en tant que liant, captateur d'eau et/ou source d'énergie', également cité dans le brevet litigieux ; qu'elles soutiennent que les caractéristiques qui la composent tendent à résoudre plusieurs problèmes partiels indépendamment les uns des autres et qu'elles n'interagissent pas entre elles pour créer un effet synergique et, en réplique à l'argumentation adverse, font valoir que le brevet ne fait ni ressortir comment le procédé trouve son unicité et son effet synergique dans le temps de mélange, ni référence au contrôle de l'étape de dessiccation ;



Que les intimés répondent que cette revendication de procédé est caractérisée par la combinaison de l'emploi d'une chaux vive partiellement préhydratée en association avec un sel métallique et des conditions particulières d'utilisation, tenant aux propriétés et proportions particulières des produits utilisés et à la durée déterminée, laquelle n'a non seulement jamais été enseignée à l'homme du métier mais est en réalité contraire à l'enseignement de l'art antérieur, notamment le brevet Lhoist, et permet en outre de maîtriser le temps d'obtention et les caractéristiques - notamment de siccité et d'hygiénisation - des matières solides destinées à l'épandage agricole ;



Considérant que l'état de la technique visé par l'article L611-14 du code de la propriété intellectuelle comprend l'ensemble des antériorités pertinentes opposées, prises isolément ou en combinaison, soit, en l'espèce, les trois antériorités opposées et ce, y compris la troisième, nonobstant les objections des appelants, dès lors que celle-ci est expressément citée comme référence dans le brevet litigieux et croise le même domaine technique, comme l'illustre son exemple 5 relatif à l'utilisation d'une CVRR dans une boue ;



Considérant qu'il a été vu que l'utilisation d'une CVRR, et sous une forme avantageuse, la chaux vive partiellement pré-hyratée à réactivité retardée, est préconisé par le brevet Lhoist ;



Considérant qu'il a également été vu que le brevet litigieux fait état de la connaissance par l'homme du métier, grâce à l'article de D. Deneux-Mustin et al., de ce que l'utilisation de la chaux associée à FeCl3 favorise la déshydratation mécanique des boues  ; que cette connaissance - concernant de façon plus générale l'intérêt technique et économique des sels métalliques, tels que le chlorure ferrique et les sels d'aluminium, associés à la chaux - résulte aussi du Mémento technique de l'eau ; que le brevet Lhoist fait également référence aux procédés utilisant, comme floculant, du sel de fer ou d'aluminium ajouté à de la chaux ; que si celui-ci souligne les inconvénients d'un tel procédé (augmentation importante de la quantité de matière sèche de la boue à floculer) et de l'usage des sels métalliques (qui attaquent l'acier inoxydable et presque tous les métaux, et dégagent sous forme solide des poussières irritantes voire toxiques, de sorte que leur mise en oeuvre requiert des précautions particulières quant au matériel à utiliser et présente un danger pour la santé des opérateurs), pour leur préférer comme additif de floculation les floculants organiques, force est de constater que le brevet litigieux, qui choisit d'y recourir en poursuivant un but général d'efficacité et d'économie - sans qu'il soit avancé au demeurant qu'ils soient sur ces points spécifiquement plus performants que les floculants organiques -, ne l'utilise que pour des raisons connues de l'homme du métier et ne vainc aucun des préjugés mis en avant par le brevet opposé, dont il ne fait pas état ;



Considérant que la durée du mélange des deux produits avec la boue à traiter est décrite par le brevet litigieux comme pouvant être de 24 secondes à 30 mn ; que si cette durée n'est pas précisée dans le brevet Lhoist, l'homme du métier qui lit dans l'exemple 7 de ce brevet que la mise en contact est de six secondes quand il s'agit d'un exemple de laboratoire avec un échantillon de boue d'épuration correspondant à 20 g de matière sèche peut facilement en déduire que, pour de grande quantités, la mise en contact devra être plus longue et trouver la durée utile au moyen d'essais de routine, peu important que dans cet exemple, il s'agisse de chaux surcuite et non d'une chaux vive partiellement pré-hyratée à réactivité retardée, ces deux CVRR étant, selon le brevet opposé, interchangeables, la réactivité étant dans les deux cas ralentie ; que de plus, dans le Mémento technique de l'eau, il est fait état d'un temps standard de floculation des boues dans des bacs agités en série pour obtenir un excellent mélange de l'ordre de 5 à 10 mn, que celui du brevet litigieux ne fait qu'englober et qui correspond à la fourchette moyenne proposée de façon préférentielle par celui-ci ;



Considérant qu'il est avéré, et il n'est d'ailleurs pas sérieusement discuté, que les caractéristiques de la revendication 1 tenant au pourcentage de 1% de CVRR par rapport aux matières solides dans la boue, à l'étape de séparation de l'eau et de la matière solide et à l'obtention d'un gâteau humide constituant un mélange homogène sont divulguées dans le brevet Lhoist dans les conditions justement décrites par les sociétés Lhoist dans leurs écritures p.26, 28 et 29 ;



Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les intimés, l'amélioration de la siccité de boue est prise en compte dans le brevet Lhoist, qui le souligne à plusieurs reprises (en §0013 et §0037 notamment) ; que la caractéristique selon laquelle 'on fait réagir ou laisse réagir le CaO de ladite CVRR, qui est contenu dans le dit matériau solide ainsi séparé, avec l'eau du dit matériau solide', qui, selon les intimés, induirait un contrôle de la siccité après l'étape de séparation, est également divulguée en sa seconde proposition par le brevet Lhoist en sa revendication 12, dès lors que le fait que le ph de la boue continue à augmenter après la séparation solide/liquide montre que la chaux, qui est évidemment restée dans la boue, continue à réagir avec l'humidité résiduelle du gâteau de filtration et que la chaux vive présente va continuer à s'éteindre tout en asséchant la boue ; que la possibilité d'anticiper la réaction, qui constitue la première proposition, est en soi logique pour l'homme du métier, et les moyens proposés par la revendication pour y parvenir, précédés par l'adverbe 'notamment', n'ont pas d'effet limitatif sur la revendication et ne sont donc pas pertinents pour apprécier la validité de l'invention ;



Considérant qu'il est encore avéré, et il n'est d'ailleurs pas sérieusement discuté, que :

- les caractéristiques de la revendication 1 tenant en premier lieu à la constitution de la CVRR de 40 à 90 % en poids de CaO et de 60 à 10% en poids de Ca(OH)2, selon une quantité de CVRR, exprimée en équivalent de Ca0, de 20 à 100 parties en poids sec de matières solides contenues dans ladite boue, sont divulguées par la demande de brevet [D] et par le brevet Lhoist dans les conditions justement décrites par les sociétés Lhoist dans leurs écritures p.32 à 35,


celle tenant en second lieu à une granulométrie de cette CVRR inférieure à 5 mm est divulguée par le brevet Lhoist dans les conditions justement décrites par les sociétés Lhoist dans leurs écritures p.35 et 36,

celle tenant en troisième lieu en son intervention sous la forme d'une poudre ou d'une suspension aqueuse à une concentration supérieure ou égale à 10% en poids est divulguée dans le brevet Lhoist et la demande de brevet Gompart dans les conditions justement décrites par les sociétés Lhoist dans leurs écritures p.36 ;










Qu'il en est de même pour la caractéristique tenant à la mise en oeuvre de la séparation au moyen d'une centrifugeuse, d'un filtre-presse ou d'un filtre à bande, divulguée par le brevet Lhoist (§32) ;



Qu'enfin, la caractéristique tenant au moment du déclenchement de la réaction entre le Cao de la CVRR et l'eau du matériau solide, pendant ou après l'étape de séparation,

présente un caractère d'évidence pour l'homme du métier, qui sait que cette réaction ne peut se produire qu'à partir du moment où le gâteau est formé, soit pendant ou après cette étape où précisément le gâteau se forme ;



Considérant qu'il apparaît donc que la revendication 1 est constituée d'un ensemble de paramètres déjà connus ou facilement accessibles pour l'homme du métier et ayant chacun un effet technique spécifique participant à l'optimisation de chaque étape décrite, sans que leur combinaison ait un effet de synergie surprenant ;



Considérant qu'il s'infère de ces observations que l'invention décrite à la revendication 1 du brevet opposé découlait de manière évidente de l'état de la technique et que l'homme du métier doté de connaissances professionnelles normales était apte sans faire preuve d'activité inventive et par de simples moyens d'exécution à la réaliser ;



Considérant que la revendication 1 du brevet est donc dépourvue d'activité inventive ;



- sur la revendication 2 :



Considérant que cette revendication, dépendante de la revendication 1, qui ne fait que préciser que le sel métallique prévu à la revendication 1 est un sel de fer ou un sel d'aluminium, dont il a été vu qu'il s'agissait d'une connaissance faisant partie de l'état de la technique, n'est porteuse d'aucune activité inventive ;



- sur la revendication 3 :



Considérant que cette revendication est également dépendante de la revendication 1 ;



Que, contrairement à ce que soutiennent les intimés, en ce qu'elle décrit un procédé tendant à l'initiation de la réaction de l'étape (y), elle renvoie nécessairement au déclenchement provoqué de l'opération de réaction du CaO de la CVRR contenue dans le matériaux solide séparé, avec l'eau du dit matériau solide ; qu'il s'agit donc pour l'homme du métier d'avoir accès à la chaux vive sous la couche protectrice de chaux éteinte ; qu'à cet égard, les sociétés Lhoist font justement observer qu'il est particulièrement intuitif pour lui, pour parvenir à ses fins, de penser, soit - compte tenu du caractère par essence poreux de la couche de chaux éteinte - à activer le processus de diffusion de l'eau par augmentation de la température, soit à fissurer l'enrobage au moyen d'ultra-sons, soit encore à dissoudre celui-ci par voie chimique, notamment par un réactif à caractère acide ; que cette revendication n'est donc pas davantage porteuse d'activité inventive ;



- sur la revendication 4 :



Considérant qu'il n'y a lieu d'examiner l'activité inventive de cette revendication qu'en ses caractéristiques limitatives, soit en excluant toutes celles suivant les expressions 'de préférence', 'notamment', 'telle que' ou 'utile pour', qui n'ont pas ce caractère, dès lors qu'elles ne sont pas essentielles et nécessaires pour la mise en oeuvre de l'invention ou touchent à sa finalité et n'ont pas être prises en considération ;



Que l'état de la technique au sens de l'article L611-14 du code de la propriété intellectuelle est le même que pour les autres revendications ;







Qu'il est avéré et non sérieusement discuté que :




la caractéristique tenant à la constitution de la CVRR de 40 à 90 % en poids de CaO et de 60 à10 % en poids de Ca(HO)2 est divulguée dans la demande de brevet [D], qui prévoit que la CVRR comprend de 90 à 95 % en poids de CaO et de 10 à 5% en poids de Ca(HO)2, de sorte que les plages de valeurs se recoupent à un point extrême de la valeur connue,

la caractéristique tenant au caractère moyen de la granulométrie est dépourvue de sens,

la caractéristique tenant à l'utilisation de la CVRR sous forme de poudre ou de suspension aqueuse est antériorisée par la demande de brevet Gompart, aux termes mêmes du brevet litigieux (p. 5 lignes 1 à 3),

la caractéristique tenant à la combinaison avec un sel métallique est antériorisée par le Memento technique de l'eau, la CVRR restant de la chaux, et constitue une juxtaposition de caractéristiques connues,

la caractéristique tenant au conditionnement, ensemble ou séparés, des deux produits n'est pas limitative, dès lors qu'elle couvre l'ensemble des possibilités pour les conditionner ;




Qu'il en ressort que la revendication 4 n'est pas non plus porteuse d'activité inventive ;



Considérant que, par voie de conséquence, il convient d'infirmer le jugement entrepris, de prononcer la nullité des revendications 1 à 4 du brevet français n° 2 875 228 / 04 09767 tel que limité par décision de l'INPI du 25 mars 2014 pour défaut d'activité inventive, de juger que le dit brevet est dépourvu de validité au regard des articles L611-10 et -14 du code de la propriété intellectuelle et d'en déclarer la nullité en application de l'article L613-25 du même code ;



PAR CES MOTIFS



Infirme le jugement en ce qu'il a dit que les demandes de nullité du brevet français n° 2 875 228 sont mal fondées tant sur le défaut de nouveauté que sur celui d'activité inventive et débouté les sociétés Lhoist de leurs demandes de nullité de ce brevet ,



Statuant à nouveau et y ajoutant,



Prononce la nullité des revendications 1 à 4 du brevet français n°de publication 0 875 228 et n°d'enregistrement national 04 09767 tel que limité par décision de l'INPI du 25 mars 2014 pour défaut d'activité inventive,



Juge que ledit brevet est dépourvu de validité au regard des articles L611-10 et -14 du code de la propriété intellectuelle,



Le déclare nul en application de l'article L613-25 du même code,



Dit que la mention de cette annulation sera inscrite au Registre national des brevets tenu par l'Institut national de la propriété industrielle, sur réquisition du greffier ou sur requête de l'une des parties, conformément aux dispositions de l'article R613-54 du code de la propriété intellectuelle ,



Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société CMF products, M.[D] et la société Carmeuse chaux, et les condamne in solidum à payer aux sociétés Lhoist France et Lhoist recherche et développement la somme de 50 000 €,











Condamne in solidum la société CMF products, M.[D] et la société Carmeuse Chaux aux dépens,



Accorde à Maître François Teytaud le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.









LE PRÉSIDENTLE GREFFIER

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