3 mars 2016
Cour d'appel de Versailles
RG n° 15/08274

14e chambre

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 00A



14e chambre



ARRÊT N°



contradictoire



DU 03 MARS 2016



R.G. N° 15/08274



AFFAIRE :



SAS TOTAL E&P HOLDINGS agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

...



C/

Société MARIDIVE OIL SERVICES prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège









Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 17 Novembre 2015 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE



N° RG : 2015R01151



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :



à :



Me Mélina PEDROLETTI



Me Anne-Laure DUMEAU



REPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE TROIS MARS DEUX MILLE SEIZE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



SAS TOTAL E&P HOLDINGS agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

autre qualité : appelante dans 15/08701

Représentée par Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire 626 - N° du dossier 23265

assistée de Me François AMELI substitué par Me Audrey HINOUX, avocats au barreau de PARIS





SA TOTAL E&P LIBYE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

autre qualité : appelante dans 15/08701

Représentée par Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire 626 - N° du dossier 23265

assistée de Me François AMELI substitué par Me Audrey HINOUX, avocats au barreau de PARIS







APPELANTES





****************





Société MARIDIVE OIL SERVICES prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2] (EGYPTE)

autre qualité : intimée dans 15/08701

Représentée par Me Anne-Laure DUMEAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire 628 - N° du dossier 41725

assistée de Me Erik SCHMILL substitué par Me Maxime CORDIER, avocats au barreau de PARIS







INTIMEE



****************







Composition de la cour :



L'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Janvier 2016, Monsieur Jean-Michel SOMMER, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :





Monsieur Jean-Michel SOMMER, président,

Madame Véronique CATRY, conseiller,

Madame Maïté GRISON-PASCAIL, conseiller,



qui en ont délibéré,



Greffier, lors des débats : Monsieur Didier ALARY












FAITS ET PROCÉDURE,



La société Total E&P Lybie et la société Total E&P Holdings qui en est l'unique actionnaire (les sociétés Total), sont deux sociétés du groupe Total dont la première développe ses activités sur le territoire Lybien depuis de nombreuses années.



La société Mabruk Oil opérations (la société MOO), société de droit français, était une filiale à 100% de la société Total E&P Lybie jusqu'au mois de juillet 2015. Elle fait l'objet dans le déploiement de ses activités d'un contrôle étroit par la société lybienne National Oil Corporation (la NOC).



Un litige oppose depuis plusieurs années la société MOO à une société de droit égyptien intervenant sur le marché de prestations de services maritimes pétroliers et assimilés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, la société Maridive Oil Services (la société Maridive), au sujet de l'affrètement d'un navire.



La société Maridive bénéficie d'une sentence arbitrale du Centre d'arbitrage du Caire

du 13 juillet 2013 condamnant la société MOO à lui payer une somme en principal de plus de quatre millions de dollars US, conjointement avec un intermédiaire lybien, la société [T].



La sentence a fait l'objet décision d'exequatur rendue le 4 novembre 2013 par le président du tribunal de grande instance de Paris, confirmée par un arrêt du 17 mars 2015.



Un protocole d'accord transactionnel de règlement des condamnations a été conclu le 5 novembre 2013 entre les sociétés MOO, Maridive et [T], sous l'égide de la société NOC.



Ce protocole a donné lieu au versement d'une somme de 4 044 920 US$ sur un compte spécial du procureur général de Lybie. Mais, non exécuté, ce protocole serait devenu caduc.



La société Maridive a entrepris des mesures d'exécution à l'encontre de la société MOO, en pratiquant notamment deux saisies-attributions infructueuses entre les mains des sociétés Total en leur qualité de prétendues débitrices de la société MOO.



Les saisies-attributions ont été contestées sans succès devant le juge de l'exécution.



Parallèlement, la société Maridive a saisi le président du tribunal de commerce de Nanterre d'une requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.



Le 3 septembre 2015, le président du tribunal de commerce a accueilli la requête et a commis un huissier de justice afin de se rendre au siège des sociétés Total, accompagné d'un expert informatique, et de se faire communiquer les correspondances, documents juridiques, financiers et contractuels échangés avec la société Mabruk Oil opérations pendant la période d'affrètement du navire litigieux, le 'Maridive 229', pour la période du 1er septembre 2009 à la date de l'ordonnance.



Les opérations se sont déroulées le 9 septembre 2015 dans les locaux des sociétés Total à la Défense en présence d'un expert informatique.



Les sociétés Total ont demandé la rétractation de l'ordonnance.



La société Maridive a reconventionnellement demandé la levée du séquestre.



Par une ordonnance du 17 novembre 2015, le juge des référés a :



- débouté les sociétés Total de leur demande de rétractation ;



- ordonné la mainlevée des séquestres et la communication des pièces au profit de la société Maridive ;



- condamné solidairement les sociétés au paiement de la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Le 30 novembre 2015, les sociétés Total ont relevé appel de l'ordonnance.



Le 9 décembre 2015, elles ont été autorisées à assigner à jour fixe la société Maridive pour l'audience du 14 janvier 2016.








PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES,



Aux termes de leur assignation du 11 décembre 2015 et de leurs conclusions en réplique du 13 janvier 2016, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens soulevés, les sociétés Total demandent à la cour : 



- d'infirmer l'ordonnance ;



- de rétracter l'ordonnance du 3 septembre 2015 ;



- d'ordonner à l'huissier de justice de restituer aux sociétés Total l'ensemble des pièces et documents copiés sur support électronique par l'huissier de justice instrumentaire et des documents transmis dans le cadre de l'exécution provisoire de la décision ;



- d'enjoindre à la société Maridive de procéder à la destruction de toutes éventuelles copies et d'en justifier ;



- de condamner la société Maridive au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Elles soutiennent principalement que la requête de la société Maridive est fondée sur des assertions fausses, que le juge de la rétractation a outrepassé ses pouvoirs en autorisant la communication des pièces sans réserve, quand l'ordonnance sur requête avait prévu cette communication devant le seul juge du fond, et alors qu'une instance au fond a été engagée. Les appelantes soulignent que la débitrice de la société Maridive est la société MOO et non les sociétés Total. Elles rappellent le principe de l'autonomie de la personnalité juridique des personnes morales et contestent la prétendue organisation de son insolvabilité par la société MOO, l'existence d'obligations financières des sociétés mères à l'égard de leur filiale, le recours à une procédure non contradictoire injustifié en l'espèce. Les appelantes considèrent que le premier juge a, par une décision insuffisamment motivée, inversé la charge de la preuve de l'existence d'un motif de déroger au principe de la contradiction. Elles se prévalent enfin du caractère par trop général des mots clés utilisés.



Aux termes de ses conclusions du 13 janvier 2016, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Maridive demande à la cour :



- de débouter les sociétés Total de leurs demandes ;



- de les condamner à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



La société Maridive explique en premier lieu qu'aucun texte n'interdit au président d'une juridiction qui confirme une ordonnance sur requête d'ordonner la mainlevée des pièces placées sous séquestre, de sorte que la décision déférée n'est à cet égard affectée d'aucun vice. L'intimée soutient ensuite qu'elle dispose bien d'un motif légitime de solliciter une mesure non contradictoire, dès lors que les sociétés Total sont débitrices d'obligations financières et juridiques au profit de la société MOO qui a délibérément fait le choix d'organiser son insolvabilité. C'est selon elle la réticence organisée et empreinte de mauvaise foi de cette dernière, manoeuvrée par les sociétés Total, qui justifiait le recours à une procédure non contradictoire. S'agissant de la mainlevée du séquestre, la société Maridive entend souligner que la prétendue sensibilité et confidentialité des pièces appréhendées sont évoquées pour la première fois en cause d'appel. Elle précise qu'aucun document soumis au secret professionnel n'a été séquestré par l'huissier de justice instrumentaire et qu'il est enfin inexact d'affirmer que les pièces concernées seraient sans lien avec le litige, puisqu'elles concernent la société Maridive.








MOTIFS DE LA DÉCISION,



Il sera observé de façon liminaire que, si les sociétés Total se prévalent d'un excès de pouvoirs du premier juge, la cour n'est pas saisie d'une demande tendant à l'annulation de l'ordonnance entreprise mais d'une demande d'infirmation de cette décision et, par voie de conséquence, de rétractation de l'ordonnance sur requête.



Il n'y a dès lors pas lieu d'examiner préalablement le grief pris d'un excès de pouvoirs du juge.





I - Sur l'existence d'un motif légitime à l'instauration d'une mesure d'instruction



1 - Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.



Il existe un motif légitime de conserver ou d'établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige dès lors que l'éventuelle action au fond n'est pas manifestement vouée à l'échec, que la mesure sollicitée est utile et améliore la situation probatoire des parties et qu'elle ne porte pas atteinte aux intérêts légitimes du défendeur.



Au soutien de la requête, la société Maridive exposait qu'au cours de la procédure collective engagée contre sa débitrice, la société MOO, cette dernière avait expliqué être une filiale à 100% de la société Total E&P Lybie, ajoutant qu'elle déposait des comptes consolidés et qu'elle ne pouvait dans ces conditions être considérée comme étant en état de cessation des paiements.



La société Maridive expliquait encore que les sociétés Total étaient débitrices d'obligations financières et juridiques au profit de la société MOO et que, celle-ci ayant organisé son insolvabilité en purgeant ses comptes bancaires, elle n'avait d'autres choix que de diriger son action contre les actionnaires principaux de sa débitrice.



Le motif ainsi avancé ignore la personnalité juridique de chacune des sociétés du groupe Total qui répondent en principe séparément de leur responsabilité.



Les pièces produites par la société Maridive pour étayer sa requête ne concernent que les tentatives infructueuses d'exécution de la sentence arbitrale, et aucun élément ou indice ne laisse présumer que les sociétés Total se seraient rendues coupables d'une fraude, auraient entretenu une confusion de patrimoines entre les sociétés ou encore que la société MOO serait une société fictive. 



Il ne peut se déduire de la seule détention du capital de la société MOO par les sociétés Total ou de la consolidation de ses comptes une obligation financière des secondes à l'égard de la première.



L'allégation d'une organisation délibérée par la société MOO de son insolvabilité n'est par ailleurs corroborée par aucun élément de preuve.



La cour observe au surplus que si la société MOO a contesté sans succès les mesures conservatoires et les saisies-attributions pratiquées à son préjudice, la société Maridive n'a en revanche pas discuté les déclarations des sociétés Total E&P Lybie et E&P Holdings du 29 janvier 2014 qui, en réponse à la saisie-attribution du 27 janvier 2014, ont indiqué n'être redevables d'aucune somme à l'égard de la société MOO.



Il était pourtant loisible à la société Maridive de rechercher devant le juge de l'exécution la responsabilité du tiers saisi sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article R. 211-5 du code des procédures civiles d'exécution, en soutenant que la déclaration du tiers saisi était inexacte ou mensongère.



En réalité, sous le couvert d'une mesure d'instruction in futurum, la requête ne tend qu'à permettre l'exécution par la société Maridive du titre exécutoire dont elle est munie contre la société MOO, dans des conditions qui n'entrent pas dans les prévisions du droit de l'exécution.



En toutes hypothèses, la société Maridive n'a pas étayé sa demande par des indices pertinents et précis laissant penser qu'elle pourrait engager une action contre les sociétés Total avec quelque chance de succès.





L'ordonnance entreprise sera infirmée et l'ordonnance sur requête rétractée en l'absence de motif légitime à l'instauration de la mesure sollicitée.





II - Sur la nécessité de déroger au principe de la contradiction



Selon l'article 493 du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête est une décision rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.



Les mesures d'instructions prévues à l'article 145 du code de procédure civile ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement.



Le juge saisi d'une demande de rétractation statue sur les mérites de la requête en se prononçant, au besoin d'office, sur la motivation de la requête ou de l'ordonnance justifiant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction.



Au cas d'espèce, la requête énonce que 'le comportement d'une étonnante mauvaise foi en la circonstance du groupe Total justifie le caractère non contradictoire de la présente requête étant donné que l'objet de la mesure sollicitée est de l'empêcher d'organiser son insolvabilité.'  

L'ordonnance du 3 septembre 2015 retient quant à elle que ' devant l'attitude de MOO faisant systématiquement obstruction à ses tentatives de recouvrement, en soutenant ne pas être en état de cessation de paiement au motif de la consolidation de ses comptes dans le groupe Total, il apparaît que les conditions du recours à une procédure non contradictoire sont réunies pour la recherche de la preuve de l'existence de possibles obligations des actionnaires envers leur filiale MOO'.



Les motifs tant de la requête que de l'ordonnance qui l'a accueillie sont inefficaces à caractériser la nécessité de déroger aux exigences de la contradiction.



L'ordonnance sera encore infirmée pour ce second motif.





III - Sur les autres demandes



La restitution des pièces et documents copiés et transmis à la société Maridive au titre de l'exécution provisoire de l'ordonnance entreprise, ainsi que la destruction d'éventuelles copies, dans les termes du dispositif du présent arrêt, seront ordonnées par voie de conséquence de la rétractation de l'ordonnance sur requête, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le moyen tiré d'un excès de pouvoirs du premier juge.



Il sera enfin fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit des sociétés appelantes.





PAR CES MOTIFS ;



La cour,



Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,



INFIRME l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;



Statuant à nouveau,



RETRACTE l'ordonnance du 3 septembre 2015 ;



ORDONNE à l'huissier de justice de restituer à la société Total E&P Lybie l'ensemble des pièces et documents copiés sur support électronique par l'huissier de justice instrumentaire ;



ORDONNE à la société Maridive Oil Services de restituer aux sociétés Total E&P Lybie et Total E&P Holdings l'ensemble des documents transmis dans le cadre de l'exécution provisoire de la décision ;



ENJOINT à la société Mardive Oil Services de procéder à la destruction de toutes éventuelles copies ;



CONDAMNE la société Maridive Oil Services à payer aux sociétés Total E&P Lybie et Total E&P Holdings une somme de 6 000 euros (six mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



DIT que la société Maridive Oil Services supportera la charge des dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Monsieur Jean-Michel SOMMER, président et par Madame Agnès MARIE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





Le greffier,Le président,

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