22 mars 2016
Cour d'appel de Paris
RG n° 14/09152

Pôle 2 - Chambre 5

Texte de la décision

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 5



ARRET DU 22 MARS 2016



(n° 2016/ 123 , 6 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : 14/09152



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Mars 2014 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 12/09370





APPELANTES



Le BUREAU CENTRAL FRANCAIS agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]



La société AMLIN CORPORATE INSURANCE N.V. Compagnie d'assurance de droit néerlancais, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]N (PAYS BAS)

N° SIRET : 501 491 567 00019



Représentées par Me Caroline HATET-SAUVAL de la SCP NABOUDET - HATET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0046

Assistées de Me Sébastien MENDES GIL de la SELARL CLOIX & MENDES-GIL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0173







INTIMÉE



Compagnie d'assurances ESTRELLA SEGUROS agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

Chez [Adresse 3]

ESPAGNE



Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assistée de Me Laurence GONZALEZ de la SCP SOULIE COSTE FLORET, avocat au barreau de PARIS, toque : P267















COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Février 2016, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Monsieur Christian BYK, Conseiller, entendu en son rapport et Madame Patricia LEFEVRE, Conseillère.



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :



Madame Catherine LE FRANCOIS, Présidente de chambre

Monsieur Christian BYK, Conseiller

Madame Patricia LEFEVRE, Conseillère





Greffier, lors des débats : Madame Catherine BAJAZET







ARRÊT :



- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

- signé par Monsieur Christian BYK, Conseiller, substituant Madame Catherine LE FRANCOIS présidente empêchée et par Madame Catherine BAJAZET, greffier présent lors du prononcé.






'''''





Le 7 octobre 2005, un accident de la circulation est survenu à [Localité 1] sur 1'autoroute A20, impliquant un camion, conduit par M.[S], et un véhicule Peugeot Boxer, conduit par [M] [F]. Ce dernier est décédé des suites de ses blessures.



Le camion était composé :

- d'un tracteur routier de marque SCANIA immatriculé [Immatriculation 1], appartenant a Monsieur [V], employeur de Monsieur [S], et assuré auprès de la société ESTRELLA SEGUROS, de droit espagnol ;

- d'une remorque immatriculée [Immatriculation 2], appartenant a la société EWALS CARGO CARE, assurée auprès de la société FORTIS CORPORATE INSURANCE, aux droits de laquelle vient la société AMLIN CORPORATE INSURANCE, de droit néerlandais.



Par jugement du 7 février 2006, le tribunal correctionnel de LIMOGES a déclaré Monsieur [S] coupable d'homicide involontaire et l'a condamné à payer diverses sommes aux ayants droits de Monsieur [F] ainsi qu'à la CPAM [Localité 2] et, statuant sur les intérêts civils, ce tribunal, par jugement en date du 13 février 2007, a condamné Monsieur [S] à payer diverses sommes a Madame [F] au titre de son préjudice économique et en remboursement de frais et a déclaré commun le jugement au BUREAU CENTRAL FRANÇAIS (BCF).



Par actes des 13 et 14 juin 2012, la société ESTRELLA SEGUROS a assigné devant le Tribunal de grande instance de Paris la société AMLIN CORPORATE INSURANCE et le BCF.



Par jugement du 4 mars 2014, cette juridiction a condamné in solidum la société AMLIN CORPORATE INSURANCE N.V et l'association 'le BUREAU CENTRAL FRANCAIS' à payer à la société ESTRELLA SEGUROS la somme de 234 578,62 euros, outre celle de

2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Par déclaration du 25 avril 2014, le BCF et la société AMLIN ont fait appel de cette décision et, aux termes de leurs dernières conclusions du 9 décembre 2015, ils sollicitent l'infirmation du jugement et demandent à la cour,in limine litis, de constater la prescription, subsidiairement, de débouter la société ESTRELLA de ses demandes et, plus subsidiairement, de dire qu'ils ne sauraient être condamnés au paiement d'une somme supérieure à 153.276,60 euros. En tout état de cause, il est réclamé à la société ESTRELLA la somme de 5 000 Euros au titre des frais irrépétibles.



Par dernières conclusions du 15 septembre 2014, la société ESTRELLA sollicite la confirmation du jugement, outre la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 janvier 2016.





CE SUR QUOI, LA COUR



Sur la prescription:



Considérant que les appelants avancent que la société ESTRELLA SEGUROS n'ayant engagé son action à leur encontre que par assignation en date 13 juin 2012, soit cinq ans après le jugement du 13 février 2007, cette action est prescrite en application de l'article L.114-1 du code des assurances ;



Qu'ils contestent que l'intimée puisse prétendre tenir son action de l'article R 211-4-1 du code des assurances, ce texte ne changeant rien aux règles applicables au stade de la contribution à la dette, les recours entre assureurs devant s'effectuer selon le droit commun et que, contrairement à ce que prétend la société ESTRELLA SEGUROS, l'article R 211-4-1 ne prévoit pas un recours sui generis entre les assureurs ;



Que, pas plus, l'action de la société ESTRELLA ne saurait trouver son fondement dans l'action directe de la victime, dans le droit de laquelle elle serait subrogée ;



Qu'en effet, l'action de la société ESTRELLA SEGUROS résulte de sa subrogation dans les droits de son assuré, Monsieur [E] [V], propriétaire du tracteur et gardien de la remorque, de sorte que son action dérive bien du contrat d'assurance liant la société AMLIN à la société EWALS ;



Considérant que la société ESTRELLA répond que la prescription biennale prévue à l'article L. 114-1 du code des assurances ne vaut que dans les rapports entre l'assuré et son assureur et qu'elle ne s'applique donc pas au recours qu'exerce un assureur contre un autre assureur;



Qu'en l'espèce, elle n'agit pas en tant que subrogée de la victime, encore moins en tant que subrogée de l'assuré de la société AMLIN CORPORATE INSURANCE N.V, la société EWALS CARGO, mais seulement, au titre d'un recours sui generis prévu à l'article R.211-4-1, alinéa 2 du code des assurances, en tant qu'assureur du tracteur ayant été amené à indemniser la victime de l'intégralité des dommages et qui souhaite recouvrer la moitié des sommes versées auprès de l'assureur de la remorque ;



Qu'elle ajoute que s'il devait être jugé qu'elle agit en tant que subrogée, il faudrait considérer qu'elle agit en tant que subrogée dans les droits de la victime et non dans les droits de l'assuré de la société AMLIN CORPORATE INSURANCE N.V, étant rappelé que l'action directe de la victime n'est pas soumise à la prescription biennale ;



Considérant qu'aux termes de l'article L.121-12 du code des assurances,'l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur' ;



Qu'il s'en déduit que la société ESTRELLA, assureur du tracteur, qui a indemnisé la victime de l'accident, est subrogée dans les droits de son assuré à l'encontre de l'assureur de la remorque ;



Que l'exercice de l'action directe de l'assuré contre l'assureur d'un tiers, dont la responsabilité est recherchée, n'étant pas soumise aux dispositions de l'article L.114-1 du code des assurances, la prescription n'est pas acquise ;



Au fond:



-application de l'article R.211-4-1 du code des assurances



Considérant que les appelants, pour estimer ne rien devoir, mettent en avant la faute exclusive du conducteur et l'absence de comportement anormal ou de défaillance de la remorque et font valoir que le balancement de celle-ci et de tout l'ensemble routier n'a été que la conséquence de la faute du conducteur, qui a perdu le contrôle du véhicule ;



Qu'ils ajoutent qu'en vertu du principe de l'autorité de chose jugée au pénal sur le civil, l'existence d'une faute pénale - et donc également civile - du conducteur ne saurait être remise en cause ;



Qu'ils estiment donc que la responsabilité de Monsieur [E] [V] peut être engagée en sa qualité d'employeur du conducteur mais aussi de gardien de l'ensemble routier, à savoir du tracteur et de la remorque ;



Qu'il en résulte que la société ESTRELLA ne saurait exercer un recours contre la société AMLIN ;



Considérant que la société ESTRELLA réplique qu'en application de l'article R. 211-4-1 alinéa 1er du code des assurances, elle est bien fondée à réclamer à l'assureur de la remorque, ainsi qu'au Bureau Central Français, la moitié des sommes qu'elle a versées, soit la somme de 234.578,62 € ;



Qu'il est clair, selon elle, que l'article R. 211-4-1, alinéa 2 du code des assurances lui confère un droit à recours automatique contre la société AMLIN CORPORATE INSURANCE N.V, venant dans les droits de la société FORTIS ;



Que, par ailleurs, la société AMLIN CORPORATE INSURANCE N.V est mal fondée à lui opposer les limites de sa police d'assurance puisqu'il résulte très précisément de l'article L. 211-4-1 alinéa 1er du code des assurances, lequel figure dans un chapitre consacré à l'obligation d'assurance, que l'assureur du tracteur ou de la remorque doit être considéré comme tenu pour l'ensemble routier au-delà des strictes limites de leur police d'assurance respective et que l'article R 211-7 du code des assurances exige que la garantie responsabilité civile, s'agissant des dommages corporels, soit en ce cas illimitée ;



Qu'elle ajoute que la loi de 1985 n'a pas vocation à s'appliquer dans les rapports entre l'assureur du tracteur et l'assureur de la remorque ;



Qu'enfin, les articles 1384 alinéa 1er et alinéa 5 du Code civil n'ont pas plus à s'appliquer en l'espèce puisqu'un texte spécifique confère un droit à recours automatique à l'assuré de la partie de l'ensemble routier ayant indemnisé, sans avoir à établir la responsabilité du propriétaire de l'autre partie, en l'occurrence la société EWALS CARGO CARE, propriétaire de la remorque ;



Considérant que suivant les dispositions de l'article R 211-4-1 du code des assurances, «lorsqu'un train routier, tel que défini à l'article R. 311-1 du code de la route, est impliqué dans un accident de la circulation, la personne lésée peut exercer l'action directe au choix contre l'assureur du véhicule tracteur ou contre l'assureur de la remorque. L'assureur saisi de l'action doit garantir la responsabilité de l'ensemble du véhicule articulé à l'égard de la personne lésée, pour le compte de qui il appartiendra et dans les limites du contrat» ;



« l'assureur qui aura pris en charge l'indemnisation des personnes lésées, que ce soit l'assureur du véhicule à moteur ou celui de la remorque ou de la semi-remorque, disposera, le cas échéant, d'un droit de recours contre l'assureur de l'autre partie de l'ensemble articulé, ou contre toute autre partie qui porterait finalement la responsabilité des dommages » ;



Considérant que ces dispositions ont uniquement pour but de faciliter l'indemnisation des personnes lésées en leur offrant la possibilité de réclamer l'intégralité de celle-ci soit à l'assureur du véhicule à moteur, soit à celui de la remorque et ouvrir à l'assureur, qui a pris en charge cette indemnisation, un recours contre l'assureur de l'autre partie de l'ensemble routier ;



Que, s'agissant de la responsabilité, elles ne créent pas un régime de responsabilité de plein droit et pour moitié de cet autre assureur mais renvoient au droit commun de la responsabilité ainsi que le démontre l'utilisation des expressions 'pour le compte de qui il appartiendra', 'disposera le cas échéant' et 'contre toute autre partie qui porterait finalement la responsabilité des dommages' ;



Considérant, en outre, que la loi du 5 juillet 1985 est inapplicable à l'espèce, s'agissant de l'action de l'assureur du tracteur contre l'assureur de la remorque, cette dernière n'étant pas un véhicule à moteur et, au surplus, cette loi n'étant pas plus applicable au recours entre co-responsables ;



Considérant qu'en revanche, la responsabilité peut être recherchée sur le fondement de l'article 1384 al 1er et 5 du Code civil et qu'à cet égard, prenant acte de ce que le chauffeur de l'ensemble routier a reconnu, par procès-verbal de gendarmerie, avoir perdu le contrôle de celui-ci, dont il avait la garde, la remorque ayant été confiée à l'entreprise de transport, dont il était le salarié, il y a lieu de constater que cette responsabilité incombe entièrement à cette société, assurée auprès de la société ESTRELLA SEGUROS ;



Qu'il convient donc d'infirmer le jugement et de débouter celle-ci de son recours à l'égard des appelants ;



Sur les frais irrépétibles:



Considérant que l'équité commande de condamner la société ESTRELLA SEGUROS à payer à la société AMLIN CORPORATE INSURANCE et à l'association BUREAU CENTRAL FRANÇAIS la somme de 3 500 euros, qu'en revanche, il n' y a pas lieu de faire droit à la demande de la société ESTRELLA de ce chef ;





PAR CES MOTIFS





Statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe,



Infirme le jugement déféré,



Statuant à nouveau et, y ajoutant ;



Déboute la société AMLIN CORPORATE INSURANCE et l'association BUREAU CENTRAL FRANÇAIS de leur exception de prescription ;



Déboute la société ESTRELLA SEGUROS de ses demandes ;



La condamne à payer à la société AMLIN CORPORATE INSURANCE et à l'association BUREAU CENTRAL FRANÇAIS la somme de 3 500 euros, outre les dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.





LE GREFFIER LE CONSEILLER

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