13 avril 2016
Cour d'appel de Versailles
RG n° 14/01073

15e chambre

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES









Code nac : 80C



15e chambre



ARRET N°



contradictoire



DU 13 AVRIL 2016



R.G. N° 14/01073



AFFAIRE :



SARL BECS





C/

[O] [I]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 06 Février 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT



N° RG : 11/01665





Copies exécutoires délivrées à :



Me Jean-charles BEDDOUK

la SCP FABIGNON-REMOISSONNET





Copies certifiées conformes délivrées à :



SARL BECS



[O] [I]







le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE TREIZE AVRIL DEUX MILLE SEIZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



SARL BECS

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Jean-charles BEDDOUK, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0631 - N° du dossier 12442





APPELANTE

****************

Monsieur [O] [I]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Emilie REBOURCET de la SCP FABIGNON-REMOISSONNET, avocat au barreau de SENLIS





INTIME

****************





Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Mars 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Carine TASMADJIAN, Conseiller chargé(e) d'instruire l'affaire.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé(e) de :



Madame Michèle COLIN, Président,

Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,

Madame Carine TASMADJIAN, Conseiller,



Greffier, lors des débats : Madame Brigitte BEUREL,











































Suivant contrat à durée indéterminée du 1er octobre 1996, Monsieur [O] [I] a été engagé par la Société SMA INGENIERIE en qualité de Coordinateur de Sécurité, statut Cadre Position IH.2, K.210.



Suite à son dépôt de bilan, la société SMA INGÉNIÉRIE a été reprise par la Société BECS, le 01er août 2000, et le contrat de travail de Monsieur [I] a été transféré avec reprise totale de son ancienneté.



Par avenant en date du 31 décembre 2001, Monsieur [I] et la société BECS convenaient d'un forfait jours sur l'année, en application des dispositions de la Convention collective des Bureaux d'Etudes Techniques, Cabinets d'Ingénieur Conseil et Société de Conseils, dite «SYNTEC ».



Par avenant en date du 1er juillet 2006, Monsieur [I] a été promu Directeur technique Position M3 - K.270.



En dernier lieu, le salaire fixe mensuel brut moyen de Monsieur [I] s'élevait à la somme de 6.000,00 euros.



Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 16 mai 2011, reçue par la société le 20 mai 2011, Monsieur [I] informait son employeur de sa décision de faire valoir ses droits à la retraite et de cesser son activité le 31 décembre 2011. Dans ce même courrier, il indiquait respecter le délai de préavis prévu par les textes de manière à lui permettre d'organiser son remplacement ainsi que la passation de ses dossiers.



Le 18 juillet 2011, la société BECS faisait remettre par huissier à Monsieur [I] une convocation pour un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 26 juillet 2011, assortie d'une mise à pied à titre conservatoire et, par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 29 juillet 2011, il était licencié pour faute lourde. Dans ce même courrier, la société BECS demandait à Monsieur [I] la restitution de l'ensemble du matériel et de l'équipement qu'elle avait mis à sa disposition pour les besoins de ses activités.



Le 29 août 2011, Monsieur [I] restituait le matériel, dont un ordinateur portable.



Monsieur [I] contestait son licenciement par courrier recommandé avec accusé de réception du 29 septembre 2011.



La société BECS employait habituellement plus de onze salariés au moment du licenciement.



Contestant son licenciement, Monsieur [I] a saisi le Conseil des Prud'hommes de BOULOGNE-BILLANCOURT le 03 octobre 2011 afin d'obtenir, selon le dernier état de sa demande, la condamnation de la société BECS à lui verser les sommes suivantes :



- 8.512,74 euros à titre de dommages-intérêts pour irrégularité de procédure,

- 58.880,02 euros au titre du rappel d'heures supplémentaires,

- 5.888,00 euros de congés payés afférents,

- 51.076,44 euros de dommages-intérêts pour travail dissimulé,

- 25.963,86 euros net à titre de complément d'indemnité de départ à la retraite,

- 42.563,70 euros au titre du solde d'indemnité compensatrice de préavis,

- 4.256,37 euros de congés afférents,

- 15.225,00 euros au titre du rappel de primes,

- 1.522,00 euros de congés payés afférents,

- 27,38 euros au titre du solde d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 2.828,63 euros au titre du rappel de salaire relatif à la période de mise à pied conservatoire,

- 282,86 euros de congés payés afférents,

- 3.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.



A titre subsidiaire, il sollicitait la somme de 70.000,00 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.









Par jugement du 06 février 2014, le Conseil a dit que le licenciement de Monsieur [I] était sans cause réelle et sérieuse et, en conséquence, a condamné la société BECS à lui verser les sommes suivantes :



-18.000,00 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1.800,00 euros de congés payés afférents,

- 2.828,63 euros de rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied,

- 282,86 euros de congés payés afférents,

- 15.225,00 au titre du rappel de primes,

- 1.522,00 euros de congés payés afférents,

- 70.000,00 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-1.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.



La société BECS demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris et de débouter Monsieur [I] de l'ensemble de ses demandes. Elle sollicite en outre la condamnation de ce dernier à lui verser les sommes suivantes :



- 20.000,00 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 3.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.



Monsieur [I] a formé appel incident par conclusions en date du 09 mars 2016. Il demande à la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la société BECS à lui verser les sommes de :



- 70.000,00 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 15.225,00 euros au titre de rappel de primes,

- 1.522,50 euros de congés payés afférents,

- 2.828,63 euros au titre du rappel de salaires sur la mise à pied à titre conservatoire,

- 282,86 euros de congés payés afférents.



Il sollicite par contre la réformation du jugement entrepris pour le surplus et, en conséquence, la condamnation de la société BECS à lui verser les sommes de :



- 8.512,74 euros d'indemnité pour procédure irrégulière,

- 58.880,02 euros au titre du rappel d'heures supplémentaires,

- 5.888,00 euros de congés payés afférents,

- 51.076,44 euros de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

- 25.963,86 euros au titre de l'indemnité de départ à la retraite,

- 27,38 euros au titre du solde de l'indemnité compensatrice de congés payés,

- 42.563,70 euros au titre du solde de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 4.256,37 euros de congés payés afférents,

- 3.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.



Conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la Cour renvoie, pour un plus ample exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.




MOTIFS DE LA COUR



- Sur la nature de la rupture des relations contractuelles :



Monsieur [I] soutient que la rupture de son contrat de travail doit s'analyser en une rupture anticipée du préavis dans le cadre de sa demande de départ à la retraite et non en un licenciement.



En l'espèce, Monsieur [I] a informé la société BECS le 16 mai 2011 de sa décision de faire valoir ses droits à la retraite et de cesser son activité à la date du 31 décembre 2011.



Aux termes de l'article 20 de la Convention Collective SYNTEC tout salarié quittant volontairement l'entreprise pour bénéficier de son droit à la retraite et ayant au moins deux ans d'ancienneté bénéficie d'un préavis d'une durée de deux mois.



La date de la fin des relations contractuelles étant fixée précisémement par Monsieur [I] au 31 décembre 2011, il en résulte nécessairement que le point de départ du délai de congé conventionnel a été différé au 01er novembre 2011.

Dès lors, au moment de son licenciement, le 29 juillet 2011, Monsieur [I] ne se trouvait pas en période de préavis.

Il importe peu, à cet égard, que, par une méconnaissance des termes juridiques, Monsieur [I] ait indiqué, dans son courrier du 11 mai 2011, qu'il donnait, dès mai 2011 '(...) Un délai de préavis [vous] permettant de me remplacer au sein de votre entretrise ', la seule citation du terme «préavis» ne suffisant pas à qualifier comme tel l'ensemble de la période restant à courir jusqu'à son départ à la retraite, soit 7 mois et demi. D'ailleurs, les bulletins de salaire émis entre le 16 mai 2011 et le 29 juillet 2011 ne comportent aucune rubrique intitulée «préavis» ce que Monsieur [I] n'a jamais contesté.



Dès lors, la rupture des relations contractuelles par la société BECS le 29 juillet 2011 s'analyse en un licenciement et non en une rupture de préavis.



Le jugement entrepris doit être confirmé.



- Sur les heures supplémentaires :



* sur la régularité de la convention de forfait jours :



Le forfait annuel en jours consiste à décompter le temps de travail en jours ou en demi- journées et non plus en heures. Il ressort de l'article L.3121-29 et L.3121-43 du Code du travail que peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l'année les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés.



La mise en place de convention individuelle de forfait est subordonnée à la conclusion d''un accord collectif d'entreprise ou à défaut, d'un accord de branche, qui détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions et d''une convention individuelle de forfait écrite et acceptée par le salarié.



Il n'est pas contestable que Monsieur [I] disposait, dans le cadre de ses fonctions, d'une grande autonomie et qu'il était «libre et indépendant dans l'organisation et la gestion de son temps de travail» au sens de l'article 4 chapitre II de l'accord SYNTEC du 22 juin 1999. Il n'était d'ailleurs pas astreint à une quelconque présence dans les bureaux de l'entreprise et il disposait, à son domicile des moyens bureautiques et informatiques nécessaires à l'exécution de ses fonctions, démontrant ainsi qu'il n'était pas soumis aux horaires habituels de l'entreprise. Les bulletins de paie ont par ailleurs mentionné dès le 1er janvier 2002 que la durée du travail était décomptée selon un forfait annuel en jours, sans que Monsieur [I] n'ait élevé la moindre objection. Exerçant en dernier lieu la fonction de «Directeur Technique», position III-3, coefficient 270, il pouvait donc se voir appliquer une telle convention.



L'accord du 22 juin 1999 prévoit que le nombre de jours de travail effectif annuel serait de 220 jours. L'article 4 précise que 'les salariés ainsi concernés sont autorisés, en raison de l'autonomie dont ils disposent, à dépasser ou à réduire l'horaire habituel dans le cadre du respect de la législation en vigueur". L'avenant au contrat de travail de Monsieur [I], pour sa part, ne prévoit aucun suivi de la charge de travail et de l'amplitude des journées de travail par l'employeur, mais laisse au seul cadre la responsabilité du respect du droit au repos et à la préservation de sa santé, étant également relevé que la société ne justifie pas de la réalisation de l'entretien annuel obligatoire prévu à l'article L3121-46 du Code du travail pour tout salarié ayant conclu une convention de forfait en jours.



Dès lors, l'accord collectif et la convention de forfait jours individuelle ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition des horaires de travail de l'intéressé. La nullité de la convention de forfait jours doit donc être prononcée.



Monsieur [I] peut dès lors réclamer le paiement des heures de travail qu'il aurait effectuées au delà des 35 heures hebdomadaires.



* sur l'existence d'heures supplémentaires :



La durée légale du travail effectif prévue à l'article L.3121-10 du code du travail constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires payées à un taux majoré dans les conditions de l'article 3121-22 du même Code.



Aux termes de l'article L.3171-4 du Code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.



Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.



En l'espèce, Monsieur [I] expose qu'il a travaillé 'environ' 14 heures par jour, et retient une moyenne de 40 heures par semaine.



Si pour étayer ses dires, Monsieur [I] produit un tableau dressé par ses soins reprenant une moyenne de travail de 40 heures de travail hebdomadaire, il reconnaît que ce tableau n'a pas été réalisé à la suite d'une comptabilité suivie de ses heures de travail, mais d'une estimation globale et empirique. Il ne produit par ailleurs aucun autre élément permettant de justifier, dans le détail, les 14 heures qu'il estime avoir effectuées quotidiennement, alors que sa qualité de directeur technique n'avait pas vocation à le faire travailler le week-end, les chantiers étant sans activité à ces périodes. Par ailleurs, disposant de tout le matériel de bureautique à son domicile, il lui était facile de justifier que, pour réaliser ses missions, il était tenu de travailler le soir et/ou les fins de semaine. Le tableau produit n'est donc pas suffisant pour faire la démonstration de la réalité d'un travail complémentaire, d'autant plus qu'il ne tient compte ni de ses congés annuels ni de ses RTT.



La demande de Monsieur [I] relative aux heures supplémentaires doit par conséquent être rejetée.



Monsieur [I] échouant à démontrer qu'il a régulièrement dépassé la durée légale de travail, sera débouté de sa demande au titre du travail dissimulé.



Le jugement est confirmé sur ces points.



- Sur la demande de rappel de primes 2011 et 2012 :



La société BECS fait grief au Conseil des Prud'hommes d'avoir considéré que Monsieur [I] devait bénéficier de primes en se basant sur un extrait d'un document de travail établi en 2009 résumant l'historique de la rémunération du salarié, qui n'a aucune valeur contractuelle. Elle conteste aux primes reçues par le salarié le caractère obligatoire et affirme qu'elles ne peuvent pas plus être considérées comme un usage, faute de présenter un caractère de fixité, de généralité et de régularité.



En l'espèce, si ni le contrat de travail, ni les différents avenants ne prévoient le versement d'une quelconque prime, il ressort néanmoins des pièces versées aux débats, notamment des bulletins de paie et du relevé de carrière, que des primes dites exceptionnelles lui étaient octroyées par la société de manière régulière, trois fois par an, pour des montants quasi identiques.

De surcroît, un courrier adressé par la société BECS à Monsieur [I] fait mention d'une rémunération se composant : 'D'un salaire contractuel, d''une prime de résultat, et d'avantages en nature". Si la société souligne que ce document n'a aucune valeur juridique, il n'en demeure pas moins qu'elle en a bien été le rédacteur et que si le manque de signature ne lui confère pas valeur contractuelle, il constitue néanmoins la preuve des engagements qu'elle avait pris envers son salarié.



Dès lors, Monsieur [I], qui a travaillé au sein de la société BECS toute l'année 2010 et jusqu'au 18 juillet 2011, a droit au versement d'une partie des primes afférentes au résultat de ces périodes, l'autre partie ayant été incluse dans sa rémunération. Dans la mesure où leur mode de calcul est demeuré opaque, il conviendra de fixer leur montant à la moyenne de celles perçues au cours des trois années précédentes soit la somme de 9.183,00 euros outre la somme de 918,00 euros de congés payés.



Le jugement entrepris doit donc être infirmé en ce sens.



- Sur le salaire de référence :



Pour tenir compte de la réintégration des primes dans la rémunération de Monsieur [I], il convient de recalculer son salaire moyen mensuel de la manière suivante :



- salaire brut : 6.000,00 euros,

- Prime d'objectif : 765,25 euros (9.183,00 / 12)

- Avantages en nature : 595,33 euros



soit 7.360,60 euros.



- Sur le licenciement :



La faute lourde est celle qui, comme la faute grave, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis.



Lorsque le licenciement est motivé par une faute lourde, le salarié est privé non seulement du droit au préavis et à l'indemnité de licenciement, mais également, en application de l'article L.3141-26 du code du travail, de l'indemnité compensatrice de congés payés prévue à l'article L.3141-21 du même code.



Elle suppose, en outre, l'intention de nuire du salarié.



L'employeur qui invoque la faute lourde pour licencier doit en rapporter la preuve.



En l'espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée :



« Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 16 mai 2011, vous nous avez informés de votre décision de faire valoir vos droits à la retraite et de quitter les fonctions de directeur technique que vous exercez le 31 décembre 2011, ce que nous avons naturellement accepté.

Cependant, nous avons découvert que le 11 juillet, depuis votre adresse mail professionnelle, vous transmettiez à un de nos clients, les coordonnées de la société que vous êtes en train de créer, l'incitant ainsi à vous recommander auprès de ses collègues.

Cette situation est d'autant plus inacceptable que votre démarche concernait notamment Monsieur [U], coordinateur sécurité référent à la SNCF pour les Grands Projets.

En agissant de la sorte, en particulier compte tenu de votre expérience, de votre ancienneté et du caractère stratégique du poste de directeur technique en charge des Grands Projets que vous occupez, vous ne pouvez ignorer que vos agissements constituent un manquement particulièrement grave à votre obligation de loyauté.

Il s'agit en effet d'une tentative flagrante de détournement de clientèle.

De surcroît, vous utilisez les moyens de la société, adresse mail, téléphone portable, fax et vous entretenez ainsi une confusion entre votre nouvelle société et la nôtre.

En outre, la réponse de Monsieur [U] démontre que vous l'aviez préalablement informé de vos projets et de vos intentions.

Ainsi, vous causez délibérément un préjudice à la société en sollicitant de ses principaux clients qu'ils vous rejoignent dans une autre structure.

Votre intention de nuire est en outre manifeste, dès lors que vous entendez détourner des clients de la société et/ou les dissuader de contracter avec elle.

Vous avez ainsi décidé de ne pas respecter l'obligation de non concurrence inhérente à votre contrat de travail jusqu 'à son expiration.

Lors de l'entretien préalable, vous vous êtes contenté de nier être l'auteur du courrier électronique du 11 juillet en prétendant même que nous en serions les responsables dans le seul but de vous priver de votre indemnité de départ à la retraite.

Vos dénégations de pure forme et accusations intolérables ne nous permettent pas de modifier notre appréciation des fautes qui vous sont reprochées.

Nous vous notifions en conséquence par la présente votre licenciement pour faute lourde ».



La société BECS estime que Monsieur [I] a usé de man'uvres déloyales en utilisant les moyens matériels qu'elle avait mis à sa disposition aux fins de détourner la clientèle au profit de sa future société COORDICA, dont l'activité devait débuter au 1er janvier 2012. Elle affirme que les missions qui lui étaient confiées lui ont permis de rencontrer de futurs clients et d'entrevoir ainsi les possibilités des nombreuses missions qu'il pourrait leur proposer. En envoyant à la SNCF, client principal de la société BECS, un couriel lui fournissant, pour l'avenir, les coordonnées de la société concurrente qu'il venait de créer, elle estime que le client a pu considérer que la société BECS ne pourrait plus poursuivre l'exécution de ses missions lorsque Monsieur [I] l'aurait quittée. Elle relève d'ailleurs qu'est indiqué dans le mail en retour de Monsieur [U] que la société COORDICA a «beaucoup d'expérience y compris les risques ferroviaires» alors qu'il a débuté son métier de coordonnateur au sein de la société BECS et que se sont les projets qui lui ont été confiés par cette société qui lui ont permis d'acquérir une expérience dans ce domaine.



Monsieur [I] conteste avoir été l'auteur du courriel litigieux et relève qu'il n'était pas le seul à avoir accès à sa boite d'e-mail. Sa secrétaire, Madame [M], y avait accès et procédait ainsi à des transferts de courriels. Son employeur avait également librement accès à sa messagerie et pouvait dès lors adresser des courriels, voir même les modifier. A titre subsidiaire, il soutient que durant une période de préavis, des actes préparatoires à une activité concurrentielle qui ne débuterait réellement que postérieurement à la rupture du contrat peuvent être tolérés. Or une simple communication d'adresse d'une société future ne saurait être considérée en un détournement de clientèle, d'autant plus qu'il n'y avait aucune confusion possible entre les deux sociétés.



En l'espèce, la lecture du contrat de travail de Monsieur [I] ainsi que des avenants ultérieurs enseignent qu'il était tenu par une clause d'exclusivité de son exercice professionnel. Par contre, aucune clause de non-concurrence au-delà de la date de rupture du contrat de travail n'était prévue de sorte que rien ne lui interdisait d'envisager une activité ultérieure, fut-elle concurrentielle, dès lors qu'il ne commettait, durant la période de son contrat de travail, d'activité concurrente ou d'acte préparatoire à une activité concurrente.



Les pièces produites aux débats permettent de constater que le 11 juillet 2011, un couriel a été adressé à Monsieur [U], interlocuteur principal de la société BECS pour la SNCF en charge des grands projets, libellé ainsi : 'Bonjour [R], Ci-après les coordonnées de la nouvelle société de C.SPS à partir du 1er janvier 2012.

COORDICA [Adresse 2] Provisoirement jusqu'en septembre, mon tel reste le même et l'adresse mail est ci-dessous [O] [I] Tel : XXXXXXXXXX Fax : XXXXXXXXXX [Courriel 1] .'



Il n'est pas contestable que ce message a été envoyé de l'ordinateur mis à disposition de Monsieur [I], depuis son adresse mail professionnelle, [Courriel 2], c'est-à-dire celle de la société BECS, alors que toutes les coordonnées fournies pour recevoir la réponse sont les coordonnées personnelles du salarié, de sorte d'assurer une entière confidentialité. Ainsi, l'ensemble des coordonnées, téléphone, fax et couriel, transmis par Monsieur [I] à Monsieur [U] étaient inaccessibles à la société BECS qui n'aurait jamais dû avoir connaissance de ces échanges si le destinataire n'avait pas, par erreur, répondu sur l'adresse mail de la société.



Si Monsieur [I] conteste avoir été l'auteur de ce message, il convient de relever qu'il a été adressé sur le matériel qui lui était personnellement attribué et qu'il conservait à son domicile, que ses coordonnées sont des coordonnées personnelles et qu'il aurait été le seul à bénéficier du contrat de service sollicité, alors même que la société ignorait qu'il avait constitué une société ayant une activité concurrente. Par ailleurs, à la date de l'envoi du mail, la société BECS ne pouvait pas connaître l'existence de la société que Monsieur [I] constituait, puisque ses statuts n'ont été déposés que le 07 octobre 2011 et qu'elle n'a été immatriculée au registre du commerce que le 18 octobre 2011.



Enfin, il n'est pas contestable que la publicité faite par Monsieur [I] sur la création de son entreprise n'est pas restée confidentielle puisque le destinataire du mail litigieux, Monsieur [U], l'a transféré en interne au sein de la SNCF, notamment auprès de Madame [S], maitre d'ouvrage déléguée au sein de la SNCF, en vantant par ailleurs la grande expérience de la société, ce qui ne pouvait être le cas pour une société en cours de création. Les termes du courriel de Monsieur [U] démontrent sans ambiguïté qu'il avait été préalablement informé par Monsieur [I] de la création de sa société et de sa volonté de contracter avec la SNCF. D'ailleurs, la société SETEC ORGANISATION, agissant au nom et pour le compte de Réseaux Ferrés de France, devait contracter avec la société COORDICA en début d'année 2013.

Dans ces conditions, en contactant, pendant la relation contractuelle, le principal client de son employeur, en utilisant les moyens matériels mis à sa disposition par celui-ci, afin de l'informer de l'ouverture prochaine de son entreprise dans un domaine concurrent, et en se mettant à sa disposition, Monsieur [I] a eu un comportement déloyal à l'égard de la société BECS, constitutif d'une faute. En nouant des relations avec le client de son employeur aux fins de conclure, pour l'avenir, avec lui des relations contractuelles, alors qu'il était lié par un contrat de travail avec la société BECS, il a également violé la clause d'exclusivité à laquelle il était tenu contractuellement.

Ces comportements, qui ont pour objet de détourner la clientèle de son employeur constituent une faute lourde ne permettant pas le maintien de la relation contractuelle.

Le jugement entrepris doit donc être infirmé en ce sens.

- Sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés sur préavis :

Aux termes de l'article L 1234-1 du contrat de travail, lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit (...), s'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois.

Monsieur [I] ayant été licencié pour faute lourde, il ne peut prétendre à une indemnisation de ce chef.

Le jugement entrepris doit donc être infirmé en ce sens.

- Sur le rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire et congés payés afférents

Monsieur [I] ayant été licencié pour faute lourde, c'est à juste titre que l'employeur a pris une mesure de mise à pied et a opéré une retenue sur salaire correspondant à la période non travaillée. Aucun rappel de salaire n'a donc à être opéré.

Le jugement entrepris doit être infirmé en ce sens.

- Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :

Il a été précédemment démontré que Monsieur [I] a exécuté de manière déloyale le contrat de travail qui le liait avec la société BECS.

A défaut de plus amples précisions sur l'importance du préjudice subi par la société, il convient de fixer celui-ci à la somme de 2.000,00 euros.

Le jugement entrepris doit être infirmé en ce sens.

- Sur les demandes annexes :

Monsieur [I], qui succombe pour l'essentiel dans la présente instance, doit supporter les dépens et il y a lieu de le débouter de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au regard de la situation respective des parties, il apparaît équitable de laisser à la charge de la société BECS les frais irrépétibles par elle exposés.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et par arrêt mis à disposition au greffe,

INFIRME PARTIELLEMENT le jugement rendu le 06 février 2014 par le Conseil des Prud'hommes de BOULOGNE-BILLANCOURT,

STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés,

DIT que le licenciement de Monsieur [I] repose sur une faute lourde,

DEBOUTE Monsieur [I] de l'ensemble de ses demandes d'indemnisation liées à la rupture du contrat de travail,

CONDAMNE la société BECS à verser à Monsieur [I] les sommes suivantes :

- 9.183,00 euros au titre du rappel de primes,

- 918,00 euros de congés payés afférents.

CONDAMNE Monsieur [I] à verser à la société BECS la somme de 2.000,00 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution déloyale du contrat de travail,

CONFIRME, pour le surplus, les dispositions du jugement entrepris,

Y AJOUTANT,

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNE Monsieur [I] aux dépens.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, conformément à l'avis donné aux parties à l'issue des débats en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, et signé par Mme COLIN, président, et Mme BEUREL, greffier.



Le GREFFIER Le PRESIDENT

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