19 mai 2016
Cour d'appel de Versailles
RG n° 14/05329

5e Chambre

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C



OF



5e Chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 19 MAI 2016



R.G. N° 14/05329



AFFAIRE :



[K] [U]

C/

Société AXA FRANCE IARD









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Décembre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

Section : Encadrement

N° RG : 14/01053





Copies exécutoires délivrées à :



Me Anne-sophie HETET



SCP CAPSTAN LMS



Copies certifiées conformes délivrées à :



[K] [U]



Société AXA FRANCE IARD







le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX NEUF MAI DEUX MILLE SEIZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



Monsieur [K] [U]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Anne-sophie HETET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0220





APPELANT

****************

Société AXA FRANCE IARD

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Audrey BELMONT de la SCP CAPSTAN LMS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K020 substituée par Me Antoine SAPPIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0020





INTIMÉE

****************





Composition de la cour :



L'affaire a été débattue le 24 Mars 2016, en audience publique, devant la cour composée de :



Monsieur Olivier FOURMY, Président,

Madame Régine NIRDE-DORAIL, Conseiller,

Madame Elisabeth WATRELOT, Conseiller,



qui en ont délibéré,



Greffier, lors des débats : Monsieur Jérémy GRAVIER


FAITS ET PROCÉDURE,



Le 04 août 1978, M. [K] [U] a été embauché par la société UAP, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société AXA France IARD (ci-après, la 'Société' ou 'Axa').

A compter de 1981 et pendant de nombreuses années, M. [U] a été posté à l'étranger, pour exercer des fonctions supérieures au sein des filiales étrangères de la Société :

. au Gabon, du 1er novembre 1981 jusqu'au 30 juin 1985 ;

. au Maroc, du 1er décembre 1985 au 30 juin 1989 ;

. en Suisse, du 1er août 1989 au 20 juillet 1993 ;

. au Portugal, du 1er septembre 1993 au 31 décembre 1996.



Il importe de souligner d'emblée que le débat porte sur les conséquences du statut de M. [U] à l'époque : expatrié, il était exclusivement rémunéré par les filiales étrangères ; il n'était pas 'détaché' au sens du droit de la sécurité sociale. Ainsi, pendant toutes ces années, aucune cotisation patronale ni salariale n'a été payée au titre des cotisations retraite.



A compter de 1997, M. [U] a été affecté en France, où il a terminé sa carrière en qualité de directeur du service client de Juridica, filiale d'Axa.



La convention collective applicable est la convention collective nationale des sociétés d'assurance.

M. [K] [U] a fait valoir ses droits à la retraite à compter du 1er décembre 2011.



Le 16 janvier 2013, M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins d'obtenir la condamnation de la société Axa à régulariser sa situation auprès des organismes de retraite ARRCO et AGIRC en tenant compte de l'ensemble des éléments de sa rémunération, tels qu'il les présente ; subsidiairement, aux fins de voir Axa condamnée à lui payer la somme de 1 720 373 euros en réparation de son préjudice.



Par jugement en date du 02 décembre 2014, le conseil des prud'hommes de Nanterre a jugé les demandes de M. [U] prescrites, l'a débouté de l'intégralité de ses demandes, a débouté la Société de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et a laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

M. [U] a relevé appel général de cette décision.



Devant la cour, M. [U] fait notamment valoir que sa demande n'est pas prescrite, les dispositions de l'article L. 3245-1 (anciennement L. 143-14) du code du travail n'étant pas applicables puisque concernant le salaire et non les cotisations de retraite. La prescription quinquennale ne s'appliquait pas, avant 2008, aux cotisations retraite. La défense de M. [U] invoque une jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle l' « obligation de l'employeur d'affilier son personnel cadre à un régime de retraite complémentaire et de régler les cotisations qui en découlent est soumise à la prescription trentenaire » et soutient par ailleurs que les actions découlant d'une discrimination sont soumises à la prescription trentenaire. En outre, l'article 2222 du code civil précise qu'en cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

A l'audience, M. [U] convient que, pour la période de 1981 à janvier 1983, la prescription est acquise.

Mais il souligne que, s'agissant des dommages intérêts sollicités pour compenser le dommage subi, le délai de prescription court à compter de la date de la prise de retraite.

Sur le fond, M. [U] indique que ses « cotisations sociales étaient calculées sur un salaire de référence théorique » et ses « cotisations retraite étaient calculées et payées à l'AGIRC, via la caisse de retraite complémentaire UCREPPSA, sur un salaire de référence très bas, l'UAP-AXA ayant voulu ainsi limiter le versement de cotisations sociales (à son) détriment ».

M. [U] ajoute qu'il a bénéficié d'avantages en nature (logement de fonction, téléphone, personnel de maison, véhicule de fonction, ') qui n'ont « jamais été pris en compte dans les cotisations de retraite pas plus que les salaires perçus au-delà du salaire de référence ».

Pour M. [U], la convention collective AGIRC de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 (ci-après, 'Convention Agirc') est applicable, la délibération D17 envisage quatre cas d'exercice d'une activité professionnelle en dehors du territoire national, le cas 'A' correspondant à sa situation : la Société ne peut valablement soutenir ne pas avoir souscrit d'extension territoriale auprès de l'Agirc en invoquant l'article 16 de la Convention. La délibération D5 précise l'assiette des cotisations pour les agents occupés hors de France : le texte en a été modifié en 1996, mais encore aurait-il fallu que M. [U] en fût informé, avant son départ, et « s'entendre sur la définition du 'salaire qui aurait été perçu en France pour des fonctions correspondantes' » (souligné comme dans l'original des conclusions).

M. [U] ajoute qu'il convient de prendre en compte les accords collectifs propres à la profession de l'assurance : la convention de retraite et de prévoyance du personnel des sociétés d'assurance du 05 mars 1962 (CRPP) qui prévoit l'obligation d'affiliation aux régimes Unirs-Arrco, Agirc et de retraite professionnelle (RRP), pour les personnels dont « le contrat a été signé ou conclu sur le territoire » de la France métropolitaine ; le règlement du RRP du 30 juin 1978 dispose que le traitement devant servir de base est « le salaire réel constitué de l'ensemble des éléments de rémunération servant au calcul de la taxe sur les salaires » et la notice introductive de la convention de 1962 reprend de même que l'assiette des cotisations est le salaire réel total constitué de l'ensemble des éléments de rémunération servant au calcul des cotisations de sécurité sociale ; enfin, la convention collective nationale des sociétés d'assurance du 27 mai 1992 précise également que les salariés concernés sont ceux exerçant leurs fonctions en dehors de la France métropolitaine dès lors que leurs contrats de travail ont été signé sur le territoire métropolitain et elle n'a ni abrogé ni modifié la convention de retraite de la profession du 05 mars 1962, laquelle a « pour objet de faire bénéficier le personnel intéressé des régimes de retraite et de prévoyance, de manière cumulative (') ».

M. [U] considère que, dès lors que la Société n'a pas cotisé sur l'intégralité des rémunérations, « en infractions avec ses conventions collectives (') il s'agit d'une discrimination par rapport aux salariés qui travaillaient en France ».

M. [U] se réfère également à la jurisprudence, qui considère, selon lui, que l'indemnité de dépaysement, ou l'indemnité de détachement à l'étranger, l'indemnité de séjour, les avantages en nature (logement, mobilier, '), le véhicule de fonction ou les billets d'avion pour la famille doivent être pris en compte dans l'assiette des cotisations, conformément aux dispositions de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale.

M. [U] précise ainsi que : avant 1996, son employeur avait l'obligation de cotiser sur l'intégralité des rémunérations ; après 1996, la nouvelle rédaction de la délibération D5 s'appliquait et les cotisations devaient être effectuées sur la base du salaire qui aurait été perçu en France pour des fonctions correspondantes, soit celle d'un « cadre de haut niveau puis d'un dirigeant de filiale d'une grande compagnie d'assurances françaises » et non sur la base du 'salaire de référence', qui n'y correspond en rien.

Il souligne qu'il n'a reçu ses lettres de détachement au Maroc et en Suisse qu'alors qu'il avait déjà pris ses fonctions et que les conditions restrictives concernant l'assiette des cotisations qui en résulteraient lui sont donc inopposables.

M. [U] a fait procéder par un actuaire à un calcul (le 'Rapport') aboutissant à une rente annuelle manquante, qu'il chiffre aux sommes de : 30 134 euros par an pour l'Agirc, soit en valeur actuelle probable une somme de 986 831 euros ; 13 893 euros par an pour le RRP, soit en valeur actuelle probable une somme de 454 969 euros. Il conteste le rapport d'actuaires produit par Axa, « truffé d'erreurs et d'inexactitudes ».

Ainsi, en ajoutant aux valeurs actuelles probables le montant des retraites déjà manquantes du 1er décembre 2011 au 30 juin 2015, M. [U] réclame une somme totale de 1 599 412 euros. C'est la somme qu'il demande à la cour de condamner Axa à payer, à titre subsidiaire, si la cour ne condamne pas Axa à régulariser la situation auprès de l'Agirc en tenant compte d'une rémunération complémentaire de 1 357 698 euros (15 années d'expatriation) sous astreinte de 200 euros par jour.

Il sollicite également la condamnation de la Société à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



La société Axa France, fait notamment valoir, pour sa part, qu'à compter de 1985, « la gestion des expatriés de l'UAP a été confiée (...) à la société UAP INTERNATIONAL, de sorte que Monsieur [U] a été géré administrativement par cette société jusqu'à son retour en France, sans aucun impact sur son appartenance à la société UAP » ; que les sociétés étrangères pour lesquelles M. [U] a travaillé n'étaient « nullement contrôlées par son entité d'origine », puisque seule la holding du groupe, la société AXA SA est actionnaire des différentes sociétés, et non Axa France ; que dans le cadre de son expatriation, M. [U] n'a plus perçu de la part de son employeur français aucun salaire en France, « celui-ci devenant une simple référence » et n'a bénéficié d'aucun avantage en nature contractuel. Il a « seulement bénéficié d'une allocation forfaitaire égale à 30% de son salaire de référence en France, créditée dans les livres de la société, dont l'objet était uniquement de permettre le recouvrement des cotisations salariales dues par l'intéressé au titre des droits qui lui étaient maintenus aux différents régimes sociaux français ». M. [U] n'était pas 'détaché', mais 'expatrié'. La Société s'est engagée contractuellement à maintenir les droits à retraite de M. [U] en France, mais en stipulant clairement lors de chacune de ses expatriations que ce maintien s'effectuerait sur la base du salaire annuel de référence. « En contrepartie, Monsieur [U] s'engageait à verser les cotisations afférentes aux régimes de retraites qui lui étaient maintenus, notamment les régimes supplémentaires professionnels ».

La Société souligne que M. [U] cherche à 'enjoliver' sa classification et l'importance des fonctions qu'il a pu exercer à l'étranger.

Il a été dispensé d'activité à compter de 2007, « avec son accord, dans l'attente de son départ à la retraite, période pendant laquelle il a continué à être rémunéré par la société ».

La Société conclut ainsi que les demandes de M. [U] sont prescrites : l'article L. 3245-1 du code du travail, dans sa version applicable à l'époque prévoyait que l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par cinq ans conformément à l'article 2224 du code civil et, selon la Société, la Cour de cassation a « posé le principe que la prescription quinquennale s'applique à toute action engagée à raison de sommes afférentes aux salaires dus au titre du contrat de travail ».

La demande subsidiaire de M. [U] doit être rejetée, dans la mesure où « elle vise à détourner la prescription quinquennale applicable à la demande en régularisation des cotisations sociales ».

La Société souligne que M. [U] a été informé, dès son départ à l'étranger puis mensuellement, de l'assiette des cotisations de sa retraite, puisque ses lettres de mission successives à l'étranger prévoyaient que son affiliation aux régimes de retraite français serait maintenue à hauteur de son salaire de référence français et que les bulletins de paie locaux ne mentionnaient aucun précompte de cotisations aux régimes français de retraite.

Par ailleurs, M. [U] ne peut se prévaloir du régime de la prescription en matière de discrimination qu'à la condition de faire état de l'un des motifs discriminatoires énoncés par l'article L. 1132-1 du code du travail et qu'il n'était en aucune mesure placé dans une situation comparable à celle de ses collègues demeurés en France, au regard de l'avantage retraite et, en tout état de cause, il a été traité, à l'égard de ses avantages en France, « en fonction de la situation qui aurait été la sienne s'il avait continué à travailler en France et non sur la base d'une situation étrangère dérogatoire et totalement déconnectée de la réalité française ».

A titre subsidiaire, la Société soutient l'absence de fondement des demandes de M. [U] dans leur principe.

La Société souligne qu'elle n'a jamais contesté que M. [U] relevait de la convention collective nationale de retraite et de prévoyances des cadres du 14 mars 1947 mais que l'assiette des cotisations des salariés travaillant à l'étranger fait précisément l'objet de règles dérogatoires prévues par les délibération D5 et D17 de l'Agirc, étant observé que la « référence à la rémunération servant à l'établissement de la déclaration annuelle des salaires est inopérante pour les salariés expatriés puisqu'ils ne perçoivent aucune rémunération de leur employeur d'origine et sont exclusivement rémunérés par leur entité d'accueil à l'étranger' Il n'y a donc strictement aucune rémunération à faire figurer sur la DADS de l'entreprise française (') ». La Société ajoute que la convention Agirc de 1947 est un accord national interprofessionnel « totalement autonome » de la Convention de 1962.

De plus, aux termes de l'article 5 de la convention Agirc de 1947, le principe d'identité d'assiettes régime général/régime complémentaire n'est pas absolu, « l'application des dispositions contenues dans des délibérations et prévoyant dans certains cas le calcul des cotisations sur un salaire fictif, indépendamment du montant servant à calculer les cotisations de sécurité sociale ». Un salarié ne peut bénéficier des dispositions de la convention de 1947 que s'il est occupé sur le territoire français, s'il bénéficie du régime du détachement au sens de la sécurité sociale ou s'il bénéficie, dans le cadre d'une expatriation au sens de la sécurité sociale, de l'un des quatre cas d'extension territoriale prévus par la délibération D17 ; or, M. [U] ne peut bénéficier du cas « A » prévu par cette délibération, contrairement à ce qu'il prétend, la Société n'ayant pas choisi de s'inscrire dans le cadre de l'extension territoriale, n'ayant pas passé d'accord avec la majorité des expatriés et n'ayant pas souscrit d'affiliation à l'Agirc pour la totalité de ses expatriés actuels et futurs. « La délibération D5 (assiette des cotisations) prévoyait bien jusqu'en 1996, comme l'explique Monsieur [U], la prise en compte des appointements effectivement perçus par l'expatrié (à l'exclusion des indemnités de résidence), lesquels devaient alors être convertis en francs. Cependant, cette assiette s'appliquait uniquement aux salariés expatriés maintenus à l'AGIRC dans le cadre d'une extension territoriale », ce qui n'était pas le cas.

La couverture du cadre expatrié ne doit le garantir qu'à hauteur de la couverture dont il aurait bénéficié s'il avait continué à travailler en France, ce qui exclut tous les éléments de rémunération liés à la mission elle-même et qui n'existeraient pas en France. Axa souligne que, pour les salariés concernés par le cas A de la déclaration D5 (à le supposer applicable à M. [U]), le texte prévoit expressément que les cotisations sont calculées sur la base du salaire qui aurait été perçu en France, « éventuellement augmenté de tout ou partie des primes et avantages en nature, ainsi que prévu dans le contrat d'expatriation ». Les lettres de mission étaient à cet égard très claires, qu'il s'agisse de leur article 1 relatif à la rémunération ou de leur article 2 relatif au régime de retraite et de prévoyance. En outre, la Société a interrogé l'Agirc sur les dispositions de la délibération D5, qui a répondu qu'il « appartient à l'employeur, en accord avec le salarié, d'inclure ou non les primes et avantages en nature dans l'assiette de cotisation ».

La Société précise que les avantages importants dont a pu bénéficier M. [U] tout au long de sa carrière accomplie à l'étranger découlaient non pas de son grade mais uniquement de sa qualité d'expatrié et il n'aurait jamais pu en bénéficier en France (par exemple, le logement de fonction et les frais de personnel ne sont pas pratiqués pour les cadres dirigeants, y compris le PDG d'Axa France).

La Société plaide par ailleurs que les demandes de M. [U] au titre du régime RPP ne sont pas davantage fondées, car les dispositions conventionnelles résultant de la convention de retraite et de prévoyance du personnel des sociétés d'assurance du 05 mars 1962, ne sont pas intégrées dans le contrat de travail de l'intéressé, tandis que la Société a cotisé au régime RPP sur la base du salaire « réel » de M. [U], c'est-à-dire son salaire de base (l'article 31 de cette convention parle de salaire « effectif ») ou salaire de référence, en l'espèce « très proche du salaire local qui lui a été versé au cours de ses expatriations ».

S'agissant de l'information dont a bénéficié M. [U], la société fait valoir que, « à supposer qu'il puisse invoquer un retard d'information lors de sa première expatriation, ses lettres de mission suivantes au cours de ses expatriations successives ont maintenu strictement le même principe d'assiette de cotisations sans (qu'il) n'émette jamais la moindre observation ». De plus, la Société avait élaboré un guide de la mobilité internationale, à destination de ses salariés expatriés.

La Société ajoute qu'elle s'était par ailleurs engagée à affilier M. [U] aux organismes de retraite locaux, ce qu'elle a fait et que les avantages en nature dont il a bénéficié lui ont permis de se constituer un patrimoine.

Enfin, dans l'hypothèse où la Société aurait dû cotiser sur l'ensemble des éléments de rémunération de M. [U], elle aurait dû précompter des cotisations salariales sur ces avantages.

A titre très subsidiaire, la société Axa souligne que, conformément aux dispositions de l'article 1315 du code de procédure civile, c'est à celui qui se prétend créancier d'une obligation de la prouver, non seulement dans son principe, mais également dans son étendue. La Société a fait effectuer une vérification du préjudice invoqué par ses actuaires, lesquels ont établi un 'contre-rapport' « démontrant l'absurdité économique et mathématique des prétentions » de M. [U]. A supposer que la cour suive l'argumentation de ce dernier sur le principe qu'il avance, elle devait limiter l'indemnisation à la somme de 88 480 euros brut au titre du régime Agirc et celle de 252 264 euros brut au titre du RRP.

La Société sollicite la condamnation de M. [U] aux dépens et à lui payer une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Vu les conclusions déposées en date du 24 mars 2016, tant pour M. [U] que pour la société Axa France, ainsi que les pièces y afférentes respectivement, auxquelles la cour se réfère expressément, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.



Vu les explications et les observations orales des parties à l'audience du 24 mars 2016.




MOTIFS,



Sur la prescription



Avant d'aborder la question de la prescription proprement dite, il convient de préciser d'une part, que la réclamation de M. [U] ne concerne que les cotisations de retraite patronales et, d'autre part, qu'il n'est pas contesté que la société Axa a payé des cotisations patronales de retraite pour M. [U] tout au long de sa carrière : la contestation porte sur le montant de ces cotisations, en ce que la base de calcul retenue par Axa était, selon M. [U], erronée en ce qu'elle n'intégrait pas tous les avantages en nature dont il bénéficiait dans le cadre de ses expatriations.



Aux termes de l'article L. 143-14 de l'ancien code du travail, alors applicable (devenu l'article L. 3245-1), l' « action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par 5 ans, conformément à l'article 2277 du code civil ».

Ce dernier article se lit :

Se prescrivent par cinq ans les actions en paiement :

Des salaires ;

Des arrérages des rentes perpétuelles et viagères et de ceux des pensions alimentaires ;

Des loyers et des fermages ;

Des intérêts des sommes prêtées,

et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts.



M. [U] soutient que ces dispositions ne se sont jamais appliquées aux cotisations retraite puis que les actions en discrimination se prescrivent par trente ans.



Sur la prescription des actions relatives aux cotisations retraite



Dès lors qu'il est constant que M. [U] a été régulièrement affilié par son employeur, la question posée par M. [U] revient, seulement, à savoir si les cotisations retraite patronales peuvent être assimilées à un salaire ou à un élément de salaire.



Les cotisations de retraite salariales, qu'il s'agisse de la retraite de base ou des retraites complémentaire constituent incontestablement des éléments de salaire.

L'employeur est tenu de cotiser conformément au contrat de travail et donc, le cas échéant, conformément aux conventions collectives applicables, qui sont susceptibles, ainsi que les écritures des parties le démontrent abondamment, d'influer sur le montant des sommes prélevées ou l'organisme auquel il convient que les prélèvements soient adressés.



La cour ne trouve aucun motif de considérer que les cotisations de retraite patronales devraient obéir à un régime différent.



Il a été régulièrement jugé que la prescription quinquennale instituée par l'article L. 143-14 de l'ancien code du travail s'applique à toute action engagée à raison des sommes afférentes aux salaires dus au titre du contrat de travail.



Les cotisations de retraite patronales sont dues en même temps que le salaire proprement dit, plus exactement, les cotisations patronales sont calculées et en principe, versées, en même temps que le salaire est payé au salarié.

Dès lors, un salarié ne peut engager une action en paiement des cotisations de retraite assises sur ce salaire si l'action en paiement du salaire correspondant ne lui est pas, ou plus, ouverte.



Dans le cas d'espèce, le dernier salaire perçu par M. [U] au titre d'une période pendant laquelle il était expatrié (seules ces périodes sont en cause ici) date, dans l'hypothèse la plus favorable à l'intéressé, du 31 janvier 1997.

M. [U] a fait valoir ses droits à retraite le 1er décembre 2011, soit plus de 14 ans après cette date, a interpellé son ex-employeur seulement dans le courant de l'année 2012 et a saisi le conseil de prud'hommes le 16 janvier 2013.



Son action serait donc prescrite.



M. [U] argumente par ailleurs que n'ayant pris sa retraite qu'en 2011, il disposait d'un délai de cinq ans pour engager son action puisque ce n'est qu'à cette date qu'il a pu connaître le montant de ses droits.

Outre que cette affirmation est dénuée de fondement, dès lors que dès 2007 M. [U] a été placé en position de non-activité avec maintien de sa rémunération et qu'il lui était loisible de connaître avec précision le montant de sa pension, elle constitue, surtout, un artifice pour tenter d'écarter la prescription.

En effet, en 1983 (M. [U] a admis que pour les années antérieures, son action était en tout état de cause, prescrite) M. [U] savait, depuis plusieurs mois, que les cotisations patronales étaient payées en France par Axa (UAP, à l'époque) sur la base de son salaire de référence, tandis que son employeur local cotisait au régime local de retraite (la cour note, à cet égard, que M. [U] ne fournit aucun élément quant aux retraites ou autres sommes qu'il aurait perçues à ce titre, se contentant d'affirmer qu'il n'avait rien perçu de ces régimes).

Les bulletins de salaire émis par la société gabonaise ne laissent aucun doute à cet égard : s'ils mentionnent des retenues afférentes aux différents régimes locaux, ils ne font aucune référence d'aucune sorte au régime de retraite et de prévoyance français. A supposer que M. [U] n'ait pas expressément été informé de sa situation au regard du régime français de retraite, il savait, depuis décembre 1981 au plus tard, qu'aucune cotisation n'avait été versée, à titre patronal ou salarial, d'ailleurs, aux organismes français.

D'ailleurs, M. [U] a adhéré à l'assurance vieillesse de la caisse des expatriés à compter du 1er octobre 1981.

En d'autres termes, depuis décembre 1981 au plus tard, M. [U], qui ne conteste pas par ailleurs qu'il était régulièrement affilié par son employeur auprès des organismes français, sait qu'en cas d'expatriation, les cotisations de retraite patronales, en France, seront calculées sur la seule base du salaire dit de référence.

Cette règle était applicable à tous les contrats d'expatriation, M. [U] n'est en aucune manière fondée, à supposer que cela soit pertinent et vérifié, à invoquer qu'il n'aurait reçu sa lettre de mission pour d'autres pays que postérieurement à sa prise de fonction.

Ainsi, par lettre en date du 29 avril 1986, le département du personnel et des relations sociales d'UAP a informé M. [U] que, détaché au Maroc, il ne percevrait plus son salaire en francs français mais que son salaire de référence subirait les variations applicables aux traitements des membres du personnel de la société en France métropolitaine de même statut que lui et en particulier, lui a précisé : « Vos droits et obligations envers les Organismes de Retraites et de Prévoyance métropolitains ('), auxquels vous serez affilié, seront déterminés sur la base de 100% de votre traitement de référence selon les mêmes règles que pour vos collègues, de même statut que vous, exerçant leurs activités en France ». La lettre ajoute, s'agissant spécialement du régime de retraite et de prévoyance : « Vous bénéficierez, à hauteur de votre salaire de référence, d'une protection sociale (prévoyance et retraite) équivalente à celle des personnels de même statut exerçant leurs fonctions en France métropolitaine ».

La lettre de mission en Suisse, datée 13 juillet 1989, commence par préciser que « les dispositions de la lettre France du Directeur du Personnel du 29 avril 1986 demeur(e)nt inchangées ».

La lettre de mission au Portugal, datée 12 juillet 1993, rappelle à M. [U] que son « grade actuel (lui) reste acquis dans la hiérarchie du statut des Inspecteurs du Cadre non commissionnés de (la) Société » et que son « salaire français (') deviendra une simple référence ». La lettre précise à M. [U] qu'il bénéficiera « à hauteur de (son) salaire de référence, d'une protection sociale (prévoyance et retraite) équivalente à celle des personnels de même statut exerçant leurs fonctions en France métropolitaine ».



Ainsi, dans tous les cas, M. [U] a été informé précisément de sa situation au regard des cotisations patronales aux organismes de retraite et de prévoyance en France depuis un nombre d'années bien supérieur à cinq.



Son action tendant à obtenir la condamnation de la Société Axa à payer des cotisations patronales de retraite Agirc ou RPP sur base des rémunérations effectivement perçues lors de ses expatriations est prescrite.



Sur l'action en discrimination



M. [U] soutient que, en matière de discrimination, la prescription est trentenaire et que, sur cette base, sa demande est nécessairement recevable.



Il convient tout d'abord de relever que, sous couvert d'une action en discrimination, M. [U] tente d'échapper à la prescription. En tant que telle, elle est donc irrecevable.



En tout état de cause, après une longue discussion sur les conventions collectives ou délibérations éventuellement applicables, M. [U] en vient à considérer qu'il a été discriminé puisque il a été privé de la possibilité de bénéficier d'un dispositif « commun de garanties sociales ».



En réalité, cette présentation est fallacieuse, sauf à vouloir sanctionner la Société pour avoir appliqué à M. [U] une forme de discrimination positive du fait des expatriations dont il a fait l'objet.

En effet, il résulte des conclusions mêmes de M. [U] que ce dernier a bénéficié de nombreux avantages à l'occasion de ses expatriations, y compris parfois d'un logement ou de prise en charge de frais de personnel, dont il ne conteste pas que même le président directeur général d'Axa n'en bénéficie pas.

De plus, les cotisations de retraite ont été payées par Axa sur le salaire de référence, à propos duquel M. [U] ne soumet aucun élément d'aucune sorte permettant de penser qu'il n'est pas celui qu'il aurait perçu s'il était resté en France, étant souligné que durant le temps de ses expatriations, M. [U] a continué de bénéficier de l'avancement qui aurait été le sien en France.

En outre, ainsi qu'il a été dit plus haut, des cotisations retraite et prévoyance ont été payées par ses employeurs locaux aux organismes locaux et M. [U] ne produit aucun document devant la cour, qui permettrait de vérifier son affirmation qu'il n'en a retiré aucun bénéfice d'aucune sorte (capital ou pension de retraite, aussi minimes soient-ils).



Au surplus, aux termes de l'article L. 122-45 du code du travail alors applicable, la discrimination était définie de la manière suivante :

Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 140-2, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire visée à l'alinéa précédent en raison de l'exercice normal du droit de grève.

Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux alinéas précédents ou pour les avoir relatés.



A l'évidence, M. [U] n'entre dans aucune des catégories limitativement énumérées ci-dessus.



La cour n'ignore pas que la loi du 27 février 2014 a ajouté à ces critères celui de la résidence. Mais, pour les raisons expliquées plus haut, aucune discrimination ne peut être invoquée par M. [U] à cet égard.



M. [U] n'est ainsi aucunement fondé à invoquer une quelconque discrimination.



Sur la demande de M. [U] de dommages intérêts



M. [U] sollicite, à titre subsidiaire, une somme de 1 599 412 euros à titre de dommages intérêts, représentant son préjudice en « Valeur Actuelle Probable ».



Cette demande tend en réalité à obtenir le paiement des cotisations de retraite dont la cour a dit plus haut que, par l'effet de la prescription, M. [U] ne peut y prétendre.

Elle est donc irrecevable.







Sur la demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens



M. [U], qui succombe, sera condamné aux entiers dépens.



L'équité commande de condamner M. [U] à payer à la société Axa France une indemnité d'un montant de 3 000 euros, pour l'ensemble de la procédure, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et de le débouter de sa demande à cet égard.



PAR CES MOTIFS,



La cour, après en avoir délibéré, par décision contradictoire,



Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne les dépens ;



Statuant à nouveau et y ajoutant,



Déclare la demande de M. [U] au titre de la discrimination irrecevable ;



Condamne M. [K] [U] à payer à la société Axa France une indemnité d'un montant de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;



Déboute M. [U] de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;



Déboute les parties de toute autre demande plus ample ou contraire ;



Condamne M. [K] [U] aux entiers dépens.



Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Monsieur Jérémy Gravier, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.



Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,

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