22 novembre 2016
Cour d'appel de Paris
RG n° 15/24514

Pôle 2 - Chambre 1

Texte de la décision

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRET DU 22 NOVEMBRE 2016



(n° 504 , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/24514



Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Novembre 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/03934





APPELANTS



Maître Hervé [NG]

[Adresse 9]

[Localité 1]



Né le [Date naissance 2] 1940 à [Date naissance 8] (50)



Représenté par Me Marcel PORCHER de la SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : G0450



Madame [MS] [UM] [RD] [FF] née [UF]

[Adresse 1]

[Localité 1]



Née le [Date naissance 7] 1944 à [Localité 2] (32)



Représentée par Me Alain FISSELIER de la SCP SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

Ayant pour avocat plaidant Me Gilles BOUYER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0317





INTIMES



Monsieur [UT] [DK] [EY] [RD] [FF]

[Adresse 6]

[Adresse 8]



Né le [Date naissance 5] 1966 à [Date naissance 9] (92)



Représenté par Me Stéphane GOLDENSTEIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0303





Madame [NN] [RD] [FF]

[Adresse 5]

[Localité 1]



Née le [Date naissance 3] 1968 à [Date naissance 10] (92)



Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

Ayant pour avocat plaidant Me André MESSIKA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1106





Monsieur [JX] [RD] [FF]

[Adresse 3]

[Adresse 7]



Né le [Date naissance 1] 1972 à [Date naissance 10] (92)



Représenté par Me Guillaume DAUCHEL de la SELARL Cabinet SEVELLEC, avocat au barreau de PARIS, toque : W09

Ayant pour avocat plaidant Me Erwan DINETY, avocat au barreau de [Localité 3]



Madame [BW] [G] [XO] [QP] [RD] [FF] épouse [DY]

[Adresse 4]

[Localité 1]



Née le [Date naissance 4] 1973 à [Localité 3] (33)



Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

Ayant pour avocat plaidant Me Christophe LAVERNE, avocat au barreau de PARIS, toque : P133



Madame [FM] [QI] [MZ] [RD] [FF] épouse [VA]

[Adresse 2]

[Localité 1]



Née le [Date naissance 6] 1982



Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

Ayant pour avocat plaidant Me Christophe LAVERNE, avocat au barreau de PARIS, toque : P133



SAS ARTCURIAL BRIEST [NG] F. TAJAN

[Adresse 9]

[Localité 1]



SIRET : 440 088 235



Représentée par Me Christian BREMOND de l'ASSOCIATION BREMOND VAISSE RAMBERT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R038





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 20 Septembre 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jacques BICHARD, Président de chambre

Madame Marie-Sophie RICHARD, Conseillère

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

qui en ont délibéré



Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR





ARRET :



- Contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par M. Jacques BICHARD, président et par Mme Lydie SUEUR, greffier.






*****



[GA] [RD] [FF] est décédé le [Date décès 1] 2007 laissant comme héritiers, sa conjointe Mme [MS] [RD] [FF] et ses cinq enfants : M. [UT] [RD] [FF], Mme [NN] [RD] [FF], M. [JX] [RD] [FF], Mme [BW] [RD] [FF] et Mme [FM] [RD] [FF].



Dans le cadre du partage successoral ayant donné lieu à un acte du 8 octobre 2007, maître [JC], notaire à [Localité 4] a fait appel à maître [NG], commissaire-priseur, pour réaliser la prisée des biens meubles composant l'actif successoral laquelle a eu lieu le 25 septembre 2007.



La succession comprenait diverses oeuvres d'art dont deux lavis sur papier de [QB] [IV] : [FT] [JQ], daté de 1942 et TÊTE DE FEMME, daté de 1940 que maître [NG] a évalués à la somme de 250 000 euros chacun et qui ont été attribués à Mme [MS] [RD] [FF].



En septembre 2011 Mme [MS] [RD] [FF] a souhaité qu'ils soient à nouveau évalués, ce qu'a fait la société ARTCURIAL qui les a décrits et a fixé leur valeur entre

500 000 et 700 000 euros chacun.



Ultérieurement Mme [MS] [RD] [FF] s'est adressée à une société de conseil en gestion en patrimoine et c'est à l'occasion de cette mission que des doutes ont été émis sur l'authenticité de ces oeuvres.



Mme [MS] [RD] [FF] a donc saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris qui, par ordonnances des 29 juin et 7 septembre 2012, a désigné Mme [BP] en qualité d'expert laquelle a déposé son rapport le 31 janvier 2013 en concluant au caractère non authentique desdites oeuvres.



C'est dans ces circonstances que par acte du 7 mars 2013, Mme [MS] [RD] [FF] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris, en responsabilité civile et indemnisation de ses préjudices, Maître [NG] et la société ARTCURIAL qui, par acte d'huissier de justice des 23 et 29 janvier 2014 ont fait à leur tour assigner en garantie M. [UT] [RD] [FF], Mme [NN] [RD] [FF], M. [JX] [RD] [FF], Mme [BW] [RD] [FF] et Mme [FM] [RD] [FF].



Vu le jugement rendu le 25 novembre 2015 par le tribunal de grande instance de Paris qui, rejetant toutes prétentions plus amples ou contraires, a :

- condamné in solidum et avec exécution provisoire, maître [NG] et la société ARTCURIAL à payer à Mme [MS] [RD] [FF] la somme de 425 010,50 euros en réparation de son préjudice financier,

- condamné in solidum maître [NG] et la société ARTCURIAL à payer à Mme [MS] [RD] [FF] la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné maître [NG] à payer à Mme [BW] [RD] [FF] et à Mme [FM] [RD] [FF], chacune, la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné maître [NG] à payer à M. [UT] [RD] [FF], Mme [NN] [RD] [FF], M. [JX] [RD] [FF], chacun, la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Vu l'appel interjeté par maître [NG] le 3 décembre 2015.



Vu l'appel interjeté par Mme [MS] [RD] [FF] le 18 décembre 2015.



Vu la jonction des procédures par ordonnance du 23 juin 2016.




Vu les dernières conclusions communiquées par la voie électronique le :





- le déclarer recevable en son appel,

- constater que Mme [MS] [RD] [FF] ne rapporte pas la preuve que les lavis expertisés par Mme [BP] sont ceux qui ont fait l'objet de l'inventaire en 2007,

- subsidiairement constater qu'il n'a commis aucune faute et réformer le jugement déféré en déboutant Mme [MS] [RD] [FF] de ses demandes,

- subsidiairement dire que le préjudice allégué par Mme [MS] [RD] [FF] ne constitue qu'une faible perte de chance, ramener le montant de ses préjudices à la seule diminution de l'actif successoral net, condamner ARTCURIAL à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre et vu les principes gouvernant l'enrichissement sans cause, condamner solidairement M. [UT] [RD] [FF], Mme [NN] [RD] [FF], M. [JX] [RD] [FF], Mme [BW] [RD] [FF] et Mme [FM] [RD] [FF] à 'le relever indemne' de toute condamnation pouvant être prononcée contre lui,

- en tout état de cause, condamner tout succombant à lui payer une indemnité d'un montant de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.





- la dire recevable et bien fondée en son appel,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré que maître [NG] et la société ARTCURIAL ont engagé leur responsabilité à son endroit et en ce qu'il les a condamnés in solidum au paiement de la somme de 425 010,50 euros,

- infirmer le jugement et condamner in solidum maître [NG] et la société ARTCURIAL à lui payer la somme de 114 000 euros au titre des intérêts produits par la somme de 425 010,50 euros,

- condamner la société ARTCURIAL au titre d'un quasi contrat à lui payer la somme de 500 000 euros représentant le montant du gain de plus-value annoncé et en tout état la condamner à ce paiement en raison de sa faute et de la perte de chance que celle-ci a générée,

- condamner in solidum maître [NG] et la société ARTCURIAL à lui payer la somme de 140 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamner in solidum maître [NG] et la société ARTCURIAL à lui payer la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire et juger irrecevables M. [JX] [RD] [FF] et Mme [NN] [RD] [FF] en leur appel incident et leur demande.





- débouter maître [NG] de l'ensemble de ses demandes,

- dire et juger que le rapport d'expertise lui est inopposable,

- subsidiairement constater que la faute de maître [NG] fait obstacle à son action fondée sur l'enrichissement sans cause et dire et juger que n'est pas rapportée la preuve d'un appauvrissement,

- condamner maître [NG] à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive,

- condamner maître [NG] ou toute partie qui succombe à lui payer la somme de 7 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.





- à titre principal, confirmer le jugement déféré,

- à titre subsidiaire, dire et juger maître [NG] irrecevable en ses demandes,

- à titre très subsidiaire, débouter maître [NG] de ses demandes,

- en tout état de cause, condamner maître [NG] à leur payer la somme de 80 000 euros, chacune, à titre de dommages intérêts en réparation de leur préjudice tant matériel que moral, outre une indemnité d'un montant de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile .





- dire que le rapport d'expertise lui est inopposable et déclarer irrecevable l'action de maître [NG] à son encontre,

- subsidiairement, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté maître [NG] de ses demandes dirigées contre elle et l'a condamné à lui verser une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- subsidiairement sur l'action de Mme [MS] [RD] [FF], dire que celle-ci ne démontre pas que les lavis expertisés par Mme [BP] sont ceux qui ont fait l'objet de l'inventaire en 2007, infirmer en conséquence le jugement déféré en ce qu'il a fait partiellement droit aux demandes de Mme [MS] [RD] [FF] à l'encontre de maître [NG] et la société ARTCURIAL,

- en tout état de cause dire qu'il n'y a pas de solidarité entre 'les défendeurs',

- condamner maître [NG] à lui payer une indemnité d'un montant de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.





- dire et juger que le rapport d'expertise judiciaire ne lui est pas opposable et confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté maître [NG] de ses demandes fondées sur l'article 971 du code civil,

- subsidiairement dire et juger que Mme [MS] [RD] [FF] ne rapporte pas la preuve que les lavis expertisés par Mme [BP] sont ceux qui ont fait l'objet de l'inventaire en 2007 et infirmer le jugement déféré en ce qu'il a fait partiellement droit à ses demandes dirigées contre maître [NG] et la société ARTCURIAL,

- en tout état de cause dire qu'il n'y a pas de solidarité entre les 'défendeurs',

- condamner maître [NG] ou toute partie qui succombe à lui payer une indemnité d'un montant de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.





- dire et juger qu'elle n'a pas la qualité de commissaire-priseur judiciaire, qu'elle n' a jamais été mandatée elle et toute personne relevant d'elle aux fins d'examiner l'authenticité des oeuvres litigieuses et qu'elle n'a délivré aucun certificat d'authenticité, que Mme [MS] [RD] [FF] ne rapporte pas la preuve que les lavis expertisés par Mme [BP] sont ceux qui ont fait l'objet de l'inventaire en 2007, qu'elle n'avait aucune raison de mettre en doute l'authenticité des oeuvres litigieuses et donc de procéder à des investigations complémentaires qui ne lui ont pas été demandées, que le seul préjudice dont peut se prévaloir Mme [MS] [RD] [FF] est celui résultant de la diminution de l'actif net successoral, soit une différence de 74 989,50 euros,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée in solidum avec maître [NG] à payer à Mme [MS] [RD] [FF] les sommes de 425 010,50 euros et 30 500 euros,

- dire et juger qu'elle ou toute personne relevant d'elle n'a commis aucune faute,

- dire et juger qu'il n'est pas démontré qu'elle a agi en qualité de commettant lors de l'inventaire successoral litigieux ou en 2011,

- débouter maître [NG] de sa demande en garantie dirigée à son encontre,

- débouter Mme [MS] [RD] [FF] de la totalité de ses demandes et confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [MS] [RD] [FF] du surplus de ses demandes et maître [NG] de sa demande en garantie,

- en tout état de cause, condamner Mme [MS] [RD] [FF] à lui payer une indemnité d'un montant de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.




SUR QUOI LA COUR



Au terme de son rapport d'expertise, Mme [BP] a conclu au caractère non authentique des deux oeuvres litigieuses :

' A notre avis, il ne s'agit pas de lavis originaux peints de la main de [QB] [IV]. Il s'agit de reproductions (sérigraphies ' Héliogravures ') des deux oeuvres originales figurant dans le ZERVOS, qui ont été peintes par un faussaire, au lavis d'encre. Ces lavis ont été faits dans l'intention de tromper. Leur valeur est nulle '.



Par ailleurs il résulte d'une correspondance en date du 22 mars 2016, émanant du secrétariat de M. [YQ] [IV], saisi par le [Établissement 1], lui même interrogé par lettre du 11 mars 2016 par le conseil de Mme [MS] [RD] [FF], que les deux lavis en cause 'appartiennent à la collection du Musée National [IV], ils sont entrés dans les collections publiques grâce à la dation des héritiers [IV] en 1979. Ces deux dessins font partie intégrante d'un carnet et n'ont pas été séparés (référence dans l'inventaire du [Établissement 1] : MP 1880), vous trouverez copie de toutes les pages en documentation jointe.



Par ailleurs, Monsieur [IV] tient à vous préciser qu'il existe un fac-similé de ce carnet qui a été publié par les éditions CAHIERS D'ART en 1948 et tiré à 1200 exemplaires. Il est possible que votre cliente ait entre les mains deux feuilles issues de ce fac-similé ce qui est mentionné dans le rapport de Madame [BP] ( voir page 8 >) . Il semble cependant que les reproductions en fac-similé aient reçu ensuite des traits au lavis ce qui n'était pas le cas du fac-similé publié par CAHIERS D'ART .'



Les conclusions du rapport d'expertise ne sont pas contestées par maître [NG] et la société ARTCURIAL.



Pour leur part M. [UT] [RD] [FF], Mme [NN] [RD] [FF], M. [JX] [RD] [FF] concluent à l'inopposabilité à leur égard de ce document au motif que l'expertise judiciaire n'a pas été réalisée au contradictoire de leurs droits.



Cependant et outre qu'en ayant eu connaissance à l'occasion de la présente procédure du rapport déposé par Mme [BP] ils n'en discutent pour autant ni les constatations techniques, ni les conclusions sur lesquelles ils s'appuient, certes à titre subsidiaire, pour s'opposer à l'action en garantie dirigée à leur encontre par maître [NG], il demeure que ce document n'est pas le seul qui permette d'établir le caractère non authentique des oeuvres en cause dés lors que la lettre précitée du 22 mars 2016 qui lui est totalement extérieure, constitue également un élément d'appréciation de l'absence d'authenticité des oeuvres litigieuses.



En effet ce document dont la sincérité des affirmations qu'il énonce n'est pas sérieusement contestée, tend à démontrer que les deux lavis en cause ne pouvaient être des originaux puisque ceux-ci sont rentrés, dans le cadre de la dation acceptée par les héritiers [IV] afin de régler les droits de succession qu'ils devaient acquitter, dans les collections publiques en 1979, soit plus de dix ans avant leur acquisition par [GA] [RD] [FF] auprès de la galerie [UT] [VH].



Le défaut d'authenticité des deux oeuvres expertisées est ainsi établi à l'encontre de toutes les parties au litige.



Mais également il résulte de la correspondance précitée du 22 mars 2016 que l'affirmation selon laquelle les deux lavis examinés par Mme [BP] ne seraient pas ceux ayant fait l'objet de l'inventaire successoral du 25 septembre 2007 est dépourvue de toute pertinence.



Maître [JC], notaire chargé de la succession de [GA] [RD] [FF] a procédé à l'inventaire de ladite succession.



A cet effet il a dressé le 25 septembre 2007 un acte mentionnant maître [UM] [NG] commissaire priseur judiciaire à [Localité 4] désigné pour effectuer la prisée des objets susceptibles d'estimation.



C'est dans ces conditions que celui-ci a procédé à l'évaluation des deux lavis en cause qu'il a fixée pour chacun d'eux à 250 000 euros.



L'inventaire successoral se réalise certes sous la responsabilité du notaire qui le dresse.

Pour autant le commissaire-priseur qui est appelé à évaluer les biens meubles le constituant peut engager sa responsabilité vis à vis des héritiers dés lors qu'il est démontré qu'il a commis une faute et que celle-ci est en relation directe avec un préjudice éprouvé par lesdits héritiers.



Il vient d'être constaté que les deux lavis litigieux sont des faux alors même que maître [NG] les a estimés, chacun, à 250 000 euros ce qui correspond à leur valeur à l'époque s'il s'était agi d'oeuvres authentiques.



Si dans l'accomplissement de sa mission maître [NG] n'était tenu que d'une obligation de moyen il demeure cependant que l'expert judiciaire a indiqué que les éléments de comparaison entre les originaux décrits par le ZERVOS et les oeuvres qui lui ont été soumises, essentiellement l'épaisseur du trait, qui mettent en évidence le caractère de faux de celles-ci ' ont été perçus sans qu'il soit nécessaire de désencadrer les oeuvres litigieuses'.



Certes l'expert judiciaire a pu aisément former son opinion puisqu'il détenait un élément de comparaison, ce qui ne fut pas le cas de maître [NG] lors de sa prisée.



Mais devant établir l'estimation d'oeuvres apparemment de la main d'un des plus grands peintres du XXème siècle qui bénéficie d'une cote considérable, maître [NG] qui en raison même de sa qualité de commissaire-priseur et donc de professionnel du marché de l'art et qui s'est engagé dans le cadre de sa mission à 'faire sa prisée à sa juste valeur', ne pouvait ainsi se contenter pour donner une estimation des oeuvres litigieuses qui nécessairement impliquait qu'il vérifiât préalablement leur authenticité, d'un examen superficiel et rapide, ainsi que d'un unique certificat établi en 1992, soit quinze ans auparavant, par M. [YC], au demeurant dans des conditions qu'il ignorait complètement.



Il lui appartenait en conséquence au regard des enjeux considérables tant en termes successoraux que fiscaux qui en résultaient pour les héritiers de [GA] [RD] [FF], de procéder à des investigations complémentaires.



Notamment, il aurait pu se rapprocher de la fondation [IV] ce qui lui aurait ainsi permis d'apprendre l'entrée dans les collections publiques des deux mêmes lavis, information essentielle qui ne pouvait que le conduire dès lors à émettre des doutes sur les oeuvres en cause et à tout le moins à procéder alors à leur décadrement et de constater ainsi aisément leur fausseté.



Le simple contrôle visuel auquel il a procédé sur la foi d'un certificat ancien, quelles que soient au demeurant les compétences de M. [YC], était donc nettement insuffisant pour le professionnel qu'il est et constitue une négligence fautive dont il doit répondre.



Sa demande en garantie dirigée à l'encontre de la société ARTCURIAL ne peut prospérer dans la mesure où il a été seul nommément désigné aux termes de l'acte du 25 septembre 2007 pour réaliser la prisée des biens meubles composant l'actif successoral, avec la mention de commissaire-priseur judiciaire ce qui, en tout état de cause, excluait dans l'intention du notaire et de la sienne qu'il ait pu agir en tant que représentant de cette société.



Pas davantage la présence à supposer avérée de deux salariés de la société ARTCURIAL, Mme [QW] et M. [JJ], intervenus dans des conditions indéterminées et dont il n'est pas démontré avec certitude qu'ils ont directement participé à l'estimation des deux oeuvres litigieuses, ne peut être analysée dans ces circonstances comme constituant la mise à disposition par cette société de préposés experts afin d'assister directement maître [NG] dans la mission qui lui avait été spécifiquement dévolue.



Et la présence de M. [JJ] aux opérations d'expertise judiciaire n'en constitue pas davantage la preuve certaine dès lors que la responsabilité de la société ARTCURIAl est également recherchée par Mme [MS] [RD] [FF] au titre de deux estimations en date des 20 juin 2007 et 26 septembre 2011 attribuées à la société ARTCURIAL.



Si maître [NG] n'est pas fondé à obtenir la garantie de la société ARTCURIAL pour sa prisée du 25 septembre 2007 il s'avère également pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d'être exposés, qu'il en est de même en ce qui concerne la demande formée par Mme [MS] [RD] [FF] contre celle-ci.



Maître [NG] doit en conséquence assumer seul les conséquences dommageables de sa faute, la prisée à laquelle il a procédé étant à l'origine de la valorisation de l'actif successoral, des droits fiscaux que les héritiers ont dû acquitter et de la répartition des lots entre eux.



Il vient d'être énoncé que Mme [MS] [RD] [FF] recherche également la responsabilité de la société ARTCURIAL au titre des estimations des deux oeuvres litigieuses que celle-ci a réalisées le 20 juin 2007 puis le 26 septembre 2011.



Le document du 20 juin 2007 s'intitule 'Etat descriptif et estimatif des Tableaux dépendant de la succession de Monsieur [RD] [FF]'.



Contrairement à ce qu'affirme la société ARTCURIAL aucune mention manuscrite attestant du caractère provisoire de l'estimation proposée n'apparaît sur les documents produits aux débats tant par Mme [MS] [RD] [FF] (pièce n°13) que par la société ARTCURIAL (pièce n°6).



Ce document est certes dépourvu de toute signature mais il est établi au nom de la société ARTCURIAL.



Il contient l'estimation de divers tableaux dépendant de la succession de [GA] [RD] [FF] dont les deux lavis litigieux et il est indiqué en sa deuxième page que 'Ces estimations ont été réalisées en fonction des derniers prix obtenus pour des oeuvres de qualité similaire, présentées récemment sur le marché des ventes aux enchères publiques, tant sur le plan national qu'international' . Or cette seule mention implique que les lavis devaient être examinés et donc authentifiés afin que leur cote soit déterminée par rapport au marché pour des oeuvres authentiques de qualité semblable.



Il se déduit dès lors de ces constatations que contrairement à ce que soutient la société ARTCURIAL le travail d'évaluation auquel elle a procédé n'était pas une simple ébauche au caractère provisoire, mais constituait une véritable estimation dont la pertinence impliquait un examen attentif des oeuvres concernées, lequel était aisément réalisable au regard même des hautes compétences revendiquées par cette société.



En effet et particulièrement, celle-ci dans sa publicité fait état des spécialistes et experts dont elle dispose dans tous les départements artistiques .Elle ne pouvait dés lors se limiter à un simple examen visuel mais se devait de procéder aux mêmes investigations que celles que maître [NG] aurait dû entreprendre lors de sa prisée du mois de septembre 2007.



Pour autant cette négligence fautive est sans relation avec le préjudice financier invoqué par Mme [MS] [RD] [FF] lequel résulte exclusivement des estimations erronées données par maître [NG] dans le cadre de l'inventaire successoral lequel est distinct de l'estimation du 20 juin 2007 et dont la conséquence directe a été le règlement de droits fiscaux qui n'étaient pas dus pour des oeuvres dépourvues de toute valeur qui se sont retrouvées dans le lot attribué à Mme [MS] [RD] [FF] lors du partage successoral.



Par ailleurs et dans ces conditions il ne peut être davantage retenu comme constitutif d'un préjudice moral pour Mme [MS] [RD] [FF].



Quant à l'acte du 26 septembre 2011, outre qu'il est également sans lien avec le dommage invoqué par Mme [MS] [RD] [FF] dés lors qu'il est intervenu quatre ans après le partage successoral lequel à cette époque ne pouvait plus être remis en cause en raison de la prescription alors acquise, il s'avère également qu'il ne peut être retenu comme constitutif d'un manquement fautif puisqu'accompli quatre ans après la prisée réalisée par maître [NG] et qu'il n'y avait dés lors, étant au surplus retenu le certificat délivré par M. [YC], aucune raison sérieuse de mettre en doute l'authenticité des oeuvres en cause et de procéder à des investigations complémentaires.



Mme [MS] [RD] [FF] sera ainsi déboutée de ses demandes en indemnisation, tant financières que d'ordre moral, qu'elle présente de ce chef à l'encontre de la société ARTCURIAL.



S'agissant du préjudice financier dont doit donc seul répondre maître [NG] envers Mme [MS] [RD] [FF], c'est à juste titre que se fondant sur le rapport d'expertise judiciaire le tribunal a retenu une somme de 425 010,50 euros.



Mme [MS] [RD] [FF] s'est vue attribuer dans le cadre du partage successoral deux lots donnés pour une valeur de 500 000 euros alors qu'ils n'en avaient aucune et que des droits successoraux ont été acquittés à hauteur de cette valeur, soit la somme de 50 000 euros .



Et contrairement à ce que soutient maître [NG] ce préjudice est entier et ne peut s'analyser en une perte de chance.



En revanche la demande de revalorisation qu'elle forme à hauteur de 114 000 euros au titre de la perte de revenus, correspondant à des intérêts calculés sur la somme de 425 010,50 euros entre le 8 octobre 2007, jour du partage et le 15 mars 2016, ne peut prospérer dés lors qu'il n'est pas certain que Mme [MS] [RD] [FF] aurait procédé à des placements financiers, ni que ceux-ci se soient avérés favorables.



Egalement doit être rejetée sa demande portant sur la perte de plus-value desdites oeuvres dans la mesure où l'absence d'authenticité de celles-ci qui leur est intrinsèque est sans relation avec la faute de maître [NG].



En revanche, compte-tenu de la qualité et de la notoriété de maître [NG], des tracas auxquels elle a été confrontée en raison du caractère erroné de sa prisée, Mme [MS] [RD] [FF] a éprouvé un préjudice moral certain qu'il convient d'évaluer à la somme de 8 000 euros.



Ayant vu son appel en garantie dirigé contre la société ARTCURIAL rejeté, maître [NG] est dés lors recevable à agir sur le fondement de l'action de in rem verso, sans qu'il soit fait échec au caractère subsidiaire de celle-ci, à l'encontre de M. [UT] [RD] [FF], Mme [NN] [RD] [FF], M. [JX] [RD] [FF], Mme [BW] [RD] [FF] et Mme [FM] [RD] [FF].



Pour autant cette action ne peut être accueillie dans la mesure où seule la faute commise par maître [NG], professionnel de l'art intervenant dans le cadre d'une succession importante dont les enjeux financiers et fiscaux requéraient de sa part une attention particulière, est à l'origine de l'appauvrissement qu'il invoque.



Faute de démontrer le caractère abusif de l'action en garantie formée par maître [NG], précisément à l'encontre de M. [UT] [RD] [FF], celui-ci sera débouté de la demande en paiement de dommages intérêts qu'il présente de ce chef.



Il en est de même de la demande en paiement de dommages intérêts présentées par Mme [BW] [RD] [FF] et Mme [FM] [RD] [FF] qui ne démontre nullement le préjudice matériel qu'elles allèguent en relation avec l'appel en garantie formé à leur encontre par maître [NG], ni le préjudice d'ordre moral qu'elles auraient éprouvé en raison de supposées angoisses quotidiennes provoquées par cette demande.



La solution du litige eu égard à l'équité commande de condamner maître [NG] à payer une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile de 6 000 euros à Mme [MS] [RD] [FF] et de 3 000 euros à chacun des autres co-héritiers [RD] [FF].



En revanche les demandes présentées de ce chef par maître [NG] et la société ARTCURIAL ne seront pas accueillies.





PAR CES MOTIFS



Infirme le jugement déféré sauf en ses dispositions sur l'exécution provisoire et les indemnités allouées en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Statuant à nouveau,



Déclare le rapport d'expertise judiciaire opposable à M. [UT] [RD] [FF], Mme [NN] [RD] [FF], M. [JX] [RD] [FF], Mme [BW] [RD] [FF] et Mme [FM] [RD] [FF].



Condamne maître [NG] à payer à Mme [MS] [RD] [FF] les sommes de 425 010,50 euros.en réparation de son préjudice matériel et de 8 000 euros en réparation de son préjudice moral, outre une indemnité de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Déboute Mme [MS] [RD] [FF] du surplus de ses demandes dirigées tant à l'encontre de maître [NG] que de la société ARTCURIAL.



Déclare maître [NG] mal fondé en son appel en garantie dirigé à l'encontre de la société ARTCURIAL et l'en déboute.



Déclare maître [NG] recevable en son appel en garantie dirigé à l'encontre de M. [UT] [RD] [FF], Mme [NN] [RD] [FF], M. [JX] [RD] [FF], Mme [BW] [RD] [FF] et Mme [FM] [RD] [FF] mais le dit mal fondé et l'en déboute.



Déclare M. [UT] [RD] [FF] mal fondé en sa demande en paiement de dommages intérêts pour procédure abusive dirigée à l'encontre de maître [NG] et l'en déboute.



Déclare Mme [BW] [RD] [FF] et Mme [FM] [RD] [FF] mal fondées en leur demande en paiement de dommages intérêts dirigée à l'encontre de maître [NG] et les en déboute.



Condamne maître [NG] à payer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile une indemnité de 6 000 euros à Mme [MS] [RD] [FF] et de 3 000 euros, chacun à M. [UT] [RD] [FF], Mme [NN] [RD] [FF], M. [JX] [RD] [FF], Mme [BW] [RD] [FF] et Mme [FM] [RD] [FF].



Déboute maître [NG] et la société ARTCURIAL de leurs demandes présentées sur le fondement dudit article 700 du code de procédure civile.



Condamne maître [NG] aux dépens dont distraction au profit des avocats qui en ont fait la demande dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile





LE GREFFIER,LE PRESIDENT,

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