2 février 2017
Cour d'appel de Versailles
RG n° 15/01390

3e chambre

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 64B



3e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 02 FEVRIER 2017



R.G. N° 15/01390



AFFAIRE :



[Y], [T] [X]

...



C/



EPIC L'OFFICE NATIONAL DES FORETS

...





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Janvier 2015 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre : 04

N° RG : 12/10055



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :



à :

Me François MANCEL

Me Schéhérazade KHENICHE

Me Mélina PEDROLETTI





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DEUX FEVRIER DEUX MILLE DIX SEPT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



1/ Monsieur [Y], [T] [X]

né le [Date naissance 1] 1993 à [Localité 1] ([Localité 1])

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]



2/ Monsieur [A], [V] [X]

né le [Date naissance 2] 1967 à [Localité 2] ([Localité 1])

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]





3/ Madame [L] [Y] épouse [X]

née le [Date naissance 3] 1965 à [Localité 3] (75)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Ces deux derniers agissant tant leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leur enfant mineur :



[W] [X], né le [Date naissance 4] 2000



4/ Madame [F] [X]

née le [Date naissance 5] 1996 à [Localité 1] ([Localité 1])

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentant : Me François MANCEL, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 326 - N° du dossier 10142/11

Représentant : Me Laurent TOINETTE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0022



APPELANTS



****************



1/ EPIC L'OFFICE NATIONAL DES FORETS

N° SIRET : 662 043 116

[Adresse 2]

[Adresse 3]

représenté par Monsieur [C] [H], chef du département juridique, dûment habilité par décision publiée au Journal Officiel le 27 juillet 2015



Représentant : Me Schéhérazade KHENICHE, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.546

Représentant : Me MINEUR, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, substituant Me Jean-François ROY de la SCP CABINET D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J144



INTIME





2/ CAISSE DE COORDINATION AUX ASSURANCES SOCIALES DE LA RATP (CCAS)

[Adresse 4]

[Adresse 5]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



3/ MUTUELLE DU PERSONNEL DE LA RATP

[Adresse 6]

[Adresse 5]

agissant poursuites et diligences de son Président du Conseil d'Administration domicilié audit siège en cette qualité



4/ La RATP

[Adresse 6]

[Adresse 5]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 - N° du dossier 23086

Représentant : Me Caroline CARRE-PAUPART, Plaidant, avocat au barreau de PARIS



INTIMEES



****************

Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Décembre 2016 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique BOISSELET, Président chargé du rapport, et Madame Françoise BAZET, Conseiller.



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Véronique BOISSELET, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,



Greffier, lors des débats : Madame Maguelone PELLETERET



-------

Le 15 juillet 2010, [Y] [X], 17 ans, qui évoluait en VTT dans la forêt domaniale de Saint Germain a chuté en franchissant une bosse dans un circuit, et est resté tétraplégique.



Par actes des 5 et 7 décembre 2012, [Y] [X], ses parents, M. et Mme [X], à titre personnel et ès qualités de leurs fils mineur [W] et de leur fille mineure [F] (les consorts [X]), ont assigné devant le tribunal de grande instance de Versailles, l'ONF, en présence du CCAS de la RATP, de l'EPIC RATP et de la mutuelle du personnel RATP, afin d'obtenir l'indemnisation des préjudices causés.



Par jugement du 6 janvier 2015, le tribunal de grande instance de Versailles les a déboutés de toutes leurs demandes, et a rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Les consorts [X] en ont relevé appel et demandent à la cour, par dernières écritures du 30 novembre 2014, de :



- dire l'Office national des forêts responsable de l'accident,



- avant-dire droit sur les préjudices, ordonner une expertise,



- déclarer l'arrêt à intervenir opposable à la Caisse de coordination aux assurances sociales de la Régie autonome des transports parisiens, la Mutuelle du personnel de la Régie autonome des transports parisiens et à la Régie autonome des transports parisiens,



- condamner l'Office national des forêts à payer aux appelants la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.



Par dernières conclusions du 29 novembre 2016, l'ONF demande à la cour de :



- à titre principal, confirmer le jugement,



- à titre subsidiaire, dire que M. [Y] [X] a commis une faute, constituant une cause d'exonération totale de sa responsabilité,



- en tout état de cause, condamner in solidum les consorts [X] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, qui comprendront les frais de constats d'huissier de justice exposés par l'ONF.



Par dernières écritures du 21 mai 2015, la caisse de coordination aux assurances sociales de la RATP, la mutuelle du personnel de la RATP et la RATP demandent à la cour de :



- surseoir à statuer en ce qui concerne le chiffrage du montant de la créance de la RATP en sa qualité d'organisme de sécurité sociale, de la CCAS de la RATP, et du montant de la créance de la mutuelle, dans l'attente du rapport d'expertise judiciaire sollicité,





- condamner l'Office National des Forêts à verser à la RATP, en sa qualité de Caisse de Sécurité Sociale, la CCAS de la RATP, et à la Mutuelle du Personnel la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er décembre 2016.






SUR QUOI, LA COUR :



Le tribunal a estimé que, compte tenu des incertitudes existant sur la localisation géographique du circuit clandestin sur lequel a eu lieu l'accident, il ne pouvait être reproché à l'ONF, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, de ne pas avoir détruit ce circuit, ou de ne pas en avoir interdit l'accès. Sur celui de l'article 1384 alinéa 1, l'usage, le contrôle et la direction du circuit ne relevaient plus de l'ONF, mais bien de [Y] [X], qui se trouvait au guidon de son vélo, sur un circuit aménagé par des tiers et dont il connaissait la clandestinité.



Les consorts [X] exposent que l'ONF a commis une faute au sens de l'article 1382 ancien du code civil, en ce que, chargé par l'article L380-1 du code forestier, devenu L. 122-9 et L.122-10 du code forestier, de prendre les mesures nécessaires à la sécurité du public, cet organisme n'a ni fait disparaître le danger, ni même signalisé ce dernier, en interdisant l'accès au circuit. Or en raison de sa proximité avec la voie ferrée, et deux chemins ou routes, l'ONF ne pouvait ignorer sa présence, ne serait-ce que parce qu'il était tenu d'entretenir les abords de la voie ferrée. Par ailleurs la zone faisait partie des zones chassées, notamment pour lutter contre la prolifération des sangliers dans ce secteur. Ils rappellent que l'ONF a reconnu devant le tribunal que, lorsque ses agents découvrent un terrain ainsi illégalement accaparé, ils dressent procès-verbal et détruisent les aménagements réalisés, destructions dont le coût reste modique.



Subsidiairement, ils font valoir que le circuit a été l'instrument du dommage, et que le danger qu'il présentait caractérisait son caractère anormal. Ils contestent que le fait de rouler sur le circuit ait eu pour effet d'en transférer la garde et considèrent qu'il n'existe aucune cause exonératoire, tirée soit de l'acceptation des risques, soit de la faute de la victime, soit de la faute d'un tiers.



L'ONF expose que sa mission d'accueil du public en forêt, qui le conduit à aménager des sentiers, des aires de pique-nique, ou de stationnement, est exclusive des agissements de tiers qui utilisent le milieu forestier pour y pratiquer des sports extrêmes, sans contraintes, ni autorisation, en aménageant des zones éloignées pour y pratiquer leur activité. Ces ouvrages illicites sont détruits lorsque l'ONF en a connaissance, mais la lutte contre ce phénomène est vaine au regard des 24 000 hectares que représentent les massifs forestiers des Yvelines, et de ses moyens humains, soit une quinzaine d'agents patrimoniaux. Il conteste avoir une obligation de surveillance de la forêt, et relève que l'accident s'est produit à l'écart de toute zone aménagée, et sur une parcelle qui n'est pas chassée. Il précise que l'entretien des abords de la voie ferrée incombe aux réseaux ferrés, et que son rôle se limite à des coupes dans les parcelles limitrophes par rotations de 15 ans, et que, s'agissant de la parcelle en cause, cette coupe devait être faite en 2016. En ce qui concerne la chasse, les actions entreprises ne concernent pas l'ONF et sont dévolues à des particuliers qui n'ont aucune raison de l'avertir de la présence d'un circuit clandestin. Il rappelle enfin que la circulation en vélo est interdite en forêt domaniale, hors des chemins de plus de 2,5 m de large, et que cette interdiction est bien connue des adeptes de 'free-ride', ainsi qu'en témoignent leurs sites internet.



Il ajoute que la seule 'chose' dont le mouvement est à l'origine de l'accident est le vélo, dont la victime avait l'usage et le contrôle, et que cette dernière avait également le contrôle de son itinéraire et de son allure, en sorte que sa responsabilité ne saurait non plus être recherchée sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1 ancien du code civil.



Il souligne le caractère exonératoire total de la faute de la victime, qui revêt les caractères exigés d'extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité, de son acceptation des risques, et de la faute des tiers qui ont aménagé ce circuit.



***



Sur la demande fondée sur la faute de l'ONF :



L'ONF est en effet chargé d'une mission d'accueil du public dans les forêts dont il assure la gestion et l'entretien. A ce titre, il aménage des sentiers, pistes cavalières, aires de jeux ou de pique nique, etc... et est en effet débiteur d'une obligation de sécurité en ce qui concerne ces équipements. Néanmoins, alors qu'il est en charge de préserver un espace naturel, fort étendu en l'espèce, puisqu'il n'est pas contesté que les massifs forestiers des Yvelines représentent une surface de 24 000 hectares, il ne saurait répondre des éventuels dangers présents dans les espaces qui ne sont pas spécialement aménagés en vue de l'accueil du public, et qui sont inhérents soit à la nature, soit aux agissements de tiers, tâche qui ne correspond ni à sa mission, ni à ses moyens, puisqu'il n'est pas contesté qu'il ne dispose que d'une quinzaine d'agents de terrain.



En l'espèce, il est constant que le circuit sur lequel a eu lieu l'accident est un circuit 'sauvage', aménagé illégalement dans la forêt par des tiers dans le cadre de leur activité dite de 'free-ride' consistant à franchir avec un VTT des bosses en effectuant des sauts, voire des figures sur un terrain préalablement modelé par leurs soins. S'il pourrait en effet être retenu contre l'ONF une faute pour ne pas avoir détruit un tel aménagement dont il aurait eu connaissance, préjudiciable pour la forêt et dangereux pour ses usagers, et de surcroît incompatible avec la réglementation applicable dans les forêts domaniales, qui exclut l'usage de tout véhicule hors des chemins autorisés, et en particulier des vélos hors des chemins inférieurs à 2,5 m, la preuve formelle que l'ONF, qui le conteste, avait connaissance de l'existence de ce circuit fait en l'espèce défaut.



En effet, il résulte des constats, photos et plans versés aux débats que le lieu de l'accident est à l'écart de toute zone aménagée, n'est pas signalisé, et n'est accessible qu'après plusieurs minutes de marche sur un chemin. La circonstance que ce chemin longe une voie ferrée est indifférente, puisque c'est la société Réseaux ferrés de France qui est en charge de l'entretien des abords immédiats de la voie, l'ONF n'opérant de coupes d'entretien que tous les 15 ans. Le fait qu'à vol d'oiseau le lieu de l'accident ne serait qu'à 300 mètres d'une zone urbanisée, ou encore que la parcelle aurait été comprise dans des périmètres de chasse n'établit pas de façon suffisante que ce circuit ne pouvait être ignoré de l'ONF qui n'est pas tenue d'effectuer périodiquement un quadrillage de l'ensemble des surfaces dont elle assure la gestion et la conservation, et qui n'est d'ailleurs pas en mesure de le faire.



La demande a donc été justement rejetée en ce qu'elle était fondée sur l'article 1382 ancien du code civil.





Sur le responsabilité fondée sur la garde du circuit :



L'article 1384 ancien du code civil en son alinéa 1er dispose que l'on est responsable des dommages causés par les choses que l'on a sous sa garde. Il est cependant de droit constant qu'il incombe à celui qui sollicite la réparation d'un dommage de prouver le rôle causal de la chose dans sa survenue. S'agissant d'une chose inerte, il doit être démontré que la chose a été l'instrument du dommage, c'est à dire qu'elle a participé de façon incontestable et déterminante à la production du préjudice, en raison de son caractère anormal, qui doit receler potentiellement le dommage et ne peut résulter uniquement de sa survenue.



S'il est incontestable que le circuit était en lui-même potentiellement dangereux, à raison de l'absence de sécurisation de ses abords et de l'importance des obstacles créés, c'est bien cette dernière caractéristique qui a été recherchée par la victime, qui s'y est rendue et y a évolué en toute connaissance de son caractère 'sauvage', et en y recherchant précisément des sensations liées à l'importance de son relief, et peut-être aussi à la totale liberté avec laquelle elle pouvait l'utiliser. Il ne peut donc être retenu que le circuit a été l'instrument du dommage, puisque ce dernier ne se serait pas produit sans une démarche volontaire de la victime qui s'y est rendue et y a évolué, en parfaite connaissance de sa configuration, étant en outre rappelé que [Y] [X] était maître de son allure et de son itinéraire. En outre, il résulte du témoignage de son camarade, qui a vu l'accident, d'une part que ce dernier s'est produit alors qu'ils s'apprêtaient à quitter le circuit, après y avoir évolué, ce qui montre que l'accident ne peut être considéré comme inhérent au relief en lui-même, et d'autre part qu'il est dû à un manque de vitesse du vélo de [Y] [X] lorsqu'il a tenté de franchir une ultime bosse, ce qui montre qu'il est lié à une allure inadaptée du cycliste, ou même à sa fatigue à la fin de ses évolutions, et non au relief lui-même. Au demeurant, une chute aux conséquences aussi graves aurait parfaitement pu se produire en dehors d'un circuit, par exemple sur un itinéraire naturellement escarpé, et, sauf à prétendre supprimer de manière drastique de tels lieux sous le prétexte d'une possible utilisation imprudente, la responsabilité de leur gardien ou propriétaire ne se conçoit pas.



Le circuit, qui n'a ainsi joué qu'un rôle passif dans la survenance du dommage, ne peut donc être considéré comme en ayant été l'instrument, et l'accident est exclusivement imputable à l'imprudence fautive de la victime.



Le jugement sera dès lors confirmé sur le rejet des demandes des consorts [X].



Aucune considération d'équité ne justifie l'application en la cause de l'article 700 du code de procédure civile.



Les consorts [X], qui succombent, supporteront les dépens.





PAR CES MOTIFS :



La cour,



Statuant publiquement et par arrêt contradictoire,



Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,



Y ajoutant,



Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamne les consorts [X] aux dépens d'appel.





- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



Le Greffier,Le Président,

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