21 février 2017
Cour d'appel de Versailles
RG n° 16/00354

6e chambre

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES









Code nac : 80C



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 21 FEVRIER 2017



R.G. N° 16/00354



AFFAIRE :



[R] [T]

Madame [O] [I]

Monsieur [S] [M]



C/

SASU SKF FRANCE









Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 08 Janvier 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES

Section : Référé

N° RG : 15/00255





Copies exécutoires délivrées à :



Me David METIN



Me Cécile PAYS





Copies certifiées conformes délivrées à :



[R] [T]



[O] [I]



[S] [M]



SASU SKF FRANCE







le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT ET UN FEVRIER DEUX MILLE DIX SEPT,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant fixé au 31 janvier 2017 puis prorogé au 21 février 2017, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :



Madame [R] [T]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Charlotte CHEVALLIER, avocat au barreau de VERSAILLES,



Madame [O] [I]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Charlotte CHEVALLIER, avocat au barreau de VERSAILLES,



Monsieur [S] [M]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Comparant en personne, assisté de Me Charlotte CHEVALLIER, avocat au barreau de VERSAILLES,





APPELANTS



****************



SASU SKF FRANCE

[Adresse 4]

[Adresse 4]



Représentée par Me Cécile PAYS, avocat au barreau de PARIS,





INTIMEE

****************





Composition de la cour :



L'affaire a été débattue le 29 Novembre 2016, en audience publique, devant la cour composée de :



Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président,

Madame Sylvie BORREL, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Conseiller,



qui en ont délibéré,



Greffier, lors des débats : Madame Mélissa FABRE, greffier en pré-affectation


FAITS ET PROCÉDURE,



Trois salariés de la société SKF, Mmes [T] et [I] dans le 1er collège et M. [M] dans le 3ème collège, s'étaient portés candidats au nom de la CGT pour les élections des délégués du personnel et du comité d'établissement devant se dérouler les 19 novembre et 3 décembre 2015.



Le 16 novembre 2015 la société SKF saisissait le tribunal d'instance de Versailles aux fins d'annulation des candidatures des 3 salariés, estimant qu'ils relevaient du 2ème collège électoral, comme l'avait indiqué la DIRECCTE dans sa décision concernant la répartition du personnel dans les différents collèges.



Cette instance serait toujours en cours.



Par acte d'huissier du 27 novembre 2015, les trois salariés saisissaient ensuite en référé le conseil des prud'hommes de Versailles, car, dans le cadre du litige devant le tribunal d'instance, la société avait communiqué leurs bulletins de paie nominatifs (sans masquer leurs données personnelles), ce qui constituait selon eux une atteinte à la vie privée (loi informatique et libertés)



Entre- temps, les élections se sont déroulées les 19 novembre et 3 décembre 2015.



Par ordonnance de référé en date du 8 janvier 2016, dont les trois salariés ont interjeté appel, le conseil déclarait leur demande recevable, constatait que le trouble manifestement illicite a avait existé mais avait cessé et disait n'y avoir lieu à référé.



En effet, le conseil a constaté que la société avait retiré de son bordereau de pièces les bulletins de paie des trois salariés, tout en adressant un courrier à tous les syndicats (parties devant le tribunal d'instance) le 30 novembre 2015, leur demandant de détruire les bulletins de paie communiqués, de sorte que trouble avait cessé.



Le conseil a estimé que la demande de dommages et intérêts dépassait la compétence du juge des référés et a laissé les parties assumer leurs dépens, sans faire application de l'article 700 du code de procédure civile.




Par écritures soutenues oralement à l'audience du 29 novembre 2016, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, les parties ont conclu ainsi qu'il suit:



Mmes [T] et [I], et M. [M], ci- après les trois salariés, demandent, comme en première instance, la preuve par la société que les bulletins de paie ont bien été détruits par les syndicats (CGT SKF, FO, CFTC, CFE CGC), outre le paiement de la somme provisionnelle de 10 000 € à titre de dommages et intérêts, pour le préjudice subi du fait de la divulgation de données personnelles, et la somme de 800 € par salarié au titre des frais irrépétibles.



La société SKF, ci- après la société, conclut à l'infirmation de l'ordonnance, en ce que le conseil a retenu l'existence d'un trouble manifestement illicite, quand bien même le conseil a jugé que ce trouble avait disparu ; elle prie la cour de se déclarer incompétente en référé et de débouter les salariés de toutes leurs demandes ;



A titre subsidiaire, elle prie la cour de lui donner acte du retrait des trois bulletins de paie produits dans le cadre du contentieux électoral devant le tribunal d'instance et de la confirmation de leur destruction par les syndicats, et de constater en conséquence l'absence de trouble manifestement illicite.





En tout état de cause elle demande le débouté des appelants en leur demande de dommages et intérêts et de les condamner solidairement à lui payer la somme de 1500 € au titre des frais irrépétibles.






MOTIFS



Selon l'article R 1455- 6 du code du travail le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite.



Selon l'article R 1455- 7 du code du travail, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation.



Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite :



Les trois salariés, dont un des bulletins de paie a été transmis, sans leur accord préalable, par la société SKF aux syndicats dans le cadre des élections au sein de l'entreprise et dans le cadre du litige électoral devant le tribunal d'instance, soutiennent que la divulgation d'éléments confidentiels (salaire, âge, adresse personnelle) portés sur leur bulletin de paie leur a causé un préjudice et constitue un trouble manifestement illicite, en ce que cette divulgation a porté atteinte de manière répétée à leur vie privée.



Ils invoquent les dispositions générales sur le respect de la vie privée (article 9 du code civil, article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales) et l'article L.1121-1 du code du travail.



La société soutient que ces bulletins de paie ont été transmis à leur demande dans le cadre de la négociation du protocole préélectoral, et que certaines données (classification, emploi) mentionnées sur les bulletins de paie étaient nécessaires pour déterminer leur répartition dans les différents collèges électoraux, de sorte qu'ils sont mal venus de s'en offusquer.



Par ailleurs, elle fait valoir qu'elle a effectué toutes les démarches afin que ces pièces soient supprimées du dossier du tribunal d'instance et que les syndicats (qui en avaient reçu une copie) les détruisent, aucune preuve n'étant rapportée d'une diffusion plus large.



Elle estime donc que les demandes sont devenues sans objet et que les appelants ne prouvent pas leur préjudice.



Or, il est avéré que, d'une part les bulletins de paie des trois salariés ont bien été transmis à d'autres syndicats que la CGT dans le cadre du protocole d'accord préélectoral et du litige devant le tribunal d'instance, et que d'autre part des données personnelles sont mentionnées sur ces bulletins, tels que l'âge ( par le n°INSEE) le salaire, l'adresse personnelle et la domiciliation bancaire, outre les arrêt- maladies pour deux des trois salariés.



La divulgation de ces données personnelles constitue une atteinte au droit fondamental à la protection des libertés individuelles des citoyens, consacré par la Constitution, la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales et l'article L.1121-1 du code du travail, et en l'espèce il s'agit du droit à la protection de la vie privée des salariés, lesquels n'ont pas consenti à leur divulgation ; la société était tenue de dissimuler ces mentions des bulletins de paie, car seules les mentions de l'emploi et de la classification, voire du coefficient en cas de doute, étaient utiles à transmettre dans le cadre du litige sur la répartition de ces trois salariés dans les collèges électoraux.

Il appartenait à la société, faute d'accord exprès des salariés sur une transmission des bulletins de paie dans leur intégralité, de ne transmettre que les données utiles (emploi, classification, voire coefficient), ce qu'elle n'a pas fait, occasionnant de ce fait une atteinte à la vie privée des salariés, constitutive d'un trouble manifestement illicite.



Toutefois, la preuve de la cessation partielle de ce trouble ressort des éléments produits par la société :

- Le retrait par la société des bulletins de paie du dossier devant le tribunal d'instance, au vu du nouveau bordereau de communication des pièces ;

- les lettres recommandées du 30 novembre 2015 respectivement adressées par la société aux syndicats CFDT, FO et CFE-CGC, aux fins de destruction des bulletins de paie des appelants, demandes qui ont été réitérées par lettres du 21 octobre 2016 ;

- courriel du représentant de la CFE-CGC en date du 10 novembre 2016, indiquant avoir détruit les bulletins dès reception de la lettre du 30 novembre 2015 ;

- courriel du représentant de FO en date du 14 novembre 2016, indiquant avoir détruit les bulletins sans préciser quand.



La cour constate néanmoins qu'aucune réponse du représentant de la CFDT n'a été produite par la société, de sorte que la preuve de la cessation complète du trouble n'est pas rapportée par la société.



Cependant, la société, qui a effectué toutes les diligences possibles pour faire cesser ce trouble, ne peut être comptable de l'absence de réaction du représentant de la CFDT, par ailleurs non mis en cause.



La société, qui ne peut donc rapporter la preuve de l'exécution d'une obligation, la destruction des bulletins de paie, dont elle n'est pas maître, il n'y a pas lieu de lui enjoindre de rapporter la preuve de cette destruction.



Cette demande sera donc rejetée.



Sur la demande en dommages et intérêts et les demandes accessoires:



Le juge des référés peut allouer une provision à valoir sur des dommages et intérêts, lorsque le préjudice allégué n'est pas sérieusement contestable, ce qui est le cas en l'espèce, s'agissant d'une atteinte à la vie privée, qui implique nécessairement un préjudice moral.



Au regard du contexte de l'affaire, de la durée de l'exposition des bulletins de paie dans le cadre du contentieux électoral, et des efforts de la société pour faire cesser pour partie l'atteinte à la vie privée, la cour alloue à chacun des salariés la somme provisionnelle de 1000 € à valoir sur leur demande en dommages et intérêts.



La société devra payer la somme de 800 € à chacun des salariés au titre des frais irrépétibles ; elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.





PAR CES MOTIFS



La Cour, statuant contradictoirement, par arrêt mis à la disposition des parties au greffe :



Infirme l'ordonnance de référé du conseil de prud'hommes de VERSAILLES en date du 8 janvier 2016, et statuant à nouveau,



Constate l'existence d'un trouble manifestement illicite,



Rejette la demande des trois salariés relatives à la preuve de la destruction de leurs bulletins de paie par les syndicats ;



Condamne la société SKF à payer à Mmes [T] et [I], et M. [M], à chacun la somme provisionnelle de 1000 € à valoir sur leur demande en dommages et intérêts, pour l'atteinte à leur vie privée du fait de la divulgation des données personnelles mentionnées sur leur bulletin de paie ;



Condamne la société SKF à leur payer à chacun la somme de 800 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne la société SKF aux dépens de première instance et d'appel.



- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président et par Madame FABRE, Greffier en pré affectation, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





Le GREFFIER, Le PRESIDENT,

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