28 avril 2017
Cour d'appel de Paris
RG n° 13/20737

Pôle 5 - Chambre 11

Texte de la décision

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 11



ARRET DU 28 AVRIL 2017



(n° , 15 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 13/20737



Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Juin 2013 -Tribunal de Commerce de Paris - RG n° 2010082944





APPELANTES





SAS VERIZON FRANCE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 2]

[Adresse 3]

[Localité 1]

N° SIRET : 398 517 169 (Nanterre)



Représentée par Me Estelle RIGAL-ALEXANDRE, avocat au barreau de PARIS, toque : J026

Représentée par Me Hubert MORTEMARD DE BOISSE, avocat au barreau de LYON, toque : 851







INTIMEES



SA ORANGE anciennement dénommée FRANCE TELECOM, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

N° SIRET : 380 129 866 (Paris)



Représentée par Maître Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Représentée par Maître Alexandre LIMBOUR, avocat au barreau de PARIS, toque : L0064









COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Janvier 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :

M. Patrick BIROLLEAU, Président de la chambre,

Mme Michèle LIS SCHAAL, Présidente de chambre, chargée du rapport

M. François THOMAS, Conseiller, désigné par Ordonnance du Premier Président pour compléter la Cour



qui en ont délibéré,



Greffière, lors des débats : Mme Clémentine GLEMET







ARRET :



- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Patrick BIROLLEAU, président et par Mme Patricia DARDAS, greffière à qui la minute a été remise par le magistrat signataire.














Faits et procédure





Le 4 septembre 2008, l'Association française des opérateurs de réseaux et de services de télécommunications (AFORST), association d'opérateurs alternatifs défendant notamment les intérêts de la société Verizon, filiale française de l'opérateur de télécommunications américain Verizon Communications Inc., a adressé à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) une demande d'ouverture d'une procédure de sanction à l'égard de la SA Orange en application des dispositions de l'article L.36-11 du code des postes et des télécommunications électroniques (CPCE) au motif de la prétendue violation, par Orange, de son obligation d'orientation vers les coûts des tarifs de ses offres de gros.



Le 15 juin 2009, les services d'instruction de l'ARCEP ont remis leur rapport aux termes duquel 'les rapporteurs proposent au Directeur général de l'Autorité de constater, conformément à l'article 20 du règlement intérieur de l'Autorité, un non-lieu à poursuivre la procédure à l'encontre de France Télécom sur le fondement de l'article L.36-11du CPCE. Le 17 juin 2009, le Directeur général de l'ARCEP a rendu un non-lieu à poursuivre la procédure, en précisant qu''au vu des éléments de la procédure, il ne subsiste pas d'indice invitant à poursuivre l'instruction concernant la supposé non-respect par la société France Télécom de l'obligation tarifaire qui lui est imposée sur le tarif du départ d' appel à la durée.'. L'AFORST a été déboutée de sa contestation de cette décision portée devant le régulateur puis devant le Conseil d'Etat.



Plusieurs opérateurs, dont la société Verizon France, ont engagé des actions indemnitaires devant les juridictions de l'ordre judiciaire.



Le 10 novembre 2010, la société Verizon France a assigné la société Orange devant le tribunal de commerce de Paris en réparation, à titre principal, de l'intégralité des conséquences dommageables, pour Verizon, des agissements fautifs d'Orange, à la suite de la publication, par Orange, de ses comptes séparés pour l'exercice 2006, dans lesquels elle croyait déceler une surfacturation indue de certaines prestations de nature à causer un préjudice aux opérateurs alternatifs. Elle appuyait sa demande sur les soldes positifs des comptes séparés d' Orange, sur le rapport d'instruction et la décision de non-lieu du Directeur général de l'ARCEP du 17 juin 2009.



Par jugement du 18 juin 2013, le tribunal de commerce de Paris a débouté Verizon de ses demandes d'indemnisation et a condamné Orange à verser à Verizon la somme de 500.000 euros sur le fondement d'un manquement concernant le délai de production des coûts pour l'exercice 2008.

Le tribunal a estimé que « la seule existence d'un écart entre les coûts prévisionnels qui servent à définir les tarifs des offres de gros et les coûts constatés ne suffit à caractériser l'existence d'une attitude fautive et encore moins une violation délibérée de ses obligations réglementaires par FRANCE TELECOM ».



La société Verizon a régulièrement interjeté appel de cette décision le 25 octobre 2013.



Par conclusions d'incident signifiée le 15 février 2016 et le 8 avril 2016, la société Verizon FRANCE a sollicité la nomination d'un expert aux fins d'examen des comptes, l'audition de l'ARCEP en qualité d'amicus curiae et/ou injonction à Orange et à l' ACERP de communiquer certains documents sous certaines modalités et sous le contrôle du conseiller de la mise en état.

Elle soutenait que cette expertise est nécessaire en l'absence d'éléments suffisants pour statuer comme l'a jugé la Cour d'Appel qui a qualifié les contestations de l'ARCEP de « simple indices de la pratique litigieuse et commencement de preuve des pratiques reprochées à Orange, insuffisant en soi pour démontrer le manquement tarifaire de cet opérateur en 2006 et 2007 ».



A titre subsidiaire, la société Verizon sollicitait qu'il soit ordonné à Orange de communiquer les documents permettant de corroborer le constat de l'ARCEP de l'illégalité des tarifs de départ et de terminaison d'appel de 2006 et 2007.



Par ordonnance en date du 12 mai 2016, le magistrat chargé de la mise en état a rejeté les demandes de la société Verizon en retenant que :

- sur la production des pièces par Orange et par l'ARCEP, les pièces demandées n'apparaissaient pas utiles à la résolution du litige, la demande portant sur la production de tous documents et informations apparaissant ainsi trop étendue et trop indéterminée et donc non conforme aux articles 138 et suivants du code de procédure civile ;

- sur l'audition de l' ARCEP, il n'etait pas démontré ce que l'audition de l'ARCEP en qualité d'amicus curiae apporterait à la solution du litige, cette autorité ayant déjà répondu aux questions que Verizon voudrait lui poser ;

- sur la demande d'expertise, il incombait à la société Verizon de démontrer l'utilité et la pertinence des mesures qu'elle sollicite, la société Orange ne pouvant se voir contraindre par un concurrent de rapporter la preuve qu'il recherche sur ce point, ni le rapport d'instruction, ni la décision de non lieu du directeur de l' ARCEP du 17 juin 2009 ne permettant d'établir un indice sérieux de violation d'une obligation imposée à Orange, et le travail de contrôle et de respect des tarifs effectué par l'autorité de régulation ayant donc été suffisant.






Prétentions des parties



La SAS Verizon, par conclusions signifiées par le RPVA le 30 décembre 2016, demande à la Cour de :

- recevoir la société Verizon en ses demandes avant dire droit ;

- constater que la société Orange a commis une faute délictuelle à l'encontre de Verizon, dont elle doit réparer l'intégralité des conséquences dommageables ;

- recevoir en conséquence la société Verizon sur le fond ;

Avant dire droit :

- a minima, ordonner à la société Orange de communiquer le rapport d'instruction des service de l'ARCEP, en version non censurée ;

- à titre complémentaire, convoquer l'ARCEP en qualité d'amicus curiae et les parties à une audition devant la cour d'appel de Paris ;

- renvoyer à telle audience au fond qu'il plaira à la Cour de fixer ;

- le cas échéant, nommer avant dire droit tel expert qu'il lui plaira avec pour mission de :


se faire remettre, sous le contrôle du conseiller de la mise en état, tous documents utiles à la vérification du respect par Orange de ses obligations tarifaires, et en particuliers :

les comptes d'exploitation Produit et extraits de la comptabilité réglementaire d'Orange détaillant, poste par poste, l'affectation de ses coûts et recettes correspondantes, pour les années 2005 à 2008 et pour les marchés et prestations de départ d'appel, terminaison d'appel et VGAST.

les comptes prévisionnels sur ces marchés pour les années 2006 à 2008 ;

la réponse d'Orange au(x) questionnaire(s) des services d'instructions de l' ARCEP et le(s) procès-verbal(aux) d'audition d' Orange par les services d'instruction de l'Autorité ;

le cas échéant, les rapports complets d'audit réalisés sur la comptabilité règlementaire d'Orange pour les années 2006 à 2008 ;

tous documents et informations permettant de vérifier la date à laquelle Orange a constaté ou aurait du constater ' des gains d'effectivité sur ces marchés, la pertinence des clés d'allocation des coûts, des coûts prévisionnels et des Comptes d'Exploitation Produit pour les services soumis à une obligation d'orientation vers les coûts, ainsi que l'allocation de coûts correspondants à ceux d'un opérateur « efficace » au sens de la régulation ;

tous documents et informations permettant d'expliquer l'existence de surmarges dans la comptabilité séparée d'Orange ;

entendre toute personne lui permettant d'accomplir sa mission, et notamment l'ARCEP, s'agissant notamment de la méthodologie utilisée par les rapporteurs pour parvenir au constat d'une surfacturation en 2006 et en 2007 et sur les justifications chiffrées ayant conduit à ce constat ;

déterminer quel aurait dû être le tarif orienté vers les coûts pour les marchés susvisés pour les années 2006 à 2008 ;

vérifier le constat d'une surfacturation tel que relevé dans la décision du 17 juin 2009 ;


- dire que la remise de ces documents devra être faite selon les modalités suivantes, sous le contrôle de la Cour, ou selon toute autre modalité prévue par la Cour pour préserver les intérêts légitimes des deux parties :


engagement préalable écrit des avocats de Verizon et, le cas échéant, d'un expert financier missionné par cette dernière, de ne pas divulguer les documents communiqués par Orange dans le cadre de l'expertise judiciaire à la société Verizon ; cet engagement sera communiqué à la Cour ;

communication des documents et informations par Orange, à titre confidentiel, à l'expert judiciaire, aux avocats de Verizon, et le cas échéant, à l'expert financier mandaté par Verizon ;

définition des modalités aménagées de communication des documents et informations essentiels par la Cour, à la demande d'Orange ou des avocats de Verizon: identification des documents et informations qualifiées d'essentiels, définition des modalités aménagées (occultation de chiffres particulièrement sensibles ou remplacement des chiffres clés par des fourchettes) ;

communication des documents et informations essentiels, modifiés selon les principes définis par la Cour, par les avocats de Verizon à Orange ;


A l'issue d'un délai de 15 jours pour qu'Orange formule ses observations, communication des documents et informations essentiels ainsi modifiés par les avocats de Verizon ;



Sur le fond

A minima :

- infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté Verizon de ses demandes au titre des tarifs d'Orange sur le départ et la terminaison d'appel, pour les années 2006 et 2007 ;

- infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté Verizon de ses demandes au titre du gain manqué du fait de son éviction partielle des marchés de détail par Orange ;

Statuant à nouveau,

- condamner la société Orange à restituer à la société Verizon la somme de 4.787.861 euros, outre les intérêts au taux légal calculés à compter de l'assignation, sauf à parfaire, au titre des surfacturations effectuées par l'opérateur historique sur les marchés de gros départ et de la terminaison d'appel tels que constatées par l'ARCEP dans sa Décision ;

- condamner la société Orange à verser à la société Verizon la somme de 12.925.434 euros, sauf à parfaire, au titre du gain manqué de ce dernier sur les marchés finals de la voix et des services à valeur ajoutée fournis aux entreprises utilisant les services de capacité d'Orange, du fait des agissements fautifs d'Orange ;

Au surplus :

- réformer le jugement entrepris, en ce qu'il a partiellement insuffisamment indemnisé Verizon au titre des tarifs d'Orange sur le départ et la terminaison d'appel pour l'année 2008 ;

- infirmer le jugement entrepris en qu'il a débouté Verizon de ses demandes au titre des tarifs d'Orange sur le transit pour l'année 2006, sur les VGAST pour les années 2007 et 2008 sur les services de capacité de segment terminal de débit inférieur à 10 Mbit/s pour les années 2006 et 2007 ;

Statuant à nouveau,

- condamner la société Orange à restituer à la société Verizon la somme de 23.020.395 euros, sauf à parfaire, au titre des surfacturations effectuées par l'opérateur historique sur les marchés de gros du départ et de la terminaison d'appel en 2008, du transit en 2006 de la VGAST en 2007 et 2008 et des services de capacité en 2006 et 2007 ;

En tout état de cause :

- confirmer la décision pour le surplus ;

- débouter la société Orange de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner la société Orange à payer à la société Verizon la somme de 150.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Orange aux entiers dépens, dont distraction entre les mains de Maître Estelle Rigal-Alexandre, avocat postulant, sur son affirmation de droit, au titre des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



La société Verizon demande à la Cour d'ordonner, avant dire droit, des mesures d'instruction, comme elle les a déjà ordonnées dans l'affaire SFR. Elle souligne qu'elle n'est pas liée par l'ordonnance du 12 mai 2016, qui n'a pas autorité de la chose jugée au principal. Elle demande d'ordonner ces mesures en application des articles 143 et 144 du code de procédure civile. Elle soutient que ses demandes avant dire droit répondent bien aux conditions exigées pour de telles mesures puisque :

- la cour d'appel de Paris a elle-même établi que la décision de 2009 de l'ARCEP, en ce qu'elle mentionne notamment une surfacturation par Orange de 2 % et 15 % en 2006 et 2007, constitue un indice sérieux du manquement d'Orange à ses obligations tarifaires, en la qualifiant de «commencement de preuve des pratiques reprochées à Orange » ;

- les juridictions commerciales et l'ARCEP ont une compétence concurrente en matière de communications électroniques ; ainsi, le pouvoir de sanction de l'ARCEP ne prive pas la cour d'appel de Paris de son pouvoir en matière d'indemnisation des opérateurs clients d'Orange ; il est donc légitime que la cour d'appel puisse disposer des éléments chiffrés permettant de vérifier le commencement de preuve des pratiques d'Orange tel que constaté par l'ARCEP, comme elle le rappelait en mentionnant une obligation de «contrôle minimum de sa véracité » ; les mesures demandées par Verizon sont donc utiles ;

- s'agissant du caractère confidentiel des données dont Verizon demande la production forcée, outre leur caractère particulièrement ancien qui justifie que ceux-ci peuvent être communiqués sans préjudice pour Orange, Verizon propose une méthodologie permettant de préserver les intérêts de la défenderesse, ou toute autre méthodologie que la Cour jugerait opportune.



La société Verizon soutient que ces demandes n'emporteraient pas de 'difficultés matérielles certaines' comme mises en évidence par la cour d'appel elle même dans l'arrêt SFR, puisqu'il existe des indices sérieux du manquement d'Orange caractérisant le motif légitime d'accès à ces documents, et ce sauf à considérer une 'impossibilité absolue de prouver ces pratiques' comme formulé dans l'arrêt SFR, ou à considérer être suffisamment éclairée par la décision ou la reconnaissance en audience de première instance par Orange des 2 et 15 % de surfacturation.



La société Verizon fait valoir que le refus de faire droit à ses demandes avant dire droit porte atteinte au principe d'effectivité du droit de l'Union en ce qu'elle exclut toute balance entre les intérêts légitime de la société Verizon et le secret des affaires :

- d'une part, le secret des affaires ne peut justifier le refus d'ordonner communication de cette pièce, particulièrement détaillée quant aux données chiffrées et à la méthodologie



employées pour parvenir à la conclusion d'une surfacturation de 2 % en 2006 et de 15 % en 2007 ; cette pièce, déterminante selon la cour d'appel pour corroborer les constatations de l'ARCEP et lui permettre d'exercer son pouvoir de contrôle de sa véracité (pièce n°29), est donc fondamentale pour éclairer la Cour en l'espèce ; sa communication relève donc de l'intérêt légitime pour Verizon au respect de son droit à bénéficier de tarifs permettant une concurrence réelle et l'atteinte aux éventuels secret des affaires d'Orange serait donc particulièrement justifiée ;

- d'autre part, les données occultées en cause sont particulièrement anciennes, au regard notamment de la notion de secret des affaires telle qu'adoptée uniformément par les autorités de concurrence, dont les juridictions judiciaires peuvent s'inspirer, d'autant plus dans un litige visant à garantir une concurrence ex ante.



La société Verizon soutient que le refus de faire droit à ces mesures d'instruction constituerait un obstacle à l'efficacité de la régulation sectorielle et au droit communautaire. Elle prétend que l'effectivité de la régulation sectorielle incombe également au juge judiciaire qui a la charge des demandes d'indemnisation des opérateurs sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil relatif à la responsabilité délictuelle, et qu'en la matière, l'ARCEP et les juridictions commerciales disposent d'une compétence concurrente (voir en ce sens la décision du Conseil constitutionnel DC du 23 juillet 1996, décision de l'ARCEP du 17 juin 2009 confirmée par le Conseil d'Etat le 4 juillet 2012).



Elle indique également que cette compétence du juge en la matière ressort des directives communautaires visant à la libéralisation des communications électroniques dont le CPCE français est la transposition et dont les juridictions civiles doivent préserver l'effectivité : notamment les deux directives 2002/21/CE dite 'directive cadre' et la directive 2002/19/CE dite directive 'd'accès' qui encadrent l'obligation d'orientation vers les coûts imposée à Orange par l'ARCEP sur le départ et la terminaison d'appel pour 2006 et 2007, transposée en droit interne par la loi n°2004-669 du 9 juillet 2004.



La société Verizon expose en outre que le principe d'effectivité du droit communautaire interdit aux États membres de rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne. L'atteinte à l'effectivité du droit de l'Union, du droit de la régulation sectorielle et de la concurrence, et du droit de la responsabilité délictuelle serait en revanche bel et bien caractérisée si la Cour ne faisait pas droit à l'une ou l'autre des demandes de mesures d'instruction de Verizon, après avoir constaté qu'elle ne disposait pas d'éléments suffisants pour statuer.



La société Verizon soutient que le principe d'équivalence ne permet pas aux juridictions civiles de conditionner la réparation d'une faute délictuelle à un constat préalable 'clair, dépourvu d'ambiguïté et étayé' de faute réglementaire de la société Orange par l'ARCEP, dès lors que les juridictions civiles ont elles-mêmes les moyens d'obtenir les preuves auxquelles les opérateurs alternatifs ne peuvent avoir accès devant l'ARCEP. Une telle condition, qui n'est pas fondée textuellement, serait notamment susceptible de constituer une mesure moins favorable que le droit commun pour les opérateurs victimes de tarifs non-orientés vers les coûts, et serait susceptible de constituer une atteinte au principe d'équivalence du droit communautaire et du droit national.



La société Verizon soutient que le rejet des mesures d'instruction sollicitées ferait obstacle à l'exercice effectif des droits des opérateurs alternatifs à disposer de tarifs orientés vers les coûts, en rendant ainsi impossible, pour les opérateurs, le respect de leurs droits, selon les propres standards de preuve, empêchant ainsi la Cour d'exercer le contrôle minimum de la véracité des constatations de l'ARCEP, ce qui porterait atteinte au droit de la société Verizon de demander réparation du préjudice subi sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil.





Sur le fond



La société Verizon soutient que la violation, par Orange, de ses obligations réglementaires constitue une faute délictuelle et que son préjudice porte sur la période litigieuse couverte allant de 2006 à 2008.



A titre liminaire, la société Verizon expose que la compétence ratione materiae des juridictions commerciales pour constater la faute délictuelle d'Orange et réparer le préjudice de Verizon n'est pas contestable puisqu'aux termes de l'article L.721-3 du code de commerce, le tribunal de commerce dispose d'une compétence exclusive pour trancher les litiges entre commerçants ou sociétés, qu'ils aient une origine contractuelle ou délictuelle. Les juridictions commerciales sont également compétentes pour sanctionner les fautes délictuelles sur le fondement de l'ancien article 1382 du code civil, mais aussi annuler les clauses contractuelles anticoncurrentielles comme le prévoit l'article L.420-3 du code de commerce. Elle soutient qu'en conséquence, les juridictions commerciales sont compétentes pour vérifier la comptabilité réglementaire d'Orange au regard de ses obligations tarifaires. Saisie de demandes avant dire droit lui permettant d'accéder à des données chiffrées, voire à la comptabilité réglementaire d'Orange, auxquelles Verizon ne peut avoir accès par un autre moyen, la Cour est donc tenue d'examiner l'entier litige et de statuer sur les éventuels manquements d'Orange, sans subordonner une condamnation à un constat préalable de l'Autorité de régulation.



La société Verizon soutient également que la surfacturation opérée par la société Orange en violation de ses obligations réglementaires constitue une faute délictuelle de concurrence déloyale à son encontre, au sens des articles 1382 et 1383 anciens du code civil. Elle considère que le fait pour une entreprise de s'affranchir des contraintes induites par la réglementation économique leur confère un avantage indu au détriment de leurs concurrents, et qu'ainsi, la décision de l'Autorité, confirmée par le Conseil d'Etat, constatant le manquement d'Orange à ses obligations, constitue une preuve de sa faute délictuelle. Orange est donc tenue de réparer l'ensemble des conséquences subies par Verizon en restituant les sommes facturées en violation des obligations tarifaires d'Orange, sur l'ensemble de la période visée.



La société Verizon précise que tant la décision du 17 juin 2009 que le rapport d'instruction, établissent à suffisance de droit, les manquement d'Orange sur la surfacturation de 2 % et 15 % et ne peuvent être considérés comme de simple 'indices' du manquement d'Orange, et doivent ainsi être considérées comme des constats clair et précis desdits manquement ayant une force probante certaine et suffisante.



La société Verizon invoque l'absence de pertinence des contestations non contradictoires de l'analyse des rapporteurs par Orange. Cette dernière ne peut débattre des chiffres confidentiels du Rapport, dont elle a seule connaissance, sans permettre à Verizon de disposer des éléments critiqués ni des prétendus éléments probants, sauf à violer les principes du contradictoire et d'égalité des armes. Or, Orange le fait en l'espèce, puisqu'elle conteste les surfacturations ayant permis de réaliser des gains de productivité sur les coûts du personnel en alléguant qu'elle ne pouvait anticiper les baisses de personnels liés à ses plans 'TOP' et 'NEXT' de 2002 à 2008 en ne citant à cet égard qu'un simple article de presse et un rapport qu'elle a elle-même commandité, et ce sans produire les lignes y afférentes à sa comptabilité.



La société Verizon soutient que la société Orange n'a répercuté aucun gain d'efficience sur les tarifs pour 2007, malgré les évolutions voulues et constatées dans l'entreprise depuis 2005, ce qui constitue en soi un indice du manquement à l'obligation d'orientation vers les coûts. De surcroît, Orange n'avait aucune obligation d'attendre la fin de l'audit de ses coûts pour ajuster ses tarifs, comme le montre la baisse effectuée en mai 2009 sur des coûts encourus en 2009, et ce alors même que par hypothèse, ni l'audit des comptes réglementaires de 2009, ni même des comptes réglementaires de 2008, n'avait alors pas été effectués. Orange aurait pu ajuster ses tarifs sur la base d'un ajustement des coûts prévisionnels compte tenu de la connaissance acquise des gains de productivité.



La société Verizon souhaite donc que la société Orange répare l'entier préjudice subi, et a minima la surfacturation de 2 % et 15 % sur le départ et la terminaison d'appel, au titre tant de la perte subie que du gain manqué du fait de son éviction partielle des marchés de détail par Orange. Verizon a en effet été évincée de certains marchés de détail du fait des tarifs de gros d'Orange trop élevés ne lui permettant pas de proposer aux entreprises, ses principaux clients, d'offres compétitives en termes de prix. Elle a donc subi un préjudice certain : sur le marché global de détail de la voix (départ et terminaison d'appel fixe) ; sur le marché final des services de liaisons louées et des réseaux privés de transport de données fournis aux entreprises utilisant des services de capacité (marché de données) pour l'accès aux sites clients. L'analyse de l'évolution du chiffre d'affaires de Verizon sur ses 50 clients les plus importants (85 % de son chiffre d'affaires sur les services de détail) atteste ainsi d'une perte de compétitivité certaine sur ses offres de voix et sur les services de données au niveau national, tandis que le chiffre d'affaires sur les données internationales continue de croître alors-même que Verizon n'a entrepris aucun changement de stratégie pendant la période analysée.





La SA Orange, par conclusions signifiées le 23 décembre 2016, demande à la Cour de :

- débouter Verizon de ses demandes formées à titre incident et d'ores et déjà rejetées par le magistrat chargé de la mise en état de la Cour de céans aux termes de son ordonnance du 12 mai 2016 ;

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté Verizon de ses demandes;

- infirmer le jugement entrepris pour avoir statué ultra petita ;

- dire la société Verizon FRANCE irrecevable en ses demandes nouvellement formées devant la Cour et l'en débouter intégralement ;

- dire la société Verizon FRANCE mal fondée en l'ensemble de ses demandes et l'en débouter intégralement ;

- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné Orange au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Verizon FRANCE à verser à la société Orange la somme de 100.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.





Sur les demandes incidentes



Orange s'attache à démontrer que Verizon n'apporte pas la démonstration d'une quelconque faute de sa part à ses obligations tarifaires, et ce en méconnaissance des principes généraux du droit de la preuve.



Elle indique que, si Verizon invoque 'le principe d'équivalence du droit communautaire' et prétend que celui-ci 'ne permet pas aux juridictions civiles de conditionner la réparation d'une faute délictuelle à un constat préalable de faute réglementaire par l'ARCEP', il s'agit là d'une interprétation sciemment erronée des termes de l'arrêt du 4 décembre 2015, que la Cour n'a aucunement conditionné 'la réparation d'une faute délictuelle à un constat préalable de faute réglementaire par l'ARCEP', qu'elle n'a d'ailleurs jamais posé un quelconque préalable, la Cour, rappelant les standards élémentaires en matière de preuve, et ayant simplement considéré qu'au cas d'espèce, les faits invoqués par SFR à l'appui du prétendu manquement d'Orange relevaient de l'hypothétique.



Elle ajoute que, si Verizon prétend que 'l'atteinte à l'effectivité du droit de l'Union, du droit de la régulation sectorielle et de la concurrence, et du droit de la responsabilité délictuelle serait caractérisée si la Cour ne faisait pas droit à l'une ou l'autre des demandes de mesures d'instruction de Verizon, après avoir constaté qu'elle ne disposait pas d'éléments suffisants pour statuer. Refuser de prendre les mesures nécessaires pour trancher le présent litige ne permettrait pas aux opérateurs alternatifs d'obtenir le respect de leur droit à un tarif orienté vers les coûts », les mesures d'instruction n'ont pas pour objet de pallier la carence d'une partie dans l'administration de la preuve. En effet, si l'article 10 du code de procédure civile énonce de façon fort générale que 'le juge a le pouvoir d'ordonner d'office toutes les mesures d'instruction légalement admissibles', ce pouvoir n'est 'ni illimité, ni inconditionnel, et n'a pas pour objet de suppléer la carence probatoire du demandeur'.



Les demandes incidentes formées par Verizon sont manifestement dépourvues d'utilité et de pertinence au regard des critères posés par la jurisprudence, dès lors que le respect par Orange des obligations tarifaires qui lui incombent fait l'objet d'un strict contrôle de la part de l'Autorité de régulation. En effet, le système de comptabilisation des coûts d'Orange est audité annuellement, comme le prévoient les textes précités et comme le prouvent les attestations de conformité de ses comptes publiées par l'ARCEP pour chacune des années concernées.



Sur l'existence d'un empêchement légitime et sur le secret des affaires attachés aux éléments dont Verizon sollicite la production forcée, les demandes de Verizon doivent nécessairement être rejetées ; elles portent en effet atteinte au secret des affaires et ne sont justifiées par aucun indice sérieux de manquement d'Orange à ses obligations réglementaires. Verizon ne démontre pas plus leur utilité, ni leur pertinence.





Sur la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société Verizon



Sur la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle récuse 'les conclusions de surfacturation tirées par Verizon de l'analyse des comptes séparés' : Verizon, pour démontrer « l'existence d'un manquement [d'Orange] à ses obligations réglementaires », s'appuie d'une part, sur « les comptes séparés publiés par [Orange] pour 2006 et 2007 » et d'autre part, sur « la décision de l'ARCEP » du 17 juin 2009. Or, et ainsi que cela a été jugé aux termes de la décision entreprise et récemment confirmé par la Cour de céans le 4 décembre 2015, aucun constat de manquement ne saurait être tiré des comptes séparés d'Orange, pas plus que de la décision de non-lieu du Directeur général de l'ARCEP du 17 juin 2009. Aussi, à défaut de disposer du moindre élément de preuve du prétendu manquement d'Orange à ses obligations tarifaires, Verizon sera déboutée de l'ensemble de ses demandes indemnitaires.



Sur la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a débouté Verizon de l'intégralité de ses demandes d'indemnisation : Orange conteste le caractère litigieux des tarifs, mais également le lien de causalité entre la prétendue surfacturation imposée et la prétendue éviction du marché invoquée sommairement par Verizon qui n'est pas en l'espèce caractérisée.



Sur la réformation de la décision entreprise en ce qu'elle a statué ultra petita : dans son jugement du 18 juin 2013, le tribunal de commerce a, en méconnaissance des dispositions de l'article 4 du code de procédure civile, modifié l'objet du litige et statué ultra petita, d'une part, en sanctionnant Orange sur le fondement d'un manquement qui n'avait jamais été soulevé par Verizon ni débattu par les parties, d'autre part, en condamnant Orange à raison d'un exercice qui n'était pas visé dans les demandes.






SUR CE





Sur les demandes avant-dire droit de mesures d'instruction



Considérant que l'article 1315 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que 'celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.' ; que, conformément à l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ;

Considérant que les mesures sollicitées par Verizon (expertise judiciaire aux fins d'examen des comptes et des clés d'allocation choisies, communications des pièces sous certaines conditions, dont le rapport d'instruction en version non expurgée, audition de l'ARCEP en qualité d'amicus curiae...), fondées sur les articles 143 et 144 du code de procédure civile, supposent la réunion de trois critères :

- l'existence d'indices sérieux d'un manquement ;

- l'utilité et la pertinence des mesures et des pièces sollicitées ;

- l'absence d'un empêchement légitime ;





Sur l'existence d'indices sérieux d'un manquement d'Orange



Considérant que Verizon soutient que, dans sa décision du 4 décembre 2015, la Cour de céans a elle-même établi que la décision de non-lieu en date du 17 juin 2009 de l'ARCEP, en ce qu'elle fait notamment référence à une surfacturation par Orange de 2 % et 15 % en 2006 et 2007, constitue un indice sérieux du manquement d'Orange à ses obligations tarifaires, en la qualifiant de 'commencement de preuve des pratiques reprochées à Orange' ;



Mais considérant que l'arrêt du 4 décembre 2015 ajoute : 'ce simple constat, non circonstancié et non étayé, ne saurait, en soi, démontrer l'illégalité des tarifs 2006-2007' ; que le constat opéré résulte de l'instruction préalable à la décision de non-lieu : 'l'instruction a établi que, par le passé, la société France Télécom n'a pas intégré suffisamment dans ses tarifs de départ d'appel les effets des gains de productivité et des modifications des méthodes d'allocations des coûts. Ainsi, il ressort de l'instruction que les tarifs de départ d'appel auraient dû être inférieurs à ceux pratiqués de 2 % en 2006 et de 15 % en 2007' ; que l'arrêt précité retient : 'rien dans la décision (de non-lieu de l'ARCEP) ne corrobore cette phrase', le directeur de l'ARCEP estimant qu'il ne subsistait pas 'd'indice invitant à poursuivre l'instruction concernant le supposé non-respect par la société France Télécom de l'obligation tarifaire qui lui est imposée...' ; que 'le rapport d'instruction ne saurait davantage être admis comme preuve des manquements allégués', 'aucun constat clair non équivoque de manquement pour 2006 et 2007 ne résulte de l'annexe jointe à ce rapport' ; que la Cour précise : 'les prétendues constatations de l'ARCEP, présentée par la société SFR comme le deuxième indice, ne constituent en réalité qu'un constat non détaillé, non circonstancié et dépourvu de qualification juridique. Non dépourvues d'ambiguïté, elles peuvent tout au plus constituer un simple indice de la pratique litigieuse, et non une preuve. Ne subsiste en définitive, que le deuxième indice qui ne constitue qu'un commencement de preuve des pratiques reprochées à Orange, insuffisant en soi pour démontrer le manquement tarifaire de cet opérateur en 2006 et 2007.' ; qu'en conséquence, Verizon échoue à démontrer que le rapport d'instruction de l'ARCEP a établi un manquement d'Orange, la simple phrase mise en exergue par Verizon pour étayer ses allégations ne constituant pas un indice sérieux d'un manquement ;





Sur l'utilité et la pertinence des mesures sollicitées



Considérant que Verizon soutient, par ailleurs, que les juridictions commerciales ont une compétence concurrente en matière de communications électroniques et sollicite de la Cour que soit confié à un expert judiciaire le soin de procéder à l'analyse de la comptabilité réglementaire d'Orange aux fins de vérification du respect de ses obligations tarifaires ; qu'en fait, Verizon demande qu'il soit procédé à une nouvelle analyse de l'entière comptabilité d'Orange ;



Considérant que, si le pouvoir de sanction de l'ARCEP ne prive pas la présente juridiction de son pouvoir en matière d'indemnisation des opérateurs clients d'Orange, encore faut-il que l'opérateur ait établi un manquement d'Orange qui aurait été préalablement qualifié par l'Autorité de régulation, seule compétente pour procéder à des contrôles de l'entière comptabilité réglementaire d'Orange ; qu'en l'espèce, ce supposé manquement n'a jamais été qualifié par l'ARCEP ;

Qu'ainsi que l'a retenu la Cour dans son arrêt du 4 décembre 2014, 'la vérification des obligations tarifaires d'Orange ne pouvait utilement être exercée que par l'ARCEP', reprenant la position de la Cour d' appel de céans dans son arrêt du 20 mai 2014 (dans l'instance opposant Orange à BRITISH TELECOM) qui a rappelé : ' ( ') qu'en application de ces dispositions (article D 312-III du CPCE), Orange n'a l'obligation de communiquer ses comptes réglementaires qu'à l'ARCEP, autorité de régulation qui a pour mission de publier annuellement une attestation de conformité des comptes et de sélectionner les données qui peuvent être rendues publiques ; ( ') que de ces dispositions, il résulte que la loi a entendu limiter l'accès aux comptes réglementaires d'Orange et en préserver la confidentialité, ce dont se déduit nécessairement que leur publicité présenterait un risque d'atteinte au secret des affaires ; ( ') qu'il résulte de ces développements que la société BT France, à laquelle incombe de démontrer l'utilité et la pertinence de la mesure d' expertise qu'elle sollicite, Orange ne pouvant se voir contrainte par un concurrent de rapporter la preuve qu'il recherche sur ce point, n'apporte pas d'indices sérieux d'une violation des obligations imposées à l'intimée, ni ne justifie que le contrôle de l'autorité de régulation est insuffisant.' ; que l'ARCEP, en charge du contrôle et du respect des tarifs, veille à la loyauté et à l'équilibre de la tarification des opérateurs, a la possibilité de sanctionner les manquements en application de l'article L.36-11 du CPCE et a, en outre, pour mission de publier annuellement une attestation de conformité des comptes et de sélectionner les données qui peuvent être rendues publiques ; que la demande de contre-expertise du travail réalisé par l' ARCEP ne saurait aboutir, faute pour Verizon de démontrer que ce travail aurait été insuffisant ;





Sur l'absence d'empêchement légitime



Considérant que Verizon a proposé, pour rendre cette expertise possible, une méthodologie permettant, selon elle, de préserver les intérêts d'Orange ;



Considérant qu'en l'espèce, la loi a entendu limiter l'accès aux comptes réglementaires d'Orange et en préserver la confidentialité, leur publicité présentant un risque d'atteinte au secret des affaires ; que, si ledit secret n'est pas absolu et ne constitue pas en soi un obstacle à une mesure d'instruction, seul un motif légitime justifie qu'il y soit porté atteinte, motif légitime que Verizon n'établit pas en l'espèce ; que l'expertise sollicitée par Verizon, en dépit des aménagements proposés et de l'ancienneté des données (en l'occurence non démontrée en ce qui concerne les coûts des réseaux qui sont amortis sur des durées très longues), porterait atteinte au secret des affaires et mettrait immanquablement Verizon en possession de données de la société Orange relevant d'un tel secret ; qu'il ne saurait donc être fait droit à la demande d'expertise ;



Considérant que les conditions nécessaires pour ordonner les mesures d'instruction sollicitées ne sont pas réunies ; qu'au surplus, l'article 146 du code de procédure civile ne permet pas d'ordonner une mesure d'instruction en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve, cette disposition ni ne portant atteinte au principe d'effectivité du droit de l'Union européenne, ni ne faisant obstacle à l'efficacité de la régulation sectorielle et au droit communautaire, ni ne contrevenant aux directives communautaires visant à la libéralisation des communications électroniques, ni ne rendant impossible l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union ; qu'il convient en conséquence de débouter Verizon de ses demandes de ce chef ;





SUR LE FOND





Sur les comportements fautifs d'Orange



Considérant que l'article 1353 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, dispose que 'les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l' acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol.' ;



Considérant que la société Verizon soutient qu'Orange a violé ses obligations réglementaires au regard de ses obligations tarifaires et que cette violation constitue une faute délictuelle sur le fondement de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, et de l'article L.420-3 du code de commerce, violation consistant en une surfacturation fautive qui lui aurait porté préjudice ; qu'elle sollicite principalement le remboursement des facturations excessives opérées par Orange à son détriment sur les marchés de gros soumis à une obligation d'orientation vers les coûts, pour les exercices 2006 à 2008, et à la réparation des gains manqués subis en raison de cette faute ;



Que la preuve de cette surfacturation résulte, selon Verizon, du rapport d'instruction de l'Autorité de régulation saisie par un courrier du 4 septembre 2008 de l'Association française des opérateurs de réseaux et de services de télécommunications (AFORST) sollicitant le prononcé d'une sanction à l'encontre de la société France Télécom à la suite de la publication, par la société France Télécom, de ses comptes séparés pour l'année 2006 qui relève ' (') qu'avant le 28 mai 2009, la société France Télécom fondait son tarif de départ d' appel pour les années 2006 à 2009 sur l'unique base de ses coûts prévisonnels audités. Par le passé, la société France Télécom n'a pas intégré suffisamment dans ses tarifs de départ d' appel les effets des gains de productivité et des modifications des méthodes d'allocations des coûts. Ainsi, il ressort de l'instruction que les tarifs de départ d'appel auraient dû être inférieurs à ceux pratiqués de 2 % en 2006 et de 15 % en 2007' ; qu'elle soutient également qu'il résulte de la publication des comptes séparés d'Orange pour les années 2006 et 2007 l'existence nécessairement fautive de soldes positifs de plusieurs centaines de millions d'euros par rapport aux coûts prévisionnels ; qu'elle estime qu'Orange n'a répercuté aucun gain d'efficience sur les tarifs pour 2007, ce qui constitue en soi un indice du manquement à l'obligation d'orientation vers les coûts, que son préjudice est constitué a minima de la surfacturation sus-visée sur le départ et la terminaison d'appel ainsi que de la perte subie et du gain manqué du fait de son éviction partielle des marchés de détail par Orange ;



Considérant qu'aux termes de plusieurs décisions de 2005 et 2006, l'ARCEP a désigné la société France Telecom (devenue Orange) comme opérateur exerçant une influence significative sur le marché de la téléphonie et lui a imposé certaines obligations tarifaires consistant :

- dans l'obligation d'orientation des tarifs vers les coûts, ce qui implique que les tarifs des offres doivent être égaux aux coûts encourus directement ou indirectement par Orange pour fournir ces prestations ;

- dans l'obligation de non-éviction, consistant à ne pas pratiquer des offres qui évincent ses concurrents et à laisser à ceux-ci un espace économique leur permettant de commercialiser des offres aussi attractives que les siennes ;



Que le rapport d'instruction sus-visé, sur lequel repose les allégations de Verizon, a donné lieu à la décision de non-lieu du directeur général de l'ARCEP du 17 juin 2009, conforme aux conclusions du rapport d'instruction qui indique ' qu'il ne subsiste pas d'indice invitant à poursuivre l'instruction concernant le supposé non- respect par la société France Télécom de l'obligation tarifaire qui lui est imposée sur le tarif du départ d'appel à la durée.' ; que cette décision a été confirmée par le Conseil d'Etat par arrêt du 4 juillet 2012 ;



Que, dans sa décision du 4 décembre 2015, dont la motivation peut être reprise, la Cour d'appel de céans, dans un litige opposant SFR à Orange écrit: 'ce simple constat, non circonstancié et non étayé, ne saurait, en soi, démontrer l'illégalité des tarifs 2006-2007' ; que ce simple constat résulte de l'instruction qui a abouti au non-lieu aux termes duquel: 'l'instruction a établi que par le passé, la société France Télécom n'a pas intégré suffisamment dans ses tarifs de départ d'appel les effets des gains de productivité et des modifications des méthodes d'allocations des coûts. Ainsi, il ressort de l'instruction que les tarifs de départ d'appel auraient dû être inférieurs à ceux pratiqués de 2% en 2006 et de 15% en 2007' ; qu'ainsi que le souligne l' arrêt précité, 'Or, rien dans la décision (de non-lieu de l' ARCEP) ne corrobore cette phrase ', le directeur de l'ARCEP estimant qu'il ne subsistait pas 'd'indice invitant à poursuivre l'instruction concernant le supposé non-respect par la société France Télécom de l'obligation tarifaire qui lui est imposée...' ; que, comme continue la Cour, ' le rapport d'instruction ne saurait davantage être admis comme preuve des manquements allégués', 'aucun constat clair non équivoque de manquement pour 2006 et 2007 ne résulte de cette annexe.' ; qu'en effet, les rapporteurs ont souligné qu'un décalage entre les coûts anticipés ex ante et les coûts constatés ex post ne démontre pas, en soi, l'existence d'une faute de France Télécom ; qu'ainsi, ce constat non étayé ne saurait constituer une présomption grave, précise et concordante valant preuve au sens de l'article 1353 ancien du code civil ; que c'est en raison de cette absence d'établissement non équivoque d'un manquement de la part d'Orange que Verizon a demandé, trois ans après avoir interjeté appel et un mois avant la clôture de l'affaire, des mesures d'instruction qui ont été refusées par le magistrat en charge de la mise en état dans son ordonnance du 12 mai 2016 et sollicite à nouveau ces mesures devant la présente Cour ;



Qu'en outre, le rapport et son annexe n'ayant pas été soumis au principe du contradictoire en application de l'article 23 du règlement intérieur de l'ARCEP, qui stipule que la personne mise en cause ne peut accéder à l'ensemble des pièces du dossier qu'à la réception de la notification des griefs, cette hypothèse retenue par les rapporteurs n'a pû être contredite par Orange qui n'a pas eu connaissance de ce rapport pendant la procédure devant l'ARCEP ; qu'il convient de souligner qu'en cas de manquement constaté, l'Autorité de régulation dispose d'un pouvoir de sanction en application de l'article L.36-11 du CPCE après avoir respecté la procédure de notification préalable des griefs qui permet une procédure contradictoire ; qu'ainsi, le rapport d'instruction ne peut en aucun cas constituer un constat de manquement ;



Considérant, en outre, que l'obligation de séparation comptable à la charge de l'opérateur a pour objet de vérifier l'absence de subventions croisées entre activités séparées ; que la circonstance que ces comptes montrent un solde positif ne démontre pas que des surfacturations fautives par rapport à l'obligation d' orientation vers les coûts auraient été pratiquées ; que la seule existence d'un écart entre les coûts prévisionnels qui servent à définir les tarifs des offres de gros et les coûts constatés ne peut suffire à caractériser l'existence d'une attitude fautive et encore moins une violation délibérée de ses obligations réglementaires par FRANCE TELECOM, en raison de la difficulté d'établir des comptes prévisionnels aussi proches que possible de la réalité, tenant compte de prévision sur les volumes de trafic et sur les coûts prévisionnels intégrant des prévisions de gains de productivité ; qu'en effet, le solde de ces comptes englobe un certain nombre de prestations qui ne sont pas soumises à l'obligation d'orientation vers les coûts ; que selon l'ARCEP, les soldes des comptes séparés englobent un certain nombre de prestations qui ne sont soumises à aucune obligation tarifaire ;



Que les tarifs sont établis de la manière suivante : '( ...) à partir du modèle réglementaire sur la base des coûts prévisionnels, qui doivent être établis de bonne foi et tenir compte de l'ensemble des informations disponibles à leur date d' élaboration, en particulier des comptes établis et audités (') Les tarifs obtenus reposent donc sur le meilleur jeu d'hypothèses prévisibles et intègrent notamment des gains d'efficience évalués ex ante. Compte tenu des modalités de tarification applicables au marché en cause, lorsque l'opérateur sousmis à une obligation de pratiquer des tarifs reflétant les coûts réalise des gains plus importants que ceux qui étaient anticipés, il doit, dès lors que les informations disponibles lui permettent d'en avoir connaissance, les répercuter sans délai dans les tarifs à venir. Cette méthode a une vertu incitative en termes d'efficacité de l'opérateur régulé, ce dont bénéficie le secteur en général : à court terme les recettes dues à des gains d'efficience supérieurs aux prévisions sont conservées par la société Orange et les pertes dues à des gains d' efficience inférieurs à ceux attendus sont encourus par la société Orange. Dans un second temps, ces gains d'efficience sont partagés, à travers les tarifs à venir, avec l'ensemble des acteurs. Aussi, l'existence d'un écart entre les coûts prévisionnels et les coûts constatés n'implique pas nécessairement que l'opérateur a méconnu ses obligations tarifaires.' (décision de l' ARCEP en date du 11 février 2016) ; que seule la non-répercussion des gains de non productivité et autres économies de coûts qui pouvaient être anticipés ex ante est répréhensible au regard de la régulation, les éventuels gains devant être répercutés sur les tarifs pour l'avenir qui doivent tenir compte des coûts constatés ; qu'en effet, les coûts prévisionnels restent dépendants d'hypothèses qui peuvent évoluer dans le futur, ce qui est inhérent à toute modélisation prospective ;



Qu'en l'espèce, Orange, dont il n'est pas établi par Verizon qu'elle avait connaissance, lors de l'établissement des coûts prévisionnels ( coûts du personnel et coûts informatiques), des gains de productivité, a procédé à une modification de ses tarifs le 28 mai 2009 avec effet rétroactif au 1er janvier 2009, comme le relève l'ARCEP dans sa décision de non-lieu du 17 juin 2009 ; que les demandes de Verizon portent aussi sur certains marchés non soumis à une obligation tarifaire d'orientation vers les coûts, tels que le marché de transit inter-territorial, le marché de segment terminal de services de capacité et le marché du bitstream (pour lequel Verizon a retiré sa demande), marchés pour lesquels, Orange étant tenue à une obligation de non-éviction, sont inopérantes la vérification du respect des obligations tarifaires, et, partant, l'existence d' une éventuelle surfacturation ; qu'en effet, l'obligation de non-éviction n'interdit pas l'existence d'un écart par rapport aux coûts ; que Verizon n'établit pas l'existence d'un lien entre les tarifs pratiqués par France Telecom supposés excessifs et le gain manqué qu'elle invoque, alors que les tarifs de France Télécom communs à tous les opérateurs alternatifs ont permis à certains opérateurs de gagner des parts de marchés importantes ;



Qu'en conséquence, Verizon n'apporte la preuve ni de l'existence d'une surfacturation fautive, ni de l'illégalité, ni du manquement fautif d'Orange dont elle demande réparation concernant les obligations tarifaires pour 2006 et 2007 ; qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Verizon de sa demande d'indemnisation fondée sur les prétendues surfacturations tirées de l' analyse des comptes séparés au titre des exercices 2006 et 2007 ;





Sur la demande de Verizon au titre d'un manquement fautif d'Orange sur l'exercice 2008



Considérant que l'article 4 du code de procédure civile dispose que 'l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces conclusions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense.' ; que l'article 5 du même code précise que 'le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé' ;



Considérant que la société Orange soutient que les premiers juges ont statué ultra petita en sanctionnant Orange sur le fondement d' un manquement qui n'a jamais été soulevé par Verizon et n'a jamais été débattu entre les parties et en condamnant Orange sur la base d' un exercice (2008) qui n'était pas allégué par Verizon ;



Considérant qu'en l'espèce, la décision entreprise énonce : 'La décision de l'ARCEP 06-1007 dans son article 11 précise que 'les données prévisionnelles doivent être établies dans un calendrier avec leur audit avant la fin de l'année précédente l'exercice visé. Les données définitives doivent être établies et auditées dans le délai de six mois à compter de la date de publication des comptes sociaux de France TELECOM. Ainsi, France TELECOM a indéniablement commis une faute à l'égard de Verizon engageant sa responsabilité délictuelles, en n'établissant pas les données analytiques dans un délai de six mois après la date de publication de ses comptes sociaux et ne permettant pas ainsi une prise en compte des gains de productivité dans le délai prévu par l'ARCEP pour la fixation des tarifs prévisonnels.' ; que le tribunal a évalué ledit préjudice à un montant de 500.000 euros au titre des surfacturations effectuées sur les marchés du gros de départ et de la terminaison d'appel sur l'année 2008 en retenant un écart de 2 % sur les tarifs ;



Considérant qu'il ne résulte pas de l'exposé du litige et de l'exposé des moyens et des prétentions des parties dans le jugement entrepris que Verizon ait invoqué l'existence d'un manquement d'Orange dans le calendrier d'établissement des données analytiques consistant dans un délai de six mois à compter de la date de publication de ses comptes sociaux , entraînant à son égard un préjudice ; que les parties n'ont pas débattu contradictoirement de ce chef de demande ; qu'en outre, les demandes de Verizon devant le tribunal de commerce portaient sur les surfacturations pour les années 2006 et 2007 et sur le remboursement du gain manqué sur les années 2006 et 2007 ; que le jugement entrepris retient d'ailleurs que 'les facturations de l'année 2008 ne lui ont pas été communiquées ' ; qu'en conséquence, le tribunal a statué sur une demande qui ne lui était pas soumise ; que, Orange n'en inférant qu'une demande d'infirmation de ce chef, le jugement entrepris sera infirmé sur ce point ;



Considérant que la demande présentée par Verizon au titre de 2008 tend aux mêmes fins et est le complément des demandes formées devant les premiers juges ; qu'elle doit être déclarée recevable en application de l'article 566 du code de procédure civile ;



Considérant, sur le fond, qu'il convient de rappeler que les développements qui précèdent n'ont pas retenu de comportement fautif d'Orange dans l'établissement des tarifs ; que, sur l'allégation de faute d'Orange qui n'aurait modifié ses tarifs qu'à compter du 1er janvier 2009, cette modification s'explique par le changement de contexte réglementaire modifiant les modalités d'encadrement de la prestation de départ d'appel sur la base des coûts audités d'Orange en 2009 ; qu'il y a donc lieu de débouter Verizon de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'exercice 2008 ;



Considérant que l'équité impose de condamner la société Verizon à payer à la société Orange la somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;





PAR CES MOTIFS





La Cour statuant publiquement et contradictoirement,



DÉBOUTE la SAS Verizon France de ses demandes de mesures d'instruction,



CONFIRME le jugement entrepris, sauf sur l'indemnisation accordée au titre de l'année 2008,



STATUANT A NOUVEAU du chef infirmé,



DIT recevable la demande de la SAS Verizon France relative à l'année 2008,



L'EN DÉBOUTE,



CONDAMNE la SAS Verizon France à payer à la société Orange la somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,



CONDAMNE la SAS Verizon France aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.









Le greffier Le président

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.