18 mai 2017
Cour d'appel de Paris
RG n° 16/24420

Pôle 4 - Chambre 8

Texte de la décision

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 8



ARRÊT DU 18 MAI 2017



(n° 387/17 , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/24420



Décision déférée à la cour : jugement du 15 novembre 2016 - juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Melun - RG n° 15/00011





APPELANTE



Caisse de Crédit mutuel [Localité 1]

N° SIRET : 487 852 287 00027

[Adresse 1]

[Localité 2]



représentée par Me Guillaume Mear de la Scp Malpel & Associés, avocat au barreau de Melun

assistée de Me Fanny Desclozeaux, avocat au barreau de Paris, toque : P0298







INTIMÉES



Madame [T] [Q] veuve [F]

née le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 3] (Sri Lanka)

[Adresse 2]

[Localité 4]



Madame [W] [F] épouse [O]

née le [Date naissance 2] 1987 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 4]



représentées par Me Olivier Bohbot, avocat au barreau de Val-de-Marne, toque : PC 342

assistées de Me Florence Le Bars, avocat au barreau de Val-de-Marne





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 29 mars 2017, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Marie Hirigoyen, présidente de chambre

Mme Anne Lacquemant, conseillère

M. Gilles Malfre, conseiller

qui en ont délibéré







Greffier, lors des débats : M. Sébastien Sabathé



ARRÊT :



- contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Mme Marie Hirigoyen, présidente et par M. Sébastien Sabathé, greffier stagiaire en période de pré-affectation auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






Faits, procédure et prétentions des parties



Par acte reçu le 13 mai 2011 par Maître [T], notaire associé à [Localité 6], Mmes [T] [Q], veuve [F], et [W] [O], née [F], ci-après Mmes [F], ont souscrit auprès de la Caisse de Crédit mutuel [Localité 1] un emprunt d'un montant total de 232 530 euros destiné à financer en partie l'acquisition d'un bien sis [Adresse 2]).



Exposant s'être rendu compte dans le cadre d'une inspection interne, que ledit prêt avait été obtenu à l'aide de documents falsifiés, le Crédit mutuel à adressé à Mmes [F] le 15 novembre 2012 un courrier recommandé avec accusé de réception prononçant la déchéance du terme du prêt, conformément aux dispositions de l'article 17 des conditions générales et les a mises en demeure d'avoir à lui payer la somme de 226 899,48 euros. Le 14 novembre 2013, deux nouvelles mises en demeure, réitérant les termes de celles du 15 novembre 2012 leur ont été adressées, confirmant la déchéance du terme du prêt.



Le 1er octobre 2014, la banque faisait signifier à Mmes [F] un commandement de payer valant saisie immobilière et les assignait à l'audience d'orientation.



Par jugement d'orientation du 15 novembre 2016, le juge de l'exécution de Melun a :



- constaté que l'action de la banque à l'encontre de Mmes [F] est atteinte par la prescription,



- constaté, en conséquence, que le créancier poursuivant ne peut justifier d'un litre exécutoire contenant une créance liquide et exigible envers Mmes [F] ,



- mis fin aux poursuites de saisie immobilière engagées par la banque à l'encontre de Mmes [F],



- débouté la banque de l'ensemble de ses demandes, débouté Mmes [F] de leurs demandes reconventionnelles, et condamné le Crédit mutuel à leur payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.



La caisse de Crédit mutuel [Localité 1] a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe le'5'décembre 2016.



Ayant été autorisée, par ordonnance du 15 décembre 2016, à assigner en vue de l'audience du 29 mars 2017, elle a fait citer par acte d'huissier du 11 janvier 2017 Mmes [F] .







Par cet acte, et par dernières conclusions du 28 mars 2017, le Crédit mutuel demande à la cour, outre une série de "dire et juger" qui ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 954 du code de procédure civile,



- d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, de débouter les intimées de toutes leurs demandes, de fixer dès à présent la date d'adjudication, de statuer sur les conditions de visite et de publicité, de constater que le jugement d'adjudication à intervenir constitue un titre d'expulsion, d'ordonner en conséquence l'expulsion immédiate des intimées et de dire que les dépens seront pris en frais privilégiés de vente.



- subsidiairement, en cas de vente amiable, de statuer conformément aux dispositions réglementaires, de taxer les frais de poursuite, de rappeler divers éléments tenant à la consignation du prix de vente et au respect du cahier des conditions de vente, enfin de condamner solidairement Mmes [F] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



Par conclusions du 28 mars 2017, Mmes [F], demandent à la cour de :



- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il les a déboutées du surplus de leurs contestations,



- dans l'hypothèse où la cour devrait déclarer l'action de la banque non prescrite, dire et juger que la notification de la déchéance du terme est irrégulière et débouter le Crédit mutuel de l'intégralité de ses demandes,



- subsidiairement, dire et juger que la banque ne rapporte pas la preuve de ses affirmations relatives aux prétendues déclarations mensongères des candidates emprunteurs, et la débouter de l'intégralité de ses demandes,



- subsidiairement, dire et juger que la clause permettant au prêteur d'exiger un règlement anticipé du capital en cas d'inexactitude des renseignements confidentiels qui lui sont fournis par l'emprunteur est abusive ou illicite et doit être réputée non écrite, et débouter la banque de l'intégralité de ses demandes,



- très subsidiairement, débouter la banque de sa demande de règlement anticipé de l'ensemble des sommes prêtées et de vente forcée en ce que les fonds ayant été débloqués, les emprunteurs n'étaient plus tenus qu'à une obligation de remboursement, et la débouter de l'intégralité de ses demandes,



- infiniment subsidiairement, autoriser la vente amiable du bien objet de la saisie et prévoir la fixation d'une nouvelle date d'audience,



Reconventionnellement et en tout état de cause, infirmant le jugement en ce qu'il les a déboutées de leurs demandes reconventionnelles,



- à titre principal, dire et juger que le taux effectif global (TEG) mentionné dans l'acte de prêt du 13 mai 2011 est erroné, annuler la clause de stipulation d'intérêts insérée audit contrat, ordonner la substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel depuis la souscription du contrat intervenue le 13 mai 2011, dire et juger que le montant des intérêts conventionnels perçus indûment s'imputera sur le capital restant dû par les emprunteurs, ordonner à la banque de produire un nouveau tableau d'amortissement tenant compte de la substitution des intérêts au taux légal et des règlements d'ores et déjà effectués et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,



- dans l'hypothèse où la cour ne s'estimerait pas suffisamment éclairée, ordonner une expertise en désignant un expert en analyse financière avec mission de déterminer le TEG réel,



- à titre subsidiaire, dire et juger que le TEG mentionné dans l'offre de prêt du 15 avril 2011 est erroné, déchoir la banque de l'intégralité de son droit au paiement des intérêts au taux contractuel, et la condamner à leur restituer le trop perçu des intérêts conventionnels payés par elles depuis la conclusion du contrat de prêt jusqu'au jugement à intervenir,



- lui ordonner, de produire un nouveau tableau d'amortissement s'agissant des échéances non encore réglées par les emprunteuses au jour de la décision à intervenir et tenant compte de la déchéance du droit aux intérêts et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,



- à titre très subsidiaire, prononcer la déchéance totale des intérêts au taux conventionnel stipulés au profit de l'établissement bancaire,



- condamner la banque à leur restituer le trop perçu des intérêts conventionnels payés par elles depuis la conclusion du contrat de prêt jusqu'au jugement à intervenir, et lui ordonner de produire un nouveau tableau d'amortissement s'agissant des échéances non encore réglées par les emprunteuses au jour de la décision à intervenir et tenant compte de la déchéance du droit aux intérêts et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,



- en tout état de cause, condamner la banque, à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure.






SUR CE



- Sur la prescription



Pour juger prescrite l'action de la banque, le premier juge a retenu que la prescription applicable était celle, biennale, de l'article L. 137-2 du code de la consommation, et que, ne s'agissant pas d'un défaut de paiement, la prescription courait non à compter de la déchéance du terme, mais à compter de la date où la banque avait eu en sa possession les éléments démontrant la fraude et conduisant à ladite déchéance, soit le 24 septembre 2012, étant rappelé que le commandement de payer à fin de saisie a été délivré le 1er octobre 2014.



Le Crédit mutuel soutient que les dispositions de l'article L. 137-2 du code de la consommation ne seraient pas applicables au litige, s'agissant de recouvrer des sommes versées indûment à des débitrices ayant obtenu un prêt immobilier au moyen de man'uvres dolosives ; que ce n'est pas le régime général de prescription de l'article 2224 du code civil qui doit s'appliquer, mais le régime spécial de l'article 2233 du code civil ; que, s'agissant d'un prêt immobilier, le point de départ du délai de prescription doit être fixé au jour du prononcé de la déchéance du terme et, par ailleurs, que les règlements faits chaque mois par Mmes [F] depuis quatre ans valent reconnaissance du droit du Crédit mutuel de prescrire à leur encontre, qu'ainsi le délai de prescription a été valablement interrompu.



L'article L. 137-2 du code de la consommation, devenu L. 218-2 du même code en vertu de l'ordonnance n°'2016-301 du 14 mars 2016,'selon lequel l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans, est énoncé de façon générale et a vocation à s'appliquer à tous les contrats de consommation, en particulier aux crédits immobiliers consentis par des organismes de crédit au consommateur, lesquels constituent des services financiers fournis par des professionnels.



Ce texte ne distingue pas selon le type d'action, et notamment pas entre les actions en recouvrement à la suite d'impayés et celles fondées sur d'autres stipulations contractuelles. Il institue un régime de prescription dérogatoire au droit commun, applicable à toutes les actions engagées par un professionnel tendant au paiement des sommes dues pour les biens ou les services qu'il a fournis à un consommateur. Les lois spéciales dérogeant aux lois générales, il ne peut être distingué là où la loi ne distingue pas. Le premier juge sera approuvé en ce qu'il a retenu que la prescription applicable est la prescription biennale de l'article L. 137-2 du code de la consommation devenu L. 218-2 du même code.



Quant au point de départ de la prescription, la banque soutient que, s'agissant d'une obligation assortie d'un terme, le point de départ du délai serait, en application de l'article 2233 du code civil selon lequel, en pareil cas, la prescription ne court qu'à compter de l'arrivée du terme, la date de la déchéance du terme, soit le 15 novembre 2012.



Il est constant que le contrat en cause contient une créance à terme et qu'il doit donc être tenu compte, pour la détermination du point de départ de la prescription, tant de l'article 2224 que de l'article 2233 du code civil, même si l'action exercée n'est pas une action en recouvrement d'impayés.



La banque fonde son action sur l'article 17 de l'offre de prêt, lequel prévoit que "les sommes dues seront de plein droit immédiatement exigibles dans l'un quelconque des cas suivants. Pour s'en prévaloir, le prêteur en avertira l'emprunteur par écrit". Suit la liste des nombreux cas prévus, notamment :- "en cas (') d'inexactitude de l'une de ses déclarations sur des éléments essentiels ayant déterminé l'accord de la banque ou de nature à compromettre le remboursement du prêt".



Ainsi, le délai de prescription ne peut commencer à courir qu'à compter de la date à laquelle le créancier a le droit, selon ladite clause, d'exiger le paiement et en l'espèce, à la date de la déchéance du terme qui emporte l'exigibilité de la créance, soit en l'espèce le 15 novembre 2012.



Si les intimées contestent l'effectivité de la déchéance du terme en ce qu'une seule lettre recommandée leur a été adressée le 12 novembre 2012 à leur adresse commune, c'est à bon droit que la banque fait valoir que le principe de représentation mutuelle des'codébiteurs solidaires exclut l'obligation pour le créancier de procéder à des notifications distinctes à leur égard.



L'action du Crédit mutuel n'est donc pas prescrite.





- Sur la licéité de la clause d'exigibilité anticipée



Mmes [F] soutiennent que la clause permettant au prêteur d'exiger un règlement anticipé du capital en cas d'inexactitude des renseignements confidentiels qui lui sont fournis par l'emprunteur est abusive ou illicite et doit être réputée non écrite. Elles estiment, par ailleurs, que, le contrat étant formé et les fonds débloqués, la seule obligation à laquelle elles demeurent tenues est celle de payer.



Le Crédit mutuel s'oppose à ces prétentions, faisant valoir que, destiné à sanctionner un éventuel dol des emprunteurs ainsi que l'exécution de mauvaise foi de la convention par ceux-ci, cet article serait parfaitement licite et ne saurait être considéré comme une clause abusive. Il ajoute que les articles L. 311-13 et L. 311-33 du code de la consommation ne visent que le formalisme des offres de crédit à la consommation et ne seraient pas applicables en l'espèce s'agissant d'une offre de prêt immobilier.



La clause litigieuse se trouve dans l'article 17 de l'offre de prêt, lequel prévoit que "les sommes dues seront de plein droit immédiatement exigibles dans l'un quelconque des cas suivants"['] "en cas ' d'inexactitude de l'une de ses déclarations sur des éléments essentiels ayant déterminé l'accord de la banque ou de nature à compromettre le remboursement du prêt".



Il ressort de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à l'époque du contrat, que "dans les'contrats'conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au'contrat". Par sa généralité, cet article est parfaitement applicable en la cause.



En l'espèce, force est de constater que la clause vise en termes généraux les éléments essentiels des déclarations des emprunteurs, laissant au seul prêteur l'appréciation du caractère inexact de ces déclarations en le laissant décider du caractère essentiel des éléments sur lesquels elles portent et déterminer si elles ont été de nature soit à déterminer l'accord de la banque soit à compromettre le remboursement du prêt. La clause prévoit que dès lors le prêteur pourra prononcer l'exigibilité des sommes et donc la déchéance du terme, et, pour son application, il suffit d'une simple information de l'emprunteur ("Pour s'en prévaloir, le prêteur en avertira l'emprunteur par écrit'), sans même ouvrir la possibilité d'une contestation du consommateur quant au bien fondé de la déchéance.



Ainsi, et quand bien même il s'agirait pour la banque de se prémunir contre le dol ou la mauvaise foi, par cette clause, elle s'octroie un pouvoir discrétionnaire de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, de sorte que ladite clause présente un caractère abusif et sera déclarée non écrite.



Il en résulte que la déchéance du terme a été prononcée à tort et ne peut fonder la procédure de saisie immobilière, le jugement, malgré le rejet de la fin de non-recevoir prise de la prescription, devant être confirmé, par substitution de motifs, en ce qu'il a mis fin aux poursuites.



- Sur les autres demandes



La saisie immobilière étant annulée, la cour, statuant avec les pouvoirs le juge de l'exécution, rejettera comme irrecevables toutes les autres demandes des intimées, les pouvoirs du juge de l'exécution pour trancher les questions de fond étant limités à celles dont dépend la validité de la mesure.



L'équité commande de confirmer le jugement en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile sans y ajouter.



La partie appelante qui succombe supportera la charge des dépens d'appel.





PAR CES MOTIFS



Confirme le jugement,



Rejette toute autre demande,



Condamne la Caisse de Crédit mutuel [Localité 1] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.





LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE

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