6 décembre 2017
Cour d'appel de Paris
RG n° 16/13866

Pôle 6 - Chambre 6

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 06 Décembre 2017

(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/13866



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Octobre 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 15/04697





APPELANT :

Monsieur [B] [V]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

né le [Date naissance 1] 1980

représenté par Me Stéphane MARTIANO, avocat au barreau de PARIS, toque : C1459 substitué par Me Magalie PIERRON, avocat au barreau de PARIS, toque : C1459





INTIMÉE :

SAS TRANSPORTS RAPIDES AUTOMOBILES

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 618 200 380

représentée par Me Arnaud BLANC DE LA NAULTE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0007 substitué par Me Noémie NAUDON, avocat au barreau de PARIS, toque : A0270





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Octobre 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère, chargé du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :



M. Benoît DE CHARRY, Président de chambre

Mme Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère

Mme Séverine TECHER, Vice-Présidente placée



Greffier : Mme Martine JOANTAUZY, lors des débats





ARRÊT :



- contradictoire,



- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,



- signé par Monsieur Benoît DE CHARRY, Président et par Madame Martine JOANTAUZY, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




RAPPEL DES FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



Monsieur [B] [V] a été embauché par la SAS TRANSPORTS RAPIDES AUTOMOBILES (TRA) en qualité d'agent d'accompagnement, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 21 décembre 2012, avec stipulation d'une période de stage de 12 mois devant prendre fin le 20 décembre 2013 conformément à la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs.



En dernier lieu, Monsieur [V] percevait une rémunération mensuelle moyenne de 1 714,18 euros.



Lors de sa visite d'embauche le 14 juin 2013, le médecin du travail a déclaré Monsieur [V] inapte temporairement en émettant de nombreuses restrictions, puis le 28 juin 2013, l'a déclaré inapte au poste d'agent d'accompagnement mais apte à un autre poste.



Le 12 juillet 2013, le médecin du travail a confirmé l'inaptitude du salarié au poste de travail d'agent d'accompagnement en transport public du 28 juin 2013 et son aptitude à d'autres postes conformes aux restrictions qu'il a posées.



Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 16 juillet 2013, la société TRA décidait de mettre fin à la période de stage en ces termes : «'[']vous avez été embauché par un contrat prévoyant une période de stage de un an conformément à la convention collective des transports urbains. A ce jour, vos aptitudes physiques étant insuffisantes, nous ne sommes pas en mesure de poursuivre nos relations contractuelles qui prendront fin dès réception de ce courrier...'».



Estimant cette rupture abusive, Monsieur [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny qui, par jugement du 25 octobre 2016, auquel la cour se réfère pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties à ce stade, a débouté Monsieur [V] de l'ensemble de ses demandes, a débouté la SAS TRANSPORTS RAPIDES AUTOMOBILES de sa demande reconventionnelle et a condamné Monsieur [V] aux dépens.



Monsieur [B] [V] a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 02 novembre 2016.



L'affaire a été plaidée à l'audience du 23 octobre 2017 au cours de laquelle les parties ont développé leurs écrits régulièrement échangés par RPVA.



Par conclusions du 13 janvier 2017 Monsieur [V] demande à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions la décision rendue par le Conseil de prud'hommes de Bobigny le 25 octobre 2016, de dire et juger que la période de stage est assimilable à une période d'essai, de dire et juger que la durée de la période étant déraisonnable, et, de ce fait, ne pouvait être opposée au concluant, qui était donc embauché de manière définitive et donc, à titre principal, de dire que son licenciement est nul.



En conséquence il demande à la cour de condamner la SAS TRANSPORTS RAPIDES AUTOMOBILES à lui verser les sommes suivantes :



*2 083,84 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

*1 491,97 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier,

*1 491,97 euros à titre de reliquat d'indemnité compensatrice de préavis,

*149,19 euros au titre des congés payés afférents



et de la condamner au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du C.P.C ainsi qu'aux entiers dépens.



Par conclusions du 17 février 2017 la SAS TRANSPORTS RAPIDES AUTOMOBILES demande à la Cour de confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bobigny, de dire et juger que la période de stage de Monsieur [V] est parfaitement fondée et valable et en conséquence, de débouter Monsieur [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, de le condamner à verser à la Société la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.






MOTIFS



Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les conclusions des parties et les pièces du dossier,





Sur le stage



Le contrat de travail de Monsieur [V] contient une clause intitulée «PERIODE DE STAGE : «Le présent contrat ne deviendra définitif qu'à l'issue d'une période de stage d'un an, qui se terminera donc le 20 décembre 2013 durant laquelle sa qualification sera Agent d'Accompagnement Stagiaire» qui est autorisée par l'article 16 de la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs qui prévoit que «tout salarié doit, avant d'être admis d'une façon définitive dans l'entreprise, effectuer un stage d'une durée de douze mois. Cette durée correspond à une prestation effective dans l'entreprise. Pendant la période d'essai, les stagiaires perçoivent le salaire mensuel de l'emploi correspondant à leur qualification. Au cours de cette période, l'employeur a la possibilité de mettre fin au contrat de travail des stagiaires qui ne donnent pas satisfaction ou dont les aptitudes physiques sont insuffisantes après un préavis de 8 jours pour ceux dont la présnece est inférieure à 6 mois et de un mois pour les autres ».



Cette période conventionnelle dite «'de stage'» est également appelée article 16 «'période d'essai'» et les parties s'opposent sur sa qualification.



Or la cour observe que pendant la période de un an l'employeur garde la possibilité de mettre fin au contrat à tout moment, sans motif et que sur ce point, la SAS TRA ne peut sérieusement prétendre qu'elle ne peut se fonder que sur les deux motifs visés à l'article 16 alors que la généralité de ses motifs et leur subjectivité portant l'un sur «'des aptitudes physiques jugées insuffisantes'» et l'autre sur «'l'absence de satisfaction de l'employeur du travail fourni'», offrent à l'employeur toute latitude pour rompre le contrat de travail.



Par ailleurs cette dérogation au droit commun des contrats de travail, n'a pas pour contrepartie la garantie de l'emploi du salarié titularisé puisque, même s'il ne peut que se prévaloir d'une faute grave, l'employeur garde la faculté de le licencier après sa titularisation.



Ainsi la période de un an prévue à l'article 16 pendant laquelle l'employeur est autorisé à évaluer les compétences techniques et physiques du salarié tout en conservant la faculté de rompre le contrat à tout moment sans justifier d'un motif légitime et sans respecter les règles de droit commun régissant le licenciement s'analyse en une période d'essai.



Or, il ressort des principes posés par la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur le licenciement, adoptée à Genève le 22 juin 1982 et entrée en vigueur en France le 16 mars 1990, texte d'application directe prévoyant en son article 2 §2 (b) «'qu'un membre ne pourra en exclure de son champ d'application les travailleurs effectuant une période d'essai qu'à la condition que la durée de celle-ci soit fixée d'avance et qu'elle soit raisonnable ».





Et il convient de constater qu'au regard de la finalité de la période d'essai et de l'exclusion des règles protectrices sur le licenciement pendant celle-ci, la période d'essai d'une durée de 12 mois prévue par la convention collective précitée pour les salariés, comme Monsieur [V], recruté par contrat à durée indéterminée en qualité d'agent d'accompagnement relevant de la catégorie employé, est manifestement déraisonnable.



Dès lors, cette disposition conventionnelle n'est pas compatible avec la convention internationale précitée, ce qui la rend inopposable à Monsieur [V].



En conséquence Monsieur [V] n'était pas en période d'essai lors de la rupture du contrat de travail par l'employeur pour ce motif, par lettre du 16 juillet 2013, ce dont il résulte qu'elle est sans cause réelle et sérieuse au sens de l'article L.1232-1 du Code du travail.





Sur la rupture du contrat de travail



Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de son état de santé ou de son handicap.



En application des dispositions des articles L1132-1 et L1132-4 du code du travail, tout licenciement prononcé à l'égard d'un salarié en raison de son état de santé est nul.



Or, il ressort des termes même de la lettre du 16 juillet 2013 «Vous'avez été embauché le 21 décembre 2012 par un contrat prévoyant une période de stage d'un an conformément à la Convention Collective des Transports Urbains. A ce jour, vos aptitudes physiques étant insuffisantes, nous ne sommes pas en mesure de poursuivre nos relations contractuelles qui prendront fin dès réception de ce courrier », que le motif de la rupture du contrat de travail de Monsieur [V] se trouve dans l'insuffisance de ses aptitudes physiques. Or celle-ci est la conséquence de son état de santé dégradé attesté par la reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé par décision de la CDAPH du 24 avril 2013 et par les restrictions énoncées par le médecin du travail.



La cause de la rupture est donc en lien de causalité avec l'état de santé du salarié.



Dès lors, la rupture du contrat s'analyse en un licenciement nul.

Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.



Sur les demandes subséquentes



Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul



Le salarié dont le licenciement est nul, et qui ne demande pas sa réintégration, a droit, en plus des indemnités de rupture, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire tel que prévu à l'article L235-3 du code du travail, quels que soient son ancienneté et l'effectif de l'entreprise.



A la date du licenciement, Monsieur [V] percevait une rémunération mensuelle brute moyenne de 1714,18 euros et bénéficiait d'une ancienneté de moins de sept mois au sein de la société. Il sollicite la somme de 22 083,84 euros à titre des dommages et intérêts pour licenciement nul et fait valoir qu'il n'a pas retrouvé d'emploi et perçoit les allocations chômage sans toutefois en justifier.La société s'oppose à cette demande et soutient, en tout état de cause, que la demande du salarié est excessive dans son quantum.



Compte tenu de ces éléments et compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Monsieur [V], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à son handicap et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer une somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.



Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.



Sur le reliquat d'indemnité compensatrice de préavis



Monsieur [V] verse aux débats une décision du 23 avril 2013 de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé par la Commission des Droits et de l'Autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH) et réclame sur ce fondement l'application des dispositions de l'article L5213-9 du Code du travail, qui prévoient, en cas de licenciement, que la durée du préavis déterminée en application de l'article L. 1234-1 est doublée, sans toutefois que cette mesure puisse avoir pour effet de porter au-delà de trois mois la durée de ce préavis.



Considérant que le travailleur handicapé bénéficie, en cas de licenciement, du doublement de la durée du préavis légal dans la limite de 3 mois tel que prévue par les dispositions de l'article L5213-9 du code du travail, que si ce doublement n'est pas due lorsqu'il n'effectue pas son préavis cette limitation ne concerne que le cas d'un licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle sur le fondement de l'article L1226-14 du code du travail et qu'en l'espèce la rupture du contrat n'entre pas dans ce cadre.



Considérant alors le droit du salarié reconnu travailleur handicapé avant la rupture du contrat du versement d'une indemnité compensatrice doublée, considérant que Monsieur [V] n'a perçu qu'un mois de salaire au titre du préavis, il en résulte qu'il est bien fondé à réclamer un reliquat d'indemnité compensatrice de préavis d'un mois soit la somme de 1 491,97 euros outre 149,19 euros au titre des congés payés afférents.



Sur le non respect de la procédure de licenciement



Monsieur [V] soutient que la société n'a pas respecté la procédure de licenciement imposée à l'article L1232-2 du Code du travail et qu'en conséquence, il est fondé à solliciter la condamnation de la société à lui verser la somme de 1 491,97 euros correspondant à un mois de salaire à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure.



Mais en l'espèce la rupture ne s'est pas inscrite dans le cadre d'un licenciement mais dans celui d'une rupture irrégulière pendant une période d'essai dont la cour a dit qu'elle s'analysait en un licenciement nul, de sorte que le salarié ne peut se prévaloir des irrégularités de cette rupture au regard des règles applicables à la procédure de licenciement.



En tout état de cause considérant les dispositions de l'article L1235-2 et 3 du code du travail la reconnaissance de la nullité du licenciement incluant celle de son absence de cause réelle et sérieuse ne lui ouvre pas droit à réparation d'un préjudice distinct



En conséquence Monsieur [V] est débouté de sa demande d'indemnité distincte pour non-respect de la procédure de licenciement.



Sur les frais irrépétibles



Partie succombante, la société TRANSPORTS RAPIDES AUTOMOBILES, sera condamnée à payer à Monsieur [V] la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



Sur les dépens



Partie succombante, la société TRANSPORTS RAPIDES AUTOMOBILES, sera condamnée au paiement des dépens.



PAR CES MOTIFS



La cour,



INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions';



Statuant à nouveau et ajoutant :



DIT que le licenciement de Monsieur [V] est nul ;



CONDAMNE la société TRANSPORTS RAPIDES AUTOMOBILES à payer à Monsieur [V] les sommes suivantes':



*12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,



*1 491,97 euros à titre de reliquat d'indemnité compensatrice de préavis, outre 149,19 euros au titre des congés payés afférents,



*500 euros au titre de l'article 700 du CPC.



DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires ;



CONDAMNE la société TRANSPORTS RAPIDES AUTOMOBILES aux entiers dépens.





LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

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